Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

Informations sur la décision

Contenu de la décision

TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

PROCÉDURE PrÉVUE À L’ARTICLE 45

MARQUE DE COMMERCE : double double

NUMÉRO D’ENREGISTREMENT : TMA 496,628

 

 

Le 19 mai 2004, sur demande de MM. Fasken Martineau DuMoulin s.r.l. (la partie requérante), le registraire a fait parvenir l’avis prescrit à l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce à In-N-Out Burgers, propriétaire inscrite de la marque de commerce susmentionnée (l’inscrivante).

 

La marque de commerce DOUBLE DOUBLE est enregistrée pour être employée en liaison avec les marchandises suivantes : « hamburgers au fromage », et avec les services suivants : « sandwich préparé spécialement faisant partie des services de restauration ».

           

L’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, exige que le propriétaire inscrit de la marque de commerce indique si la marque a été employée au Canada en liaison avec chacune des marchandises ou chacun des services que spécifie l’enregistrement à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. L’article 45 exige que la preuve de l’emploi soit établie au moyen d’un affidavit ou d’une déclaration solennelle. Dans le cas présent, la propriétaire inscrite doit démontrer l’emploi de la marque à un moment quelconque entre le 19 mai 2001 et le 19 mai 2004. 

 

L’emploi en liaison avec des marchandises est défini au paragraphe 4(1) de la Loi sur les marques de commerce :

Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

Le paragraphe 4(3) de la Loi contient des dispositions particulières en matière d’exportation de marchandises, mais ces dispositions ne s’appliquent pas en l’espèce.

 

En réponse à l’avis du registraire, l’inscrivante a déposé l’affidavit de M. Arnold M. Wensinger, qui, lui-même, y joint comme pièce 1 l’affidavit de M. Rick G. Pendleton. Les deux parties ont soumis des observations écrites, et une audience a été tenue.

 

Dans ses observations écrites, la partie requérante fait référence à une correspondance échangée entre l’inscrivante et un de ses concurrents, et joint des copies de ces documents à ses observations.

 

Le paragraphe 45(2) de la Loi prévoit :

Le registraire ne peut recevoir aucune preuve autre que cet affidavit ou cette déclaration solennelle [celle du titulaire, conformément au paragraphe 45(1)], mais il peut entendre des représentations faites par le propriétaire inscrit de la marque de commerce ou pour celui-ci ou par la personne à la demande de qui l’avis a été donné ou pour celle-ci.

 

De plus, il est bien établi dans la jurisprudence que la partie requérante ne peut produire sa propre preuve devant le registraire, non plus qu’en appel d’une décision du registraire dans le cadre d’une procédure engagée en vertu de l’article 45 (Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc. (1980), 53 C.P.R. (2d) 62 (C.A.F.); Société Nationale des Chemins de Fer Français SNCF c. Venice Simplon-Orient-Express, Inc. (1996), 64 C.P.R. (3d) 87 à la page 89).

 

Vu les dispositions du paragraphe 45(2) de la Loi et la jurisprudence, il a été décidé à l’audience que le tribunal ferait abstraction des documents et de toute référence à ces documents dans la présente instance.

 

La partie requérante a avancé plusieurs arguments techniques quant à la preuve de l’inscrivante. En premier lieu, elle a soutenu que les affidavits souscrits respectivement par MM. Wensinger et Pendleton devraient être tenus pour inadmissibles parce qu’ils ne précisent pas avoir été faits « under oath » [sous serment]. Toutefois, je remarque que chacun des deux affidavits commence par les mots [traduction] « Je, …, résident de …, en Californie, dûment assermenté, déclare ce qui suit » et se termine par le constat d’assermentation [traduction] « assermenté devant moi dans la ville de … » suivi de la signature et du sceau d’un notaire public chargé de recevoir les affidavits dans l’État de Californie.

 

Vu ce qui précède, compte tenu de l’alinéa 52e), de l’article 53 et du paragraphe 54(2) de la Loi sur la preuve au Canada, qui confirment l’admissibilité des affidavits reçus à l’extérieur du Canada, conformément à la pratique du registraire de reconnaître les affidavits souscrits à l’étranger et faute, enfin, de quelque indication que ces affidavits n’ont pas été dûment assermentés et signés conformément aux lois de la Californie, j’ai conclu que les affidavits sont acceptables pour les besoins de l’instance.

 

La partie requérante a formulé d’autres objections techniques à la preuve, alléguant notamment que les pièces ne sont pas acceptables parce qu’elles n’ont pas été légalisées. Que le droit californien exige ou non l’attestation des pièces, il s’agit en l’occurrence d’un argument technique qui cadre plutôt mal avec l’objet de l’article 45 de la Loi, une procédure sommaire destinée à éliminer le bois mort du registre et à protéger le propriétaire inscrit d’une marque de commerce contre toute tentative injustifiée de la faire radier (Re Wolfville Holland Bakery Ltd., (1964) 42 C.P.R. 88 (Cour de l’Échiquier du Canada)). 

 

Dans Beiersdorf AG c. Future International Diversified Inc. (2003), 23 C.P.R. (4th) 555, M. Partington, alors président de la Commission des oppositions des marques de commerce, a fait remarquer que :

 

Même si un tribunal arriverait probablement à la conclusion que de telles pièces sont irrecevables [voir, à titre d’exemple, l’affaire Re Andres Wines Ltd. c. E. & J. Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126 (C.A.F.), aux pages 135 et 136], le registraire n’est pas tenu de suivre rigoureusement les règles de pratique de la Cour fédérale en matière d’admissibilité des pièces. Par conséquent, le registraire tiendra compte des pièces non légalisées admissibles lorsque la partie adverse ne s’y oppose pas ou lorsqu’une objection est soulevée à un stade à ce point tardif de l’opposition que la partie ayant présenté cet élément de preuve n’a peu ou pas l’occasion de remédier au défaut. 

 

Cette décision m’apparaît instructive dans la mesure où elle indique clairement que le registraire n’est pas tenu de suivre rigoureusement les Règles de la Cour fédérale en matière d’admissibilité des pièces. Aussi, vu l’objet de la procédure prévue à l’article 45 et à défaut d’argument visant à établir que la loi californienne exige des pièces légalisées, je suis disposée à accepter les pièces non légalisées.

 

La partie requérante conteste aussi le fait que l’affidavit de M. Pendleton est présenté comme pièce jointe à l’affidavit de M. Wensinger. Je tiens à souligner que rien n’empêche le titulaire de l’enregistrement de déposer plus d’un affidavit dans une procédure fondée sur l’article 45 (Registraire des marques de commerce c. Harris Knitting Mills Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 488), et que l’inscrivante aurait pu déposer l’affidavit de M. Pendleton de façon autonome. Quoi qu’il en soit, M. Wensinger affirme clairement au paragraphe 5 de son affidavit qu’il est personnellement au courant des déclarations faites dans l’affidavit de M. Pendleton et qu’il en confirme la véracité, celles‑ci concordant avec son expérience personnelle et avec les dossiers de sa société. Par ailleurs, il fait siennes les déclarations de M. Pendleton. J’estime en conséquence que l’affidavit de M. Pendleton est acceptable pour les besoins de l’espèce. 

 

Compte tenu de ce qui précède, et dans la perspective de veiller à ce que les recours engagés en vertu de l’article 45 visent l’objectif exposé dans la décision Re Wolfville Holland Bakery Ltd (précitée), à savoir éliminer le bois mort du registre tout en protégeant le propriétaire inscrit contre les tentatives injustifiées de faire radier la marque en cause, je suis disposée à accepter dans leur intégralité les affidavits de MM. Wensinger et Pendleton.

 

Passant à la preuve au fond, voici le résumé des points pertinents qui ressortent des affidavits de MM. Wensinger et Pendleton :

 

M. Wensinger déclare que l’inscrivante n’a pas employé la marque de commerce DOUBLE DOUBLE au Canada, à l’exception du 16 juillet 2003. Il déclare qu’au printemps 2003, approximativement, sa société a décidé de commencer à vendre et à commercialiser ses produits de restauration-minute au Canada et qu’elle prévoyait en faire le lancement au cours de l’été 2003. Le 16 juillet, sa société a organisé un barbecue sur le terrain de Volvo Trucks of Vancouver; les détails de cet événement sont exposés dans l’affidavit de M. Pendleton. Plus précisément, M. Wensinger explique que sa société a conclu un contrat avec Volvo pour offrir des hamburgers, notamment des hamburgers au fromage, ainsi qu’un sandwich préparé spécialement faisant partie des services de restauration. Lors de ce barbecue, on a servi un grand nombre de hamburgers DOUBLE DOUBLE au fromage, présentés dans des enveloppes affichant la marque de commerce en cause, dont un échantillon est joint comme pièce K à l’affidavit de M. Pendleton. La pièce B de l’affidavit de ce dernier comprend des copies du contrat de services de restauration ambulants, une annexe A qui énumère les produits de restauration offerts par l’inscrivante lors de barbecues, parmi lesquels les hamburgers DOUBLE DOUBLE au fromage, ainsi que la facture adressée à Volvo Trucks of Vancouver pour le barbecue, qui dresse la liste des produits de restauration vendus et fait état notamment des hamburgers DOUBLE DOUBLE au fromage. Une copie d’un message publicitaire annonçant les hamburgers DOUBLE DOUBLE au fromage et invitant tout titulaire d’un permis de conduire de « classe 1 » à venir les déguster chez Volvo Trucks of Vancouver le 16 juillet est jointe comme pièce J à l’affidavit de M. Pendleton. Au paragraphe 3 de l’affidavit, ce dernier explique ses responsabilités à titre de gérant des activités de la caravane In-N-Out Burger’s Cookout. Il déclare que ces activités sont offertes toute l’année pour des barbecues sur des sites temporaires où l’on ne trouve encore aucun service de restauration permanent; de plus, une copie d’une page Web, jointe aux documents, annonce que les services de barbecue de la caravane peuvent être loués pour des événements spéciaux.

 

Il ressort clairement des deux affidavits que l’inscrivante exploite aux États-Unis des restaurants qui proposent des services de restauration ambulants que l’on peut louer pour des événements spéciaux et qui servent aussi pour la promotion et les essais de commercialisation des produits de restauration de l’inscrivante en de nouveaux endroits. De fait, l’inscrivante emploie un gestionnaire des services de barbecue ambulants, M. Pendleton. Il appert également que les services et la restauration fournie à Volvo Trucks of Canada comprenaient des hamburgers DOUBLE DOUBLE au fromage, qui ont été offerts au public dans un emballage affichant la marque de commerce en cause, dans le contexte global de la transaction commerciale conclue entre l’inscrivante et Volvo.

 

La partie requérante a plaidé que puisque l’inscrivante n’a pas encore pris la décision d’exploiter des restaurants au Canada, les activités isolées du 16 juillet devraient être considérées comme un emploi « symbolique » et non comme un emploi dans la pratique normale du commerce au Canada. Le droit sur cette question est bien établi : la preuve d’une seule vente, en gros ou au détail, effectuée dans la pratique normale du commerce, peut suffire à satisfaire aux dispositions de l’article 45 de la Loi pour autant qu’il s’agisse d’une véritable transaction commerciale et qu’elle ne soit pas perçue comme ayant été fabriquée ou conçue délibérément pour protéger l’enregistrement de la marque de commerce (Osler, Hoskin & Harcourt c. Canada (Registraire des marques de commerce (1997), 77 C.P.R. (3d) 475; Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1987), 13 C.P.R. (3d) 289, à la page 293; Quarry Corp.c. Bacardi & Co. (1996), 72 C.P.R. (3d) 25; Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. et al. (no 2) (1987), 17 C.P.R. (3d) 237; Coscelebre, Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1991), 35 C.P.R. (3d) 74; Pernod Ricard c. Molson Companies Ltd. (1987), 18 C.P.R. (3d) 160).

 

Les faits de l’espèce diffèrent des circonstances exposées dans la décision Sim & McBurney c. Majdell Mfg. Co. Ltd. (1986), 11 C.P.R. (3d) 306 (C.F. 1re inst.), invoquée par la partie requérante, car dans cette affaire aucune déclaration n’indiquait que les ventes avaient été réalisées dans la pratique normale du commerce et aucun indice ne permettait à la Cour de se prononcer sur la nature de la pratique normale du commerce exploité par l’inscrivant. Dans le cas qui nous occupe, à la différence de l’affaire Sim & McBurney, de nombreux éléments de preuve situent le contexte de l’événement du 16 juillet. Puisque l’inscrivante déclare que l’activité du 16 juillet résume l’ensemble de ses ventes au Canada, l’on ne peut pas raisonnablement s’attendre à ce qu’elle produise des données concernant le volume des ventes, le nombre de ses clients et les endroits où ils se trouvent au Canada, etc., données que la partie requérante présente comme étant une exigence. L’interprétation raisonnable de l’affidavit m’amène à conclure que l’événement du 16 juillet consiste en une véritable transaction commerciale, puisque les services de barbecue ambulants qui ont servi à la vente des hamburgers DOUBLE DOUBLE au fromage constituaient des services établis qui faisaient partie de la pratique normale du commerce de l’inscrivante. 

 

Par ailleurs, il importe d’examiner l’affidavit dans son ensemble, notamment quant à la nature du commerce du titulaire d’un enregistrement et quant au genre de preuve disponible, plutôt que de s’attacher à la preuve qui pourrait être souhaitable. Je relèverai la remarque suivante du juge Mahoney dans la décision Union Electric Supply Co. Ltd. c. Registraire des marques de commerce, 63 C.P.R. (2d) 56, à la page 60 :

 

Il est indubitable que le genre de preuve nécessaire pour « indiquer » l’emploi d’une marque de commerce au Canada variera d’une affaire à l’autre, en partie selon la nature du commerce du propriétaire inscrit, qu’il s’agisse, par exemple, d’un manufacturier, d’un détaillant ou d’un importateur, et selon ses pratiques commerciales. 

 

Une approche trop technique ne convient pas à l’objet de la procédure prévue à l’article 45, ainsi que l’énonce l’arrêt John Labatt Ltd. c. Rainier Brewer Co. et al. (1984), 80 C.P.R. (2d) 228 :

Le propriétaire doit démontrer à la satisfaction du registraire qu’il emploie la marque de commerce. La législation sur les marques de commerce ne crée pas un processus hautement technique par lequel une tierce partie peut usurper les droits d’un utilisateur antérieur de la marque […]

 

À la lecture de la preuve soumise par affidavit, je suis disposée à conclure que la vente à Volvo de hamburgers DOUBLE DOUBLE pour l’événement du 16 juillet 2003 et la distribution des hamburgers au public à cette occasion constituent un emploi au Canada, dans la pratique normale du commerce, de la marque en cause, laquelle était apposée sur les marchandises et services. Si la partie requérante désire soumettre des éléments de preuve pour contredire l’affidavit, elle doit le faire par les autres moyens à sa disposition.

 

Quant à savoir si les marchandises et services de l’inscrivante tels qu’ils sont décrits dans la preuve concordent avec l’enregistrement, je signalerai la définition qu’offre du mot « sandwich » le dictionnaire The American Heritage® Dictionary of the English Language, Fourth Edition, Houghton Mifflin Company, 2004, Dictionary.com :

 

« 1 a: two or more slices of bread or a split roll having a filling in between    b: one slice of bread covered with food » [1 a : au moins deux tranches de pain ou un petit pain tranché en deux, avec une garniture placée entre les tranches.

  b : une tranche de pain recouverte de nourriture

 

 

Le dictionnaire English Language, Fourth Edition, Houghton Mifflin Company, 2004, Dictionary.com, donne la définition suivante de « restaurant » :

 

« A place where meals are served to the public » [Un endroit où l’on sert des repas au public]

 

À la lumière de ces définitions tirées des dictionnaires, je suis prête à conclure, suivant une interprétation raisonnable de l’état déclaratif des marchandises qui figure dans l’enregistrement, que l’on peut considérer qu’en vendant ses hamburgers DOUBLE DOUBLE au fromage, l’inscrivante a vendu des « sandwich[s] préparé[s] spécialement faisant partie des services de restauration », puisque le hamburger au fromage consiste en deux tranches de pain ou d’un petit pain entre lesquelles on place une garniture (le hamburger au fromage). De plus, je suis convaincue que l’on peut considérer les services de caravane ambulante pour les barbecues comme des services de restauration, étant donné qu’en l’occurrence la caravane In-N-Out Burger est un endroit où l’on sert des repas au public.

 

Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que la marque de commerce DOUBLE DOUBLE qui porte le numéro d’enregistrement TMA 496,628 devrait être maintenue au registre, conformément au paragraphe 45(5) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13.

 

FAIT À GATINEAU (QUÉBEC), LE 27 MARS 2007.

 

 

P. Heidi Sprung

Commissaire, Commission des oppositions des marques de commerce

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.