Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2011 COMC 43      

Date de la décision : 2011-03-11

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION produite par Molson Canada 2005 à l’encontre de la demande d’enregistrement no 1305674 pour la marque de commerce BEER BEER au nom de Drummond Brewing Company Ltd.

 

 

 

Le dossier

[1]               Le 16 juin 2006, Drummond Brewing Company Ltd. a produit la demande d’enregistrement numéro 1305674 pour la marque de commerce BEER BEER (la Marque).

[2]               La demande a été produite sur le fondement de l’emploi projeté et vise des boissons alcoolisées brassées, nommément de la bière (les Marchandises).

[3]               Par lettre datée du 2 janvier 2007, l’examinateur a soulevé quelques objections fondées sur l’al. 12(1)c) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi; tout autre renvoi à une disposition est un renvoi à la Loi, à moins d’indication contraire), et, sur le fondement de l’art. 35, a demandé un désistement du droit à l’usage exclusif du mot BEER [bière] en dehors de la Marque. L’examinateur était d’avis que BEER était le nom des Marchandises.

[4]                Le 23 avril 2007, la Requérante a produit une demande révisée comprenant le désistement exigé par l’examinateur.

[5]               La demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 20 juin 2007. Molson Canada 2005 (l’Opposante) a produit une déclaration d’opposition le 31 octobre 2007. Le 19 décembre 2007, la Requérante a produit une contre-déclaration dans laquelle elle nie toutes les allégations énoncées dans la déclaration d’opposition.

[6]               L’Opposante a produit en preuve les affidavits de Shana Poplack, Lori Ball et D. Jill Roberts alors que la Requérante a produit l’affidavit de Kevin Woods. Les déposants n’ont pas été contre‑interrogés et aucune preuve en réponse n’a été produite.

[7]               Les deux parties ont produit un plaidoyer écrit, et une audience a été tenue à laquelle seule l’Opposante était présente.

Les motifs d’opposition

[8]               L’Opposante soulève les motifs d’opposition suivants :

1.      La demande ne satisfait pas aux exigences de l’al. 30i) de la Loi en ce que la Requérante ne pouvait être convaincue d’avoir le droit d’employer ou d’enregistrer la Marque. La Requérante savait  parfaitement que la Marque est clairement descriptive et est un bon descripteur susceptible d’être utilisé par quiconque vend de la bière;

2.      La demande n’est pas conforme à l’al. 30e) en ce que la Requérante, elle-même ou par l’entremise d’un licencié, ou elle-même et par l’entremise d’un licencié, n’a pas l’intention d’employer la Marque au Canada comme une marque de commerce, mais plutôt comme un terme descriptif, ou n’a pas l’intention de l’employer du tout;

3.      La Marque n’est pas enregistrable au sens de l’al. 12(1)b) puisqu’elle donne une description claire de la nature ou de la qualité des Marchandises. La Requérante a reconnu la nature descriptive des mots « BEER BEER » en se désistant du droit à l’usage exclusif du mot BEER dans la demande;

4.      La Marque n’est pas enregistrable au sens de l’al. 12(1)c) puisqu’elle est constituée du nom des Marchandises;

5.      La Marque n’est pas enregistrable au sens de l’al. 12(1)e) puisque la Requérante, suivant l’art. 10, n’a pas le droit d’adopter les mots BEER BEER comme une marque de commerce en liaison avec de la bière;

6.      La Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque aux termes de l’al. 16(3)a) parce qu’à toutes les dates pertinentes, la Marque créait de la confusion avec l’emploi antérieur des expressions « BEER BIERE » et « BIERE BEER » par l’Opposante;

7.      La Marque n’est pas distinctive, puisqu’elle ne distingue pas ni n’est adaptée ou apte à distinguer les Marchandises des marchandises et/ou services d’autres propriétaires, y compris la bière vendue par l’Opposante pour les raisons susmentionnées. L’Opposante affirme que le mot BEER est habituellement utilisé par des buveurs de bière pour décrire une bière et par conséquent, l’expression « BEER BEER » n’est pas apte à distinguer les Marchandises de celles d’autres propriétaires. L’Opposante affirme également qu’elle et d’autres brasseries au Canada utilisent l’expression « BEER BIERE » et/ou « BIERE BEER » sur des étiquettes et d’autres emballages utilisés dans la vente de bières. Comme il y a très peu de différences entre ces expressions et l’expression « BEER BEER », la Marque n’est pas adaptée à distinguer les marchandises de celles d’autres propriétaires.

 

Le fardeau de la preuve dans la procédure d’opposition à une marque de commerce

[9]               Bien qu’il incombe à la Requérante de démontrer que sa demande est conforme aux dispositions de la Loi, l’Opposante a toutefois le fardeau initial de présenter suffisamment d’éléments de preuve admissibles à partir desquels on pourrait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition. Si l’Opposante s’acquitte de ce fardeau initial, la Requérante doit ensuite prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les motifs d’opposition ne devraient pas faire obstacle à l’enregistrement de la Marque [voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al. c. Seagram Real Estate Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 325; John Labatt Ltd. c. Les Compagnies Molson Ltée. (1990), 30 C.P.R. (3d) 293; et Wrangler Apparel Corp. c. The Timberland Company, [2005] C.F. 722].

 

Les motifs d’opposition pouvant être rejetés sommairement

[10]           Le premier motif d’opposition, tel qu’il est rédigé, n’est pas convenable en soi. L’alinéa 30i) exige uniquement que la Requérante se déclare convaincue qu’elle a le droit d’enregistrer la Marque. Cette déclaration est comprise dans la demande. Le motif d’opposition fondé sur l’allégation selon laquelle la Marque est clairement descriptive est prévu à l’al. 12(1)b). L’alinéa 30i) peut servir de fondement à un motif d’opposition dans des cas précis, comme lorsque l’on allègue que la Requérante a commis une fraude [voir Sapodilla Co. Ltd. c. Bristol-Myers Co. (1974), 15 C.P.R. (2d) 152]. Cette allégation ne fait pas partie du premier motif d’opposition. Compte tenu de ces circonstances, le premier motif d’opposition est rejeté.

[11]           S’agissant du deuxième motif d’opposition, l’Opposante n’a pas produit d’éléments de preuve pour s’acquitter de son fardeau initial. De plus, l’affidavit de M. Woods, président de la Requérante, comprend des éléments de preuve de l’emploi de la Marque. Par conséquent, le deuxième motif d’opposition est également rejeté.

[12]           Je peux aussi rejeter sommairement le sixième motif d’opposition pour les motifs suivants. Ce motif d’opposition est généralement connu sous le nom de droit à l’enregistrement de la Marque. L’article 16 est le fondement de ce motif d’opposition. En bref, un requérant n’aura pas droit à l’enregistrement d’une marque de commerce si, avant la date de production de la demande, lorsque la demande est fondée sur l’emploi projeté, la marque visée par la demande créait de la confusion avec une marque de commerce ou un nom commercial antérieurement employés ou créait de la confusion avec une marque de commerce à l’égard de laquelle une demande avait déjà été produite.

[13]           Dans sa déclaration d’opposition, l’Opposante ne fait pas référence à une marque de commerce ou à un nom commercial, mais plutôt à [traduction] « une expression », pour reprendre ses propres termes, à savoir BEER-BIÈRE. Madame Ball, directrice, propriété intellectuelle et secrétaire exécutive de l’Opposante, a produit des échantillons d’étiquettes sur lesquelles les mots « beer » et « bière » apparaissent l’une à côté de l’autre. Dans son affidavit, elle explique que, selon les différentes dispositions sur les exigences d’étiquetage (Règlement sur les aliments et drogues, Loi sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation, Règlement sur l’emballage et l’étiquetage des produits de consommation), l’étiquette apposée sur les produits doit préciser la nature du produit dans les deux langues officielles. Il ne fait donc aucun doute que les mots « beer » et « bière » près l’un de l’autre ou l’expression « BEER-BIÈRE » ne sont pas employés dans le contexte d’une marque de commerce ou d’un nom commercial, mais plutôt pour préciser simplement la nature du produit.

[14]           Par conséquent, le sixième motif d’opposition est également rejeté.

Enregistrabilité de la Marque au regard de l’alinéa 12(1)b) de la Loi

[15]           L’Opposante prétend que la Marque n’est pas enregistrable parce qu’elle donne une description claire de la nature ou de la qualité des Marchandises. Il ne fait aucun doute que le mot « beer » donne une description claire de la nature ou de la qualité des Marchandises. En fait, l’examinateur a soulevé cette question et la Requérante a dû se désister du droit à l’usage exclusif du mot « beer » en dehors de la marque de commerce dans son ensemble. Toutefois, la marque de commerce n’est pas BEER, mais BEER BEER.

[16]           Une partie de la preuve de l’Opposante et de l’argumentation des parties porte sur la décision Pizza Pizza Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1982), 67 C.P.R. (2d) 202 (C.F. 1re inst.). Pour bien comprendre les arguments de l’Opposante à cette étape, il est important de résumer les faits dans la décision Pizza Pizza.

[17]           Le registraire a rejeté la demande d’enregistrement de la marque de commerce PIZZA PIZZA en liaison avec des pizzas, des lasagnes, des raviolis, des spaghettis et des sous‑marins; et en liaison avec des services de comptoirs de mets à emporter. La requérante s’est désistée du droit à l’usage exclusif du mot « pizza » en dehors de la marque de commerce.

[18]           Le registraire était d’avis que cette marque de commerce donnait une description claire ou une description fausse et trompeuse de ces marchandises et services. En appel, la requérante a produit des éléments de preuve supplémentaires pour démontrer la mesure dans laquelle son entreprise a pris de l’expansion et qu’elle emploie sa marque de commerce au Canada depuis longtemps. De plus, la requérante a produit l’affidavit du professeur Peter Allan Reich, professeur d’anglais et de linguistique à l’Université de Toronto. Enfin, on a également présenté en preuve un sondage téléphonique pour démontrer que la requérante avait atteint une certaine notoriété sur le marché. Au vu de cet élément de preuve supplémentaire qui n’avait pas été présenté au registraire, la Cour a exercé son pouvoir discrétionnaire et a accueilli l’appel.

[19]           Il ne faut surtout pas oublier que dans la décision Pizza Pizza, le registraire a rejeté la demande à l’étape de la production sur le fondement de l’art. 37, non dans le contexte d’une opposition où le fardeau de la preuve suivant l’art. 38 est différent.

[20]           Afin d’établir une distinction avec la décision Pizza Pizza, l’Opposante a produit l’affidavit de Mme Poplack. Depuis 2001, elle est professeure éminente et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en linguistique du département de linguistique à l’Université d’Ottawa. Depuis 1982, elle est directrice du Laboratoire de sociolinguistique de l’Université d’Ottawa. Elle a un doctorat en linguistique de l’University of Pennsylvania. Elle a également été invitée au fil des ans à enseigner à titre de chercheure invitée, dans beaucoup d’autres universités, aux États-Unis et en Europe. Elle fournit une liste de prix qu’elle a obtenus et décrit le travail qu’elle a effectué au fil des ans, y compris la supervision de travaux d’études supérieures et la publication de livres dans le domaine de la linguistique en général et de la sociolinguistique en particulier. Elle produit une copie de son curriculum vitae. Au vu de ces diplômes et attestations, j’estime que Mme Poplack est une spécialiste en linguistique et en sociolinguistique.

[21]           Elle décrit son mandat comme suit :

[traduction] On m’a demandé de fournir une opinion d’expert à titre de sociolinguiste concernant l’effet de la réitération du mot « beer » dans la marque de commerce BEER BEER, dont une demande a été produite au Bureau des marques de commerce. D’emblée, je suis d’avis que les questions pertinentes à cet égard sont la fréquence de la réitération dans la langue anglaise et l’effet, le cas échéant, sur l’interprétation du mot réitéré.

[22]           On lui a fourni une copie de la présente demande, la décision Pizza Pizza de la Cour fédérale, une copie de l’affidavit du professeur Peter Allen Reich produit dans cette affaire ainsi qu’une copie de l’art. 12 de la Loi. Il est à noter que le professeur Reich a souscrit son affidavit le 10 septembre 1981.

[23]           Madame Poplack affirme que la Marque est un exemple de ce qui est connu en linguistique comme une « réduplication contrastive » (RC). Elle vise la duplication de mots et parfois de syntagmes. Elle affirme que [traduction] « l’effet sémantique de la construction RC est de dénoter l’instance prototypique de l’expression lexicale rédupliquée ». Pour illustrer son point de vue, elle cite l’exemple suivant : « Je ferai la salade de thon, vous ferez la salade salade ».

[24]           Elle cite un extrait d’un article d’un journal intitulé « Natural Language and Linguistic Theory », où les auteurs affirment que la RC restreint l’interprétation de l’élément copié à une lecture « vraie », centrale ou prototypique. Elle cite également Laurence Horn, un linguiste reconnu mondialement selon elle, qui estime que la RC isole (de l’ensemble des acceptions qu’un nom peut avoir) l’acception [traduction] « qui représente une instance vraie, réelle, par défaut ou prototypique ». Selon elle, la RC écarte les dénotations moins prototypiques.

[25]           Elle affirme que le professeur Reich a précisément donné cette signification à cette construction dans son affidavit de 1981 relativement à la décision Pizza Pizza. En fait, le professeur Reich affirme dans son affidavit que « PIZZA PIZZA » indiquerait aux jeunes enfants une « vraie pizza » par opposition à une « pizza congelée ».

[26]           Elle explique ensuite que la langue a évolué en Amérique du Nord depuis le rapport du professeur Reich en 1981. Selon elle, la RC est maintenant très courante en Amérique du Nord. Le Corpus of English contrastive focus reduplications établi par Ghomeshi et al. en liaison avec leur article sur le sujet publié dans Natural Language and Linguistic Theory, 2004 compte 203 exemples d’énoncés comportant des RC.

[27]           Madame Poplack affirme que cette étude a révélé que la RC est utilisée par une multitude de locuteurs, jeunes et vieux. On la retrouve dans des films et dans des transcriptions d’émission de télévision. La RC fait l’objet de bon nombre d’articles scientifiques en linguistique. Elle en énumère quatre qui ont été publiés depuis 1987. Elle affirme que ces publications indiquent que le processus a été suffisamment répandu pour attirer l’attention des linguistes depuis les 20 dernières années au moins.

[28]           Elle en est finalement arrivée aux conclusions suivantes :

  • La RC est une construction linguistique qui fait partie d’un anglais parlé et écrit normal et acceptable;
  • Il y a beaucoup de constructions RC dans la langue anglaise telle qu’elle est parlée et lue par les adultes et les enfants;
  • La RC a une signification descriptive, et cette signification, à en juger par la publication et les 203 exemples qu’elle a examinés, est assez reconnue dans la littérature scientifique et parmi la population nord‑américaine et canadienne. Elle dénote l’acception véritable, centrale ou prototypique du nom.

[29]           Selon son expérience à titre de sociolinguiste et son étude, Mme Poplack croit qu’en voyant la marque de commerce BEER BEER, la personne moyenne interpréterait cette expression comme signifiant la « vraie » bière, par opposition à une bière moins prototypique, comme de la bière légère ou non alcoolisée (ou même inférieure). Elle est d’avis que la réitération du mot « beer » dans la Marque ne modifie pas le sens sous‑jacent du mot rédupliqué. Cette réitération intensifie et oriente le sens de ce mot comme décrivant un exemple de produit « vrai » ou « prototypique ».

[30]           La date pertinente pour examiner un motif d’opposition fondé sur l’al. 12(1)b) est la date de production de la demande (le 16 juin 2006) [voir Dic Dac Holdings (Canada) Ltd c. Yao Tsai Co. (1999), 1 C.P.R. (4th) 263, Zorti Investments Inc. c. Party City Corporation (2004), 36 C.P.R. (4th) 90; Havana Club Holdings S.A. c. Bacardi & Company Limited, (2004) 35 C.P.R. (4th) 541].

[31]           Madame Poplack a souscrit son affidavit le 9 juillet 2008. Or, ses conclusions sont fondées sur des articles écrits en 1987, 1993, 2004 et 2007 (peu de temps après la date pertinente). Par conséquent, je ne vois pas pourquoi ses conclusions seraient différentes si l’affidavit avait été souscrit à la date pertinente. Je suis convaincu que l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve initial.

[32]           Dans son plaidoyer écrit, la Requérante se fonde dans une large mesure sur la décision Pizza Pizza qui permettrait de conclure que la duplication d’un seul mot employé comme une marque de commerce n’a pas la même connotation descriptive que le mot a lorsqu’il est employé seul. Selon elle, la Cour fédérale a conclu que la marque de commerce PIZZA PIZZA n’avait pas la même signification que le mot « pizza » employé seul et était enregistrable en liaison avec des pizzas, parmi d’autres marchandises et services.

[33]           Je ne crois pas que les conclusions dans Pizza Pizza s’appliquent à l’espèce. Madame Poplack a expliqué, en faisant référence aux opinions écrites d’autres spécialistes, que la langue anglaise a évolué au fil des ans. L’opinion du professeur Reich remonte à 1981. De plus, dans Pizza Pizza, la Cour disposait de beaucoup d’éléments de preuve démontrant que la marque de commerce PIZZA PIZZA était employée ainsi qu’une preuve de sondage à l’appui de la prétention de la requérante selon laquelle la marque de commerce était devenue distinctive au sens du par. 12(2).

[34]           Dans 101482 Canada Inc. c. Registraire des marques de commerce (1985), 7 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.), M. le juge Joyal s’est exprimé ainsi concernant la décision Pizza Pizza :

17        Il y a aussi la cause Pizza Ltd. (déjà citée). Cette cause, à mon humble opinion, ne traite que marginalement de la prohibition qui se trouve à l’alinéa 12(1)b). Elle se penche plutôt sur le paragraphe 12(2) de la Loi qui se lit comme suit :

 

12. (2) Une marque de commerce qui n’est pas enregistrable en raison de l’alinéa (1)a) ou b) peut être enregistrée si elle a été employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d’une demande d’enregistrement la concernant.

 

18        Il est à remarquer que ce paragraphe ne peut faire exception à la règle « descriptive » qu’en autant qu’une marque quelconque soit devenue distinctive à la date de la production de la demande. Je ne peux trouver au dossier suffisamment de preuve pour permettre que, tout comme dans la cause Pizza, l’exception prévue au paragraphe 12(2) de la Loi soit appliquée.

 

[35]           La preuve de la Requérante qui pourrait se rapporter à la question du caractère distinctif de la Marque se trouve dans l’affidavit de M. Wood. Ce dernier allègue que la Requérante a commencé à vendre de la bière en liaison avec la Marque en août 2008. Il a produit des factures remontant à octobre 2008, plus de deux ans après la date de production de la demande. Il fournit le chiffre des ventes en date de février 2009, lesquelles totalisent environ 72 000 $. Il a également produit des photos de canettes de bière arborant la Marque.

[36]           Cette preuve ne permet pas d’établir que la Marque est distinctive et est ainsi enregistrable en vertu du par. 12(2). Dans tous les cas, cette disposition prévoit qu’une marque clairement descriptive peut tout de même être enregistrée si le requérant établit qu’elle a été employée au Canada de façon à être devenue distinctive à la date de production de la demande (je souligne).

[37]           L’opinion de la spécialiste Mme Poplack n’a pas été contredite. Elle en est venue à la conclusion que, pour un consommateur moyen, la marque de commerce BEER BEER serait clairement descriptive puisque la répétition du mot bière dans la marque de commerce signifie « vraie bière » par opposition à une bière moins prototypique. Les faits et la preuve en l’espèce sont bien différents de ceux dont la Cour disposait dans Pizza Pizza. Le genre de procédure était différent, tout comme le fardeau de la preuve. Pour ces motifs, je conclus que je peux établir une distinction entre Pizza Pizza et le cas qui nous occupe [voir la décision D&S Meat Products Ltd. c. Peameal Beacon of Canada Ltd., 15 février 2011, C.O.M.C. (non publiée), demande no 1311504].

[38]           La Requérante prétend que depuis la décision Pizza Pizza, le registraire a admis des demandes d’enregistrement de marques de commerce qui consistent en une répétition du même mot. Le dossier ne contient aucune preuve de cette nature. Tout renvoi à des marques de commerce déposées dans les arguments de la Requérante aurait dû être produit dans le cadre de sa preuve. Le pouvoir discrétionnaire du registraire de vérifier le registre ne va pas jusqu’à vérifier les marques de commerce citées dans un plaidoyer écrit. Quoi qu’il en soit, je renvoie aux commentaires de M. le juge Kelen dans Worldwide Diamond Trademarks Limited c. Canadian Jewellers Assoc. (2010), 82 C.P.R. (4th) 435 (C.F. 1re inst.) :

80 L’avocate de la demanderesse a examiné la jurisprudence qui fournit des exemples d’enregistrements de marques de commerce qui sont descriptives. Chaque décision repose sur la preuve et sur la question de savoir s’il y a opposition. En toute déférence, je n’aurais pas suivi le raisonnement adopté dans plusieurs de ces décisions. Je ne pense pas qu’un tel raisonnement reflète l’intention du législateur à l’alinéa 12(1)b). L’avocate de la demanderesse a habilement démontré à la Cour que la jurisprudence étaye les deux points de vue. C’est la difficulté avec ce domaine du droit. Par conséquent, j’estime que certaines décisions en matière de marques de commerce se contredisent.


81 De plus, le fait que le registraire a admis d’autres demandes d’enregistrement, qui pourraient ne pas résister à un examen de ma part, ne signifie pas nécessairement que les marques de la demanderesse doivent être enregistrées elles aussi. La loi reste la loi peu importe si des violations involontaires ont été commises dans le passé.

 

[39]           Dans son plaidoyer écrit, la Requérante affirme que Mme Ball et Mme Poplack fournissent des exemples différents concernant ce qui pourrait être considéré comme une bière moins prototypique. Le fait qu’elles fournissent des exemples différents de ce qui pourrait constituer une « bière moins prototypique » ne concerne pas la nature descriptive de l’expression « beer beer ».

[40]           La Requérante prétend également que ni Mme Ball ni Mme Poplack n’ont été en mesure de trouver des exemples de l’emploi de l’expression « beer beer » dans la langue anglaise parlée ou écrite. Ainsi, la Marque ne serait pas clairement descriptive. Je ne crois pas que la question à laquelle il faut répondre pour déterminer si une marque de commerce est clairement descriptive est celle de savoir si la marque de commerce est communément employée dans la langue anglaise. Madame Poplack a démontré dans son affidavit que la répétition d’un mot commun est une construction plus commune dans la langue anglaise. La répétition a fait l’objet d’articles et a un nom technique, soit la réduplication contrastive. Comme je l’ai déjà dit, Mme Poplack est d’avis qu’un consommateur moyen en présence de la Marque interpréterait la marque comme signifiant « vraie bière » par opposition à une bière moins prototypique. Selon elle, et rien n’a été produit en preuve pour contredire son opinion, la répétition du mot « beer » intensifie la signification de ce mot.

[41]           Pour tous ces motifs, j’accueille le troisième motif d’opposition.

Caractère distinctif de la Marque

[42]           Si l’on conclut qu’une marque de commerce donne une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises, elle ne peut servir à distinguer ces marchandises de celles d’autres propriétaires [voir Conseil canadien des ingénieurs c. APA - The Engineered Wood Assoc. (2000), 7 C.P.R. (4th) 239 (C.F. 1re inst.)]. Dans ces exemples, une marque de commerce clairement descriptive ne peut être enregistrée que si les conditions énoncées au par. 12(2) de la Loi sur le caractère distinctif sont remplies. Comme la date pertinente suivant le par. 12(2) est la date de production de la demande, le caractère distinctif de la Marque doit être déterminé à la date de production de la demande [voir Canadian Jewelers’ Assoc.].

[43]           Au vu de mes conclusions à l’égard du motif d’opposition fondé sur l’al. 12(1)b) de la Loi et du fait que la Requérante n’a pas prouvé que la Marque était distinctive à la date de production de la demande, le motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif de la Marque est également accueilli.

Autres motifs d’opposition

[44]           Étant donné que l’Opposante a déjà obtenu gain de cause au regard de deux motifs d’opposition différents, je n’ai pas l’intention de me prononcer sur les autres motifs d’opposition.

 

 

 

 

Décision

[45]           Comme le registraire des marques de commerce m’a délégué ses pouvoirs en vertu du par. 63(3) de la Loi, je repousse la demande d’enregistrement de la Marque de la Requérante conformément au par. 38(8) de la Loi.

 

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Jean Carrière

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.

 

 

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