Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de

la Banque Toronto-Dominion à la demande no 787,304

produite pour le compte d’Evergreen Savings Credit Union en vue de

l’enregistrement de la marque de commerce EVERGREEN SAVINGS CREDIT UNION

 

Le 12 juillet 1995, Evergreen Savings Credit Union, la requérante, a demandé l’enregistrement de la marque de commerce EVERGREEN SAVINGS CREDIT UNION.  La demande reposait sur l’emploi de ladite marque au Canada depuis le mois de mai 1986 au moins, en liaison avec des services financiers, nommément l’exploitation d’une coopérative de crédit.

 

La demande a été annoncée pour fins d’opposition dans l’édition du Journal des marques de commerce du 22 mai 1996.  L’opposante, Banque Toronto-Dominion, a déposé sa déclaration d’opposition le 18 octobre 1996.  La requérante a produit et signifié une contre‑déclaration, dans laquelle elle nie les allégations de l’opposante.

 

L’opposante a déposé l’affidavit d’Ann Holtby pour satisfaire aux exigences de preuve énoncées à la règle 41.  Mme Holtby a été contre‑interrogée; la transcription du contre‑interrogatoire et les réponses fournies par suite des engagements pris pendant celui‑ci ont été versés au dossier.

 

La requérante a produit l’affidavit de Greg Longster pour satisfaire aux exigences de preuve énoncées à la règle 42.  Elle a également été autorisée, sous le régime de la règle 44(1), à produire l’affidavit de Linda Elford, un affidavit complémentaire de Greg Longster et l’affidavit de Verna Smith.

 

Seule la requérante a produit un plaidoyer écrit.

 

Une audience orale a été demandée mais, à la dernière minute, les deux parties ont décidé de ne pas y prendre part.

 

Bien que le fardeau de la preuve en matière d’opposition repose en définitive sur la requérante, l’opposante assume le fardeau initial d’établir par une preuve suffisante la véracité de ses allégations.

 

L’opposante soutient que la demande d’enregistrement n’est pas conforme à l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce.  Ce motif d’opposition repose sur deux arguments.  L’opposante fait valoir premièrement, en s’appuyant sur l’alinéa 30i), que, vu l’usage abondant fait par l’opposante de certains noms commerciaux et marques de commerce, la requérante ne pouvait déclarer être convaincue qu’elle avait le droit d’employer la marque.  Ce motif ne peut être retenu parce que l’opposante n’a invoqué ni la confusion ni la connaissance par la requérante de l’emploi des marques par l’opposante.  Deuxièmement, l’opposante affirme, sur le fondement l’alinéa 30b), que la requérante n’a pas employé la marque depuis la date où elle a prétendu avoir commencé à l’utiliser.  Ce motif non plus ne peut être reçu parce que rien dans la preuve ne me permet de mettre en doute la date du début de l’emploi déclarée par la requérante.

Le principal motif d’opposition est que la marque de commerce de la requérante n’est pas distinctive car elle ne distingue véritablement les services de la requérante des services de la Banque visés par les marques de commerce et noms commerciaux EVERGREEN, EVERGREEN INVESTMENT SERVICES, TD EVERGREEN et TD EVERGREEN INVESTMENT SERVICES ou n’est pas adaptée à les distinguer.  Selon l’interprétation que la requérante fait de ce motif, il alléguerait que la marque EVERGREEN SAVINGS CREDIT UNION crée de la confusion avec les marques et nom commerciaux de l’opposante.

 

C’est à la requérante qu’il incombe de prouver que sa marque est adaptée à distinguer ou qu’elle distingue véritablement au Canada ses services de ceux de l’opposante [Muffin Houses Incorporated c. The Muffin House Bakery Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 272 (C.O.M.C.)].  Toutefois, l’opposante assume le fardeau de prouver les allégations de fait étayant le motif d’absence de caractère distinctif.  Elle doit démontrer que le 18 octobre 1996, ses noms commerciaux et marques de commerce avaient une notoriété suffisante pour empêcher la marque de la requérante d’acquérir un caractère distinctif [voir Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44, p. 58 (C.F. 1re inst.), E. & J. Gallo Winery c. Andres Wines Ltd (1975), 25 C.P.R. (2d) 126, p. 130; [1976] 2 C.F. 3 (C.A.F.) et Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 412, p. 424 (C.A.F.)]. 

 

Avant d’examiner la preuve en fonction de la date pertinente du 18 octobre 1996, je traiterai de l’argument préliminaire de la requérante selon lequel il y a lieu d’exclure l’affidavit de Mme Holtby en raison du refus de cette dernière de répondre à certaines questions lors du contre‑interrogatoire.  Les questions visées par ce refus portaient principalement sur l’opinion de la témoin sur la question de savoir si certaines déclarations du plaidoyer écrit déposé par l’opposante dans une autre opposition étaient applicables en l’espèce.  Mme Holtby est la chargée principale du Marqueting pour TD Evergreen Investment Services, une division de TD Securities Inc., titulaire d’une licence relative à l’emploi de la marque de commerce EVERGREEN et d’autres marques EVERGREEN possédées par  l’opposante.  Je ne trouve pas déraisonnable que l’agent de l’opposante n’ait pas permis à Mme Holtby de répondre à des questions touchant l’applicabilité de déclarations faites dans une autre instance d’opposition.  Je ne trouve pas non plus à redire au fait qu’elle n’ait pas répondu à la question cherchant à savoir pourquoi la Banque avait élevé la présente opposition.  De toute évidence, Mme Holtby était étrangère à l’argumentation soumise dans la précédente opposition et elle n’a été partie non plus à la décision de présenter la présente opposition.  Enfin, je ne tire aucune conclusion négative du fait que Mme Holtby ait refusé de dire si elle pensait, en regardant les deux marques ensemble, qu’elles étaient semblables au point qu’un client potentiel pourrait entrer dans la caisse d’économie Evergreen en croyant qu’il faisait affaires avec TD Evergreen.  Premièrement, le critère applicable n’exige pas une comparaison des deux marques en regard l’une de l’autre et, deuxièmement, il semble que la requérante cherche à obtenir de la témoin une réponse équivalant à une conclusion de droit, or c’est à moi qu’il revient de tirer de telles conclusions.

 

Mme Holtby atteste que la société qui l’emploie est une  « société de courtage multiservices, offrant aux particuliers la gamme complète des produits et des conseils en matière de placement », notamment les actions, les CPG, les RÉR, les FRR, les fonds mutuels et les obligations.  Avant juin 1994, TD Evergreen Investment Services annonçaient ses bureaux au moyen de panneaux portant les mots EVERGREEN INVESTMENT SERVICES.  Après cette date, les lettres TD ont été ajoutées à EVERGREEN INVESTMENT SERVICES et, le 1er janvier 1996, les panneaux annonçaient simplement TD EVERGREEN.  Toutefois, aucune photo de ces panneaux n’a été déposée.  Comme la date pertinente est le 18 octobre 1996, je commencerai par examiner l’emploi des mots TD EVERGREEN à cette date.

 

Après avoir passé en revue les pièces jointes à l’affidavit de Mme Holtby, je n’ai trouvé comme documents démontrant l’emploi de TD EVERGREEN avant le 18 octobre 1996 que les bulletins envoyés aux clients, déposés sous la cote G.  Mme Holtby a déclaré qu’en 1996, il y avait environ 60 000 comptes actifs.  Compte tenu de sa déclaration qu’à cette date un particulier pouvait tout au plus avoir deux comptes, je suis en mesure de conclure qu’au moins 30 000 personnes ont reçu ces bulletins.

 

Pendant son contre‑interrogatoire, Mme Holtby a reconnu que vers janvier 1996 la Banque a systématisé l’emploi de TD EVERGREEN plutôt que celui d’EVERGREEN seul.  Elle a convenu que sur le plan du marketing, les lettres TD constituent une marque puissante.  Cela ne signifie pas toutefois que le mot EVERGREEN n’était pas employé de façon non officielle [questions 126-133, 209-211].  Par conséquent, je vais donc examiner la preuve de l’emploi d’EVERGREEN seul au 18 octobre 1996.

 

La meilleure preuve de cet emploi est la brochure jointe à l’annexe C qui, selon Mme  Holtby, a été distribuée jusqu’au mois de novembre 1995.  Bien que la témoin ait déclaré dans son affidavit que le public en général pouvait avoir accès à ce document, elle a reconnu dans son contre‑interrogatoire que les destinataires ciblés étaient les courtiers potentiels.  En fait, la brochure s’apparente davantage à un document de recrutement.  Il appert également que le mot EVERGREEN apparaissait dans le haut des relevés de compte envoyés aux clients et que cet emploi aurait duré de septembre 1993 à août 1994.  Après cette date, EVERGREEN a été remplacé par TD EVERGREEN.

 

Mme Holtby déclare que la brochure formant l’annexe C renferme également les marques de commerce EVERGREEN INVESTMENT SERVICES et TD EVERGREEN INVESTMENT SERVICES.  La pièce C semble constituer la meilleure preuve de l’utilisation de ces marques avant la date pertinente, mais comme elle concerne l’emploi auprès de l’opposante, elle n’est pas d’une grande pertinence.  Je constate également qu’on y lit les mots TD EVERGREEN INVESTMENT SERVICES INC., non TD EVERGREEN INVESTMENT SERVICES.

 

Compte tenu de la preuve, je conclus que la marque TD EVERGREEN de l’opposante avait acquis une certaine réputation à la date pertinente.

 

M. Longster est le directeur du marketing et des communications de la requérante.  Il atteste que depuis le mois de mai 1986 la requérante emploie les mots EVERGREEN SAVINGS CREDIT UNION sur à peu près tout son matériel promotionnel et publicitaire et ses imprimés.  Il a fourni de nombreux échantillons des ces documents relativement à une période allant d’août 1986 à juillet 1996.  La requérante fournit une gamme complète de services financiers dans la région centre-nord de l’île de Vancouver.  Sa clientèle se compose exclusivement de membres de la coopérative, qui doivent faire l’acquisition d’une part comme condition d’adhésion.

 

Mme Smith a fourni un article de journal et d’autres documents où l’on peut lire que TD EVERGREEN est maintenant exploitée sous le nom de TD Waterhouse Investment Advice.  Il semble toutefois que ce changement soit survenu au mois de juillet 2002, c’est‑à‑dire bien après la date pertinente pour l’examen de la présente opposition.  Quoi qu’il en soit, cela explique peut‑être pourquoi l’opposante n’a pas présenté d’observations, ni écrites ni verbales, à l’appui de ses allégations.

 

Mme Elford, recherchiste en marques de commerce, a produit une copie du plaidoyer écrit que l’opposante avait déposé dans l’instance en opposition visant sa demande d’enregistrement (no 740,605) de la marque TD EVERGREEN.  La requérante s’appuie sur cet élément de preuve pour plaider la préclusion et faire valoir que l’opposante ne peut invoquer l’existence d’un risque de confusion entre TD EVERGREEN et  EVERGREEN SAVINGS CREDIT UNION parce qu’elle a déjà soutenu qu’il n’y a pas de risque de confusion entre TD EVERGREEN et EVERGREEN CANADA-ISRAEL INVESTMENTS.  Elle cite l’arrêt de la Cour suprême du Canada S.C. Johnson & Son, Ltd. et al. c. Marketing International Ltd. (1979), 44 C.P.R. (2d) 16; [1980] 1 R.C.S. 99, dans lequel la Cour devait trancher si la marque BUGG OFF de la défenderesse contrefaisait la marque déposée OFF! de la demanderesse, dans un contexte où la demanderesse avait soutenu, lors de l’examen de sa demande d’enregistrement qu’OFF! ne créait pas de confusion avec BUGZOFF.

 

L’ensemble des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi favorise la requérante.  EVERGREEN SAVINGS CREDIT UNION possède un caractère distinctif inhérent assez élevé, et TD EVERGREEN est intrinsèquement distinctive.  La notoriété acquise par chaque marque favorise la requérante.  La période pendant laquelle chacune des marques a été en usage favorise également la requérante.  Les services des deux parties et leur commerce se ressemblent dans la mesure où les deux entreprises offrent des services financiers, mais ils diffèrent du fait que la requérante est une coopérative de crédit dont les services ne sont offerts qu’à ses membres et l’opposante, une banque qui cherche à offrir ses services aux membres du public en général intéressés au placement.  Habituellement, les gens choisissent avec prudente leurs fournisseurs de services financiers et, en ce qui concerne la ressemblance entre les marques, l’on constate que l’opposante a décidé de mettre l’accent sur sa réputation comme banque en plaçant sa marque distinctive TD au début de la marque de commerce en cause et, donc, en position dominante.  La marque de la requérante, quant à elle, attire l’attention sur la nature coopérative de l’entreprise.  Comme autre circonstance pertinente, on remarque l’absence de cas de confusion malgré la coexistence des marques.  Il va de soi que l’opposante n’a pas à prouver la confusion, mais l’absence de cas réels de confusion permet de tirer une conclusion négative quant aux allégations de l’opposante [voir Monsport Inc. c. Vêtements de Sport Bonnie (1978) Ltée (1988), 22 C.P.R. (3d) 356 (C.F., 1re inst.), Mercedes-Benz A.G. c. Autostock Inc. (formerly Groupe T.C.G. (Québec) Inc.), 69 C.P.R. (3d) 518 (C.O.M.C.)].

 

Il n’y a aucun élément de preuve indiquant que la marque de la requérante ait acquis une notoriété hors de l’île de Vancouver.  Je ne puis donc conclure que cette marque distingue les services de la requérante dans tout le Canada.  J’ai toutefois la conviction qu’elle peut les distinguer.  Il appert en effet que les marques des parties ont coexisté dans l’île de Vancouver sans créer de confusion, ce qui veut dire que la marque de la requérante distingue véritablement les services de cette dernière de ceux de l’opposante dans cette région et qu’il est donc probable qu’elle est adaptée à les distinguer ailleurs au Canada.  Il faut se rappeler qu’en l’espèce, la requérante a commencé à employer sa marque longtemps avant l’opposante. 

 

Pour s’acquitter de son fardeau de preuve, il suffit que la requérante me convainque que l’existence du fait contesté est plus probable que son inexistence.  En l’espèce, je suis d’avis que la prépondérance des probabilités que la marque de la requérante puisse distinguer les services de celle‑ci de ceux de l’opposante dans tout le Canada favorise la requérante.

 

Par conséquent, en vertu de la délégation des pouvoirs du registraire faite sous le régime de paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition, en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

FAIT À TORONTO (ONTARIO), LE 20 FÉVRIER 2004.

 

Jill W. Bradbury

Commission d’opposition des marques de commerce

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