Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de Guess?, Inc. à la demande no 876340 produite par Slide Sportswear Inc. en vue de l’enregistrement de la marque de commerce RAW DENIM

 

 

I Les actes de procédure

 

 

Le 27 avril 1998, Slide Sportswear Inc. (la « requérante ») a produit la demande no 876340 en vue de faire enregistrer la marque de commerce RAW DENIM (la « marque ») en se fondant sur l’emploi projeté de cette marque en liaison avec des vêtements pour hommes, femmes et enfants, nommément : manteaux, costumes, vestes, pantalons, jeans, chandails, survêtements de loisir, justaucorps, shorts, jupes, pulls molletonnés, T-shirts, débardeurs, chemisiers, sous‑vêtements et vêtements de nuit (les « marchandises »). La demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 5 mai 1999.

 

Le 5 octobre 1999, Guess?, Inc. (« l’opposante ») a produit une déclaration d’opposition dans laquelle elle invoque les motifs d’opposition suivants :

 

1)      La requérante ne pouvait déclarer avoir l’intention d’utiliser la marque au Canada, elle‑même ou par l’entremise d’un licencié, étant donné qu’elle savait qu’à la date du dépôt de la demande la marque était clairement descriptive et qu’elle ne pouvait être utilisée en tant que marque de commerce;

2)      La requérante ne pouvait déclarer avoir l’intention d’utiliser la marque au Canada, elle‑même ou par l’entremise d’un licencié, ou de l’une et l’autre manière, étant donné qu’en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, la marque était, à la date du dépôt de la demande, reconnue au Canada comme désignant le genre et la qualité des marchandises et que par conséquent l’article 10 de la Loi sur les marques de commerce (la Loi) en interdit l’adoption;

3)      La requérante n’a jamais eu l’intention d’employer la marque au Canada elle‑même ou par l’entremise d’un licencié;

4)      La marque n’est pas enregistrable parce que, comme il est prévu à l’alinéa 12(1)b) de la Loi, elle donne une description claire de la qualité des marchandises;

5)      La marque n’est pas enregistrable en raison de l’alinéa 12(1)c) de la Loi parce qu’elle est constituée du nom utilisé en anglais pour désigner les marchandises en liaison avec lesquelles la requérante se propose de l’employer;

6)      Vu l’alinéa 12(1)e) de la Loi, la marque n’est pas enregistrable parce qu’en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, elle est devenue reconnue au Canada comme désignant le genre et la qualité des marchandises et qu’il s’agit par conséquent d’une marque interdite au sens de l’article 10 de la Loi;

7)      La marque n’est pas distinctive étant donné qu’elle ne distingue pas véritablement les marchandises de la requérante de celles d’autres propriétaires, le terme « raw denim » étant depuis plusieurs années couramment utilisé par d’autres personnes que l’opposante pour décrire des marchandises analogues à celles que vise la présente demande.

 

La requérante a déposé une contre‑déclaration où, pour l’essentiel, elle nie chacun des motifs d’opposition.

 

L’opposante s’est appuyée sur une preuve par affidavit dont l’un a été souscrit par Marvin Libman et deux autres par Sharon Elliot. La requérante a, quant à elle, produit l’affidavit de Gilbert Bitton.

 

L’opposante a déposé une déclaration d’opposition modifiée pour ajouter, en ce qui concerne le quatrième motif d’opposition, [traduction] « ou donne une description fausse et trompeuse » après « donne une description claire ». Seule l’opposante a déposé un plaidoyer écrit et la décision a été rendue sur dossier.

 

II La preuve

 

M. Libman a été vice‑président de Guess? Canada Corporation. La société fabrique et distribue sous licence certaines des marchandises de l’opposante. Il donne, au paragraphe 3 de son affidavit, des explications concernant le sens donné au mot « raw » (en français brut) et au mot « denim » ainsi qu’une définition de « raw denim » (en français, denim brut) lorsque ces termes sont employés dans le domaine du textile :

 

[traduction]

3. Dans l’industrie textile canadienne le mot « denim » est employé pour décrire un tissu de coton épais et robuste, souvent teint, et utilisé pour fabriquer des vêtements, comme des pantalons, des vestes, des jupes, etc. Le denim brut (raw denim, en anglais) est le tissu tel que livré à l’usine, de sorte que les vêtements confectionnés avec ce tissu paraissent ne pas avoir été soumis à des traitements au mouillé. Parmi les autres types de denim, il y a les suivants : le denim hachuré croisé, le denim en fil continu à anneaux, le denim fait à partir de fibres libérées et le sergé brisé. Il est d’usage de ne pas soumettre le denim brut aux traitements au mouillé habituellement utilisés pour traiter d’autres types de denim, soit le simple lavage, le lavage à la pierre, avec ou sans agent de blanchiment, le lavage prolongé à la pierre, avec ou sans agent de blanchiment, le lavage aux enzymes, avec ou sans agent de blanchiment et adoucissant à base de silicone.

 

M. Libman a produit diverses pages du site Internet de l’opposante montrant différents genres de vêtements. Il est fait mention du terme « raw denim » dans leur description pour indiquer de quel type de tissu ils sont faits. Des exemples des annonces qu’a fait paraître l’opposante depuis 1997, où des vêtements sont également montrés et où figure le terme « raw denim » ici aussi pour décrire le tissu dont ils sont faits, sont produits sous la cote C.

 

Mme Elliot est employée par les agents de l’opposante. Elle a effectué diverses recherches dans Internet pour repérer des occurrences du terme « raw denim ». Les résultats de ses recherches sont exposés dans différentes pièces jointes à son affidavit. Elle a aussi déposé des copies d’articles publiés dans des journaux canadiens comme l’Ottawa Citizen, le Toronto Star et The Globe and Mail où le terme « raw denim » est utilisé pour décrire certains types de tissus. Elle a de plus versé au dossier des articles parus dans le San Francisco Examiner et le New York Post ainsi que des extraits de revues spécialisées où figure également le terme « raw denim ».

 

Son deuxième affidavit a été souscrit pour verser au dossier des définitions des mots « raw » et « denim », trouvées dans différents dictionnaires.

 

M. Bitton a été président de la requérante. Le 1er janvier 1999, Buffalo Inc. a fait l’acquisition de toutes les actions de la requérante et celle-ci a par la suite été dissoute. M. Bitton allègue que Buffalo Inc. détient tous les droits, titres et intérêts afférents à la présente demande. Il n’y a pas lieu, dans le cadre de cette instance, de faire de distinction entre la requérante et Buffalo Inc. Le terme « requérante », employé ci-après, désigne donc l’entité qui existait à l’époque en cause. M. Bitton admet au paragraphe 5 de son affidavit que d’autres personnes ont utilisé le terme « raw denim » à certaines occasions, mais il affirme qu’un tel usage n’est pas répandu ou reconnu par l’industrie. Il ne soumet, toutefois, aucun élément de preuve pour étayer son assertion. Il ajoute que la marque ne décrit pas la nature ou la qualité des marchandises étant donné qu’elles ne sont pas toutes faites de denim ou de matière brute. Enfin, il énonce que le terme « raw denim » évoque une image ou un style de vie plutôt que la nature des marchandises. Comme pour l’assertion précédente, cette thèse n’est étayée par aucune preuve.

 

III Le droit applicable

 

Il incombe à la requérante de démontrer que sa demande satisfait aux exigences de l’article 30 de la Loi, mais l’opposante a la charge initiale d’établir l’existence des faits allégués à l’appui de ses motifs d’opposition. Si l’opposante s’acquitte du fardeau qui lui incombe, la requérante doit démontrer, selon la prépondérance de la preuve, que les motifs d’opposition ne sauraient l’empêcher de faire enregistrer la marque demandée. [Voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al c. Seagram Real Estate Ltd., 3 C.P.R. (3d) 325, p. 329-330; John Labatt Ltd. c. Compagnies Molson Ltée, 30 C.P.R. (3d) 293, Christian Dior, S.A. and Dion Neckwear Ltd. [2002] 3 C.F. 405.]

 

Les trois premiers motifs d’opposition soulèvent la question du respect des exigences de l’article 30 de la Loi. La date pertinente pour examiner ces motifs est la date du dépôt de la demande (le 27 avril 1998). [Voir Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd., 3 C.P.R. (3d) 469, p. 475.]

 

Il a récemment été décidé qu’en ce qui concerne l’appréciation du caractère descriptif de la marque, (alinéa 12(1)b)) la date pertinente est la date du dépôt de la demande. [Voir Fiesta Barbeques Limited c. General Housewares Corporation (2003), 28 C.P.R. (4th) 60 (C.F 1re inst.), Zorti Investments Inc. c. Party City Corporation concernant la demande no 766,534, 12 janvier 2004 (C.O.M.C.), Havana Club Holdings S.A. c. Bacardi & Company Limited concernant la demande no 795,803, 12 janvier 2004 (C.O.M.C.), et Eloyalty Corporation c. Loyalty Management Group Canada Inc. concernant la demande no 860,274, 28 mai 2004 (C.O.M.C.).]

 

La date pertinente en ce qui concerne le motif d’opposition relatif à l’enregistrabilité de la marque, à l’appui duquel l’opposante invoque l’alinéa 12(1)e) et l’article 10 de la Loi, est la date à laquelle le registraire rend sa décision. [Voir Allied Corp. c. Association olympique canadienne (1989), 28 C.P.R. (3d) 161, et Association olympique canadienne c. Olympus Optical Company Limited (1991), 38 C.P.R. (3d) 1.]

 

Il est généralement accepté que la date pertinente pour l'examen du caractère distinctif est la date de dépôt de la déclaration d'opposition (le 5 octobre 1999). [Voir Andres Wines Ltd. and E&J Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126, p. 130 (C.A.F.), Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413, p. 44 (C.A.F.), et Metro-Goldwyn-Meyer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F 1re inst.).]

 

Le troisième motif d’opposition n’est pas étayé par la preuve et il est donc rejeté au motif que l’opposante ne s’est pas acquittée du fardeau initial qui lui incombait. De même, l’opposante ne s’est pas acquittée de la charge initiale qui lui incombait en ce qui concerne le cinquième motif d’opposition étant donné que les définitions tirées des dictionnaires ne peuvent servir à démontrer que la marque en tant que telle est le nom anglais qui désigne les marchandises. Par conséquent, ce motif d’opposition est également rejeté.

 

Compte tenu des éléments de preuve qu’elle a versés au dossier et qui sont succinctement exposés ci‑dessus, l’opposante s’est acquittée de son fardeau initial en ce qui concerne les quatrième, cinquième, sixième et septième motifs d’opposition. Il est clair toutefois qu’il faut répondre à la question suivante pour déterminer si ces motifs doivent être accueillis : la marque donne‑t‑elle une description claire ou une description fausse et trompeuse, en langue anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises? Dans la négative, je devrai de plus déterminer, pour statuer sur le sixième motif d’opposition, si la preuve démontre que le terme « raw denim » est en raison d'une pratique commerciale ordinaire et authentique devenu reconnu au Canada comme désignant le genre et la qualité des marchandises.

 

Pour déterminer si la marque décrit la nature ou la qualité des marchandises, le critère applicable est celui de la première impression. Il ne faut pas considérer les mots qui composent la marque séparément et faire une analyse approfondie de chacun d’eux. Il faut plutôt déterminer la première impression que suscite la marque lorsqu’elle est utilisée en liaison avec les marchandises. [Voir Oshawa Group Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1980), 46 C.P.R. (2d) 145 (C.F 1re inst.).]

 

Dans Atlantic Promotions Inc. c. Registraire des marques de commerce (1984), 2 C.P.R. (3d) 183, le juge Cattanach définit ainsi l’expression « description fausse et trompeuse » :

 

À mon avis, le critère qu’il faut appliquer afin de déterminer si une marque de commerce donne dans son ensemble une description fausse et trompeuse consiste à savoir si on fait croire au public canadien en général que le produit en liaison avec lequel la marque est employée provient du lieu que représente un nom géographique faisant partie de la marque.

 

Comme le lieu d’origine des marchandises était en cause dans l’affaire susmentionnée, on peut dire, par analogie, que la marque sera considérée fausse et trompeuse si le public canadien est induit en erreur en étant incité à croire que les marchandises en liaison avec lesquelles la marque est utilisée sont fabriquées avec un tissu appelé en anglais du « raw denim ».

 

Certains des éléments de preuve précédemment décrits sont tirés de sources étrangères. Toutefois, dans Canadian Inovatech Inc. c. Burnbrae Farms Ltd. (2003), 31 C.P.R. (4th) 151, J. W. Bradbury, membre de la C.O.M.C., a examiné, dans le contexte de l’alinéa 12(1)b)de la Loi, la question de la pertinence d’une telle preuve :

 

L'origine étrangère des mentions par rapport au Canada ne leur enlève pas leur pertinence, car la question à trancher n'est pas de savoir si les mots « barn eggs » ont été employés de manière à donner une description claire au Canada, mais s'ils donnent une description claire en langue anglaise.

 

Dans The Shorter Oxford English Dictionary, Third Edition (pièce C jointe au deuxième affidavit de Mme Elliot), le mot « raw » est définit comme suit :

 

         [traduction]

[…] 2. Qui est à l’état naturel, qui n’a pas été façonné; se dit d’une chose qui n’a pas subi de préparation spéciale, qui n’a pas été soumise à un processus de transformation : a. se dit des matières textiles; particult. soie brute, soie simplement retirée des cocons par filature […].

 

La preuve soumise par l’opposante, qui comprend les définitions des mots « raw » et « denim » tirées de différents dictionnaires, établit selon la prépondérance des probabilités que le consommateur canadien aura pour première impression que la marque donne une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises du fait qu’il associera la marque non pas à la provenance des marchandises, mais plutôt au tissu employé pour les fabriquer. D’autre part, la marque donne une description fausse et trompeuse de la nature et de la qualité des marchandises dans les cas où une autre sorte de tissu est employée dans le processus de fabrication du vêtement, comme il arrive que cela se produise selon le témoignage de la requérante. La requérante n’a pas établi que le public canadien associe le mot « raw » au style de vie décrit dans l’affidavit de M. Bitton. J’accueille par conséquent le quatrième motif d’opposition.

 

Si, comme je l’ai déjà statué, la marque est clairement descriptive, elle ne peut distinguer les marchandises de celles d’autres propriétaires [voir General Foods Inc. c. Hills Bros. Coffeee, Inc. (1984), 2 C.P.R. (3d) 352 (C.O.M.C.)] à moins que la preuve ne permette de conclure que la requérante a employé la marque au Canada de sorte qu’à la date de la production de la demande elle était devenue distinctive (voir le paragraphe 12(2) de la Loi). La demande se fonde sur un emploi projeté et la requérante n’a pas établi avoir utilisé la marque avant ou après la date du dépôt de la demande. De toute manière, il a été démontré que d’autres personnes utilisent le terme « raw denim » pour identifier la sorte de tissu employée pour fabriquer leurs marchandises. L’opposante a donc gain de cause en ce qui concerne le dernier motif d’opposition.

 

Ayant déjà conclu au bien‑fondé de deux motifs d’opposition, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres motifs.

 

IV Conclusion

 

En vertu des pouvoirs qui m’ont été conférés par le registraire des marques de commerce en application du paragraphe 63(3) de la Loi sur les marques de commerce, je rejette la demande d’enregistrement en vertu du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

 

 

FAIT À MONTRÉAL (QUÉBEC), CE 18 JANVIER 2005.

 

 

 

Jean Carrière,

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 

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