Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2011 COMC 29

Date de la décision : 2011‑02‑14

DANS L'AFFAIRE DE L'OPPOSITION produite par 990982 Ontario Inc., faisant affaire sous le nom de Laurier Optical, à l'encontre de la demande d'enregistrement no 1287690 pour la marque de commerce TRI OPTICAL & Dessin au nom de 1663158 Ontario Inc.

[1]               Le 27 janvier 2006, la société 1663158 Ontario Inc. (la Requérante) a produit une demande d'enregistrement pour la marque de commerce TRI OPTICAL & Dessin (la Marque), reproduite ci‑dessous. Cette demande était fondée sur l'emploi projeté de la Marque au Canada en liaison avec les marchandises et services suivants : « Montures de lunettes et de lunettes de soleil; étuis, supports de bureau, petits sacs avec chiffons de nettoyage vendus comme un tout, chaînes et cordons, tous pour lunettes et lunettes de soleil » (les Marchandises), et « [e]xploitation d'une entreprise spécialisée dans la vente au détail de lunettes, verres de lunettes, montures de lunettes, lentilles cornéennes, lunettes de soleil, accessoires d'optique et accessoires ayant trait au nettoyage, aux soins et à l'entretien de lunettes et de lentilles cornéennes » (les Services).

TRI OPTICAL &  Design

[2]               Selon la traduction donnée par la Requérante, les quatre caractères chinois reproduits ci‑dessus signifient respectivement, de gauche à droite : vrai (true), lumière (light), œil (eye) et miroir (mirror). Translittérés dans le même ordre, ces caractères se lisent CHUN KWONG NGAAN GENG en cantonais et CHUN KWONG YAN JING en mandarin.

[3]               La Requérante s'est désistée du droit à l'usage exclusif du terme OPTICAL en dehors de la Marque.

[4]               La demande a été annoncée au Journal des marques de commerce le 26 juillet 2006.

[5]               La société 990982 Ontario Inc., faisant affaire sous le nom de Laurier Optical (l'Opposante), a produit une déclaration d'opposition le 22 décembre 2006. Le 9 mars 2007, la Requérante a produit une contre-déclaration et demandé qu’une décision soit rendue pour déterminer si certains paragraphes de la déclaration d'opposition comportent suffisamment de détails. Par suite de cette demande de la Requérante, l'Opposante a demandé le 12 avril 2007 l'autorisation de produire une déclaration d'opposition modifiée. Le 24 avril 2007, le registraire a accordé cette autorisation à l'Opposante conformément à l'article 40 du Règlement sur les marques de commerce, DORS/96‑195 (le Règlement), et il a statué sur la demande que la Requérante avait présentée le 9 mars 2007. Voici un résumé des motifs d'opposition tels qu'ils sont exposés dans la déclaration d'opposition au dossier :  

a.       Suivant l'alinéa 38(2)a) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), la demande d'enregistrement ne satisfait pas aux exigences de l’article 30, plus précisément :

                                                              i.      aux exigences de l'alinéa 30e) de la Loi, en ce que la Requérante n'avait pas l'intention d'employer la Marque en liaison avec chacune des Marchandises et chacun des Services;

                                                            ii.      aux exigences de l'alinéa 30i) de la Loi, en ce que la Requérante ne pouvait être convaincue qu'elle avait droit d'employer la Marque, puisque, en la personne de son directeur, Edward Huan Khoi Tri, du fait de la relation de franchisé et de garant qu'il avait contractée avec l'Opposante ou avec le prédécesseur en titre de celle‑ci, elle était parfaitement au courant de l'existence de la marque de commerce et du nom commercial de l'Opposante, spécifiés dans la déclaration d'opposition, et de leur emploi continu par l’Opposante.

b.      Suivant l'alinéa 38(2)b) de la Loi, la marque n'est pas enregistrable pour les raisons suivantes :

                                                              i.      sous le régime de l'alinéa 12(1)c) de la Loi, étant donné que la Marque est constituée du nom en chinois des Marchandises et des Services, ses deux derniers caractères chinois signifiant, en contexte, « lunettes » (eyewear);

                                                            ii.      sous le régime de l'article 29 du Règlement, étant donné que la traduction en français ou en anglais et la translittération des caractères chinois données dans la demande d'enregistrement sont fausses et/ou propres à induire en erreur, les deux derniers caractères chinois signifiant, en contexte, « lunettes » (eyeglass), et non « œil » (eye) et « miroir » (mirror) comme le déclare la Requérante.

c.       Suivant l'alinéa 38(2)c) de la Loi, la  Requérante n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement pour les raisons suivantes :

                                                              i.      sous le régime de l'alinéa 16(3)a) de la Loi, étant donné que la Marque, à la date pertinente, créait de la confusion avec la marque de commerce TRUE VISION & Dessin, correspondant à la demande d'enregistrement no 1291245 et dont l'élément figuratif est reproduit ci‑dessous :

True Vision & Design

L'Opposante avait antérieurement employé cette marque au Canada [TRADUCTION] « elle-même ou par l'entremise de ses prédécesseurs en titre ou licenciés », en liaison avec les services suivants : [TRADUCTION] « vente d'articles de lunetterie, services d'opticien, de laboratoires optiques, d'optométrie, clinique d'examen de la vue »;

                                                            ii.      sous le régime de l'alinéa 16(3)c) de la Loi, étant donné qu’à la date pertinente, la Marque créait de la confusion avec le nom commercial ci‑dessous :

True Vision & Design

[TRADUCTION] « L'Opposante, ou son prédécesseur en titre ou son licencié » avait antérieurement employé ce nom commercial au Canada en liaison avec les services suivants : [TRADUCTION] « vente d'articles de lunetterie, services d'opticien, de laboratoires optiques, d'optométrie, clinique d'examen de la vue ».

d.      Suivant l'alinéa 38(2)d) de la Loi, la Marque n'est pas distinctive au sens de l’article 2.

[6]               L'Opposante a produit, conformément à l'article 41 du Règlement, l’affidavit daté du 9 octobre 2007 de M. Antranik Kechichian, auquel sont jointes les pièces cotées de A à I inclusivement. La Requérante a contre-interrogé M. Kechichian. La transcription de ce contre-interrogatoire a été produite le 20 mars 2008, et les réponses aux engagements l'ont été le 22 juillet de la même année.

[7]               Voici la preuve produite par la Requérante, conformément à l'article 42 du Règlement :

         l’affidavit daté du 21 novembre 2008 de M. Edward Huan Khoi Tri, auquel sont jointes les pièces cotées de A à H inclusivement;

         l’affidavit daté du 19 novembre 2008 de M. Roberto Zanchetta, auquel sont jointes les de pièces cotées de A à C inclusivement;

         l’affidavit daté du 20 novembre 2008 de M. Taiji Yoshino, auquel sont jointes les pièces cotées de A à D inclusivement;

         l’affidavit daté du 20 novembre 2008 de M. Christopher Tan, auquel est jointe la pièce cotée A.

[8]               Seule la requérante a produit un plaidoyer écrit. Il a été tenu une audience, où les deux parties étaient représentées.

Les questions préjudicielles

[9]               J’examine ci-dessous deux questions découlant de l'audience.

La demande d’autorisation de produire d’autres éléments de preuve

[10]           À l'audience, l'agent de la Requérante a demandé conformément au paragraphe 44(1) du Règlement l’autorisation de produire une copie conforme de la demande d'enregistrement no 1291245, établie au nom de l'Opposante. Je confirme ici ma décision de rejeter cette demande, que j'ai rendue de vive voix à l'audience. Vu les circonstances de l'espèce, il ne me paraît pas dans l'intérêt de la justice d'y faire droit. Bien que cette requête ne semble comporter aucun facteur de surprise ni entraîner de préjudice pour l'Opposante, il reste qu'elle a été présentée à l'étape de l'audience. On ne m'a pas convaincue que l'élément de preuve en question n'aurait pas pu être produit plus tôt : la demande d'enregistrement de l'Opposante était mentionnée dans la déclaration d'opposition et a été évoquée au cours du contre-interrogatoire de M. Kechichian. Enfin, je ne pense pas que cet élément de preuve soit important dans la présente procédure, puisque la demande d'enregistrement no 1291245 n'est pas invoquée au soutien d'un motif d'opposition.

Les pièces jointes à la transcription du contre-interrogatoire

[11]           À l'audience, j'ai fait observer à l'agent de la Requérante qu'aucune des sept pièces auxquelles renvoie la transcription du contre-interrogatoire n'avait été produite avec celle‑ci. Le 8 septembre 2010, après l'audience, la Requérante a demandé l'autorisation de produire ces pièces, déclarant que c'était [TRADUCTION] « par pure inadvertance » qu'elle avait omis de les produire avec la transcription. Par lettre en date du 28 septembre 2010, le registraire a invité l'Opposante à lui faire savoir si elle voyait une quelconque objection à la demande de la Requérante. L'Opposante a simplement répondu, par lettre en date du 19 octobre 2010, qu'elle s'opposait [TRADUCTION] « à l'admission des pièces en question, le délai de production étant expiré ».

[12]           Je ferai remarquer que, selon mon examen de la transcription, l'avocat de l'Opposante n'a soulevé aucune objection à l’égard des pièces produites durant le contre-interrogatoire. L'Opposante ne peut donc invoquer ni facteur de surprise ni préjudice. En outre, le paragraphe 44(2) du Règlement prévoit que les contre-interrogatoires, dans les procédures d'opposition, se font aux conditions que fixe le registraire. Vu les faits de l'espèce, j'accueille la demande de la Requérante en date du 8 septembre 2010 et, en conséquence, les pièces produites avec cette demande sont versées au dossier.

Le fardeau de preuve

[13]           Il incombe à la Requérante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Cependant, l'Opposante a le fardeau initial de produire une preuve suffisante pour établir la véracité des faits sur lesquels s’appuie chacun de ses motifs d'opposition. Une fois que l'Opposant s'est acquittée de ce fardeau initial, il incombe à la Requérante de prouver que les motifs d'opposition invoqués ne devraient pas empêcher l'enregistrement de la Marque [voir John Labatt Limited c. The Molson Companies Limited (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.); Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.); et Wrangler Apparel Corp. c. The Timberland Company (2005), 41 C.P.R. (4th) 223 (C.F.)].

[14]           Je récapitulerai la preuve au dossier avant d'analyser les motifs d'opposition.

La récapitulation de la preuve

            Les remarques préliminaires

[15]           Afin que le lecteur comprenne mieux la récapitulation qui va suivre de la preuve au dossier, je noterai d'abord que l'Opposante et M. Edward Huan Khoi Tri, le propriétaire du magasin exploité par la Requérante, ne sont pas des inconnus l'un pour l'autre. L'Opposante a employé M. Tri comme technicien de laboratoire à temps partiel en 1994‑1995. En tant que directeur de 1120931 Ontario Ltd. (1120931), M. Tri est ensuite devenu, en 1995, un franchisé de l'Opposante dans le quartier chinois d'Ottawa. La société 1120931 utilisait les quatre caractères chinois que comprend la Marque dans l'exploitation de son établissement franchisé. En janvier 2006, M. Tri a décidé de mettre fin à sa relation de franchisage avec l'Opposante et de former la Requérante pour exploiter un nouvel établissement, indépendant cette fois, sous la dénomination de Tri Optical, accompagnée des caractères chinois en question. Ce nouvel établissement a été inauguré le 1er mai 2006.

[16]           Les prétentions des parties concernant les droits afférents aux caractères chinois employés par 1120931 dans l'exploitation de l'établissement franchisé revêtent une importance cruciale pour l'examen des questions en litige dans la présente procédure.

La preuve de l'Opposante

[17]           Je tiens à souligner en premier lieu que je ne ferai référence au contre-interrogatoire de M. Kechichian que dans la mesure où il se révélera pertinent pour l'examen de son affidavit, ainsi que des questions en litige et des moyens des parties.

[18]           Le paragraphe 2 de l'affidavit de M. Kechichian est rédigé comme suit :

[TRADUCTION] Je suis, depuis au moins 1992, le président de la société 990982 Ontario, Ltd. (ci‑après désignée 990982), qui fait affaire sous le nom de Laurier Optical et dont le siège social est sis au 1811, boulevard Saint-Joseph, Orléans (Ontario), K1C 7C6. Une copie du certificat de constitution en personne morale de cette société est annexée au présent affidavit en pièce A.

[19]           Je constate que le certificat de constitution formant la pièce A porte « 990982 Ontario Inc. A » comme dénomination de la société à numéro. Cependant, une interprétation raisonnable de l'affidavit de M. Kechichian et la lecture de son contre-interrogatoire m'amènent à conclure que la mention « 990982 Ontario, Ltd. » au paragraphe 1 comporte un lapsus et désigne en fait la société 990982 Ontario Inc., c'est‑à‑dire l'Opposante.

[20]           Le paragraphe 3 de l'affidavit de M. Kechichian est rédigé comme suit :

[TRADUCTION] Je suis aussi, depuis au moins 1995, le président de 1101465 Ontario Ltd. (ci‑après désignée 1101465), filiale de 990982, faisant affaire comme celle‑ci sous le nom de Laurier Optical et ayant également son siège social au 1811, boulevard Saint-Joseph, Orléans (Ontario), K1C 7C6. Une copie du certificat de constitution en personne morale de cette société est annexée au présent affidavit en pièce B.

[21]           Le contre-interrogatoire de M. Kechichian confirme le lien organisationnel entre 1101465 Ontario Ltd. (1101465) et l'Opposante [Q9‑Q12 et E1]. Il explique aussi la formule de franchisage de l'Opposante, que résume l'extrait suivant [Q6‑Q8 et Q28)] :

[TRADUCTION]

Q.  Pouvez-vous m'expliquer le lien entre [l'Opposante] et [1101465]?

R.  Nous appliquons une formule particulière de franchisage et de concession de licences pour nos établissements. Cette formule est la suivante : 990982 est la société principale, mais c'est une société parmi toutes les autres, et, en règle générale, quand nous franchisons un magasin, nous créons une nouvelle société pour signer le bail, laquelle sous-loue les locaux au nouveau franchisé et signe le contrat de franchisage avec lui. Alors parfois ce peut être cette société, parfois ce peut être le siège social, mais c'est comme ça que ça fonctionne […]

Q.  Donc, dans votre pratique de franchisage, il y a toujours la première société, la société mère comme vous disiez, qui est 990982 Ontario Inc., et pour chaque franchisé vous créez une société particulière.  

R.  Exactement.

Q.  En l'occurrence, [1101465]. Et spécialement, dans ce cas, pour l'établissement franchisé exploité dans le quartier chinois.

R.  Oui. C'est comme – vous savez – nous avons créé une société spéciale afin que, si jamais il y avait un problème, aucune des autres du groupe n'en subisse les conséquences.

[…]

Q.  […] Quand le contrat de franchisage prend fin, qu'arrive‑t‑il à [la société créée pour signer le bail]?

R.  […] nous attendons six mois ou un an pour voir si tout marche bien, puis il se peut que nous la fermions. Ça dépend de la situation, parce que chaque opération crée une situation différente.

[22]           Selon le témoignage de M. Kechichian, l'Opposante et 1101465 font toutes deux affaire sous le nom de Laurier Optical [Q13], qui est une marque dont une licence d'emploi est concédée à chaque franchisé [Q17]. L'Opposante remet [TRADUCTION] « à la société en exploitation un document [...] l'autorisant à faire affaire sous le nom de Laurier Optical » [Q30]. Le choix du nom de True Vision en chinois pour l'établissement du quartier chinois correspondait à une situation particulière [Q14]. J'examinerai plus loin la preuve produite par l'intermédiaire du contre-interrogatoire de M. Kechichian concernant le choix et la propriété des caractères chinois pour l'établissement du quartier chinois.

[23]           Je reproduis ci‑dessous le paragraphe 5 de l'affidavit de M. Kechichian :

[TRADUCTION]

Je connais bien les opérations quotidiennes de [990982] et de [1101465] au Canada, ainsi que les marques de commerce que possèdent et emploient ces sociétés dans le secteur lunetier. Je connais bien, notamment, l'emploi de la marque de commerce True Vision & Dessin en caractères chinois, ci‑après désignée « TRUE VISION » et reproduite ci‑dessous, qu'emploient les sociétés susdites depuis au moins 1995 en liaison avec des articles de lunetterie, et des services d'examen de la vue et de soin des yeux.     

True Vision & Design

[24]           Je désignerai ci‑après la marque de commerce TRUE VISION en caractères chinois, telle qu'elle figure dans l'affidavit de M. Kechichian, par l'expression « la Marque citée ».

[25]           Pour l'instant, je fais remarquer que les quatre caractères chinois qui composent la Marque citée me paraissent semblables aux caractères chinois que comprend la Marque, mais qu'ils ne m'y paraissent pas identiques. La différence est peut-être attribuable au fait que la forme exacte des idéogrammes chinois varie selon le style des caractères, comme celle des lettres de l'alphabet français ou anglais. Quoi qu'il en soit, lorsque j'examinerai les caractères chinois figurant dans les pièces afférentes à l'affidavit et au contre-interrogatoire de M. Kechichian et dans les réponses aux engagements, je préciserai s'ils m'apparaissent comme étant ceux qui constituent la Marque citée ou ceux que comprend la Marque.

[26]           Dans son contre-interrogatoire, M. Kechichian confirme que la mention [TRADUCTION] « les sociétés susdites » du paragraphe 5 de son affidavit se rapportent à l'Opposante et à 1101465 [Q34]. À une question concernant [TRADUCTION] « les proportions respectives d'emploi » de la Marque citée par l'Opposante  – la première société – et par 1101465 – la seconde société –, M. Kechichian répond que l'Opposante est le siège social [Q39]. L'Opposante ne vend pas d'articles de lunetterie aux consommateurs. Elle achète les produits pour le compte de 1101465; elle [TRADUCTION] « conclut les marchés, s'occupe des emballages, mène les négociations et remplit les tâches de publicité et de commercialisation pour le magasin » [Q40]. Interrogé sur le point de savoir si l'Opposante a concédé une licence d'emploi de la Marque citée à 1101465, M. Kechichian répond : [TRADUCTION] « Ce n'est pas un contrat de licence, mais une autorisation écrite : une permission si vous voulez, qui se présente sous forme de lettre » [Q36].

[27]           En réponse à des engagements, l'Opposante précise qu'elle n'a pas de contrat de licence écrit avec 1101465 pour l'emploi de la marque de commerce LAURIER OPTICAL et de la Marque citée; M. Kechichian, président-directeur des deux sociétés, supervise en totalité l'emploi que font toutes deux de ces marques de commerce [E2 et E3].

[28]           Monsieur Kechichian déclare ce qui suit aux paragraphes 7 et 8 de son affidavit :

[TRADUCTION]

7.   La société 1101465, en tant que franchiseur, était partie au contrat de franchisage et de sous-location en date du 15 mai 1995, passé avec 1120931 Ontario Ltd. (le franchisé) et M. Huan Khoi Tri (le garant du franchisé). Une copie de ce contrat de franchisage et de sous-location est annexée au présent affidavit en pièce C.

8.   Le contrat de franchisage et de sous-location a été tacitement reconduit entre toutes les parties jusqu'à la signature d'un deuxième contrat de franchisage et de sous-location, en date du 1er mai 2005, entre 990832 (le franchiseur), 1120931 Ontario Ltd. (le franchisé) et Huan Khoi Tri (le garant du franchisé). Une copie de ce deuxième contrat de franchisage et de sous-location est annexée au présent affidavit en pièce D.

[29]           Je constate que M. Kechichian ne définit pas la désignation 990832 figurant au paragraphe 8 et aux paragraphes suivants de son affidavit. Cependant, une interprétation raisonnable de l'affidavit, éclairée par la lecture du contre-interrogatoire, m'amène à conclure que la désignation 990832, partout où on la trouve dans l'affidavit, devrait en fait se lire 990982 et correspond donc à l'Opposante.

[30]           D'autres copies du contrat de franchisage et de sous-location en date du 15 mai 1995 (le contrat de 1995), relatif aux locaux sis au 621 de la rue Somerset Ouest à Ottawa (l'établissement du 621), ont été produites en pièce 1 de la transcription et en réponse à un engagement [E6]. Ces deux copies sont identiques, mais elles diffèrent de la copie jointe à l'affidavit de M. Kechichian en pièce C, en ce que cette dernière ne comporte pas les annexes A à C inclusivement. De même, une copie du contrat de franchisage et de sous-location en date du 1er mai 2005 (le contrat de 2005), concernant les locaux sis au 752 de la rue Somerset Ouest à Ottawa (l'établissement du 752), a été produite en pièce 2 de la transcription, copie qui se révèle quant à elle identique à celle jointe à l'affidavit de M. Kechichian en pièce D.

[31]           Comme on l'a vu plus haut, M. Kechichian déclare que le contrat de 1995 a été tacitement reconduit jusqu'à la signature de celui de 2005. Il affirme que 1120931 et M. Tri [TRADUCTION] « étaient encore liés » à l'Opposante par le contrat de 2005 au moment où la Requérante a produit la demande d'enregistrement de la Marque [paragraphe 17]. Peu après cette production, ajoute‑t‑il, 1120931 et M. Tri ont demandé la résiliation du contrat de 2005 [paragraphe 18].

[32]           Il a été abondamment question du contrat de 1995 et du contrat de 2005 (ci‑après parfois désignés collectivement, les contrats de franchisage) dans le contre-interrogatoire de M. Kechichian. Il n'est pas contesté que le contrat de 1995 a été reconduit pour une deuxième période ayant expiré le 31 janvier 2005 [E8], mais les parties ne paraissent pas d'accord sur le point de savoir s'il l'a été à l'expiration de cette deuxième durée. Le passage suivant du contre-interrogatoire me semble devoir être cité malgré sa longueur parce qu'il permet de se faire une idée précise de la position de l'Opposante à ce sujet [Q169‑Q181] :

[TRADUCTION]

Q.  Donc vous seriez d'accord avec moi pour dire que [...] après l'expiration de cette reconduction – comme [...] le deuxième contrat n'a pas été passé –, il n'y avait plus de contrat entre vous et M. Tri?

R.  Vous voulez dire le deuxième –

Q.  Le contrat du 1er mai 2005 n'a pas été passé.

R. En effet. Il ne l'a pas signé.

Q.  Alors ma question est celle‑ci : vous seriez d'accord avec moi pour dire qu'il n'y avait plus d'accord ou de relation de franchisage avec M. Tri?

R.  En effet.

Q.  Je vois.

R.  Comme il n'a pas signé, je ne pense pas qu'on puisse dire qu'il y avait un contrat.

Q.  Je vous renvoie au paragraphe 17 [...] de votre affidavit [...]

      Or vous venez de me dire qu'il n'y avait pas de contrat de franchisage et de sous-location en date de 2005.

R.  Oui, mais il y avait entre nous un engagement d'honneur, parce qu'Eddie ne m'a jamais dit qu'il rompait le contrat. Vous savez, quand il a rompu le contrat, j'en ai été informé par une lettre sèche de son avocat. Je ne m'en rappelle pas la date. Elle disait en substance : « Au fait, nous ne passerons pas de contrat de franchisage. » C'est là que tout s'est terminé. Jusqu'alors –

Q.  Vous venez de convenir avec moi [...] qu'il n'y avait pas d'accord, et maintenant vous dites qu'il y avait un engagement d'honneur.

R.  Non. Quand vous parlez de – je veux dire, est‑ce que nous parlons ici d'un contrat écrit ou d'une entente entre Eddie et moi? C'est –

Q.  Donc vous invoquez une sorte d'accord, peut-être verbal, peut-être non verbal, mais en tout cas non écrit? Il y avait encore un accord entre vous?

R.  Il payait encore ses redevances de franchisage, ce qui voulait dire qu'il y avait toujours un accord.

Q.  Et selon les caractères gras du paragraphe 17, cet accord était [le contrat de 2005]?

R.  Parce qu'il honorait ses engagements et qu'il payait ses redevances de franchisage. C'est pourquoi nous le considérions encore comme un franchisé.

Q. Mais vous venez de déclarer dans ce contre-interrogatoire que [le contrat de 2005] n'a pas été passé.

[Avocat de l'Opposante] : Signé.

[M. Kechichian] : Signé. J'ai répondu en fonction de la forme de votre question. Vous m'avez demandé si nous avions un contrat écrit. J'ai répondu : « Non, nous n'avions pas de contrat écrit. » Mais avions-nous une entente de bonne foi? Je pense que oui.

Q.  Selon la preuve versée au dossier, les parties n'ont pas signé de contrat de franchisage en 2005.

R.  Je ne dis pas le contraire.

Q.  Pourtant, vous avez écrit noir sur blanc au paragraphe 17 qu'il y avait un contrat en vigueur. Vous continuez sur votre lancée au paragraphe 18 en ajoutant qu'on a demandé la résiliation [du contrat de 2005], et maintenant vous venez de – donc, d'après votre déclaration explicite dans le présent contre-interrogatoire, il n'y avait pas de contrat signé, et pourtant vous écrivez au paragraphe 18 qu'ils étaient encore liés par [le contrat de 2005] et en ont demandé la résiliation.

R.  Alors quelle est votre question maintenant?

Q.  Je fais simplement remarquer la contradiction selon laquelle vous écrivez au paragraphe 18 que [la Requérante] a demandé la résiliation [du contrat de 2005], alors que vous venez de me dire qu'il n'y avait pas de contrat dûment passé et signé.

R.  Écoutez : tant qu'il payait ses redevances et que je m'estimais lié à lui par une entente de bonne foi, en tant que franchiseur je croyais maintenir la relation – comme je vous le disais, votre client Eddie ne s'est jamais adressé à moi face à face : ni quand il m'a fait savoir par une lettre très sèche qu'il mettait fin à notre relation de franchisage, ni depuis ce moment‑là – j'ai reçu une lettre très sèche de son avocat [...] et c'est là que tout s'est terminé.

Je n'ai pas la date ici. La date n'est pas indiquée, malheureusement. En tout cas, à cette date ç'a été un gros choc pour nous, ce qui est arrivé, nous nous demandions pourquoi.

Q.  […] ce n'est pas ce que dit le paragraphe 18 de votre affidavit.

R. Écoutez, je ne veux pas jouer sur les mots, parce que je n'ai pas de calendrier sur moi, mais c'est ce qui est arrivé.

[33]           En réponse à un engagement, l'Opposante soutient que 1120931 [TRADUCTION] « est restée [au 621 de la rue Somerset Ouest] au moins jusqu'en avril 2005, puis s'est installée [au 752 de la même rue], durant tout ce temps agissant et faisant affaire comme franchisé de l'Opposante » [E7].

[34]           J'aimerais maintenant revenir au contre-interrogatoire de M. Kechichian concernant le choix de « True Vision » en chinois. Me fondant sur ma lecture de la transcription de ce contre-interrogatoire, je résumerais comme suit les déclarations pertinentes de M. Kechichian. L'établissement du 621 a ouvert ses portes un mois ou deux avant la signature du contrat de 1995, qui a eu lieu le 15 mai 1995 [Q56-Q58]. Le 5 mai 1995, M. Tri a demandé à M. Kechichian l'autorisation d'employer le nom de True Vision en chinois pour l'établissement du 621, parce que certains clients éventuels d'origine chinoise ne savaient pas l'anglais et ne pouvaient lire le nom de Laurier Optical. L'établissement du 621 ne portait pas le nom de True Vision en chinois avant cette demande de M. Tri. Il n'était pas possible d'ajouter un nom à « Laurier Optical » sans autorisation. Monsieur Kechichian a autorisé l'emploi du nom de True Vision en chinois et a fait faire en conséquence une enseigne qu'il a mise en vitrine. Il a donné son autorisation et installé l'enseigne devant des témoins. Tout cela s'est fait en vertu d'un accord verbal [Q78‑Q93]. On a donné à M. Kechichian trois ou quatre traductions anglaises des caractères chinois; il savait dès le départ que ces caractères n'étaient pas un équivalent direct de « Laurier Optical » [Q96‑Q99].

[35]           Comme le nom commercial en chinois qui figure dans la déclaration d'opposition est identique à la Marque citée, je conclus que le témoignage de vive voix de M. Kechichian se rapporte au choix de « True Vision » en chinois aussi bien comme nom commercial qu'en tant que la Marque citée. Cela dit, il me semble que la preuve de l'Opposante se rapporte en grande mesure, si ce n'est exclusivement, à l'emploi de « True Vision » en chinois en tant que la Marque citée. En effet, aucune des déclarations de l'affidavit de M. Kechichian ne vise l'emploi de « True Vision » en chinois comme nom commercial. À mon sens, le fait que la preuve ne précise pas si elle se rapporte à « True Vision » en caractères chinois en tant que la Marque citée ou en tant que le nom commercial invoqué dans la déclaration d'opposition entraîne des ambiguïtés. Or, comme les ambiguïtés doivent être résolues en défaveur de l'Opposante [voir Conde Nast Publications Inc. c. Union des Éditions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F. 1re inst.)], je considérerai que la preuve se rapporte seulement à la Marque citée.

[36]           Selon le témoignage de vive voix de M. Kechichian, l'Opposante est propriétaire de « True Vision » en chinois, du fait de son accord verbal avec M. Tri, et étant donné que, avant le franchisage de l'établissement, M. Tri était un employé de l'Opposante et n'avait [TRADUCTION] « jamais dirigé une affaire de sa vie » ([TRADUCTION] « soit qu' il n'avait pas de marques de commerce, soit qu'il n'avait pas d'idées », ajoute M. Kechichian) [Q94]. Selon M. Kechichian, « True Vision » en chinois appartient à Laurier Optical et devait lui revenir à la résiliation du contrat de franchisage [Q122]. Le passage suivant du contre-interrogatoire résume la base des affirmations de M. Kechichian [Q128] :

[TRADUCTION]

[M. Kechichian] : Ce que je veux dire, c'est que ma marque, ou quel que soit le nom qu'on lui donne, avait été employée sous mon toit, c'est‑à‑dire par un de mes franchisés, durant dix ans, et que j'en avais payé la publicité durant dix ans, de sorte qu'elle faisait partie de Laurier Optical. Alors M. Eddie, qui n'avait jamais dirigé une affaire de sa vie, parce qu'il était un de nos employés avant – M. Eddie ne peut pas venir me dire que cette marque lui appartient tout à coup : ça ne me paraît pas logique.

[37]           À la question de savoir si [TRADUCTION] « le terme "marques", dans le contexte [du contrat de 1995] se rapporte seulement à "Laurier Optical" », M. Kechichian répond dans son contre-interrogatoire : [TRADUCTION] « Oui et non, parce que les marques, ce n'est pas nous. Vous pouvez définir la chose comme ça. Moi je dirais que c'est plus d'une marque » [Q126].

[38]           Au paragraphe 10 de son affidavit, M. Kechichian répète que 1101465 et l'Opposante ont employé la Marque citée à partir de 1995 au moins, elles-mêmes ou par l'entremise de 1120931. Il ajoute que l'Opposante emploie encore la Marque citée en liaison avec des articles de lunetterie, et des services d'examen de la vue et de soin des yeux. Il poursuit dans les termes suivants au paragraphe 11 :

[TRADUCTION] La société 1101465 et [l'Opposante] ont ainsi employé la [Marque citée] d'abord par l'entremise de [1120931], ce dont [M. Tri] était parfaitement au courant, à partir d'au moins 1995, en l'apposant sur des étuis à lunettes et des serviettes de nettoyage, en en faisant la publicité dans les journaux et en l'affichant en vitrine, toujours en liaison avec la vente d'articles de lunetterie et la prestation de services d'opticien, de laboratoires optiques, d'optométrie et d'examen de la vue, vente et prestation effectuées à l'établissement sis au 621 de la rue Somerset Ouest à Ottawa (Ontario).

[39]           Monsieur Kechichian a produit des photographies d'un étui à lunettes et d'une serviette de nettoyage pour lunettes afin d'établir l'emploi de la Marque citée [TRADUCTION] « par [1120931] pour le compte de 110465 et de l'Opposante pendant la durée du premier et du second contrats de franchisage » (c'est moi qui souligne) [paragraphe 12 et pièce E]. Je remarque que les caractères chinois qu'on peut lire sur l'étui à lunettes et la serviette de nettoyage – sous le logo « Optique LAURIER Optical » – sont apparemment les mêmes que ceux qui sont compris dans la Marque.

[40]           Monsieur Kechichian a aussi produit des copies d'une page de publicité [TRADUCTION] « publiée dans un journal de langue chinoise en mars 1995 » [paragraphe 13 et pièce F], ainsi que d'annonces parues dans The Capital Chinese News le 1er avril 1995 [paragraphe 14 et pièce G] et en juin 1995 [paragraphe 15 et pièce H]. Ces pièces visent à prouver l'emploi de la Marque citée par 1101465 ou l'Opposante. Je remarque que M. Kechichian ne désigne pas nommément le journal où a paru l'annonce produite en pièce F. En outre, le témoignage écrit de M. Kechichian ne constitue pas une preuve fiable de l'étendue de la diffusion de The Capital Chinese News. Enfin, je ne puis admettre d'office que The Capital Chinese News soit un quotidien important d'une grande ville du Canada, jouissant d'une diffusion considérable [voir Northern Telecom Ltd. c. Nortel Communications Inc. (1988), 14 C.I.P.R. 104 (C.O.M.C.)].

[41]           Concernant les annonces susmentionnées, je constate que les caractères chinois qui apparaissent au haut de chacune semblent être les mêmes que ceux que comprend la Marque. Si je peux lire la date de la pièce G – le 1er avril 1995 –, je ne puis en faire autant pour les pièces F et H, où les dates semblent être en chinois. Au cours du contre-interrogatoire, l'avocat de la Requérante paraît avoir mis en doute le fondement de la déclaration de M. Kechichian selon laquelle l'annonce produite en pièce H datait de juin 1995; il a fait observer que cette pièce [TRADUCTION] « ne précise pas l'année » et que « la date en chinois est le 1er mars » [Q285‑Q286]. En réponse à un engagement, l'Opposante explique que la date de la pièce H, [TRADUCTION] « inscrite comme étant le 95/3/1 », doit s'interpréter comme étant le 1er mars 1995 [E14]. Je ferai remarquer que, à en juger par mon examen de la transcription [Q287‑295], l'avocat de la Requérante paraît avoir insisté sur le point que, si le témoignage écrit de M. Kechichian semble affirmer que la Marque citée figurait dans la publicité antérieure au contrat de 1995, son témoignage de vive voix donne à penser que le nom de True Vision en chinois n'existait pas avant mai 1995.

[42]           Monsieur Kechichian explique dans son contre-interrogatoire que la publicité pratiquée dans le cadre des accords de franchise se répartit en deux types : [TRADUCTION] « la publicité coopérative orchestrée par le franchiseur » et « la publicité locale faite par le franchisé local avec l'autorisation du franchiseur » [Q204]. Toute publicité locale dont le franchisé prendrait l'initiative sans l'autorisation du franchiseur [TRADUCTION] « constituerait une rupture de contrat » [Q218]. La publicité coopérative comprend aussi bien la publicité de masse pour le compte de l'ensemble des franchisés que la publicité coopérative locale, visant seulement un endroit donné [Q206‑Q207 et Q213‑Q215]. L'Opposante assume parfois les frais de la publicité locale faite directement par le franchisé à l'intention de sa clientèle éventuelle [Q215]. On a demandé à M. Kechichian au cours de son contre-interrogatoire une ventilation approximative de la publicité coopérative assurée par l'Opposante et de la publicité faite par le franchisé lui-même pour l'établissement du 621 entre 1995 et 2005 [Q199‑Q200]. En réponse à un engagement, l'Opposante explique qu'elle ne dispose pas de données pour déterminer les proportions respectives de la publicité du franchiseur et de la publicité coopérative pour l'établissement du 621. Elle ajoute que, [TRADUCTION] « selon [son] estimation, la publicité du franchiseur l'emporte de 5 à 10 % sur la publicité coopérative » [E9]. J'avoue que cette réponse à un engagement me laisse quelque peu perplexe; en effet, selon mon interprétation, la « publicité du franchiseur » et la « publicité coopérative » sont une seule et même chose. Par conséquent, à moins que l'Opposante n'ait voulu dire franchisé au lieu de franchiseur, je vois mal en quoi la réponse se rapporte à la question de savoir comment se répartissent la publicité coopérative faite par l'Opposante et la publicité faite par le franchisé lui-même. Mais s'il est bien vrai qu'il faut lire franchisé au lieu de franchiseur dans le passage cité plus haut, la réponse se rapporte effectivement à la question, au sens où, selon l'estimation de l'Opposante, la publicité faite par le franchisé lui-même l'emporte de 5 à 10 % sur la publicité coopérative.  

[43]           Monsieur Kechichian déclare aussi dans son contre-interrogatoire que l'Opposante surveille et contrôle l'emploi des marques de commerce, y compris de la Marque citée, dans la publicité faite par les franchisés; elle le fait, précise‑t‑il, [TRADUCTION] « avec tous les franchisés, et en particulier avec celui de la rue Somerset, parce qu'il s'agit d'une marque en chinois » [Q216‑Q227]. Des copies de [TRADUCTION] « lettres et notes » envoyées par l'Opposante ont été produites en réponse à un engagement de production de documents attestant le contrôle [E12]. Pour ce qui concerne ces « lettres et notes », je constate ce qui suit : i) elles paraissent se rapporter à des annonces publiées sans l'autorisation ou l'approbation préalables de Laurier Optical; ii) elles portent toutes la signature de M. Kechichian; iii) deux d'entre elles sont adressées à « Eddy Tri »; et iv) l'une d'elles, datée du 26 juin 2002, est adressée à Roberto Zanchetta. Je rappelle que M. Zanchetta est l'un des déposants de la Requérante.  

[44]           En plus des annonces produites avec l'affidavit de M. Kechichian, des copies de toutes les annonces retrouvées concernant l'établissement du 621 et, ultérieurement, l'établissement du 752, ont été produites en réponse à un engagement relatif à la publicité intégrée [E10]. Je tiens à souligner qu'aucune de ces annonces ne comporte de caractères chinois.

[45]           Des copies d'[TRADUCTION] « autres annonces visant le quartier chinois, notamment des annonces relatives à [l'établissement du 621] et à [l'établissement du 752], et de plus récentes relatives au magasin du 725 de la rue Somerset », ont été produites en réponse à un engagement [E11]. Pour ce qui concerne ces annonces, je constate que la première paraît correspondre à celle qui est annexée en pièce H à l'affidavit de M. Kechichian. Quant aux autres, je constate ce qui suit :

         Elles ne portent pas toutes une date; quand elles en portent une, elle est dans la plupart des cas inscrite à la main au‑dessus du texte.

         En général, le nom du journal ou autre périodique où l'annonce a été publiée n'apparaît pas; quand il apparaît, il est dans la plupart des cas inscrit à la main.

         S'il est vrai que toutes ces annonces comportent des caractères chinois, dans bien des cas ces caractères ne me semblent correspondre ni à ceux qui constituent la Marque citée ni à ceux que comporte la Marque. J'estime raisonnable de conclure que, dans ces cas, les caractères sont considérés représenter du texte ordinaire.

         Les annonces où figurent des caractères chinois qui me semblent correspondre à la Marque citée paraissent avoir été publiées pendant les années 2006 à 2008 inclusivement; l'annonce datée la plus ancienne semble remonter au 12 mai 2006.

[46]           La réponse aux engagements concernant la publicité m'amène à examiner le cas du magasin sis au 725 de la rue Somerset (l'établissement du 725). Il est question de ce troisième établissement dans l'affidavit de M. Kechichian et dans son contre-interrogatoire. Il est à noter que, pendant le contre-interrogatoire, l'avocat de l'Opposante a expliqué que la mention de l'établissement du 621 qu'on trouve aux paragraphes 16 et 18 de l'affidavit de M. Kechichian visait en fait l'établissement du 725 [pages 101, 103 et 104 de la transcription].

[47]           Selon l'affidavit et le contre-interrogatoire de M. Kechichian, l'établissement du 725 est un établissement intégré, appartenant à Laurier Optical, et non un magasin franchisé [Q301‑303]. L'établissement du 725 a été ouvert après la rupture des liens avec M. Tri; il est en exploitation depuis [TRADUCTION] « au moins le 6 mai 2006 » [Q304 et E15]. La Marque citée est encore employée en vitrine de l'établissement du 725 [paragraphe 16 corrigé]. La pièce I annexée à l'affidavit de M. Kechichian est une photographie de cette vitrine prise dans la semaine du 10 mai 2006. Je constate que la Marque citée apparaît bien à la vitrine. En réponse à des engagements de production de copies d'annonces relatives à l'ouverture de l'établissement du 725, ainsi que d'annonces coopératives mentionnant cet établissement qui ont été publiées dans les médias de langue chinoise, l'Opposante renvoie à sa réponse à l'engagement 11 [E16 et E17]. L'Opposante a répondu dans les termes suivants à un engagement de production de copies d'annonces axées sur d'autres groupes ethniques : [TRADUCTION] « Bien qu'elle ne considère pas les francophones comme un groupe "ethnique", l'Opposante renvoie aux annonces en français produites en réponse à l'engagement 10. »

[48]           Au cours de son contre-interrogatoire, on a posé à M. Kechichian des questions sur des annonces publiées dans les numéros du 26 août, du 9 septembre et du 7 octobre 2005 du journal Canada China News [pièces 5A à 5C]. Je reproduis ci‑dessous une partie du passage en question [Q318‑Q320] :

[TRADUCTION]

Q.  […] Êtes-vous d'accord avec moi pour dire que ces trois exemples d'annonces indiquent tous que l'établissement du 725 de la rue Somerset, votre établissement intégré, fait partie de l'ensemble des établissements que vous y déclarez appartenir à votre réseau?

R. Oui. Vous voulez dire : ces annonces se rapportent-elles à mon établissement? celui du 725?

Q.  L'établissement du 725 de la rue Somerset figure parmi les magasins qu'énumèrent ces annonces.

R.  Oui, effectivement.

Q. Il y apparaît parmi bien d'autres établissements?

R. Oui.

[49]           Or, s'il est vrai que chacune de ces annonces porte diverses adresses d'établissements sis à Ottawa, je ne vois pas parmi elles l'adresse de l'établissement du 725. Cependant, je constate qu'y figure l'adresse de l'établissement du 752. Par conséquent, je suis amenée à me demander si la mention susdite de l'établissement du 725 par l'avocat de la Requérante ne se rapporterait pas plutôt à l'établissement du 752. Quoi qu'il en soit, s'il est vrai que ces trois annonces portent des caractères chinois, dans aucun cas ces caractères ne paraissent être ceux de la Marque citée ni ceux que comprend la Marque. Ici encore, j'estime raisonnable de conclure que les caractères chinois que l'on trouve dans ces annonces constituent du texte ordinaire.

[50]           Monsieur Kechichian déclare que la Requérante, sous la direction de M. Tri, emploie maintenant la Marque dans l'exploitation d'un établissement situé directement en face de celui du 725, où la Marque citée a été employée et l'est encore [paragraphe 18 corrigé].

[51]           Monsieur Kechichian conclut son affidavit en émettant l'avis que la Requérante ne pouvait pas être convaincue qu'elle avait le droit d'employer la Marque [paragraphe 19]. Il exprime aussi une opinion sur le risque de confusion entre la Marque et la Marque citée [paragraphe 20]. Je ferai remarquer qu'il ressort de son contre-interrogatoire que M. Kechichian ne possède aucune connaissance de la langue chinoise [Q96]. Quoi qu'il en soit, je conclus que les opinions ainsi exprimées par M. Kechichian sont des conclusions de droit sur des questions qu'il appartient au registraire de trancher et qu'elles sont donc inadmissibles.

[52]           Au terme de cette récapitulation de la preuve de l'Opposante, je voudrais revenir au contre-interrogatoire de M. Kechichian, où l'avocat de la Requérante a soulevé la question de la demande d'enregistrement no 1291245, dans laquelle l'emploi de la Marque citée était revendiqué depuis au moins mai 1995 [pièce 4]. L'avocat de la Requérante a aussi évoqué une demande d'enregistrement antérieure (no 1289288), dans laquelle l'emploi de la Marque citée était revendiqué depuis au moins mai 2005 [pièce 3] et que l'Opposante avait volontairement abandonnée [E13]. Je conclus que les questions touchant la demande no 1291245 ne contribuent en rien à étayer la thèse de la Requérante [Q228‑Q238]. Premièrement, cette demande n'est pas invoquée au soutien d'un motif d'opposition dans la présente procédure. En outre, la question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si la Requérante a droit à l'enregistrement de la Marque en liaison avec les Marchandises et les Services, et non celle de savoir si l'Opposante a droit à l'enregistrement de la marque de commerce visée par la demande no 1291245.

La preuve de la Requérante

L'affidavit de M. Edward Huan Khoi Tri

[53]           Je remarque en premier lieu que, selon le témoignage de M. Tri, les caractères chinois que comprend la Marque correspondent aux caractères chinois employés par 1120931 dans l'exploitation de l'établissement franchisé. J'observe en outre que M. Tri, tout au long de son affidavit, désigne les caractères chinois comme étant soit le nom chinois, soit la marque chinoise. Par conséquent, dans ma récapitulation de l'affidavit de M. Tri, je parlerai moi aussi du nom chinois ou de la marque chinoise, de manière à employer la même terminologie que lui.

[54]           Monsieur Tri se présente comme suit au paragraphe 1 :

[TRADUCTION] J'ai été de mai 1995 à janvier 2006 le directeur d'un établissement franchisé par 1101465 Ontario Inc. (faisant affaire sous le nom de Laurier Optical, Inc. et ci‑après désignée, Laurier Optical) à mon entreprise, 1120931 Ontario Inc. (ci‑après désignée, mon entreprise).

[55]           Je remarque de légères différences entre l'affidavit de M. Tri et celui de M. Kechichian en ce qui concerne les désignations des sociétés à numéro. Quoi qu'il en soit, me fondant sur la preuve au dossier, j'estime raisonnable de conclure que 1101465 Ontario Inc. et 1101465 Ontario Ltd. sont une seule et même société, que je désigne « 1101465 » tout au long de la présente décision. De même, j'estime raisonnable de conclure que 1120931 Ontario Inc. et 1120931 Ontario Ltd. sont une seule et même société, que je désigne « 1120931 » tout au long de la présente décision.

[56]           Monsieur Tri expose les origines de son commerce franchisé aux paragraphes 2 à 4, que je résumerai comme suit :

         Il a travaillé à temps partiel comme technicien au laboratoire de Laurier Optical de 1994 à février 1995. À la fin de 1994, M. Kechichian l'a invité et encouragé à devenir un franchisé de Laurier Optical dans le quartier chinois parce qu'il parle trois dialectes chinois aussi bien que le vietnamien.

         D'abord hésitant, M. Tri a décidé au Nouvel An de devenir un franchisé de la chaîne Laurier Optical.

         Le bail de l'établissement du 621 a été signé à la mi‑janvier 1995, après quoi la rénovation des locaux a commencé. À peu près au même moment, M. Tri a établi un projet d'entreprise [pièce A] et demandé un prêt bancaire. Monsieur Kechichian a écrit à la banque une lettre [pièce B] déclarant que Laurier Optical avait passé un sous-bail avec 1120931.

[57]           J'estime utile de reproduire ici, malgré sa longueur, le passage suivant de l'affidavit de M. Tri (paragraphes 5 à 7) :

[TRADUCTION]

5.   La banque m'a avisé qu'il faudrait au moins deux ou trois mois pour traiter ma demande. Cela voulait dire que le nouvel établissement pourrait entrer en activité autour du mois de mai de la même année. Informé de ce délai, Kechichian m'a dit qu'il ne voulait pas attendre parce que les travaux de rénovation seraient achevés avant la fin février et qu'il voulait que le nouvel établissement ouvre au plus tard à son anniversaire, début mars [...] Il m'a alors fait la proposition suivante : il ouvrirait lui-même l'établissement du quartier chinois, puis il me le céderait une fois que la banque m'aurait consenti le prêt; entre-temps, c'est‑à‑dire en mars et avril 1995, je serais son « employé », après quoi je prendrais officiellement possession de l'établissement franchisé en mai, quand j'aurais obtenu le prêt bancaire. Je lui ai donné mon accord. L'établissement du quartier chinois a ouvert ses portes le ou vers le 6 mars 1995. 

6.   Donc, du tout début des discussions en décembre 1994, en passant par la période où j'étais « employé » par Laurier Optical, jusqu'à la date où l'établissement m'a été officiellement cédé, notre intention ‑ à M. Kechichian et à moi-même ‑ était très claire : l'établissement franchisé du quartier chinois était mon établissement, de par ma qualité de franchisé. C'est pour faire plaisir à M. Kechichian que j'ai accepté qu'il m'engage comme « employé » pour les deux premiers mois, uniquement pour satisfaire son désir d'ouvrir l'établissement avant que la banque ne me consente le prêt, de manière que l'inauguration en coïncide avec son anniversaire et que les locaux rénovés ne restent pas inoccupés.  

7.   J'avais ‑ et j'ai toujours ‑ la ferme conviction que, même si Laurier Optical était propriétaire de l'établissement pendant les mois de mars et d'avril 1995, elle le possédait et l'exploitait en mon nom et pour mon compte, puisque j'allais devenir franchisé. Dès le départ, j'ai assumé la responsabilité de l'ensemble des opérations commerciales de l'établissement, et j'ai exercé un contrôle exclusif et direct sur tous les aspects de ses activités, y compris sur les marchandises et les services offerts à la clientèle. Dans le cadre de ces fonctions, j'ai engagé ma femme comme représentante de commerce, ainsi qu'un opticien pour m'aider dans le service à la clientèle.

[58]           Monsieur Tri explique pourquoi et comment lui et sa femme, avant l'ouverture de l'établissement, ont choisi le nom chinois consistant en quatre caractères qui signifient respectivement « vrai » (true), « lumière » (light), « œil » (eye) et « miroir » (mirror). Conformément au contrat de franchisage, le nom anglais était « Laurier Optical » [paragraphes 8 à 10]. Selon M. Tri, M. Kechichian [TRADUCTION] « est resté indifférent et n'a pas manifesté beaucoup d'intérêt » lorsqu'il l'a informé du nom chinois retenu [paragraphe 11].

[59]           Monsieur Tri déclare qu'il a employé la marque chinoise pour son établissement aussi bien pendant la durée de sa relation de franchisage avec Laurier Optical qu'après la cessation de cette relation. Il a choisi « Tri Optical » comme nom anglais pour son nouvel établissement [paragraphe 12].

[60]           Selon M. Tri, [TRADUCTION] « il n'a jamais fait aucun doute » qu'il était et reste le propriétaire de la marque chinoise, qu'il a [TRADUCTION] « créé la police particulière de ces caractères » et qu'il détient aussi [TRADUCTION] « le droit d'auteur sur la marque chinoise imprimée dans cette police » [paragraphe 13 et pièce D]. Il ajoute que son interprétation s'est trouvée confirmée par la lecture des contrats de franchisage, en ce qu'ils ne font mention que de la marque de commerce LAURIER OPTICAL [paragraphe 14]. Il poursuit son raisonnement en ces termes :

[TRADUCTION]

15. Je constate à la lecture des contrats que pas une seule fois Laurier Optical, en sa qualité de franchiseur, n'y fait mention de la création de marques de commerce par un franchisé. En fait, le paragraphe 32 des deux contrats porte explicitement que le franchisé est une entité complètement indépendante. Me fondant sur cette clause, je m'estimais libre de créer et d'employer mes propres marques de commerce dans le cadre de l'exploitation de mon établissement.

16. En outre, le paragraphe 38 des deux contrats stipule que le contrat forme [TRADUCTION] « l'intégralité de l'accord entre les parties », et il n'y a jamais eu d'autre accord laissant supposer que je ne suis pas le propriétaire de la marque chinoise ou que Laurier Optical en est la propriétaire.

17. En outre, Laurier Optical n'a jamais examiné ou contrôlé l'emploi de ma marque chinoise en liaison avec les marchandises et les services offerts à la clientèle par mon établissement.   

[61]           Monsieur Tri précise que le nom chinois [TRADUCTION] « était employé en liaison avec toutes les marchandises et tous les services » offerts dans le cadre de l'exploitation de son établissement [paragraphe 18].

[62]           Monsieur Tri déclare ce qui suit au paragraphe 19 de son affidavit :

[TRADUCTION]

En vertu des contrats de franchisage, Laurier Optical demandait à tous ses franchisés des redevances en contrepartie de la publication périodique d'annonces pour l'ensemble des établissements. Pendant toute la durée de la franchise, mon établissement a payé à Laurier Optical sa part des redevances de publicité. En règle générale, les noms de tous les établissements Laurier Optical figuraient dans ces annonces que Laurier Optical établissait et faisait publier. Ces annonces ne distinguaient ni ne privilégiaient aucun établissement déterminé. Les exceptions à cette règle dont j'ai connaissance sont les trois annonces passées dans les journaux locaux de langue chinoise en mars et avril 1995 pour promouvoir l'établissement du quartier chinois à l'occasion de son ouverture officielle (voir le paragraphe 18 ci‑dessous [sic]).

[63]           Monsieur Tri parle au paragraphe 20 de son affidavit des annonces passées dans les journaux locaux The Capital Chinese News et Canada China News les 1er mars et 1er avril 1995. Il y explique que, par exception, [TRADUCTION] « Laurier Optical a payé [ces trois annonces], étant donné qu'[il] étai[t] provisoirement "employé" par elle »; par la suite, après que « l'établissement [lui] eut été cédé en mai 1995, poursuit‑il, c'est [son] établissement qui a supporté les frais de toutes les annonces périodiques publiées dans les journaux de langue chinoise ». Il a produit une ventilation annuelle, pour les exercices de 1996 à 2006 inclusivement, des [TRADUCTION] « redevances de publicité intégrée versées à Laurier Optical » et des dépenses de publicité qu'il a lui-même engagées pour la promotion de son établissement [paragraphe 20 et pièce E]. Il a aussi produit des copies d'annonces représentatives passées dans l'hebdomadaire outaouais Health Times [paragraphe 20 et pièce F]. Certaines des annonces passées par M. Tri incluaient sa photographie, de manière à associer le nom chinois à sa personne [paragraphe 21 et pièce G].

[64]           Monsieur Tri déclare au paragraphe 23 : [TRADUCTION] « Vers la fin de ma relation de franchisage avec Laurier Optical, celle‑ci a payé et publié quelques annonces en chinois dans le Canada China News. Cependant, la marque chinoise n'apparaissait dans aucune de ces annonces. On en trouvera ci‑joint [...] sous la cote H des copies représentatives. » Je précise que la pièce H réunit quatre annonces publiées respectivement les 1er juillet et 19 août 2005, et les 13 et 20 janvier 2006. J'ajoute que, si ces annonces comportent des caractères chinois, ils ne semblent correspondre ni à ceux de la Marque citée ni à ceux que comprend la Marque, conformément à ce qu'en dit M. Tri.

[65]           Selon M. Tri, [TRADUCTION] « Laurier Optical ne s'intéressait pas à la marque chinoise » comme en témoignent les faits suivants : elle n'a pas supporté les frais de publication des annonces en langue chinoise sur toute la durée de la franchise; elle n'a pas prêté attention à la manière dont la marque chinoise était employée, et n'a jamais donné à entendre ni laissé supposer que celle‑ci l'intéressait le moindrement; elle n'a pas [TRADUCTION] « consacré beaucoup de temps ni d'efforts au contrôle de la qualité des marchandises et des services offerts à la clientèle » par son établissement; M. Tri [TRADUCTION] « n'a jamais eu à faire approuver par Laurier Optical où et comment la marque chinoise serait employée »; et [TRADUCTION] « Laurier Optical n'a jamais inspecté les marchandises ni contrôlé les services offerts sous la marque chinoise » [paragraphe 22].

[66]           Je reproduis les paragraphes 24 à 26 de l'affidavit de M. Tri pour éclairer sa position sur la cessation de la relation de franchisage :

[TRADUCTION]

24. J'ai mis fin à ma relation de franchisage avec Laurier Optical peu après avoir décidé de déménager mon établissement pour l'installer à son adresse actuelle, le 752 de la rue Somerset Ouest.

25. Après le déménagement de mon établissement, j'ai commencé à envisager de quitter le réseau commercial de Laurier Optical. Au fil des années, j'avais pu graduellement me convaincre que celle‑ci ne se préoccupait guère que de toucher les redevances de franchisage et de publicité, c'est‑à‑dire qu'elle ne se souciait pas de la réussite ou du risque d'échec de mon établissement, mis à part leurs conséquences sur les redevances.

26. Enfin, en janvier 2006 ou vers cette date, j'ai demandé à mon avocat de résilier le contrat de franchisage.

[67]           Selon le témoignage écrit de M. Tri, peu après la cessation de sa relation de franchisage avec Laurier Optical, il a demandé à son avocat de produire la demande d'enregistrement de la Marque au nom de la Requérante, société qu'il avait créée pour exploiter son nouvel établissement indépendant sous la dénomination de Tri Optical, accompagnée du nom chinois. Le nom anglais [TRADUCTION] « n'était pas encore employé » à la date de production de la demande d'enregistrement. L'inauguration du nouvel établissement, [TRADUCTION] « qui emploie le nom bilingue, a eu lieu le 1er mai 2006 » [paragraphe 27].

L'affidavit de M. Roberto Zanchetta

[68]           Monsieur Zanchetta a travaillé à [TRADUCTION] « de nombreux établissements intégrés de Laurier Optical », puis à son siège social, de 1993 à 2000; il a ensuite exploité un établissement franchisé à Brockville (Ontario) de 2000 à 2004 [paragraphe 1]. Il connaît M. Tri depuis 1995 [paragraphe 2].

[69]           Monsieur Zanchetta a examiné l'affidavit de M. Kechichian et les réponses aux engagements produites dans la présente procédure [paragraphe 3]. Il a lui-même produit une copie de la lettre en date du 26 juin 2002 qui lui aurait été envoyée [paragraphe 4 et pièce A]. [Voir le paragraphe 43 ci‑dessus.]

[70]           Monsieur Zanchetta déclare que la lecture de cette lettre l'a [TRADUCTION] « frappé de stupéfaction », qu'il ne se rappelle pas [TRADUCTION] « avoir vu ni reçu une telle lettre à quelque moment que ce soit » et qu'il n'a pas pu retrouver [TRADUCTION] « cette lettre ni rien d'approchant de son contenu » dans les archives de son ancienne société [paragraphe 5]. Étant donné que M. Kechichian l'avait assuré que tous les renseignements relatifs aux franchisés pris individuellement étaient rigoureusement confidentiels, M. Zanchetta trouverait [TRADUCTION] « étrange » qu'on ait envoyé copie de la lettre en question à tous les franchisés; il ne voit pas pourquoi on l'aurait fait [paragraphe 6]. Il trouve également [TRADUCTION] « étrange que la lettre n'ait pas été rédigée sur le papier à en‑tête de Laurier Optical », comme l'étaient normalement les communications écrites que cette société adressait à ses franchisés [paragraphe 7, et pièces B et C]. De tout ce qui précède, M. Zanchetta conclut que la lettre en question [TRADUCTION] « ne [lui] a pas été envoyée à ou vers la date qu'elle porte, ni à quelque autre moment que ce soit », et il confirme pour toutes ces raisons qu'il n'a reçu [TRADUCTION] « de Laurier Optical aucune lettre contenant des renseignements ou des instructions de cette nature » [paragraphe 8].

L'affidavit de M. Taiji Yoshino

[71]           Monsieur Yoshino atteste qu'il est un consultant en propriété intellectuelle employé par la société qui remplit la fonction d'agent de marques de commerce de la Requérante. Comme je l'expliquerai plus loin, je n'accorde aucun poids à son affidavit.

[72]           Monsieur Yoshino, chargé [TRADUCTION] « d'examiner et d'étudier comment les [contrats de franchisage] traitent le sujet de la ou des marques de commerce », conclut que la seule marque de commerce mentionnée dans ces contrats est LAURIER OPTICAL [paragraphes 2 à 5 inclusivement]. Je ne tiens pas compte de son opinion sur le champ d'application des contrats de franchisage, au motif qu'elle se rapporte à une question litigieuse. Étant donné qu'il est employé par l'agent de marques de commerce de la Requérante, M. Yoshino n'est pas un témoin indépendant dont la preuve serait impartiale [voir Cross-Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd. c. Hyundai Auto Canada (2005) 43 C.P.R. (4th) 21 (C.F.), conf. par (2006), 53 C.P.R. (4th)  86 (C.A.F.) (Cross-Canada)].

[73]           Monsieur Yoshino, à qui l'on a demandé aussi d'examiner le site Web de Laurier Optical pour faire fasse un compte-rendu à l’égard des marques de commerce, cite un paragraphe de ce site [paragraphe 6 et pièce A]. Comme la preuve de M. Yoshino tend à établir que la Marque citée ne figure pas sur le site en question, elle se rapporte à une question litigieuse. Par conséquent, je n'en tiendrai pas compte non plus [voir Cross-Canada, précitée].

[74]           Monsieur Yoshino a effectué le 20 novembre 2008 des recherches dans la Base de données sur les marques de commerce canadiennes, en utilisant « Laurier Optical », « 990982 » et « 1101465 » comme critères, et « nom du propriétaire précédent » et « nom du propriétaire courant » comme champs de recherche. Il énumère dans son affidavit les marques de commerce qu'il a trouvées avec « Laurier Optical » et « 990982 »; il n'en a trouvé aucune avec « 1101465 » [paragraphes 7 à 9]. Selon les déclarations de M. Yoshino, les pièces B et C annexées à son affidavit sont [TRADUCTION] « des copies [qu'il a] imprimées des renseignements complets des pages d'information relative aux marques de commerce » que ses recherches lui ont révélées. Après examen de ces deux pièces, j'estime nécessaire de préciser que chacune consiste en une page où sont énumérés les enregistrements ou demandes d'enregistrement de marque de commerce que les recherches ont fait apparaître. Autrement dit, les pièces B et C ne donnent pas de renseignements complets sur ces enregistrements ou demandes d'enregistrement. En outre, j'estime que le paragraphe 10 de l'affidavit de M. Yoshino, où il formule une conclusion fondée sur les résultats de ses recherches, est sans intérêt. En dernière analyse, je conclus que les résultats des recherches de M. Yoshino n'étayent en rien la thèse de la Requérante.

L'affidavit de M. Christopher Tan

[75]           Monsieur Tan a été employé de 1998 à 2003 à l'établissement du 621, dont, autant qu'il sache, M. Tri [TRADUCTION] « était le propriétaire et/ou l'exploitant » [paragraphe 2]. Monsieur Tan déclare que, au cours de cette période, il [TRADUCTION] « travaillait régulièrement toute la journée le samedi »; il travaillait aussi en semaine [TRADUCTION] « de temps à autre pendant l'été »; l'établissement, ajoute‑t‑il, [TRADUCTION] « était toujours fermé le dimanche » [paragraphe 3]. Il explique qu'il avait pour fonctions de vendre des lunettes et d'effectuer des réparations mineures sur celles‑ci, et que, en outre, il remplissait des tâches administratives et [TRADUCTION] « fournissait des services de traduction pendant les examens de la vue, étant donné [qu'il] parle couramment l'anglais, le cantonais et le mandarin » [paragraphe 4].

[76]           Monsieur Tan déclare que, après avoir cessé de travailler à l'établissement du 621, il y est retourné de temps à autre en visite, et qu'il a fait et continue de faire d’autres visites à la nouvelle adresse, où il se rend, en général le samedi, pour y rester une ou deux heures, et [TRADUCTION] « donner un coup de main » si l'affluence est considérable [paragraphe 5]. J'interprète la [TRADUCTION] « nouvelle adresse » dont parle M. Tan comme désignant l'établissement du 752.

[77]           Monsieur Tan explique que l'affluence était normalement beaucoup plus grande le samedi qu'en semaine et que la composition ethnique de la clientèle différait aussi dans les deux cas. Selon ses estimations, [TRADUCTION] « il y avait environ trois fois plus de clients le samedi qu'un jour de semaine » [paragraphe 6]. Le samedi, ajoute‑t‑il, environ 80 % des clients étaient d'origine chinoise et les 20 % restants de diverses autres origines, tandis qu'en semaine, la première catégorie formait de 20 à 30 % environ de la clientèle, et la seconde catégorie, le pourcentage restant [paragraphe 7].

[78]           Au paragraphe 8 de son affidavit, M. Tan présente le nom de l'établissement en [TRADUCTION] « écriture chinoise traditionnelle » et en [TRADUCTION] « écriture chinoise simplifiée ». Il désigne dans le reste de son affidavit les deux graphies comme étant le nom chinois. Les quatre caractères, lus de gauche à droite, qu'il reproduit en écriture chinoise simplifiée me paraissent identiques à la Marque citée. Si je compare les quatre caractères en écriture chinoise simplifiée aux quatre caractères en écriture chinoise traditionnelle, je constate une légère différence dans le dernier.

[79]           Monsieur Tan déclare ce qui suit au paragraphe 9 :

[TRADUCTION]

J'ai examiné le document annexé en pièce A au présent affidavit, en particulier l'élément no 1287690 (la marque chinoise). J'observe que les mots de la marque chinoise composent le nom chinois.

[80]           La pièce A annexée à l'affidavit est une copie de l'annonce de la demande d'enregistrement de la Marque.

[81]           Monsieur Tan déclare que [TRADUCTION] « la marque chinoise aussi bien que le nom chinois » figuraient sur des enseignes et des produits, et que [TRADUCTION] « les annonces passées dans certains des journaux de langue chinoise montraient la marque chinoise et/ou le nom chinois » [paragraphe 10].

[82]           Selon son estimation, M. Tan servait 90 % des clients d'origine chinoise [TRADUCTION] « soit en mandarin, soit en cantonais, deux dialectes très répandus du chinois parlé » [paragraphe 11]. Il déclare avoir constaté une évolution de la composition linguistique de la clientèle d'origine chinoise : en effet, en 1998, environ 75 % des clients de cette origine qu'il a servis parlaient cantonais, et les 25 % restants étaient mandarinophones, tandis qu'en 2003, quelque 40 % étaient cantonophones, et 60 % parlaient mandarin [paragraphe 12].

[83]           Selon M. Tan, les clients cantonophones aussi bien que mandarinophones désignaient [TRADUCTION] « invariablement » l'établissement [TRADUCTION] « par le nom chinois, et non par "Laurier" ou "Laurier Optical"» [paragraphe 13], tandis que la majorité des clients sinophones (cantonophones et mandarinophones confondus) [TRADUCTION] « désignaient les autres établissements Laurier Optical par les noms de "Laurier" ou de "Laurier Optical" » [paragraphe 14]. 

[84]           Monsieur Tan conclut son affidavit en déclarant que, selon son expérience du service à la clientèle sinophone, [TRADUCTION] « la marque chinoise et le nom chinois, pour ces clients d'origine chinoise, se rapportent seulement à l'établissement de M. Tri, et non à Laurier Optical en tant que chaîne de magasins ni à un autre établissement de cette chaîne » [paragraphe 15]. Je ne suis pas disposée à accorder beaucoup de poids à une telle affirmation.

L’analyse des motifs d'opposition

[85]           J'examinerai maintenant les motifs d'opposition (pas nécessairement suivant l'ordre où ils sont exposés dans la déclaration d'opposition) en tenant compte de la preuve au dossier. Je ferai précéder cet examen de quelques observations et constatations préliminaires.

La fiabilité des témoignages des déposants des parties

[86]           La Requérante soutient que la preuve de l'Opposante semble [TRADUCTION] « avoir été fabriquée à seule fin d'étayer ses motifs d'opposition ». Je n'irais pas jusqu'à conclure que l'affidavit de M. Kechichian ait pour but d'embrouiller les faits réels, voire d'induire délibérément le registraire en erreur, comme l'affirme la Requérante. Cependant, j'estime raisonnable de mettre en doute la fiabilité et l'exactitude du témoignage de M. Kechichian. En effet, l'examen approfondi de son affidavit et de son contre-interrogatoire m'amène à conclure que son témoignage est loin d'être direct, complet et cohérent. En outre, les témoignages oral et écrit de M. Kechichian sont contredits par les témoignages écrits de MM. Tri et Zanchetta, que l'Opposante a pourtant choisi de ne pas contre-interroger. Elle a également choisi de ne produire aucune preuve visée à l'article 43 du Règlement.

[87]           Dans la décision London Drugs Limited c. Purepharm Inc. (2006), 54 C.P.R. (4th) 87 (C.O.M.C.), j'ai exprimé l'opinion que l'absence de contre-interrogatoire ne m'interdisait pas d'évaluer la qualité ou le poids de la preuve produite par un déposant. Dans la présente espèce, je ne vois aucune raison de ne pas accorder de poids au témoignage de M. Tri, fait sous serment et non contesté. De même, je ne vois pas pourquoi je n'accorderais pas de poids au témoignage de M. Zanchetta, lui aussi fait sous serment et non contesté. Enfin, je ne puis imaginer aucune raison non plus de ne pas accepter la déclaration assermentée et non contredite de M. Tan selon laquelle il parle couramment les deux langues chinoises : le cantonais et le mandarin.

Les caractères chinois

[88]           Comme je le disais plus haut, les quatre caractères chinois qui forment la Marque citée ne me paraissent pas identiques à ceux que l'on trouve dans la Marque. Par conséquent, la Requérante est peut-être fondée à faire valoir que la police et le style des caractères chinois qui forment la Marque citée diffèrent de la police et du style des caractères chinois compris dans la Marque. Cependant, des affidavits de MM. Tri et Tan, il faut conclure que les caractères chinois employés par 1120931 dans l'exploitation de l'établissement franchisé sont les quatre caractères que comporte la Marque. En outre, il faut conclure de l'affidavit de M. Tan à l'identité des caractères chinois employés par 1120931 dans l'exploitation de l'établissement franchisé et de ceux qui forment la Marque citée.

[89]           En dernière analyse, me fondant sur la preuve de la Requérante, je conclus que, sans égard pour la police et pour le style, et si on les lit de gauche à droite, les quatre caractères chinois qui forment la Marque citée et les quatre caractères chinois employés par 1120931 dans l'exploitation de l'établissement franchisé, donc ceux que comprend la Marque, sont les mêmes en écriture chinoise simplifiée.

La ou les marques de commerce visées aux contrats de franchisage

[90]           Pour les raisons suivantes, j'estime raisonnable de conclure que la seule marque de commerce – nominale ou figurative – visée aux contrats de franchisage était LAURIER OPTICAL.

[91]           En dépit de mes remarques sur le témoignage de M. Kechichian, on peut conclure que : i) l'Opposante ne possédait ni n'employait de marques de commerce contenant des caractères chinois avant la mise en exploitation de l'établissement du 621; et que ii) M. Kechichian reconnaît que c'est M. Tri qui a demandé à ce que des caractères chinois soient employés dans l'exploitation de ce même établissement [voir les paragraphes 22 et 34 ci‑dessus]. En outre, je constate la présence des paragraphes suivants dans le préambule de chacun des contrats de franchisage :

[TRADUCTION]

ET ATTENDU QUE Laurier Optical détient le droit exclusif à l'emploi et à la concession de licences d'emploi, en Ontario, du nom commercial et de la marque de commerce « LAURIER OPTICAL » (les marques);

[…]

ET ATTENDU QUE Laurier Optical a convenu d'accorder à [1102931] le droit et l'autorisation d'employer le système et les marques, ainsi que d'exploiter un établissement Laurier Optical en liaison avec lesdits système et marques [...]

[92]           Je tiens à préciser que ma conclusion, fondée sur la preuve et ma lecture des contrats de franchisage, ne vaut que dans le contexte de la présente opposition, et non dans celui des obligations contractuelles du franchiseur et du franchisé.

Les motifs d'opposition rejetés d'entrée de jeu

[93]           Je rejette le motif d'opposition selon lequel la Marque ne serait pas enregistrable suivant l'alinéa 38(2)b) de la Loi et l'article 29 du Règlement parce qu'il n'a pas été valablement invoqué. À mon sens, les allégations selon lesquelles la traduction en français ou en anglais et la translittération des caractères chinois sont inexactes et/ou propres à induire en erreur ne forment pas un motif d'opposition valable sous le régime de l'alinéa 38(2)b).

[94]           Je rejette le motif d'opposition selon lequel la Marque ne serait pas enregistrable suivant l'alinéa 12(1)c) de la Loi parce que l'Opposante ne s'est pas acquittée à cet égard de son fardeau de preuve. En effet, elle n'a produit aucun élément de preuve au soutien de son allégation. En fait, je constate que selon ce motif d'opposition tel qu’il est formulé dans la déclaration d'opposition, les deux derniers caractères chinois – donc une partie de la Marque – relèvent du cas prévu à l'alinéa 12(1)c) de la Loi. Autrement dit, la déclaration d'opposition ne dit pas que la Marque n’est pas enregistrable sous le régime de l'alinéa 12(1)c) de la Loi.

[95]           Je rejette le motif d'opposition fondé sur la non-conformité à l'alinéa 30e) de la Loi parce qu'il n'a pas été étayé par suffisamment d’éléments. En effet, l'Opposante n'a proposé aucune allégation de fait au soutien de sa thèse que la Requérante n'avait pas l'intention d'employer la Marque. En supposant que ma conclusion soit erronée, ce motif d'opposition devrait néanmoins être rejeté parce que l'Opposante ne s'est pas acquittée de son fardeau de prouver la fausseté de la déclaration de la Requérante portant qu’elle a l’intention d'employer la Marque [voir Home Quarters Warehouse, Inc. c. Home Depôt, U.S.A., Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 219 (C.O.M.C.); et Jacobs Suchard Ltd. c. Trebor Bassett Ltd. (1996), 69 C.P.R. (3d) 569 (C.O.M.C.)].

[96]           Comme je conclus que la preuve de l'Opposante ne se rapporte pas à son nom commercial, je rejette le motif d'opposition fondé sur l'absence de droit à l'enregistrement sous le régime de l'alinéa 16(3)c) de la Loi parce que l'Opposante ne s'est pas acquittée de son fardeau d'établir qu'elle employait ce nom commercial avant la date de production de la demande d'enregistrement, soit avant le 27 janvier 2006.

[97]           J'examinerai maintenant les autres motifs d'opposition.

La non-conformité à l'alinéa 30i) de la Loi

[98]           La date pertinente pour l'examen des circonstances relatives au motif d'opposition fondé sur la non-conformité à l'alinéa 30i) de la Loi est la date de production de la demande d'enregistrement [voir Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 469 (C.O.M.C.)].

[99]           Ce motif d'opposition porte que la Requérante ne s'est pas conformée à l'alinéa 30i) de la Loi parce que, à la date pertinente, [TRADUCTION] « en la personne de son directeur, Edward Huan Khoi Tri, du fait de la relation de franchisé et de garant que ce dernier avait contractée avec l'Opposante ou le prédécesseur en titre de celle‑ci, elle était parfaitement au courant de l'existence de la marque de commerce et du nom commercial de ladite Opposante [spécifiés dans la déclaration d'opposition] et savait très bien que cette dernière les avait employés de manière continue depuis au moins 1995 dans l'exploitation d'un établissement franchisé de Laurier Optical sis à Ottawa ».

[100]       Monsieur Kechichian déclare dans son affidavit que 1120931 et M. Tri [TRADUCTION] « étaient encore liés » à l'Opposante par le contrat de 2005 au moment de la production de la demande d'enregistrement de la Marque et que M. Tri a demandé la résiliation de ce contrat peu après avoir produit la demande [voir le paragraphe 31 ci‑dessus]. Cependant, en contre-interrogatoire, M. Kechichian admet qu'il a reçu une lettre mettant fin à la relation de franchisage, lettre dont il ne peut préciser la date [voir le paragraphe 32 ci‑dessus]. Or M. Tri affirme de son côté sans équivoque que, en janvier 2006 ou vers cette date, il a demandé à son avocat de résilier le contrat de franchisage et que, peu après la cessation de sa relation de franchisage avec Laurier Optical, il a donné pour instructions à son avocat de produire la demande d'enregistrement de la Marque au nom de la Requérante [voir les paragraphes 66 et 67 ci‑dessus].

[101]       J'estime raisonnable de conclure de la preuve au dossier que le contrat de franchisage entre l'Opposante et 1120931 avait été résilié à la date de production de la demande d'enregistrement. Cela dit, M. Tri était à l'évidence au courant de l'emploi de la Marque citée par 1120931 dans l'exploitation de l'établissement franchisé.

[102]       Selon l'alinéa 30i) de la Loi, le requérant doit déclarer être convaincu qu'il a droit d'employer la marque de commerce en liaison avec les marchandises ou services spécifiés dans sa demande. La demande qui nous occupe contient une déclaration de cette nature, de sorte qu'elle est conforme à l'alinéa 30i) quant à sa forme. Il s'agit donc maintenant de savoir si elle y est conforme quant au fond, c'est‑à‑dire si la déclaration était vraie au moment de la production de la demande [voir Conseil canadien des ingénieurs c. Comsol AB, 17 janvier 2011 (non publiée), 2011 COMC 3 (C.O.M.C.)].

[103]       Étant donné le texte de la déclaration d'opposition et les conclusions de l'Opposante, j'estime que ce motif d'opposition ne doit être accueilli que si la preuve étaye la conclusion que la Requérante essaie de s'approprier la Marque en sachant qu'elle inclut la Marque citée, dont l'Opposante revendique la propriété. Autrement dit, j'estime que ce motif d’opposition exige que la mauvaise foi de la Requérante soit établie [voir Sapodilla Co. Ltd. c. Bristol-Myers Co. (1974), 15 C.P.R. (2d) 152 (C.O.M.C.)]. Or les raisons suivantes m'amènent à conclure que la preuve n'étaye pas la thèse que la Requérante soit de mauvaise foi.

[104]       Ma conclusion antérieure selon laquelle on peut raisonnablement dire que LAURIER OPTICAL était la seule marque de commerce visée aux contrats de franchisage se révèle pertinente pour l'examen de ce motif d'opposition. En outre – chose peut-être plus importante –, le témoignage de M. Tri [voir les paragraphes 57 et 60 ci‑dessus] montre à l'évidence que, selon lui : i) les contrats de franchisage se limitaient à la marque de commerce LAURIER OPTICAL; ii) il restait libre de créer et d'employer en tout temps ses propres marques de commerce; et iii) il était propriétaire de la marque en chinois employée dans l'exploitation de son établissement.

[105]       En dernière analyse, j'estime que la déclaration qu'exige l'alinéa 30i) a été faite de bonne foi. J'en conclus que la Requérante s'est acquittée de son fardeau d’établir, suivant la prépondérance des probabilités, que sa demande était conforme à l'alinéa 30i) de la Loi, et je rejette le motif d'opposition fondé sur la non-conformité à cet alinéa.

L'absence de droit à l'enregistrement suivant l'alinéa 16(3)a)

[106]       La Requérante soutient que l'Opposante n'a pas qualité pour faire valoir le motif d'opposition fondé sur l'absence de droit à l'enregistrement, étant donné qu'elle n'est pas propriétaire de la marque de commerce invoquée au soutien de ce motif. Qu'il me suffise de dire que nous n'avons pas ici affaire à un cas où l'opposant invoquerait l'emploi antérieur d'une marque de commerce de tiers à l'appui de son motif d'opposition fondé sur l'absence de droit à l'enregistrement. De toute évidence, l'Opposante invoque l'emploi antérieur de la Marque citée dans la mesure où elle lui appartient. Par conséquent, la question que ce motif d'opposition met en litige est celle de la confusion entre la Marque et la Marque citée.

[107]       L'Opposante supporte le fardeau initial de prouver qu'elle employait la Marque citée en liaison avec les services de [TRADUCTION] « vente d'articles de lunetterie, services d'opticien, de laboratoires optiques, d'optométrie, clinique d'examen de la vue », avant le 27 janvier 2006, et qu'elle ne les avait pas abandonnés à la date de l'annonce de la demande d'enregistrement [paragraphe 16(5) de la Loi].

[108]       Compte tenu de mes remarques préliminaires touchant les témoignages par écrit et de vive voix de M. Kechichian, je tire les conclusions suivantes de la preuve de l'Opposante :

         Contrairement au texte de la déclaration d'opposition, l'Opposante n'a pas eu de prédécesseur en titre.

         La société 1101465 a été créée à la seule fin de passer un contrat de franchisage avec 1120931, à savoir le contrat de 1995; 1101465 n'a pas employé elle-même la Marque citée : c'est 1120931 qui l'a employée, en tant que sous-licenciée de l'Opposante dans le cadre du contrat de 1995 avec 1101465.

         La société 1120931a employé la Marque citée en tant que licenciée de l'Opposante dans le cadre du contrat de 2005, et ladite Marque citée a été employée par l'Opposante elle-même dans l'exploitation de l'établissement du 725.

[109]       Il faut donc maintenant se demander si l'emploi de la Marque citée par 1120931 de mai 1995 jusqu'à la cessation de la relation de franchisage établie par les contrats peut être attribué à l'Opposante suivant l'article 50 de la Loi.

[110]       Selon le paragraphe 50(1) de la Loi, pour que l'emploi de la marque de commerce par un licencié ait le même effet et soit réputé avoir toujours eu le même effet que s'il s'agissait de son emploi par le propriétaire, il faut que ce dernier contrôle directement ou indirectement les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services. Ce paragraphe n'exige pas de contrat écrit. La production d'éléments tendant à prouver l'exercice d'un contrôle par le propriétaire de la marque de commerce peut servir à établir l'existence d'un contrat de licence tacite [voir Well’s Dairy Inc. c. UL Canada Inc. (2000), 7 C.P.R. (4th) 77 (C.F. 1re inst.)]. C'est un principe de droit bien connu qu'une relation organisationnelle ne suffit pas à elle seule à remplir la condition que fixe l'article 50 de la Loi [voir MCI Communications Corp. c. MCI Multinet Communications Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 245 (C.O.M.C.); et Dynatech Automation Systems Inc. c. Dynatech Corp. (1995), 64 C.P.R. (3d) 101 (C.O.M.C.)]. En outre, la jurisprudence indique que la présence commune d'une personne physique exerçant un contrôle peut remplir cette condition [voir Petro-Canada c. 294661 Canada Inc. (1998), 83 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.); et Lindy c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1999), 241 N.R. 362 (C.A.F.)].

[111]       Je ne juge pas nécessaire de décider si, en l'espèce, la condition prévue à l'article 50 de la Loi peut se trouver remplie par le fait que M. Kechichian soit président-directeur de l'Opposante aussi bien que de 1101465. En effet, comme j'ai conclu que 1101465 n'avait pas employé elle-même la Marque citée, il est sans conséquence que l'emploi de cette marque par 1101465 puisse ou non être attribué à l'Opposante. La question est de savoir si l'Opposante contrôlait, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services offerts par 1120931 dans le cadre du contrat de 1995.

[112]       Notre jurisprudence indique que l'exercice par le franchiseur d'un certain contrôle sur son franchisé ne suffit pas en soi à remplir la condition fixée par le paragraphe 50(1) de la Loi, c'est‑à‑dire à établir le contrôle des caractéristiques ou de la qualité des marchandises et services [voir Realestate World Services (1978) Ltd. c. Firstline Trust Co. (1997), 77 C.P.R. (3d) 406 (C.O.M.C.)]. Cela dit, dans la présente espèce, chacun des contrats de franchisage contient à première vue des dispositions qui équivalent à l'exercice par le franchiseur d'un contrôle des caractéristiques ou de la qualité de l'exploitation par le franchisé de magasins de détail de lunetterie.

[113]       Selon le témoignage écrit de M. Tri, l'Opposante n'a jamais pris de mesures, que ce soit directement ou indirectement, pour contrôler les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services offerts par 1120931 en liaison avec la Marque citée [voir les paragraphes 57 et 65 ci‑dessus].

[114]       L'Opposante a produit des lettres et notes pour établir qu'elle exerçait un contrôle de facto des caractéristiques ou de la qualité des marchandises et services [voir le paragraphe 43 ci‑dessus]. Cependant, à la simple lecture de ces lettres et notes, je suis amenée à conclure qu'elles témoignent d'un contrôle de l'emploi de la Marque citée plutôt que d'un contrôle des caractéristiques ou de la qualité des marchandises et services offerts par un franchisé en liaison avec la Marque citée, selon la condition fixée par l'article 50 de la Loi.

[115]       Je n'oublie pas la déclaration de M. Kechichian selon laquelle l'Opposante achetait les produits pour le compte de 1101465 [voir le paragraphe 26 ci‑dessus]. Cependant, j'estime que cette déclaration n'aide pas l'Opposante à établir qu'elle exerce un contrôle de facto, que ce soit directement ou indirectement, sur les marchandises offertes à la vente par 1102931. En effet, aucun élément de preuve n'établit que 1101465 fournit à son tour les marchandises à 1102931. En outre, compte tenu des défauts qui entachent l'ensemble du témoignage de M. Kechichian, je ne suis pas disposée à conclure ni à inférer que l'Opposante achète les marchandises offertes par 1102931 dans le cadre des contrats de franchisage.

[116]       En dernière analyse, je ne puis conclure valablement de la preuve au dossier que l'Opposante ait établi qu'elle exerce le contrôle qu'il lui faut exercer selon l'article 50 de la Loi pour se voir attribuer l'emploi de la Marque citée par 1120931 de mai 1995 à la cessation de la relation de franchisage.

[117]       Pour ce qui concerne l'emploi de la Marque citée par l'Opposante elle-même dans l'exploitation de l'établissement du 725, certains éléments de preuve établissent que cette marque figurait dans des annonces publiées de 2006 à 2008 inclusivement [voir le paragraphe 45 ci‑dessus]. Cependant, le droit pose sans ambiguïté que, pour que la publicité équivaille à l'emploi de la Marque citée en liaison avec les services au sens du paragraphe 4(2) de la Loi, il faut que l'Opposante ait offert et soit prête à fournir ces services au Canada [voir Porter c. Don the Beachcomber (1966), 48 C.P.R. 280 (C. can. de l’É.)]. Or la preuve de l'Opposante montre que l'établissement du 725 n'est en activité que depuis le 6 mai 2006 au plus tôt [voir le paragraphe 47 ci‑dessus]. Par conséquent, le plus qu'on puisse conclure est que l'Opposante a employé elle-même la Marque citée pour la première fois, au sens du paragraphe 4(2) de la Loi, le 6 mai 2006. Je rappelle que l'emploi d'une marque de commerce dans la publicité n'équivaut pas à l'emploi d'une marque de commerce en liaison avec des marchandises au sens du paragraphe 4(1) de la Loi [voir Nissan Canada Inc. c. BMW Canada Inc. (2007), 60 C.P.R. (4th) 181 (C.A.F.)].

[118]       Au vu de ce qui précède, je rejette le motif d'opposition fondé sur l'absence de droit à l'enregistrement visé à l'alinéa 16(3)a) de la Loi, l'Opposante ne s'étant pas acquittée de son fardeau d’établir qu'elle avait employé la Marque citée avant le 27 janvier 2006.

L'absence de caractère distinctif

[119]       Le motif d'opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif est formulé comme suit :

[TRADUCTION]

Suivant l'alinéa 38(2)d) de la Loi, la Marque n'est pas distinctive au sens de l’article 2, étant donné qu'elle ne distingue pas véritablement, et n'est ni adaptée à distinguer ni capable de distinguer, les marchandises et services de la Requérante, tels qu'ils sont spécifiés dans la demande d'enregistrement, des marchandises et services d'autres personnes, notamment des marchandises et services – énumérés plus haut – de l'Opposante, des prédécesseurs en titre de cette dernière ou de ses licenciés.

[120]       La date pertinente pour l'examen de ce motif d'opposition est la date de production de l'opposition [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F.)]. Il incombe à la Requérante d’établir que la Marque distingue véritablement les Marchandises et Services de ceux d'autres propriétaires à l'échelle du Canada, ou est adaptée à les distinguer ainsi [voir Muffin Houses Incorporated c. The Muffin House Bakery Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 272 (C.O.M.C.], mais l'Opposante a le fardeau initial d'établir les faits qu'elle invoque au soutien du motif d'opposition.

[121]       Comme j'ai conclu plus haut que l'Opposante n'a pas produit d'éléments de preuve établissant l'emploi du nom commercial chinois invoqué, je conclus ici qu'elle n'a pas établi que le nom commercial chinois était devenu suffisamment connu au 22 décembre 2006 pour faire perdre à la Marque son caractère distinctif [Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44 (C.F. 1re inst.); et Bojangles’ International, LLC et Bojangles Restaurants, Inc. c. Bojangles Café Ltd. (2006), 48 C.P.R. (4th) 427 (C.F.)]. En conséquence, je rejette ce motif d'opposition dans la mesure où il est fondé sur la confusion entre la Marque et le nom commercial invoqué dans la déclaration d'opposition.

[122]       J'examinerai maintenant ce motif d'opposition dans la mesure où il est fondé sur la confusion entre la Marque et la Marque citée.

[123]       Bien que la date pertinente soit ici postérieure à celle retenue pour le motif d'opposition fondé sur l'absence de droit à l'enregistrement, ma conclusion selon laquelle l'emploi de la Marque citée par 1120931 ne peut être mis au compte de l'Opposante reste applicable à propos du motif d'opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif. Il en va de même pour ma conclusion selon laquelle l'Opposante emploie elle-même, au sens du paragraphe 4(2) de la Loi, la Marque citée dans l'exploitation de l'établissement du 725 depuis le 6 mai 2006.

[124]       À mon sens, la preuve relative à son emploi par l'Opposante elle-même ne peut mener à la conclusion que la Marque citée avait au 22 décembre 2006 une réputation qui permettait de faire perdre à la Marque son caractère distinctif. Notamment, je ne dispose pas d'éléments de preuve, tels que les chiffres de ventes ou les produits d'exploitation de l'établissement du 725, qui me permettraient de tirer une conclusion valable sur l'étendue de l'emploi de la Marque citée entre le 6 mai 2006 et la date pertinente. En outre, d'un examen approfondi des échantillons d'annonces présentés comme attestant l'emploi de la Marque citée dans la publicité de l'établissement du 725 [voir le paragraphe 45 ci‑dessus], je conclus que : i) la Marque citée n'apparaît pas dans chacun de ces échantillons; et que ii) la première date où elle figure dans les annonces de l'établissement du 725 paraît être le 12 mai 2006. Enfin, l'Opposante n'a pas produit d'éléments de preuve relatifs à la valeur ou au volume de la publicité de l'établissement du 725 – par exemple des chiffres de dépenses ou de diffusion –, qui auraient permis de tirer une conclusion valable sur la mesure dans laquelle la Marque citée avait été annoncée à la date pertinente. 

[125]       Je conclus de ce qui précède que l'Opposante ne s'est pas acquittée de son fardeau d’établir que la Marque citée était devenue suffisamment connue au 22 décembre 2006 en tant que marque de commerce lui appartenant pour faire perdre à la Marque son caractère distinctif. En conséquence, je rejette ce motif d'opposition dans la mesure où il est fondé sur la confusion entre la Marque et la Marque citée employée par l'Opposante.

[126]       Malgré ma conclusion selon laquelle l'emploi de la Marque citée par 1120931 de mai 1995 jusqu'à la cessation de la relation de franchisage ne peut être attribué à l'Opposante, je conclus que l'emploi de la Marque citée par 1120931 reste pertinent pour l'examen du motif d'opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif. En effet, ce motif d'opposition tel qu'il est formulé dans la déclaration d'opposition comprend une allégation selon laquelle la Marque ne distingue pas véritablement, ni n'est adaptée ou capable de distinguer, les Marchandises et les Services des marchandises et des services d'autres propriétaires, notamment celles et ceux des licenciés de l'Opposante.

[127]       Dans la présente espèce, il n'est pas contesté que les contrats de franchisage autorisaient 1120931 à employer la marque de commerce LAURIER OPTICAL de l'Opposante dans l'exploitation de son établissement franchisé. Autrement dit, de mai 1995 à la cessation de la relation de franchisage, 1120931 était une licenciée de l'Opposante. Comme on l'a vu plus haut, le différend entre les parties porte sur les droits afférents à la Marque citée : personne ne conteste que 1120931 l'ait employée dans l'exploitation de l'établissement franchisé. Par conséquent, j'examinerai maintenant le motif d'opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif dans la mesure où il est fondé sur l’absence de caractère distinctif de la Marque parce qu'elle créerait de la confusion avec la Marque citée employée par 1120931 en tant que licenciée de l'Opposante.

[128]       En l'absence d'éléments prouvant que la Requérante soit le successeur en titre du propriétaire de la Marque citée, j'estime que la preuve établit que la Marque citée employée par 1120931 dans l'exploitation de son établissement franchisé était devenue suffisamment connue au 22 décembre 2006 pour faire perdre à la Marque son caractère distinctif. Par conséquent, il incombe à la Requérante de prouver, suivant la prépondérance des probabilités, que la Marque ne crée pas de confusion avec la Marque citée employée par 1120931.

[129]       Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. Le paragraphe 6(2) de la Loi indique que l'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués et exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

[130]       Dans l'application du test en matière de confusion, je dois tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, notamment celles qui sont spécifiées au paragraphe 6(5) de la Loi, soit : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent. Ces facteurs ne doivent pas nécessairement se voir attribuer le même poids. [Le lecteur trouvera une analyse approfondie des principes généraux qui régissent le test en matière de confusion dans Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc. (2006), 49 C.P.R. (4th) 321 (C.S.C.), ainsi que dans Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée et al. (2006), 49 C.P.R. (4th) 401 (C.S.C.).]

[131]       Se fondant sur Cheung’s Bakery Products Ltd. c. Saint Anna Bakery Ltd. (1992), 46 C.P.R. (3d) 261 (C.O.M.C.) [Cheung’s Bakery], la Requérante fait valoir dans son plaidoyer écrit que [TRADUCTION] « c'est l'impression produite sur l'ensemble des Canadiens, et non pas seulement sur ceux qui parlent et comprennent le chinois, qui doit être prise en considération ». Elle soutient que la nature particulière de la police et du style des quatre caractères chinois et la présence de [TRADUCTION] « l'expression anglaise » TRI OPTICAL suffisent à infirmer toute probabilité de confusion.

[132]       Je tiens à souligner que M. le juge Evans a examiné la décision Cheung's Bakery dans Cheung Kong (Holdings) Ltd. c. Living Realty Inc. (1999) 4 C.P.R. (4th) 71 (C.F. 1re inst.) [Cheung Kong], où il a formulé les observations suivantes :

62        Une fois de plus, suivant mon interprétation, le registraire a voulu dire que, vu l'ensemble de la preuve dont il disposait, il ne pouvait conclure qu'un nombre "important" de consommateurs des marchandises auxquelles les marques en question sont associées reconnaîtraient la similitude des caractères chinois figurant sur les deux marques. Je ne crois pas que le registraire ait affirmé que, pour ce qui est de déterminer les risques de confusion, le "Canadien moyen" ne pourrait jamais être une personne qui ne comprend pas la langue étrangère en cause et qu'en droit, la langue comprise par le "consommateur moyen" des marchandises ou services en cause ne saurait faire partie des "circonstances de l'espèce" dont le registraire doit tenir compte.

[133]       Le juge Evans est arrivé dans Cheung Kong à la conclusion qu'il peut s'avérer nécessaire de prendre en considération la possibilité de confusion pour les personnes qui comprennent aussi bien le chinois que l'anglais. Voici un extrait du raisonnement qui l'a conduit à cette conclusion :

63        L'avocate de l'opposante m'a cité certaines décisions à l'appui de la proposition plus générale suivant laquelle le critère applicable en matière de confusion est celui de la confusion créée dans l'esprit du "consommateur moyen". Elle ajoute que cette personne fictive doit être identifiée en fonction des consommateurs effectifs du produit auquel la marque est associée. Ainsi, la question de savoir si une marque risque de créer de la confusion est une question qui doit être posée, non pas dans l'abstrait, mais en fonction du marché concret dans lequel les marchandises ou services sont offerts.

 

64        Ainsi, dans le jugement Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Canada's Manitoba Distillery Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.), le juge Cattanach a fait remarquer (à la page 5) :

 

Lorsqu'il s'agit de dire si deux marques de commerce peuvent être confondues, il faut prendre en considération les personnes qui achèteront vraisemblablement les marchandises, c'est-à-dire les personnes qui forment habituellement le marché, c'est-à-dire les consommateurs.

 

[…]

 

65        L'application de ce principe à la question en litige en l'espèce ferait en sorte que, si l'on peut inférer de la preuve qu'un pourcentage important des consommateurs probables des services offerts par Living Realty connaissent bien les caractères chinois, le registraire devrait tenir compte de ce facteur en tant que "circonstances de l'espèce" pour statuer sur les risques de confusion avec la marque de Cheung Kong.

 

[134]       Des faits particuliers de la présente espèce et de la preuve au dossier, je conclus qu’il convient en l’espèce de prendre en considération la possibilité de confusion que la Marque représente pour les personnes qui comprennent aussi bien le chinois que l'anglais. L'application du test en matière de confusion m'amène à conclure que la Requérante ne s'est pas acquittée de son fardeau de me convaincre, suivant la prépondérance des probabilités, de l'improbabilité de la confusion quant à la source des Marchandises et des Services. Je fonde ma conclusion sur le fait que chacun des facteurs des alinéas a) à d) du paragraphe 6(5) jouent en faveur de l'Opposante. Pour ce qui concerne le facteur 6(5)e), il faut se rappeler que la Requérante a inclus la Marque citée dans la Marque. Même si les mots TRI OPTICAL introduisent entre les deux marques de commerce des différences dans la présentation et le son, je conclus que leur ressemblance dans les idées qu'elles suggèrent à ceux qui sont capables de lire les caractères chinois qu'elles ont en commun l'emporte sur ces différences.

[135]       Je conclus de ce qui précède que le motif d'opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif doit être accueilli dans la mesure où il est fondé sur la confusion entre la Marque et la Marque citée employée par 1120931, licenciée de l'Opposante, dans l'exploitation de son établissement franchisé.

Décision

[136]       Compte tenu de ce qui précède, je repousse, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions du paragraphe 63(3) de la Loi, la demande d'enregistrement selon les dispositions du paragraphe 38(8) de la Loi.

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Céline Tremblay

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

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