Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2012 COMC 114

Date de la décision : 2012-05-30

TRADUCTION

DANS L’AFFAIRE DE LA PROCÉDURE DE RADIATION EN VERTU DE L’ARTICLE 45, engagée à la demande de Lapointe Rosenstein s.r.l., visant l’enregistrement no LMC656338 de la marque de commerce ARDEN B DESIGN au nom de The West Seal, Inc.

[1]               Le 7 août 2009, à la demande de Lapointe Rosenstein s.r.l. (la Partie requérante), le registraire a envoyé un avis en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi) à The West Seal, Inc. (l’Inscrivante), la propriétaire inscrite de l’enregistrement no LMC656338 pour la marque ARDEN B DESIGN (la Marque), illustrée ci‑dessous :

ARDEN B DESIGN

[2]               La Marque est enregistrée pour être employée en liaison avec les « Services de magasin de détail spécialisé dans la vente de vêtements, articles chaussants, chapeaux et accessoires de mode pour femmes » (les Services), et avec les marchandises suivantes :

(1) Bijoux, nommément bracelets, bagues, boucles d’oreilles et colliers.

(2) Sacs à main, bourses.

(3) Vêtements pour femmes, nommément chaussures, hauts, débardeurs, pulls d’entraînement, chandails, chemisiers, gilets, chemises, shorts, pantalons, jeans, jupes, combinaisons-pantalons, vêtements de plein air, nommément blazers, manteaux, vestes et vêtements imperméables, costumes, cache-corsets, sous-vêtements, bonneterie, foulards, chapeaux et maillots de bain.

(4) Ornements de cheveux, nommément pinces, attache-cheveux et bâtonnets (les Marchandises).


[3]               L’article 45 de la Loi dispose que le propriétaire inscrit de la marque de commerce doit indiquer, à l’égard de chacune des marchandises et de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. Ainsi, dans la présente affaire, la période pertinente au cours de laquelle l’emploi doit être établi s’étend du 7 août 2006 au 7 août 2009 (la Période pertinente).

[4]               La définition du mot « emploi » est énoncée à l’article 4 de la Loi :

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les colis qui les contiennent est réputée, quand ces marchandises sont exportées du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces marchandises.

[5]               Il est bien établi que de simples assertions d’emploi ne suffisent pas à démontrer l’emploi dans le cadre de la procédure prévue à l’article 45 [Plough (Canada) Ltd c Aerosol Fillers Inc (1980), 53 CPR (2d) 62 (CAF)]. Bien que le critère relatif à la preuve d’emploi soit très peu exigeant dans le cadre de la présente procédure [Woods Canada Ltd c Lang Michener et al (1996), 71 CPR (3d) 477 (CF 1re inst)], et même s’il n’est pas nécessaire de produire une surabondance de preuves, il n’en faut pas moins présenter des faits suffisants pour permettre au registraire de conclure que la marque de commerce a été employée au cours de la Période pertinente en liaison avec chacune des marchandises et chacun des services spécifiés dans l’enregistrement.

[6]               En réponse à l’avis prévu à l’article 45, l’Inscrivante a fourni l’affidavit de Jon Kosoff, directeur du commerce électronique et de la commercialisation directe de l’Inscrivante. Les deux parties ont produit un plaidoyer écrit et étaient représentées à l’audience.

[7]               Dans son affidavit, M. Kosoff affirme que l’Inscrivante est un détaillant spécialisé qui exploite des boutiques offrant en vente des vêtements et accessoires pour femmes sous les noms de WET SEAL et d’ARDEN B. Il ajoute que depuis 2009, la division ARDEN B de l’Inscrivante exploite environ 80 boutiques de vente au détail aux États-Unis ainsi qu’un magasin de vente au détail en ligne.

La preuve relative à l’emploi au cours de la Période pertinente

[8]               Au soutien de l’assertion de l’Inscrivante quant à l’emploi de la Marque au Canada en liaison avec l’ensemble des Marchandises et des Services, M. Kosoff affirme qu’au cours de la Période pertinente, l’Inscrivante exploitait un site Web de vente au détail à www.ardenb.com (le Site Web), lequel était [traduction] « accessible aux personnes se trouvant au Canada ». Les pièces B et C se composent de copies imprimées de pages Web tirées du Site Web qui ont été affichées au cours de la Période pertinente. Je souligne que la Marque figure au haut de quelques-unes des pages, dont la plupart arborent différents vêtements et accessoires offerts en vente. M. Kosoff affirme que les pages de la pièce B ont été obtenues au moyen de sites Web archivés à web.archive.org et que les pages de la pièce C proviennent des propres documents commerciaux de l’Inscrivante. Toujours selon M. Kosoff, dans le cas des Marchandises vendues par l’intermédiaire du Site Web, soit la Marque figurait sur l’étiquette apposée sur la Marchandise, soit elle était brodée sur la Marchandise elle-même.

[9]               M. Kosoff précise qu’au cours de la Période pertinente, l’Inscrivante n’avait pas les installations voulues pour expédier directement au Canada les marchandises achetées depuis le Site Web. Cependant, il affirme que les clients du Canada pouvaient utiliser des entreprises basées aux États-Unis qui fournissaient des services de réception et d’expédition de colis aux Canadiens. À titre d’exemple, il mentionne la pièce D, qui se compose de pages Web tirées du site Web d’une entreprise faisant affaires sous le nom de Ship Happens. Ship Happens semble être une entreprise située à Sumas (Washington) qui offre des services de réception de colis aux Canadiens. La pièce E jointe à l’affidavit se compose de deux factures qui, selon M. Kosoff, sont des exemples de factures montrant des envois faits par des consommateurs canadiens à Ship Happens., même si l’adresse d’expédition qui figure sur ces factures est la même que l’adresse de facturation (Sumas, Washington).

[10]           À titre de preuve supplémentaire du fait que l’Inscrivante a vendu des marchandises à des clients canadiens, M. Kosoff déclare que, d’après une recherche effectuée dans les documents commerciaux de l’Inscrivante, au moins 140 ventes ont été faites à des clients du Canada par l’intermédiaire du Site Web au cours de la Période pertinente. M. Kosoff précise qu’il a obtenu cette donnée en faisant une recherche dans les documents commerciaux de l’Inscrivante afin de trouver les codes régionaux des numéros de téléphone canadiens et les adresses électroniques .ca fournis par les clients. M. Kosoff joint également en pièce F des copies de questions de sondages envoyés par courriel, ainsi que des exemples de réponses provenant apparemment de consommateurs canadiens qui avaient effectué des achats par l’intermédiaire du Site Web. Enfin, la pièce G se compose d’un graphique montrant le trafic Web en provenance du Canada au cours de la Période pertinente.

Analyse – Emploi en liaison avec les Marchandises

[11]           Dans la présente affaire, le fait que la Marque était arborée sur les Marchandises au cours de la Période pertinente n’est pas contesté. Cependant, même lorsque la preuve de l’Inscrivante est interprétée de manière très libérale, il est évident que celle-ci n’a pas pris de mesures pour expédier les Marchandises directement au Canada au cours de la Période pertinente. Effectivement, elle admet qu’elle n’avait pas les installations voulues pour expédier les produits achetés par l’intermédiaire de son Site Web au Canada. Néanmoins, elle se fonde sur certains de ses éléments de preuve permettant de déduire que ses Marchandises ont finalement été livrées à des clients du Canada, ce qui démontre l’emploi de la Marque en liaison avec lesdites Marchandises.

[12]           Je soulignerai d’abord qu’une bonne partie de la preuve présentée à cet égard est indirecte, puisqu’elle repose sur l’hypothèse selon laquelle les clients qui ont fourni des numéros de téléphone canadiens ou des adresses électroniques se terminant par .ca se trouvaient effectivement au Canada. En tout état de cause, la preuve montre que ces livraisons au Canada ont été effectuées par des tiers et non par l’Inscrivante. Je conviens avec la Partie requérante que l’Inscrivante ne peut invoquer à son profit la possibilité que les clients aient fait livrer des marchandises achetées à une adresse située aux États-Unis, puis aient fait acheminer les articles en question au Canada. Comme la Cour d’appel fédérale l’a souligné dans Boutique Limitée Inc c Limco Investments, Inc (1998), 84 CPR (3d) 164 (CAF) [Boutique], au paragraphe 16 : « …une vente à un Canadien aux États-Unis n’équivaut pas à l’emploi d’une marque dans la pratique normale du commerce au Canada ».

[13]           Dans la présente affaire, la tierce partie, Ship Happens, n’agit pas en qualité de mandataire de l’Inscrivante et celle-ci n’est pas responsable de la livraison des Marchandises au Canada. À mon avis, la vente a été réalisée et le processus a été finalisé lors de l’expédition de la commande à l’adresse de Washington. En ce qui concerne l’Inscrivante, il s’agit d’une opération effectuée aux États-Unis et d’une vente consentie à un client américain, qui a été réalisée lors de la livraison des Marchandises à l’adresse aux États-Unis précisée par le client.

[14]           Comme le souligne également la Partie requérante, admettre que ces faits démontrent l’emploi de la Marque au Canada en liaison avec les Marchandises équivaudrait à dire que les personnes qui passent des commandes auprès, par exemple, de membres de leur famille qui se rendent aux États-Unis emploient la marque de commerce d’un détaillant au Canada sans que ce détaillant le sache ou qu’il participe activement à l’aspect international de la vente.

[15]           En conséquence, je ne crois pas que la Marque a été employée en liaison avec les Marchandises au cours de la Période pertinente au Canada au sens des articles 4 et 45 de la Loi.

Analyse – Emploi en liaison avec les Services

[16]           En ce qui concerne les Services, l’Inscrivante doit prouver qu’elle était prête à exécuter les services au Canada au cours de la Période pertinente [Wenward (Canada) Ltd. c. Dynaturf Co (1976), 28 CPR (2d) 20 (registraire MC)]. La question qui se pose en l’espèce est de savoir si l’exploitation du Site Web de l’Inscrivante constitue un emploi au Canada en ce qui a trait à la Marque affichée en liaison avec les Services. Dans d’autres affaires, le registraire a conclu qu’en l’absence d’un magasin traditionnel au Canada, l’affichage d’une marque de commerce sur un site Web en liaison avec les services de la partie inscrivante peut constituer un emploi au sens des articles 4 et 45 de la Loi. Cependant, comme la Partie requérante le souligne, dans ces décisions, la partie inscrivante a généralement démontré qu’elle avait livré ou avait été en mesure de livrer ses produits au Canada au cours de la période pertinente.

[17]           Ainsi, dans Law Office of Philip B Kerr c Face Stockholm Ltd (2001), 16 CPR (4th) 105 (COMC) [Face Stockholm], le registraire a conclu que l’inscrivante avait offert ses produits par l’intermédiaire de son propre site Web et qu’un client canadien pouvait commander ces produits du Canada. L’élément clé qui a permis au registraire de conclure que les « services de magasin de détail dans le domaine des cosmétiques et des produits de beauté » de l’inscrivante avaient été exécutés au Canada semble être le fait que des factures arborant le nom de l’inscrivante confirmaient que celle-ci avait expédié des produits au Canada.

[18]           Dans la même veine, dans Grafton-Fraser Inc c Harvey Nichols and Company Limited (2010), 89 CPR (4th) 394 (COMC) [Harvey Nichols], malgré les éléments de preuve montrant que des Canadiens avaient consulté le site Web de vente au détail de l’inscrivante au cours de la période pertinente, la marque de commerce a été radiée en partie parce qu’aucun élément de preuve n’établissait qu’un produit disponible sur le site Web de l’inscrivante avait effectivement été acheté ou livré au Canada au cours de la période pertinente. Le registraire a également souligné dans cette affaire que les captures d’écran tirées du site Web de l’inscrivante ne contenaient aucun indice permettant de conclure que les services étaient offerts aux consommateurs canadiens, par exemple, l’affichage des prix en dollars canadiens, des coordonnées de la personne-ressource au Canada ou pour les Canadiens, des politiques de livraison et des renseignements relatifs à la livraison au Canada.

[19]           Se fondant sur ces décisions, la Partie requérante a soutenu qu’au cours de la Période pertinente, l’exploitation du Site Web de l’Inscrivante ne constituait pas un emploi en liaison avec les Services au Canada, parce que l’Inscrivante n’a pas expédié ses marchandises à l’extérieur des États-Unis et ne pouvait pas le faire. À cet égard, la Partie requérante a fait valoir que la fonction première d’un magasin de vente au détail ne se limitait pas à la présentation de marchandises et que le simple fait qu’un certain nombre de Canadiens avaient consulté le Site Web de l’Inscrivante au cours de la Période pertinente ne pouvait être considéré comme un emploi en liaison avec les Services. La Partie requérante a cité Cassels, Brock & Blackwell c Sharper Image Corp (1990), 33 CPR (3d) 198, à la page 199 (COMC) [Sharper Image], où le registraire a énoncé les éléments à prouver pour établir l’exécution ou l’annonce de services de vente au détail aux Canadiens depuis les États-Unis :

(1) le détaillant a répondu à des commandes postales et téléphoniques depuis le Canada;
(2) le détaillant a annoncé des marchandises au Canada en faisant parvenir des catalogues à des clients canadiens;
(3) il y avait un numéro sans frais permettant aux Canadiens d’acheter les marchandises par téléphone;
(4) les marchandises et services du détaillant ont été annoncés régulièrement au Canada au moyen de magazines largement distribués au Canada;
(5) le détaillant a veillé lui-même à assurer la livraison au Canada des articles commandés.

[20]           Ces facteurs ont été tirés en partie de la décision que la Cour fédérale a rendue dans l’affaire Saks & Co c Canada (Registraire des Marques de Commerce) (1989), 24 CPR (3d) 49 (CF 1re inst) [Saks], qui portait sur des faits similaires et que la Partie requérante a également citée. Étant donné qu’aucune de ces deux affaires ne portait sur un site Web de vente au détail, quelques-uns des facteurs mentionnés plus haut ne semblent pas être pertinents quant au scénario du site Web exposé en l’espèce. De plus, eu égard aux décisions Face Stockholm et Harvey Nichols susmentionnées, il semblerait que, même si les autres facteurs peuvent être pertinents, le facteur clé réside dans la question de savoir si [traduction] « le détaillant a veillé à assurer lui-même la livraison au Canada des articles commandés ».

[21]           Cependant, l’Inscrivante a cité la décision plus récente rendue dans TSA Stores, Inc c Canada (Registraire des marques de commerce) (2011), 91 CPR (4th) 324 (CF 1re inst), infirmant 2010 CarswellNat 581 (COMC) [TSA]. Dans TSA, la Cour fédérale a infirmé en partie la décision par laquelle le registraire avait radié différentes marques de commerce de Sports Authority en liaison avec des services de magasin de détail. Comme c’était le cas dans les décisions susmentionnées, même si l’inscrivante exploitait un site Web de vente au détail, il n’y avait aucun élément de preuve montrant qu’elle expédiait ses produits au Canada. De plus, il n’y avait aucune preuve de ventes faites à des Canadiens, que ce soit au Canada ou ailleurs. Cependant, la Cour a formulé les remarques suivantes aux paragraphes 16 et 17 :

16 La Loi ne définit pas le mot « services ». Il a par conséquent été jugé que l’on doit donner une interprétation large au mot « services » et que chaque cas est un cas d’espèce (Kraft Ltd c. Registraire des marques de commerce, [1984] 2 CF 874, 1 CPR (3d) 457, paragraphes 8 et 9).

17 Il a également été reconnu que la Loi ne fait aucune distinction entre les services principaux, accessoires ou secondaires. Dès lors que certains membres du public - consommateurs ou acheteurs - en tirent un avantage, l’activité constitue un service (Société Nationale des Chemins de fer Français SNCF c Venice Simplon-Orient-Express Inc, 9 CPR (4th) 443, 102 ACWS (3d) 189).

[22]           La Cour a ensuite conclu que les Canadiens utilisaient le site Web et profitaient des services « Help Me Choose Gear », « Shoe Finder » et « Store Locator » offerts par celui-ci ainsi que du glossaire détaillé de termes spécialisés de vêtements sport qui y figurait. En conséquence, étant donné que les marques de commerce en question figuraient en liaison avec ces « services accessoires de magasin de vente au détail » sur le site Web, la Cour a conclu qu’il existait des éléments de preuve d’un emploi au Canada au cours de la période pertinente [au paragraphe 21].

[23]           À l’audience, l’Inscrivante a soutenu que, dans la présente affaire, étant donné qu’il y avait des éléments de preuve montrant que des ventes avaient été faites à des Canadiens, les arguments en faveur du maintien de l’enregistrement de la Marque sont plus solides qu’ils l’étaient dans TSA. Pour sa part, la Partie requérante a invité le registraire à ne pas tenir compte de la décision que la Cour fédérale a rendue dans TSA, notamment parce qu’elle est incompatible avec la décision Saks, susmentionnée, ainsi qu’avec le jugement que la Cour d’appel fédérale a rendu dans Boutique, susmentionné.

[24]           Il convient de reproduire les commentaires que la Cour d’appel fédérale a formulés dans Boutique, aux paragraphes 15 et 16 :

15 Il s’agit d’un jugement [Saks] dans lequel la Cour a conclu à l’emploi des marchandises au Canada. Ce qui a été établi dans l’arrêt Saks, c’est que, lorsqu’un propriétaire qui n’exploite aucune boutique au Canada désire prouver l’utilisation de sa marque en liaison avec des services de vente au détail dans un grand magasin, il doit porter à l’attention du registraire ou du juge des éléments de preuve suffisamment détaillés pour permettre à celui-ci de décider si des services de vente au détail dans un grand magasin sont offerts. Il n’est pas nécessaire que nous nous prononcions sur le bien-fondé de l’arrêt Saks. Comme nous l’expliquerons plus loin, la preuve présentée en l’espèce est tout simplement insuffisante pour nous permettre de faire une comparaison avec la situation factuelle exposée dans l’affaire Saks.

16 Étant donné qu’une vente à un Canadien aux États-Unis n’équivaut pas à l’emploi d’une marque dans le cours normal des activités au Canada et que Limco n’avait aucun magasin au Canada, les seules ventes possibles devaient être faites au moyen de commandes téléphoniques. Ayant radié les marchandises de l’enregistrement du fait que le propriétaire n’avait pas prouvé l’emploi de l’une ou l’autre de ses marchandises enregistrées au Canada au cours de la période concernée, le registraire ne pouvait conclure qu’un service téléphonique avait été employé au Canada ou que du crédit avait été accordé au moyen d’une carte de crédit LIMITED relativement à ces marchandises.

[25]           La Cour d’appel fédérale a ensuite jugé que la preuve était insuffisante en ce qui a trait à la question de savoir si l’inscrivante avait effectivement expédié ses produits au Canada et a radié la marque de commerce en question. Fait intéressant à souligner, même s’il y avait des éléments de preuve montrant que l’inscrivante offrait des services de remboursement aux Canadiens, la Cour d’appel fédérale a jugé que cette preuve était insuffisante pour justifier l’enregistrement à l’égard des [traduction] « services de vente au détail de vêtements pour dames » au Canada.

[26]           En ce qui concerne la présente affaire, je suis enclin à dire, comme la Cour fédérale l’a fait dans Boutique, qu’il ne s’agit pas d’un cas où l’emploi des Marchandises au Canada au cours de la Période pertinente a été établi. En l’absence d’éléments de preuve montrant que l’Inscrivante a expédié au Canada des commandes passées par l’intermédiaire de son Site Web, il m’apparaît difficile de conclure qu’elle a exécuté les Services au Canada au cours de la Période pertinente. Même si les « services » doivent recevoir une interprétation large, le bon sens doit encore l’emporter. Il semblerait qu’un aspect fondamental des « services  de magasin de vente au détail » réside dans la capacité d’acheter des articles et d’en prendre livraison ou possession. Le client qui entre dans un établissement « traditionnel » au Canada où il peut voir différentes marchandises exposées et discuter avec des employés au sujet de la sélection de produits, sans toutefois pouvoir, en fin de compte, apporter les produits achetés ou, à tout le moins, les faire livrer chez lui, n’est probablement pas entré dans un magasin de vente au détail. Dans la même veine, exception faite de la décision TSA, il appert de la jurisprudence qu’un détaillant qui exploite un site Web de vente au détail n’offrant pas le service de livraison au Canada ne peut être considéré comme un détaillant qui exploite un service de magasin de vente au détail au Canada.

[27]           Néanmoins, il n’est pas nécessaire que j’écarte la décision que la Cour fédérale a rendue dans TSA, malgré les conséquences non voulues qu’une interprétation aussi large du mot « emploi » peut avoir en ce qui a trait à l’exploitation de sites Web auxquels les Canadiens ont accès, mais qui ne sont pas nécessairement conçus à leur intention. Dans TSA, comme c’était le cas dans Saks et Sharper Image, il a été convenu que la combinaison de certains facteurs pourrait être suffisante pour maintenir un enregistrement en ce qui a trait aux services de magasin de détail, même en l’absence de magasins traditionnels au Canada. Ces facteurs doivent mettre en relief un certain degré d’interactivité avec d’éventuels clients canadiens afin de permettre de conclure à l’existence d’un avantage suffisant pour les Canadiens pour maintenir cet enregistrement. Ce degré d’interactivité est sans doute établi lorsqu’une partie inscrivante exploite un site Web de vente au détail et expédie au Canada des marchandises par l’intermédiaire du site Web [décision Face Stockholm, susmentionnée]. L’affichage de prix en dollars canadiens ou d’autres renseignements indiquant que le site Web est destiné aux consommateurs canadiens peut également satisfaire aux exigences des articles 4 et 45 en l’absence d’éléments de preuve  établissant l’expédition de marchandises au Canada [décision Harvey Nichols, susmentionnée]. En revanche, tel qu’il est mentionné plus haut, le fait d’offrir des remboursements semble être insuffisant en soi [décision Boutique, susmentionnée]. Enfin, dans TSA, le fait d’offrir sur un site Web plusieurs services accessoires équivalant à ceux qui seraient offerts dans un magasin traditionnel a été jugé suffisant, à la lumière de la situation factuelle exposée dans cette affaire.

[28]           En d’autres termes, il semble y avoir un critère minimal de services accessoires qui, offerts ensemble, peuvent maintenir l’enregistrement d’une marque en liaison avec des services de magasin de détail. Ce qui semble être nécessaire, c’est un degré d’interactivité avec le client, notamment avec le client canadien hypothétique. Bien que la Partie requérante ait invité le registraire à faire tout simplement abstraction du raisonnement suivi dans TSA, ce raisonnement peut être jugé compatible avec les autres décisions, la Cour fédérale ayant conclu que la prestation de services accessoires établissait un degré suffisant d’interactivité avec les Canadiens qui avaient consulté le site Web pour maintenir les enregistrements en ce qui a trait aux « services de magasin de détail ».

[29]           Cependant, même si je considérais la décision rendue dans TSA comme une décision permettant de dire que l’enregistrement d’une marque en liaison avec des « services de magasin de détail » peut être maintenu en l’absence de ventes et de livraisons au Canada dans des circonstances restreintes semblables où des services accessoires établissant « l’interactivité » sont fournis, ces circonstances ne sont pas présentes en l’espèce. Après avoir examiné la preuve soumise, je constate que le seul élément de preuve d’un service accessoire semblable à ceux qui ont été jugés pertinents dans TSA concerne un service appelé « Store Locator » (trouvez un magasin). Il serait peut-être raisonnable de conclure que les Canadiens pouvaient se prévaloir de ce service et l’ont fait, mais il n’y a aucun élément de preuve direct en ce sens. En tout état de cause, compte tenu de la décision rendue dans Boutique, je ne crois pas que cette preuve soit suffisante pour justifier l’enregistrement en liaison avec les Services.

[30]           En conséquence, je ne crois pas que la Marque a été employée en liaison avec les Services au cours de la Période pertinente au Canada au sens des articles 4 et 45 de la Loi.

Circonstances spéciales

[31]           À la lumière de ce qui précède, je passe maintenant à la question de savoir s’il y avait des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi de la Marque au cours de la Période pertinente. Bien que l’Inscrivante ait allégué l’emploi en liaison avec l’ensemble des Marchandises et des Services, elle a présenté par voie subsidiaire des éléments de preuve concernant des circonstances spéciales qui, à son avis, justifieraient le défaut d’emploi.

[32]           Dans son affidavit, M. Kosoff affirme que l’Inscrivante devait relever plusieurs défis pour étendre l’emploi de la Marque au Canada en améliorant son Site Web. Ainsi, elle a dû réorienter son personnel ayant de l’expérience dans le domaine du marketing par Internet, apporter des changements technologiques pour faciliter la facturation et l’expédition aux consommateurs canadiens et établir des liens avec de nouveaux intermédiaires pour l’expédition à l’étranger et la conversion de la monnaie. Selon M. Kosoff, cette amélioration du Site Web de l’Inscrivante représentait un projet majeur dont la réalisation devait nécessairement s’étaler sur plusieurs années.

[33]           En général, la question de savoir s’il y a des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi nécessite la prise en considération de trois critères, qui ont été énoncés dans Registraire des marques de commerce c Harris Knitting Mills Ltd (1985), 4 CPR (3d) 488 (CAF); le premier est la durée pendant laquelle la Marque n’a pas été employée, le deuxième est de savoir si le défaut d’emploi était attribuable à des circonstances indépendantes de la volonté du propriétaire inscrit, et le troisième est de savoir s’il existe une intention sérieuse de reprendre dans un bref délai l’emploi de la Marque.

[34]           En ce qui a trait au troisième critère, M. Kosoff affirme que l’Inscrivante a lancé la version améliorée de son Site Web à l’intention des clients internationaux, y compris les Canadiens, en mars 2010. D’après la preuve, il semblerait que l’Inscrivante a effectivement commencé à employer la Marque au Canada par l’intermédiaire de son Site Web amélioré, bien qu’environ sept mois après l’expiration de la Période pertinente.

[35]           Cependant, malgré le fait que l’Inscrivante a subséquemment commencé à employer la Marque, la Cour d’appel fédérale a donné, dans la décision Smart & Biggar c Scott Paper Ltd (2008) 65 CPR (4th) 303 (CAF) d’autres précisions au sujet de l’interprétation du deuxième critère et a indiqué qu’il doit être satisfait à cet aspect du test pour que l’on puisse conclure à l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi d’une marque. En d’autres termes, les deux autres facteurs sont pertinents, mais ne sauraient, à eux seuls, constituer des circonstances spéciales.

[36]           À cet égard, je souligne que, même si M. Kosoff fournit la liste susmentionnée des défis que l’Inscrivante a dû relever pour lancer son Site Web international, il donne peu de renseignements connexes. En l’absence de ces détails, je ne puis conclure que ces défis étaient différents des défis normaux que doivent relever des détaillants similaires pour s’établir au Canada, que ce soit au moyen d’un site Web ou autrement.

[37]           Qui plus est, en ce qui concerne le premier critère, je souligne qu’il n’y a aucun élément de preuve montrant l’emploi de la Marque au Canada depuis que celle-ci a été enregistrée en janvier 2006 jusqu’au lancement du nouveau Site Web en mars 2010, ce qui représente une période de défaut d’emploi de plus de quatre ans. Le paragraphe 45(1) interdit à toute personne autre que le registraire d’engager les procédures prévues à l’article 45 avant l’expiration d’une période de trois ans suivant l’enregistrement d’une marque de commerce; tel qu’il est mentionné dans d’autres décisions, le législateur a ainsi indiqué que cette période de trois ans devrait normalement être considérée comme le délai de démarrage maximal dont la partie inscrivante dispose pour commencer à faire un usage commercial sérieux de la marque au Canada [voir Humpty Dumpty Foods Ltd c CPG Products Corp (1985), 5 CPR (3d) 384 (COMC), au paragraphe 14; Registrar of Trade Marks c Securicor Investigation & Security Ltd (1990), 32 CPR (3d) 512 (C.O.M.C.), à la page 513, et 2001237 Ontario Ltd c Footstar Corp, 2003 CarswellNat 6254 (C.O.M.C.), au paragraphe 12]. 

[38]           En tout état de cause, je souligne qu’au paragraphe 21 de son affidavit, M. Kosoff mentionne le lancement de son Site Web ARDEN B amélioré de concert avec un site Web destiné à son autre gamme de produits, WET SEAL. Plus précisément, M. Kosoff explique que l’Inscrivante [traduction] « a fait des essais pendant quelque temps afin de s’assurer qu’elle pouvait atteindre des volumes suffisants avec ses produits de marque WET SEAL seulement et afin d’ajouter des fonctions techniques à sa plateforme ». L’affidavit est imprécis quant au début et à la durée de cette période d’essai, mais M. Kosoff mentionne qu’elle [traduction] « s’est terminée vers la fin de 2009 ». Il est difficile de savoir pourquoi l’Inscrivante a décidé de faire ces essais uniquement pour sa marque WET SEAL et il était peut-être logique de sa part, du point de vue commercial, de limiter ces essais à une seule de ses gammes de produits. Cependant, étant donné que la décision d’accorder la priorité à une marque par rapport à l’autre semble être une décision volontaire de l’Inscrivante plutôt qu’une circonstance indépendante de sa volonté, elle ne peut constituer une circonstance spéciale [voir John Labatt Ltd c Cotton Club Bottling Co (1976), 25 CPR (2d) 115, à la page 125 (CF 1re inst)].

[39]           Je soulignerais que, même si l’Inscrivante avait accordé la priorité au lancement de son site Web ARDEN B amélioré de préférence à son site Web WET SEAL, l’affidavit de M. Kosoff est imprécis quant à la période et quant aux mesures précises que l’Inscrivante a prises pour établir son site Web international. Effectivement, la preuve va de pair avec la conclusion selon laquelle l’Inscrivante n’a commencé à déployer des efforts sérieux qu’après la délivrance de l’avis prévu à l’article 45.

[40]           Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, je dois conclure que l’Inscrivante n’a pas démontré l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi de la Marque au cours de la Période pertinente au sens du paragraphe 45(3) de la Loi.

Décision

[41]           En conséquence, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, l’enregistrement sera radié selon les dispositions de l’article 45 de la Loi.

 

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Andrew Bene

Agent d’audience

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

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