Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION

 

                                                           LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2013 COMC 5

Date de la décision : 08-01-2013

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION de Vincor International Inc. à la demande no 1 374 988 produite par Meyer Family Vineyards Inc. en vue de l’enregistrement de la marque de commerce CHARDONAKED

 

[1]               Le 6 décembre 2007, Meyer Family Vineyards Inc. (la Requérante) a produit une demande d’enregistrement à l’égard de la marque de commerce CHARDONAKED (la Marque) fondée sur un emploi projeté de la Marque au Canada en liaison avec des vins et des vins panachés. La demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 13 août 2008.

[2]               Le 21 novembre 2008, Vincor International Inc. (l’Opposante) a produit une déclaration d’opposition à l’encontre de la demande d’enregistrement de la Marque. La Requérante a produit et signifié une contre-déclaration dans laquelle elle nie les allégations de l’Opposante.

[3]               Au soutien de son opposition, l’Opposante a produit l’affidavit de Michael Tutt, son directeur du marketing.

[4]               Au soutien de sa demande, la Requérante a produit les affidavits de James Cluer (un maître-œnologue), John Meyer (le président de la Requérante) et Kathryn Stewart-Tiralongo (une conseillère technique à l’emploi de l’agent de la Requérante). L’Opposante a contre-interrogé chacun de ces déposants; les transcriptions ont été versées au dossier.

[5]               Les parties ont toutes deux présenté des observations écrites. Une audience a été tenue; les parties y ont toutes deux participé.

Motifs d’opposition

[6]               Les motifs d’opposition soulevés par l’Opposante aux termes de Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi) se résument comme suit :

1.            en contravention de l’alinéa 30e), la Requérante n’a pas l’intention d’employer elle-même la Marque au Canada;

2.            en contravention de l’alinéa 30i), la Requérante ne pouvait pas être convaincue d’avoir le droit d’employer la Marque en liaison avec des vins et des vins panachés, car la Requérante savait que les marques de commerce NAKED GRAPE et NAKED GRAPE et dessin, toutes deux employées en liaison avec des vins, avaient fait l’objet de demandes d’enregistrement (nos 1 246 915 et 1 364 214) antérieurement produites par l’Opposante et ayant donné lieu aux enregistrements nos TMA659 543 et TMA720 829;

3.            en contravention de l’alinéa 12(1)d), la Marque crée de la confusion avec les marques de commerce déposées NAKED GRAPE et NAKED GRAPE et dessin de l’Opposante (enregistrées sous les nos TMA659 543 et TMA720 829);

4.            en contravention de l’alinéa 16(3)a), la Requérante n’était pas, à la date de production de la demande, la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque, car la Marque créait de la confusion avec les marques de commerce déposées NAKED GRAPE et NAKED GRAPE et dessin de l’Opposante, lesquelles avaient déjà été employées et révélées au Canada en liaison avec des vins;

5.            en contravention de l’article 2, la Marque n’est pas distinctive et n’est pas adaptée à distinguer les marchandises de la Requérante des marchandises de l’Opposante.

Fardeau de preuve et dates pertinentes

[7]               La Requérante a le fardeau ultime d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Il incombe toutefois à l’Opposante de s’acquitter du fardeau initial consistant à présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun des motifs d’opposition [voir John Labatt Limited c. The Molson Companies Limited (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), p. 298].

[8]               Les dates pertinentes pour l’examen des motifs d’opposition sont les suivantes :

-    article 30 – la date de production de la demande [Georgia-Pacific Corp c. Scott Paper Ltd (1984), 3 C.P.R. (3d) 469 (C.O.M.C.), p. 475];

 

-    alinéa 12(1)d) – la date de ce jour [Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd and The Registrar of Trade Marks (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.)];

 

-    alinéa 16(3)a) – la date de production de la demande;

 

-    article 2 – la date de production de la déclaration d’opposition [Metro-Goldwyn-Mayer Inc c. Stargate Connections Inc (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F.)].

Observation préliminaire concernant la preuve de M. Cluer

[9]               Si l’on en juge par ses titres de compétences, M. Cluer est un expert en vins; il détient le titre de « Master of Wine », dirige des écoles d’œnologie, conseille les consommateurs sur l’achat de vins et agit à titre de consultant au sein de l’industrie du vin. Il a commencé à jouer un rôle de consultant auprès de la Requérante en décembre 2005 et a travaillé pour la Requérante, comme gérant de l’établissement vinicole, de 2005 à 2009 environ. Il occupait ces fonctions lorsque l’idée du nom CHARDONAKED a été lancée et a encouragé la Requérante à faire enregistrer ce nom comme marque de commerce. Vu la relation étroite qui unit M. Cluer à la Requérante, je ne peux considérer M. Cluer comme un témoin indépendant, et ce, bien que M. Cluer ait mentionné en contre-interrogatoire avoir aussi effectué indirectement des travaux pour l’Opposante (dont la nature n’a pas été révélée) par l’entremise d’un client.

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30e)

[10]           L’Opposante n’a présenté aucune observation au soutien de ce motif d’opposition. La Requérante a fait valoir qu’il y avait lieu de rejeter ce motif du fait que rien dans la preuve produite ne permettait à l’Opposante de s’acquitter de son fardeau de preuve initial. Je suis du même avis que la Requérante.

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i)

[11]           Lorsqu’un requérant a fourni la déclaration exigée par l’alinéa 30i), un tel motif ne peut être retenu que dans des cas exceptionnels, comme lorsqu’il existe une preuve de mauvaise foi de la part du requérant [voir Sapodilla Co Ltd c. Bristol-Myers Co (1974), 15 C.P.R. (2d) 152 (C.O.M.C.), p. 155]. La Requérante a fourni la déclaration exigée et l’Opposante n’a pas allégué que la présente espèce constituait un cas exceptionnel. Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i) est rejeté.

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d)

[12]           Les enregistrements des marques de commerce NAKED GRAPE et NAKED GRAPE et dessin (nos TMA659 543 et TMA720 829) étant en vigueur, l’Opposante s’est acquittée du fardeau initial qui lui incombait à l’égard de son motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d). Je souligne que ces enregistrements sont désormais inscrits au nom de Constellation Brands Canada Inc.; un changement de nom ayant été effectué.

[13]           La marque NAKED GRAPE et dessin de l’Opposante est reproduite ci-dessous :

                                                            Naked Grape & Grape Design

[14]           La marque figurative de l’Opposante est enregistrée en liaison avec des vins, alors que sa marque nominale est enregistrée en liaison avec des vins, des spritzers et du vin de glace. Il est indiqué dans l’enregistrement que le droit à l’usage exclusif du mot GRAPE en dehors de la marque nominale a fait l’objet d’un désistement.

[15]           J’estime que la marque nominale de l’Opposante constitue pour l’Opposante un argument plus solide que sa marque figurative; par conséquent, j’axerai mon analyse sur la probabilité de confusion entre CHARDONAKED et NAKED GRAPE.

[16]           Selon le paragraphe 6(2) de la Loi, l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

[17]           Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du vague souvenir. Dans l’application du test en matière de confusion, le registraire doit tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce, y compris celles expressément énoncées à l’alinéa 6(5) de la Loi, à savoir : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; bla période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; dla nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Le poids qu’il convient d’accorder à chacun de ces facteurs n’est pas nécessairement le même. [Voir, de manière générale, Mattel, Inc c. 3894207 Canada Inc (2006), 49 C.P.R. (4th) 321 (C.S.C.), Veuve Cliquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée (2006), 49 C.P.R. (4th) 401 (C.S.C.), et Masterpiece Inc c. Alavida Lifestyles Inc (2011), 92 C.P.R. (4th) 361 (C.S.C.).]

Le caractère distinctif inhérent des marques

[18]           Les parties des parties possèdent toutes deux un caractère distinctif inhérent.

[19]           Selon M. Meyer, la Requérante a choisi la Marque parce qu’elle [TRADUCTION] « cherchait un nom amusant et facile à retenir, et voulait faire un calembour avec le mot “chardonnay” ».

[20]           M. Meyer et M. Cluer ont tous deux produit des éléments de preuve relativement à la signification du mot « naked » [nu] dans l’industrie du vin, dans le but, je présume, de minimiser le caractère distinctif de cet élément commun aux deux marques.

[21]           Aux paragraphes 7 à 43 de son affidavit, M. Meyer présente des éléments de preuve qu’il définit comme représentatifs du sens qui est généralement donné au mot « naked » dans l’industrie du vin. Il a fourni divers articles issus de sites Web, dont le plus ancien remonte à 2003, dans lesquels le mot « naked » est employé en lien avec des vins pour désigner soit i) un vin qui n’a pas été élevé en fût de chêne, soit ii) un vin qui n’a pas été soumis à une fermentation malolactique/secondaire, soit iii) un vin fait de raisins biologiques ou produit selon des méthodes biologiques. Aucun des sites Web dont sont extraits les articles fournis par M. Meyer n’est canadien et rien n’indique que ces sites aient été consultés par des Canadiens. En fait, M. Meyer a admis en contre-interrogatoire que la plupart de ces sites Web lui étaient inconnus avant que son avocat lui en révèle l’existence pour les besoins de son affidavit [question 78].

[22]           L’Opposante a fait remarquer que bon nombre des articles fournis par M. Meyer comportent une explication du sens que revêt le mot « naked » dans le domaine des vins, ce qui sous-entend que les auteurs ne s’attendaient pas à ce que les lecteurs sachent d’emblée ce que signifie le mot « naked » lorsqu’il est employé en liaison avec des vins.

[23]           M. Cluer a donné des cours sur le vin à plus de 1 500 personnes et a attesté en contre-interrogatoire que la majorité des gens qui suivent de tels cours [TRADUCTION] « connaissent le terme “naked” et sa signification lorsqu’il est question de chardonnay » [question 55]. Aux paragraphes 11 et 13 de son affidavit, M. Cluer affirme ce qui suit : [TRADUCTION] « Le terme “naked” est employé depuis plusieurs années dans l’industrie du vin, aussi bien par les commerçants que par les consommateurs, pour désigner un vin “non boisé”, c’est-à-dire un vin qui n’a pas été élevé en fût de chêne […] J’ai constaté à plusieurs reprises que des producteurs, des rédacteurs et des consommateurs employaient le terme “naked” ou “naked chardonnay” pour désigner un vin non boisé, en particulier, un chardonnay non boisé ». M. Cluer n’a cependant fourni aucune preuve documentaire pour étayer ces affirmations et on ne sait pas très bien s’il fait référence au Canada. En contre-interrogatoire, il a affirmé n’avoir jamais entendu qui que soit employer le terme « naked » pour désigner des raisins cultivés selon des méthodes biologiques (malgré la preuve de M. Meyer en ce sens). Il a dit, en outre, que bon nombre des sites Web auxquels les pièces produites par M. Meyer font référence lui étaient inconnus.

[24]           La preuve décrite ci-dessus ne me convainc pas que le Canadien moyen comprendrait d’emblée que le terme « naked » revêt une signification particulière dans le contexte des vins.

La mesure dans laquelle chaque marque est devenue connue

[25]           Le caractère distinctif d’une marque peut être accentué par l’emploi et la promotion.

[26]           La demande d’enregistrement de la Requérante est fondée sur un emploi projeté et rien n’indique que la Marque a été employée ou révélée à ce jour. En revanche, les marques de l’Opposante ont fait l’objet d’un emploi et d’une promotion considérables.

[27]           Les ventes de vins NAKED GRAPE réalisées par l’Opposante sont exposées ci-dessous :

Exercice financier

Nbre de caisses de vin de 9 litres

Ventes nettes

2009

450 000

20 000 000 $

2008

325 000

16 500 000 $

2007

170 000

8 500 000 $

[28]           Pour faire connaître sa marque, l’Opposante a eu recours à des annonces télévisées, des publicités imprimées, des calendriers, des concours et du matériel de promotion sur les lieux de vente; elle a également participé à des salons/événements à l’intention des consommateurs. Elle a consacré des sommes considérables à la publicité et à la promotion des vins vendus sous la marque NAKED GRAPE, soit au moins 1 800 000 $ en 2009, 1 300 000 $ en 2008 et 800 000 $ en 2007.

[29]            Je souligne que les étiquettes et les publicités de l’Opposante précisent généralement que le produit est un vin non boisé (p. ex. sur une étiquette, on peut lire NAKED GRAPE et, dessous, UNOAKED PINOT GRIGIO [pinot grigio non boisé]); bon nombre d’entre elles comportent aussi des allusions ludiques à l’image d’un « naked grape » [raisin nu]. L’emploi du slogan « it takes confidence to go unoaked » [il faut une bonne dose d’assurance pour s’afficher comme non-boisé] en est un bon exemple.

La période pendant laquelle les marques ont été en usage

[30]           La marque de l’Opposante est en usage depuis 2005, tandis que la Marque n’a pas encore été employée.

Le genre de marchandises, services ou entreprises, et la nature du commerce

[31]           Les parties vendant toutes deux des vins et des boissons à base de vin, il est évident que les marchandises des parties se recoupent. Et, bien que l’Opposante ne vende pas de vins panachés sous ses marques NAKED GRAPE, elle en vend sous une autre marque de commerce. La preuve produite par l’Opposante confirme que ses marques sont employées en liaison avec des vins et des spritzers. Je souligne que le Oxford Canadian Dictionary définit « wine cooler » [vin panaché] comme [TRADUCTION] « une boisson à base de vin, de soda et d’essences de fruit… » et « spritzer » comme [TRADUCTION] « un mélange de vin et de soda ».

[32]           En mai 2009, date à laquelle M. Tutt a souscrit son affidavit, l’Opposante employait la marque NAKED GRAPE en liaison avec huit types de vin (y compris le chardonnay) et deux types de spritzers (y compris un spritzer à base de chardonnay).

[33]           La Requérante est un vignoble familial établi en Colombie-Britannique qui a été constitué en société en 2006. Depuis cette date, la Requérante a produit près de 600 caisses de chardonnay qu’elle a vendu sous les noms MICRO CUVEE et TRIBUTE SERIES, à raison de 30 à 65 $ la bouteille. (M. Meyer affirme qu’il existe une différence entre les marchandises des parties au niveau du prix, mais j’estime qu’en l’espèce, cette différence ne constitue pas un facteur déterminant dans l’appréciation de la probabilité de confusion). La Requérante vend elle-même une part de ses vins directement à des restaurants et à des magasins de vins du secteur privé, mais a aussi recours à un distributeur. Elle offre également ses vins directement sur son site Web (achat en ligne) et à la boutique de son vignoble.

[34]           Selon M. Tutt, l’Opposante est le plus important producteur, négociant et distributeur de vins au Canada. Elle exerce ses activités commerciales sous les noms commerciaux Vincor Canada et Naked Grape Wines, entre autres. Les produits de l’Opposante sont vendus partout au Canada dans les régies des alcools gouvernementales, dans des établissements autorisés, dans des épiceries (Québec), sur Internet (Ontario) et dans des magasins appartenant à diverses sociétés (Ontario).

[35]           M. Meyer affirme :[TRADUCTION] « J’estime qu’il serait très peu probable que notre vin CHARDONAKED soit vendu dans les mêmes magasins ou restaurants que les vins NAKED GRAPE de Vincor, car a) nous vendons notre produit uniquement à des magasins de vins de spécialité et à des restaurants haut de gamme; et b) notre distributeur ne vend aucun vin canadien, hormis les nôtres ». La demande d’enregistrement de la Requérante ne comporte toutefois aucune restriction quant aux voies de commercialisation du produit.

[36]           Bien que les voies de commercialisation des parties diffèrent légèrement, cette différence ne constitue pas un facteur déterminant puisqu’en réalité les parties ont toutes deux la possibilité de vendre leurs vins partout où la vente de vin est autorisée au Canada.

Le degré de ressemblance entre les marques

[37]           Bien qu’il faille considérer les marques dans leur ensemble, il est tout de même acceptable de [TRADUCTION] « s’attarder à une caractéristique particulière de la marque susceptible de jouer un rôle déterminant dans la perception du public ». [United Artists Corp c. Pink Panther Beauty Corp (1998), 80 C.P.R. (3d) 247 (C.A.F.), p. 263]. Dans Masterpiece, la Cour suprême du Canada a émis l’opinion qu’il est préférable, lorsqu’on compare des marques entre elles, de se demander d’abord si l’un des aspects des marques en cause est particulièrement frappant ou unique.

[38]           En l’espèce, les marques des parties comprennent toutes deux le mot « naked », et il s’agit dans les deux cas de l’élément le plus frappant ou le plus unique. Le mot « grape » [raisin] ou le jeu de mots avec « chardonnay » seraient perçus par les consommateurs de vin, même les moins connaisseurs d’entre eux, comme ayant trait au vin. À l’audience, la Requérante a fait valoir que le mot « naked » évoque de prime abord quelque chose d’amusant et que la seconde impression qui s’en dégage est que rien n’a été ajouté au produit. Indépendamment du sens que chacun peut attribuer au mot « naked », sa présence dans les deux marques fait en sorte qu’il existe une ressemblance dans les idées suggérées. Il est évident qu’il existe des différences entre les marques dans la présentation et dans le son, mais on ne peut nier que les marques se ressemblent passablement lorsqu’on les considère dans leur ensemble, du fait de la présence du mot « naked » dans chacune d’elles.

Autres circonstances de l’espèce

[39]           Par le biais de l’affidavit de Mme Stewart-Tiralong, la Requérante a produit des éléments de preuve relatifs à l’état du registre. La preuve relative à l’état du registre n’est pertinente que dans la mesure où l’on peut en tirer des conclusions quant à l’état du marché, et de telles conclusions sur l’état du marché ne peuvent être tirées que lorsqu’un nombre important d’enregistrements pertinents a été repéré [Ports International Ltd c. Dunlop Ltd (1992), 41 C.P.R. (3d) 432; Del Monte Corporation c. Welch Foods Inc (1992), 44 C.P.R. (3d) 205 (C.F. 1re inst.); Kellogg Salada Canada Inc c. Maximum Nutrition Ltd (1992), 43 C.P.R. (3d) 349 (C.A.F.)].

[40]           Mme Stewart-Tiralongo a ratissé large et inclus dans les résultats de ses recherches des marques comprenant le mot « naked » qui sont employées dans diverses catégories de produits. La Requérante soutient que si des marques comprenant le mot « naked » peuvent coexister dans d’autres catégories, il y a lieu de conclure que telles marques peuvent également coexister dans la catégorie des boissons alcoolisées. Je ne suis pas d’accord. Les recherches effectuées révèlent que les seules marques comprenant le mot « naked » à être enregistrées en liaison avec des vins sont celles de l’Opposante. Il est vrai que deux demandes pendantes visant respectivement à faire enregistrer la marque NAKED EARTH en liaison avec des vins et la marque THREE OLIVES NAKED en liaison avec des boissons alcoolisées ont été repérées, mais on ne saurait tirer de conclusions significatives sur l’état du marché uniquement à partir de deux demandes en instance. 

[41]           M. Meyer a, pour sa part, fourni certains éléments de preuve démontrant que des tiers emploient des noms de vin ou de vignoble qui comprennent le mot « naked », comme Naked Winery, mais cette preuve n’établit pas que ces noms ou marques ont été employés au Canada.

[42]           L’Opposante a invoqué la décision rendue récemment dans l’affaire Vincor International Inc c. Proximo Spirits, Inc, 2012 COMC 44, dans laquelle son opposition a été accueillie relativement à une demande visant à faire enregistrer la marque de commerce THREE OLIVES NAKED en liaison avec des boissons alcoolisées, nommément de la vodka et des cocktails alcoolisés mélangés. S’il est vrai que cette procédure d’opposition était également fondée sur la probabilité de confusion avec les marques NAKED GRAPE de l’Opposante, elle se distingue toutefois de la présente espèce à plusieurs égards, notamment du fait que la Requérante, dans cette affaire, a choisi de ne produire aucune preuve au soutien de sa demande.

Conclusion

[43]           Ayant examiné l’ensemble des circonstances de l’espèce, je suis d’avis que la Requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau ultime et j’estime, selon la prépondérance des probabilités, que la confusion entre les marques est probable. Rien n’indique que d’autres emploient le mot NAKED comme élément constitutif d’une marque de commerce dans l’industrie du vin an Canada. Bien que l’on puisse concevoir, comme la preuve tend à le démontrer, qu’au Canada, un maître-œnologue et ses élèves comprennent le mot « naked » comme signifiant « non boisé », il n’existe, en revanche, aucune preuve établissant que le mot « naked » soit employé au Canada en liaison avec des vins autres que les vins de l’Opposante, ni que des publications canadiennes n’emploient le mot « naked » pour qualifier ou désigner des vins. Rien n’indique non plus que le consommateur de vin canadien moyen sache que le mot « naked » revêt une signification particulière lorsqu’il est employé en liaison avec des vins. Vu ces circonstances, et considérant que la marque de l’Opposante a acquis un certain caractère distinctif alors que la Marque de la Requérante n’a pas encore été employée, j’estime que la ressemblance entre les marques est suffisante pour rendre la confusion probable. Comme l’a indiqué la Cour suprême dans Veuve Cliquot, « le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque] […], alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des [marques de commerce aperçues antérieurement] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques ». À la vue du vin CHARDONAKED, un consommateur ordinaire n’ayant qu’un vague souvenir du vin NAKED GRAPE serait vraisemblablement susceptible de croire, sous le coup de la première impression, que les deux vins proviennent de la même source.

[44]           La preuve et les observations présentées par la Requérante ne sont pas suffisantes pour me convaincre que la prépondérance des probabilités joue en faveur de la Requérante. Par conséquent, ce motif d’opposition est accueilli.

Motifs d’opposition fondés sur l’article 2 et l’alinéa 16(3)a)

[45]           Pour s’acquitter de son fardeau de preuve initial à l’égard du motif d’opposition fondé sur l’article 2, l’Opposante devait démontrer que l’une de ses marques était connue dans une certaine mesure à la date du 21 novembre 2008 [voir Motel 6, Inc c. No 6 Motel Ltd (1981), 56 C.P.R. (2d) 44 (C.F. 1re inst.) et Bojangles’ International LLC c. Bojangles Café Ltd (2006), 48 C.P.R. (4th) 427 (C.F.)]. Au vu de la preuve produite par M. Tutt, j’estime que l’Opposante s’est acquittée de ce fardeau initial.

[46]           Pour s’acquitter de son fardeau initial à l’égard du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(3)a), l’Opposante devait démontrer qu’elle employait déjà sa ou ses marque(s) au Canada à la date du 6 décembre 2007 et qu’elle n’en avait pas abandonné l’emploi à la date du 13 août 2008 [paragraphe 16(5)]. Là encore, la preuve de M. Tutt permet à l’Opposante de s’acquitter de son fardeau initial.

[47]           Vu les circonstances de la présente espèce, la date à laquelle la question de la confusion est tranchée n’a pas d’incidence sur les résultats de mon analyse. Par conséquent, les motifs d’opposition fondés sur l’article 2 et sur l’article 16 sont tous deux accueillis pour des raisons similaires à celles énoncées relativement au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d).

Décision

[48]           Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette la demande en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

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Jill W. Bradbury

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

Traduction certifiée conforme
Judith Lemire

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