Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2011 COMC 205

Date de la décision : 2011-10-26

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION du B’nai Brith Canada à la demande n861142 produite par Chosen People Ministries, Inc. en vue de l’enregistrement de la marque de commerce THE MENORAH DESIGN.

[1]               Le 12 novembre 1997, Chosen People Ministries, Inc. (CPM) a produit une demande d’enregistrement de marque de commerce (la demande) pour le dessin de la menorah apparaissant ci‑dessous, en vue d’un emploi en liaison avec les marchandises et services suivants :

 

 Demande n861142 (la Marque)


MARCHANDISES :

(1) Articles promotionnels, nommément pulls molletonnés, polos de golf, casquettes de base‑ball, chopes à café, stylos, calendriers, autocollants pour pare‑chocs, cartes de souhaits.

(2) Bibles, documents religieux, nommément livres, prospectus, brochures, bulletins traitant de ministère et de missions pour atteindre les Juifs et les non‑Juifs avec l’Évangile de Jésus le Messie; cassettes audio et vidée préenregistrées; articles de papeterie, nommément papier, blocs de papier à lettre, enveloppes; articles promotionnels, nommément pulls molletonnés.

SERVICES :
(1) Fourniture d’information et de documents religieux sous forme électronique par l’intermédiaire d’un réseau informatique mondial.
(2) Ministère et missions pour atteindre les Juifs et les non‑Juifs avec l’Évangile de Jésus le Messie; organisation et tenue de programmes d’étude de la Bible; évangélisation dans la rue; organisation et tenue de programmes d’approche des jeunes; organisation et tenue de conférences et de séminaires pour atteindre les Juifs et les non‑Juifs avec l’Évangile de Jésus le Messie; organisation et tenue de programmes d’approche des aînés; organisation et administration de congrégations religieuses; services de consultation fournis aux pasteurs ainsi qu’aux établissements d’enseignement secondaires et post‑secondaires; organisation et tenue de retraites pour l’étude de la Bible; organisation et tenue d’événements de collecte de fonds; services de traduction.

La demande est fondée sur un emploi projeté relativement aux marchandises (1) et aux services (1), et sur un emploi depuis le 1er juin 1998 relativement aux marchandises (2) et aux services (2).

[2]               Le 4 mai 1999, B’nai Brith Canada (l’Opposante) a produit sa déclaration d’opposition. Le 1er novembre 1999, CPM a produit sa contre-déclaration. L’Opposante a déposé les affidavits de David Horowitz, Ruth Klein et Rochelle Wilner. L’affidavit de M. Horowitz a été par la suite retiré. Mme Klein a été contre-interrogée sur son affidavit le 5 avril 2007; la transcription et les pièces y afférentes ont été déposées auprès du registraire. Mme Wilner a été contre-interrogée sur son affidavit le 29 mars 2007; la transcription a été déposée auprès du registraire.

[3]               La Requérante a déposé en preuve des copies certifiées de divers enregistrements de marques de commerce Menorah et l’affidavit de Mitch Glaser (ainsi que les pièces 1 à 126). M. Glaser n’a pas été contre-interrogé sur son affidavit.

[4]               Aucune autre preuve n’a été présentée. Chaque partie a présenté un plaidoyer écrit et seule la Requérante était représentée à l’audience.

[5]               Les motifs d’opposition fondés sur la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi) peuvent se résumer comme suit :

Alinéa 38(2)a)/article 30

          La demande n’est pas conforme à l’alinéa 30a), car les marchandises et les services en liaison avec lesquels la Marque aurait été employée et à l’égard desquels on projette de l’employer n’ont pas été décrits dans les termes ordinaires du commerce.

          En contravention aux alinéas 30b) et 30e), la Requérante n’a pas employé la Marque au Canada, en liaison avec les marchandises (2) et les services (2), depuis la date de premier emploi alléguée dans sa demande, et la Requérante n’a pas non plus l’intention d’employer la Marque en liaison avec les marchandises (1) et les services (1) contrairement aux alinéas 30b) et 30e) respectivement.

          En contravention à l’alinéa 30i), la Requérante ne pouvait pas être convaincue qu’elle avait le droit d’employer ou d’enregistrer la Marque. La menorah est couramment utilisée comme symbole de la religion juive et a déjà été utilisée au Canada par l’Opposante et d’autres organisations et institutions juives en liaison avec des marchandises et des services ayant trait à des activités religieuses.

Alinéa 38(2)b)/alinéa 12(1)b)

          En contravention à l’alinéa 12(1)b), la Marque, qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, donne une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises et des services en liaison avec lesquels elle est employée ou à l’égard desquels on projette de l’employer; en particulier, la Marque, qui est un symbole religieux ancien et largement connu et reconnu, donne une description claire de la nature religieuse et de la qualité des marchandises et des services de la Requérante. De façon subsidiaire, les marchandises et les services de la Requérante ont trait expressément à la religion chrétienne, alors que la menorah est largement connue et utilisée dans le monde (y compris au Canada) comme un symbole de la religion juive, et la Marque donne par conséquent une description fausse et trompeuse.

          En contravention à l’alinéa 12(1)e), l’adoption de la Marque visée par la demande est interdite par l’alinéa 9(1)j), car l’adoption du symbole d’une religion en vue de son emploi en liaison avec les marchandises et services d’une autre religion, et afin de promouvoir les objectifs et les croyances de cette autre religion rend la Marque, ainsi employée scandaleuse, obscène et immorale.

          En contravention à l’alinéa 12(1)e), l’adoption de la Marque contrevient à l’alinéa 9(1)n), parce qu’elle est identique à celle visée par la demande n970005, annoncée le 24 septembre1975 au nom du gouvernement d’Israël, ou que sa ressemblance avec la marque visée par cette demande est telle qu’on pourrait vraisemblablement les confondre.

          En contravention à l’alinéa 12e), l’adoption de la Marque visée par la demande contrevient à l’article 10 du fait que le mot servant de marque MENORAH et le dessin de la MENORAH, en raison d’une pratique ordinaire et authentique, sont devenus reconnus au Canada comme désignant les marchandises, les services, les organisations et les institutions de la religion juive.

Alinéa 38(2)c)/alinéas 16(1)a) et c)

          La Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque selon les alinéas 16(1)a) et 16(1)c). À la date où la Marque aurait été employée pour la première fois ou serait devenue connue au Canada, et à la date de production de la demande et à toute autre date, la Marque créait de la confusion avec les marques de commerce MENORAH et MENORAH Dessin antérieurement employées et révélées au Canada par l’Opposante en liaison avec des marchandises et services ayant trait à la religion, lesquelles marques de commerce n’ont pas été abandonnées par l’Opposante.

Alinéa 38(2)d)/article 2

          La Marque n’est pas distinctive compte tenu des faits allégués dans la déclaration d’opposition; plus particulièrement, la marque de commerce ne distingue pas les marchandises et services de la Requérante des marchandises et services des autres propriétaires, dont l’Opposante, et n’est pas adaptée à les distinguer.

Le fardeau de la preuve

[6]               La Requérante a le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Cependant, dans la mesure où les faits allégués par l’Opposante au soutien d’un motif d’opposition ne sont pas évidents ou admis, celle‑ci doit s’acquitter du fardeau initial d’en faire la preuve, conformément aux règles habituelles de la preuve. L’imposition d’un fardeau de preuve relativement à une question donnée signifie que la question ne sera examinée que s’il existe une preuve suffisante pour conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de cette question [voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Seagram Real Estate Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 325 (C.O.M.C.), à la page 329; John Labatt Limited c. The Molson Companies Limited (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.O.M.C.), à la page 298].

[7]               Chaque partie a déposé une preuve assez longue et détaillée; ce qui suit est un résumé de la preuve pertinente pour les questions à trancher dans la présente instance.

La preuve de l’Opposante

L’affidavit de Ruth Klein

[8]               Mme Klein est directrice d’Advocacy for B’nai Brith Canada. Elle présente le contexte historique de la menorah et déclare que, lors de l’exode des enfants d’Israël, l’artisan Bezalel a reçu l’ordre de fabriquer un candélabre à sept branches devant être utilisé dans le premier tabernacle. La menorah a été par la suite utilisée dans le temple juif antique de Jérusalem; les prêtres l’allumaient tous les soirs et la nettoyaient tous les matins. Mme Klein désigne les passages de la Bible où se trouvent les directives concernant la construction d’une menorah. Elle ajoute que la menorah a été utilisée comme symbole de la nation d’Israël et qu’elle est l’emblème officiel de l’État d’Israël.

[9]               La déposante déclare que la menorah a été choisie comme élément du logo de l’Opposante afin de mettre en relief son rôle d’organisation juive desservant la communauté juive, rôle qui repose sur les actions sociales et les principes du judaïsme.

[10]           Le contre‑interrogatoire de Mme Klein nous a révélé qu’elle est une historienne professionnelle ayant travaillé pendant les dernières trente années comme chercheuse et curatrice des livres et manuscrits judaïques et hébraïques (transcription de Klein : questions 7 à 16).

[11]           Mme Klein a indiqué qu’il n’existe qu’une seule religion juive, et que ses commandements et traditions sont observés à divers degrés; elle a déclaré que les croyances du judaïsme sont distinctes de celles du christianisme (transcription de Klein : questions 44 à 47). Ce sont les cours rabbiniques et les synagogues dans le monde entier qui définissent ce qui constitue la foi juive et les croyances juives (transcription de Klein : questions 78 à 85).

L’affidavit de Rochelle Wilner

[12]           Mme Wilner est présidente de B’nai Brith Canada et déclare qu’elle participe activement à cette organisation depuis quinze ans. Elle confirme que la menorah est utilisée comme logo de l’Opposante depuis la formation de la première Loge en 1875 à Toronto, et que ce logo a été choisi précisément en raison de ses liens historiques avec le judaïsme. Mme Wilner joint à titre de pièces des exemples de logos anciens et récents qui, je le signale, comportent le nom de l’Opposante accolé à une menorah.

[13]           Mme Wilner indique qu’après avoir vu la menorah sur du matériel utilisé par CPM, certains membres de l’Opposante ont appelé au cours de la dernière année pour savoir si CPM était une organisation juive. Durant le contre-interrogatoire, la déposante ne pouvait pas se rappeler de l’identité des gens qui lui avaient demandé si CPM était affiliée à l’Opposante, mais il est clair que des personnes ayant exprimé une certaine confusion le lui avaient demandé personnellement.

La preuve de la Requérante

L’affidavit de Mitch Glaser

[14]           M. Glaser est président et directeur général de la Requérante CPM; il fournit des renseignements personnels et atteste être Juif. Il déclare détenir une maîtrise en divinité du Talbot Theological Seminary, ainsi qu’un doctorat en philosophie du Fuller Theological Seminary (Pasadena, Californie). Il déclare avoir enseigné au Fuller Theological Seminary, au Westminster Theological Seminary (Philadelphie, Pennsylvanie), au Moody Bible Institute (Chicago, Illinois) et à la Columbia International University(Columbia, Caroline du Sud). Depuis mai 1997, il est président-directeur général du ministère international de CPM, qui a des bureaux aux États‑Unis, au Canada, en Argentine, en Allemagne, en Israël et en Angleterre.

[15]           Le même affidavit a été déposé par le Congrès juif canadien (CJC) dans une procédure d’opposition distincte et certaines des déclarations de M. Glaser portent expressément sur la preuve du CJC. Ces remarques, qui portent expressément sur la preuve déposée par CJC, ne sont pas pertinentes; cependant, l’ensemble des déclarations factuelles et de la preuve documentaire, qui font partie de l’affidavit produit en l’espèce, seront examinés dans la présente procédure.

[16]           L’affidavit de M. Glaser vise en partie à établir l’historique de CPM comme organisation juive. M. Glaser fait valoir que les membres de cette organisation croient que Jésus était le Messie juif selon ce qui était prophétisé et que CPM est composée de Juifs messianiques selon qui le culte de Jésus doit s’inscrire dans un contexte juif. L’affidavit vise également à démontrer qu’il s’est écrit beaucoup de choses sur la question de savoir si le judaïsme messianique est une branche du judaïsme. De plus, l’affidavit vise à démontrer que l’emploi de la menorah n’est pas limité aux organisations juives [traduction] « approuvées », mais que la menorah est utilisée par des tiers dans le secteur de l’alimentation et par d’autres organisations messianiques.

[17]           En ce qui a trait à l’historique et à la mission de la Requérante, M. Glaser fait valoir que CPM a été fondée à Brooklyn (New York) en 1984 par le rabbin juif, Leopold Cohn. Il déclare que M. Cohn avait dû se renseigner davantage sur le Messie prophétisé dans les écritures juives traditionnelles, fouiller les écritures juives et questionner d’autres rabbins de sa communauté sur le Messie. Finalement, M. Cohn est parvenu à la conclusion que Jésus était le Messie juif qui était prophétisé dans la Bible juive.

[18]           Le déposant fournit des exemples d’enregistrements de marques de commerce qui comportent un dessin de la croix ou de la menorah; les détails de douze enregistrements et de deux demandes d’enregistrement de marque de commerce qui comportent un dessin de la croix sont joints en annexe. De même, les détails de huit enregistrements et de deux demandes d’enregistrement de marque de commerce qui comportent un dessin de la menorah sont joints en annexe. S’agissant des marques de commerce comportant un dessin de la croix, je constate que, comme il appert des copies déposées, toutes les représentations de la croix comportent un dessin additionnel ou des éléments de texte. En ce qui concerne les marques de commerce présentant un dessin de la menorah, je constate qu’aucune d’elles ne présente un dessin de la menorah seule, et qu’en plus, six des dix marques ont été abandonnées ou révoquées; les quatre restantes sont en liaison avec des marchandises et/ou des services sans aucun rapport avec des activités religieuses.

[19]           M. Glaser dépose aussi des pièces qui montrent différents dessins de la menorah utilisés par diverses organisations juives canadiennes, dont des synagogues et des centres communautaires. De plus, le déposant allègue que la menorah est depuis toujours utilisée par des groupes chrétiens et il fait référence à diverses pages Web d’autres organisations messianiques.

[20]           En ce qui concerne la nature des activités et des objectifs de la Requérante, je reproduis à titre d’exemple les extraits suivants d’une brochure de CPM distribuée en avril 2002 (pièce 95) :

Nos ministères

          Notre ministère consiste expressément à prêcher l’Évangile de Yeshua le Messie et à démontrer l’amour de notre Seigneur pour le peuple juif dans le monde entier.

          The Chosen People Ministries continue à évangéliser le peuple juif et à former des disciples partout dans le monde et ce, de la façon la plus efficace et créative possible. Nos représentants fondent des congrégations, tiennent des réunions de membres, des études bibliques et des services de culte, et font de l’évangélisation individuelle.

          Notre principal objectif est de faire en sorte que, par une évangélisation efficace, nos missionnaires établissent des églises indigènes, et qu’en formant de nouveaux disciples (Juifs aussi bien que Gentils), nous favorisions l’évangélisation des Juifs. Ces nouvelles congrégations centrées sur la Bible devraient faire preuve d’une sensibilité particulière de sorte à atteindre et à desservir le peuple juif sans délaisser tous les autres qui ont besoin de l’Évangile.

Nos croyances

          Tous les travailleurs et les membres du conseil de Chosen People Ministries doivent adhérer aux doctrines fondamentales de la foi. Nous affirmons croire dans ce qui suit :

          L’inspiration divine, l’infaillibilité et l’autorité de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament.

          Le Dieu trin et la divinité du Seigneur Jésus (Yeshua), qui est le seul Fils de Dieu engendré et le Messie dont la venue est promise.

          L’expiation par le sang sacrificiel du Messie lors du calvaire, la résurrection de son corps de parmi les morts et son second retour.

          La nécessité de présenter l’Évangile au peuple juif.

[21]           M. Glaser joint en annexe plusieurs impressions d’écrans de pages Web (les pièces 63 à 78) qui démontrent l’utilisation qui a été faite de la menorah sur les sites Web d’autres organisations messianiques. Il appert que certaines de ces organisations sont situées au Canada. Je ferai remarquer que le dessin de la menorah est, dans tous les cas, utilisé de concert avec le nom de l’organisation et qu’il est, dans la majorité des cas, intégré aux mots (ou du moins très proche d’eux) de manière à créer un dessin unitaire. Je ferai remarquer en outre que rien n’indique qu’il s’agit de marques de commerce déposées au Canada.

[22]           M. Glaser présente des éléments de preuve de l’emploi de la Marque au Canada par la Requérante. Il déclare que CPM distribue, depuis le 1er juin 1998, des dépliants et des brochures qui portent la Marque. CPM distribue environ 406 différentes brochures par année, chacune étant généralement distribuée au nombre de 3 000 à 10 000 exemplaires. Des échantillons de brochures sont annexés comme pièces 93 à 99 et je constate que chaque brochure affiche la Marque en liaison étroite avec le nom de la Requérante.

[23]           Depuis juin 1998, et de manière continue jusqu’à aujourd’hui, CPM utilise annuellement environ 100 000 lettres avec en-tête et enveloppes sur lesquels la Marque est apposée. La Requérante distribue également des bulletins mensuels sur lesquels la Marque figure bien en vue; ces bulletins sont distribués lors de conférences, d’événements parrainés par CPM, dans le cadre de programmes de sensibilisation et de publipostages destinés aux membres. Environ 75 000 lettres sont distribuées chaque année par CPM Canada, la distribution totale ayant été de 55 223 lettres en 2007 au Canada. Sont annexés des exemples de bulletins dont on dit qu’ils sont typiques de ceux qui sont distribués depuis le 1er juin 1998 (pièces 104 à 107). Je note que les bulletins arborent la Marque très près du nom du bulletin, THE CHOSEN PEOPLE.

[24]           CPM distribue des calendriers portant la Marque dans le cadre de conférences, d’événements et de publipostages; généralement, 100 calendriers sont vendus chaque année lors des activités de CPM et environ 200 sont distribués annuellement par courrier. La pièce 108 est un exemple d’un tel calendrier qui serait, dit‑on, semblable à ceux qui sont distribués par CPM depuis le mois de juin 1998 et, de manière continue, jusqu’à aujourd’hui. Le déposant fournit aussi la preuve d’une enseigne apposée devant le siège social de CPM Canada. La Marque y figure de façon habituelle avec les mots CHOSEN PEOPLE MINISTRIES.

[25]           CPM appose aussi la Marque sur des articles personnels, tels que des chandails en molleton, des chemises polo, des épingles de revers d’habit, des sacs fourre-tout depuis au moins le 1er juin 1998, et de manière continue jusqu’à aujourd’hui. La pièce 112 représente un sac fourre‑tout distribué lors des conférences de CPM ainsi qu’aux bénévoles. Est annexée comme pièce 113 la photo d’une chemise polo portant la Marque, qui a été distribuée lors de conférences et aux bénévoles. Je note que sur chacun de ces articles, la Marque apparaît au‑dessus des mots CHOSEN PEOPLE MINISTRIES.

[26]           La Requérante a déposé des copies certifiées d’enregistrements de marques de commerce de tiers, qui affichent des versions stylisées de la croix. Ces enregistrements montrent des représentations graphiques de la croix combinées à un autre dessin ou à un élément textuel; aucune de ces marques enregistrées ne consiste en une croix seulement. La Requérante présente aussi deux enregistrements de marques de commerce qui contiennent des représentations graphiques de la menorah; là encore, ces enregistrements concernent des marques où la menorah n’est qu’un élément parmi plusieurs dessins et/ou éléments textuels.

Analyse

Alinéa 38(2)b)/alinéa 12(1)b)

[27]           L’Opposante soutient que la Marque n’est pas enregistrable du fait qu’elle contrevient à l’alinéa 12(1)b). Qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, la Marque donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises et des services en liaison avec lesquels elle est employée ou à l’égard desquels on projette de l’employer. L’Opposante soutient que la Marque, qui est un symbole religieux ancien et largement connu et reconnu, donne une description claire de la nature religieuse et de la qualité des marchandises et services de la Requérante ou, de manière subsidiaire, que les marchandises et services de la Requérante sont expressément liés à la religion chrétienne, alors que la menorah est généralement connue et utilisée dans le monde (y compris au Canada) comme symbole de la religion juive. Partant, la Marque donne une description fausse et trompeuse.

[28]           La date pertinente pour l’examen de cette question est celle de la production de la demande d’enregistrement, soit le 12 novembre 1997 [voir Zorti Investments Inc c. Party City Corp. (2004), 36 C.P.R. (4th) 90 (C.O.M.C.); Havana Club Holdings S.A. c. Bacardi & Co. (2004), 35 C.P.R. (4th) 541 (C.O.M.C.); Fiesta Barbeques Limited c. General Housewares Corporation (2003), 28 C.P.R. (4th) 60 (C.F.)].

[29]           L’Opposante a le fardeau initial de présenter une preuve admissible à partir de laquelle on pourrait raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués à l’appui du motif d’opposition [voir Joseph E. Seagram & Sons, Limited c. Seagram Real Estate (1984), 3 C.P.R. (3d) 325, à la page 329 (C.F. 1er inst.); John Labatt Ltd c. Molson Cos Ltd. (1980), 30 C.P.R. (3d) 293, confirmé par (1992), 42 C.P.R. (3d) 495 (C.A.F.)].

[30]           L’Opposante s’est acquittée de son fardeau initial puisqu’une grande partie de la preuve soumise vise à établir que la menorah est un symbole traditionnel de la foi et de la culture juives.

[31]           Quant à l’allégation selon laquelle la Marque donne une description fausse et trompeuse, l’Opposante soutient que CPM est une organisation chrétienne et qu’elle ne devrait donc pas employer la menorah. C’est pourquoi l’Opposante fait valoir que la Marque donne une description fausse et trompeuse des services de la Requérante. La Requérante allègue qu’elle est une organisation juive messianique et qu’elle devrait avoir le droit d’utiliser la menorah. Il convient de faire remarquer que la question plus générale de savoir si CPM a le « droit » d’« employer » une représentation de la menorah comme un symbole dans ses documents, son matériel promotionnel, etc., excède la portée de la présente procédure; en l’espèce, le registraire ne peut que déterminer si la Marque visée par la demande peut être enregistrée comme marque de commerce en vertu de la Loi.elle ne devrait pas employer la menorah.

[32]           Le critère applicable au caractère descriptif est celui de la première impression ou de l’impression immédiate, considérée du point de vue du consommateur ordinaire des marchandises ou services. Quoique les décisions de principe sur cette question renvoient le plus souvent aux marchandises, il me semble évident que les principes qui s’en dégagent s’appliquent également (par analogie) aux services. La signification d’une marque de commerce doit être considérée dans le contexte des marchandises et services. Le mot « nature » à l’alinéa 12(1)b) s’entend d’une particularité, d’un trait ou d’une caractéristique du produit, et le mot « claire » ne signifie pas que la description doit être précise, mais qu’elle doit être [traduction] « facile à comprendre, évidente ou simple » [Drackett Co. of Canada Ltd. c. American Home Products Corp. (1968), 55 C.P.R. 29, à la page 34 (C. de l’É.); Drolet c. Stiftung Gralsbotchaft, (2009) 85 C.P.R. (4th) 1] [Drolet]. Pour que l’on puisse s’opposer à une marque au motif qu’elle donne une description claire au sens de l’alinéa 12(1)b), elle doit décrire si bien l’article (ou les services) que personne ne saurait en acquérir le monopole [Clarkson Gordon c. Registraire des marques de commerce (1985), 5 C.P.R. (3d) 252, à la page 256 (C.F. 1er inst.].

[33]           De plus, pour déterminer si une marque de commerce est enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)b), le registraire doit non seulement tenir compte des éléments de preuve, mais aussi appliquer le sens commun; la décision portant que la marque donne une description claire, ou encore une description fausse et trompeuse, est fondée sur la première impression et tient compte du produit ou du service visé [Neptune S.A. c. Canada (Procureur général) (2003), 29 C.P.R. (4th) 497 (C.F. 1er inst.)].

[34]           Pour donner une description fausse et trompeuse, une marque de commerce doit tromper le public quant à la nature (une particularité, un trait ou une caractéristique) ou à la qualité des marchandises ou services [Atlantic Promotions Inc. c. Registraire des marques de commerce (1984), 2 C.P.R. (3d) 183 (C.F. 1er inst.)].

[35]           Premièrement, la Requérante a soutenu que ses activités permettaient de surmonter la dichotomie traditionnelle entre le christianisme et le judaïsme et qu’elle devait être considérée comme une organisation juive. Or, tout en reconnaissant qu’il s’agit d’une question complexe, et avec égards pour la Requérante, j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, la preuve démontre que les services religieux de CPM (« [m]inistère et missions […] programmes d’étude de la Bible […] évangélisation dans la rue […] conférences », etc.) relèvent d’un ministère chrétien et qu’ils sont par conséquent de nature chrétienne. Nonobstant le fait que les services sont adaptés aux croyances juives et qu’ils sont avant tout destinés aux Juifs, la mission de CPM consiste essentiellement à répandre l’Évangile du Seigneur Jésus-Christ. C’est ce qui ressort clairement de ses documents promotionnels, comme je l’ai indiqué précédemment. La controverse savante sur la possibilité d’une caractérisation plus nuancée des services de la Requérante excède la portée de la présente instance; je suis convaincue que l’enseignement de l’Évangile de Jésus-Christ n’est pas une activité religieuse qui serait généralement considérée comme juive. Je ferai remarquer que cette conclusion est compatible avec la conclusion de fait selon laquelle la Requérante est une organisation chrétienne tirée par la Cour fédérale dans la décision Congrès juif canadien c Chosen People Ministries, Inc. (2002) 19 C.P.R. (4th) 186 (C.F. 1er inst.); confirmée par (2003) 27 C.P.R. (4th) 193 (C.A.F.) [CJC c. CPM] (portant sur l’article 9 de la Loi, mais fondée sur une preuve similaire). En ce qui concerne la date pertinente pour l’examen de la question du caractère descriptif, je suis convaincue, suivant une analyse juste de la preuve dans son ensemble et considérant la date de premier emploi de la Marque relativement aux principaux services, qu’il en aurait été ainsi à la date de production de la demande.

[36]           Deuxièmement, je suis d’avis que la preuve établit clairement que le candélabre à sept branches connu comme la menorah est un symbole, connu universellement, de la foi et de la culture juives. À nouveau, je ferai remarquer que cette conclusion est compatible avec la conclusion de fait tirée par la Cour fédérale dans la décision CJC c CPM, qui cite l’extrait suivant de The New Jewish Encyclopedia :

[traduction]
Menorah : Nom hébreu donné au chandelier à sept branches initialement fabriqué par Bezalel, artisan dont l'œuvre s'inspire de la Bible, et placé dans le sanctuaire du Tabernacle. [. . .] La menorah est devenue depuis un symbole universel du judaïsme.

[37]           Troisièmement, je suis également d’avis que la population canadienne reconnaîtrait immédiatement que la Marque est une menorah si elle était employée en liaison avec des services religieux et des marchandises connexes. Pour parvenir à cette conclusion, je me suis laissée guider par les autres descriptions de la menorah versées en preuve et sur les caractéristiques communes à chacune. La menorah est un candélabre que l’on reconnaît à ses sept branches allumées; elle se caractérise par ses branches courbées ou infléchies vers le centre.

[38]            De plus, contrairement aux autres enregistrements et demandes d’enregistrement versés en preuve et ayant trait à des symboles religieux, par exemple ceux comportant des représentations de la croix, la Marque ne présente aucun élément additionnel, sinon ce que l’on reconnaît clairement comme une menorah.

[39]           Il s’agit donc de savoir si, à partir de sa première impression, le public qui voit la Marque en liaison avec les marchandises et les services religieux visés par la demande, penserait erronément que ces marchandises et services sont de nature juive – et si tel aurait été le cas à la date de production de la demande.

[40]           Étant donné l’importance et le caractère reconnaissable de la menorah au Canada, et vu que les services et les marchandises connexes de la Requérante sont de nature essentiellement chrétienne, je suis d’avis qu’une personne du public qui verrait la Marque (telle qu’elle est présentée dans la demande d’enregistrement, c’est‑à‑dire seule, sans élément additionnel) en liaison avec les services religieux et les marchandises connexes de la Requérante, à partir de sa première impression, penserait erronément qu’ils ont comme particularité, trait ou caractéristique essentielle d’être des services et marchandises connexes associés à la religion juive. Ce motif d’opposition est donc accueilli.

Le caractère distinctif

[41]           La date pertinente pour l’examen de ce motif est la date de la production de la déclaration d’opposition (le 4 mai 1999) [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F.)].

[42]           L’Opposante fait valoir que la Marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi en raison du fait que la Marque ne distingue pas véritablement les marchandises et services en liaison avec lesquels la Requérante projette de l’employer, des marchandises et des services des autres propriétaires, y compris ceux de l’Opposante, et qu’elle n’est pas adaptée à les distinguer ainsi. Elle soutient que l’emploi de la Marque par CPM a créé de la confusion chez certains de ses membres, parce que la menorah est un symbole générique associé au judaïsme. Je suis d’accord. Il est un principe fondamental selon lequel une marque de commerce qui ne permet pas de désigner une source unique n’est pas distinctive et n’est en fait absolument pas une marque de commerce [voir Conseil canadien des ingénieurs professionnels c. APA- The Engineered Wood Association (2000), 7 C.P.R. (4th) 239 [CCIP c. APA]. De plus, comme le juge O’Keefe l’a déclaré dans cette décision, « une marque de commerce qui donne une description claire ou une description fausse et trompeuse [est] nécessairement sans caractère distinctif ». Par conséquent, compte tenu de ma conclusion précédente selon laquelle la Marque donne une description fausse et trompeuse, la différence quant à la date pertinente n’ayant aucune incidence sur cette question, je conclus que, à la date pertinente, la Marque n’était pas adaptée à distinguer, et ne distinguait pas véritablement, les services et marchandises de la Requérante de ceux d’autres propriétaires au sens de l’article 2 de la Loi.

[43]           Par conséquent, la demande d’opposition est accueillie et il n’est pas nécessaire d’examiner les autres motifs d’opposition.

[44]           Compte tenu de ce qui précède, en vertu des pouvoirs qui me sont délégués sous le régime du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette la demande conformément au paragraphe 38(8) de la Loi.

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P. Heidi Sprung

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

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