Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

PROCÉDURE EN VERTU DE L’ARTICLE 45

MARQUE DE COMMERCE : DANIEL & Dessin

NO DENREGISTREMENT : LMC 354,264

 

 

 

Le 15 janvier 2001, à la demande de Cassels Brock & Blackwell LLP, le registraire a donné l’avis prévu à l’article 45 à Montorsi Francesco E Figli - S.p.A. (Montorsi Francesco), le propriétaire inscrit de la marque de commerce enregistrée mentionnée ci‑dessus.

 

La marque de commerce DANIEL & Dessin (figurant ci‑dessous) est enregistrée en ce qui concerne son emploi en liaison avec le jambon San Daniele.

L’article 45 de la Loi sur les marques de commerce exige que le propriétaire inscrit de la marque de commerce établisse que celle‑ci a été employée au Canada en liaison avec chacune des marchandises ou chacun des services que spécifie l’enregistrement, à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis ou, à défaut, la date où elle a été employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. La période pertinente en l’espèce s’étend du 15 janvier 1998 au 15 janvier 2001.

 

L’affidavit et l’affidavit complémentaire de Didoné Donato, accompagnés de pièces, ont été produits en réponse à l’avis. Chaque partie a produit un mémoire écrit et était représentée à l’audience.

 

Dans son premier affidavit, M. Donato indique qu’il est le directeur du marketing de Montorsi Francesco et que l’entreprise est devenue propriétaire de la marque de commerce enregistrée le 31 décembre 1994, à la suite de la réorganisation du propriétaire inscrit original et de la fusion de la société ayant résulté de cette réorganisation.

 

Le jambon San Daniele est une spécialité de la région de Frioul‑Vénétie‑Julienne, en Italie. La Communauté européenne lui a accordé la certification « Appellation d’origine protégée » en 1996. M. Donato déclare, au paragraphe 5 de son affidavit, que seuls les membres du consortium du jambon San Daniele sont autorisés à en faire la vente. Ce consortium a été établi en 1970 afin de garantir l’intégrité régionale du jambon San Daniele et de faire en sorte que celui‑ci soit produit conformément à certaines méthodes et soit assujetti à des mesures de contrôle spéciales visant à en maintenir la qualité particulière. M. Donato indique, au paragraphe 12, que Montorsi Francesco est membre du consortium.

 

Au paragraphe 8 de son affidavit, M. Donato affirme que Montorsi Francesco n’a pas vendu de jambon San Daniele au Canada sous la marque de commerce enregistrée à cause, selon lui, des exigences imposées par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence) et d’un accord conclu entre la Communauté européenne et le gouvernement du Canada en date du 14 décembre 1998 (l’accord). Il fait valoir que le jambon San Daniele ne pouvait être exporté au Canada que si ces exigences et cet accord étaient respectés.

 

M. Donato indique que sa société a entrepris les démarches en vue de se conformer à la réglementation canadienne sur les importations lorsqu’elle a acquis la marque de commerce. Il mentionne que le produit ne pourrait être exporté au Canada qu’une fois que les installations des membres du consortium du jambon San Daniele auraient été inspectées par l’Agence. Il précise que différents établissements ont été visités par le docteur Lou Skrinar, de l’Agence, entre le 14 septembre et le 5 octobre 1997.

 

M. Donato fait valoir que sa société a apporté à ses installations toutes les modifications exigées par l’Agence et l’accord. Il ajoute, au paragraphe 14 de son affidavit, que tous les membres du consortium du jambon San Daniele doivent se conformer aux exigences de l’Agence avant que l’exportation de leurs produits au Canada puisse être approuvée. M. Donato indique que le processus de certification préalable à l’obtention de cette approbation n’a pas encore été complété par les autorités italiennes. Il ajoute :

[TRADUCTION] À ma connaissance, le processus de certification n’est pas encore terminé et les membres du consortium du jambon San Daniele n’ont pas tous été en mesure de modifier leurs installations pour qu’elles répondent aux exigences de l’Agence canadienne d’inspection des aliments.

 

Selon M. Donato, c’est pour des raisons indépendantes de sa volonté que Montorsi Francesco n’a pas pu exporter son jambon San Daniele au Canada sous la marque de commerce enregistrée.

 

Le deuxième affidavit est accompagné de deux pièces. La pièce A est une copie d’une lettre datée du 20 mai 1994 indiquant que des négociations se poursuivent depuis 1990 afin de déterminer à quelles conditions du jambon cru d’origine italienne pourrait être importé au Canada. La pièce B est une circulaire datée du 12 avril 2002 et non sollicitée par la société de M. Donato, qui a été envoyée par une association d’entreprises du secteur de la viande faisant valoir les besoins et les attentes des industriels italiens devant le gouvernement italien.

 

Il ressort clairement de la preuve que Montorsi Francesco n’a pas vendu de jambon San Daniele au Canada sous la marque de commerce enregistrée. En conséquence, il faut se demander si ce défaut d’emploi est attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient.

 

On entend par « circonstances spéciales » des circonstances inhabituelles ou exceptionnelles qui touchent le propriétaire inscrit, pas nécessairement tous les commerçants : John Labatt Ltd. v. Cotton Club Bottling Co., 25 C.P.R. (2d) 115. Il s’agit de circonstances particulières ou anormales qui résultent de forces extérieures et non des actes commis volontairement par un commerçant : Noxzema Chemical Co. of Canada Ltd. v. Sheran Manufacturing Ltd. et al., 55 C.P.R. 147. Il est cependant impossible de définir les « circonstances spéciales » avec précision : Registrar of Trade Marks v. Harris Knitting Mills Ltd., 4 C.P.R. (3d) 488 (Harris Knitting Mills).

 

Le critère servant à déterminer s’il existe des circonstances spéciales qui justifient le défaut d’emploi d’une marque de commerce a été énoncé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Harris Knitting Mills. Ce critère comporte trois volets : la durée du défaut d’emploi de la marque de commerce; la question de savoir si ce défaut d’emploi par le propriétaire inscrit s’explique par des circonstances indépendantes de sa volonté; l’existence, chez le titulaire de l’enregistrement, d’une véritable intention de reprendre rapidement l’emploi de la marque.

 

Arguments de la partie requérante

La partie requérante prétend que la marque de commerce enregistrée n’a pas été employée au Canada depuis son enregistrement, il y a 12 ans, et que le titulaire actuel de l’enregistrement n’a pas employé la marque au Canada depuis qu’il l’acquise en décembre 1994. En ce qui concerne la raison invoquée par le titulaire de l’enregistrement pour expliquer le défaut d’emploi, la partie requérante fait valoir que le respect des exigences légales est nécessaire à l’exploitation d’une entreprise au Canada et que l’incapacité de satisfaire à ces exigences ne saurait constituer des circonstances spéciales. Elle soutient également ou de manière subsidiaire que le défaut d’emploi a duré trop longtemps pour qu’on puisse considérer qu’il s’agit d’une durée raisonnable dans les circonstances, compte tenu en particulier de l’absence de document démontrant que le titulaire de l’enregistrement entreprend toutes les démarches nécessaires pour que la marque puisse commencer à être employée rapidement.

 

Arguments du titulaire de lenregistrement

Le titulaire de l’enregistrement fait valoir que c’est un membre du consortium de San Daniele qui détient le droit relatif au jambon San Daniele et que ce produit ne peut être exporté sous la marque qu’après que tous les membres du consortium ont obtenu l’approbation de l’Agence. Il ajoute que la certification du processus d’exportation est soumise à des exigences particulières, qu’il n’a aucun contrôle sur le processus de certification et que celui‑ci n’a pas été complété. Le titulaire de l’enregistrement prétend également qu’il a montré qu’il avait réellement l’intention d’employer la marque au Canada en apportant à ses installations toutes les modifications exigées par l’Agence et par l’accord. Il s’agit de modifications majeures qui ont pris du temps et qui ont coûté cher.

 

Analyse

Il ressort clairement de la preuve que le titulaire actuel de l’enregistrement n’a jamais employé la marque de commerce au Canada depuis qu’il en a fait l’acquisition, de sorte que, à la date de l’avis prévu à l’article 45, cela faisait environ six (6) ans (du 31 décembre 1994 au 15 janvier 2001) que la marque n’était pas employée par le propriétaire actuel. Elle ne l’était pas non plus lorsque ce dernier a produit sa preuve le 3 juillet 2001 et le 2 juillet 2002.

 

En ce qui concerne les raisons du défaut d’emploi, le fait que le jambon San Daniele est une spécialité régionale, dont le lieu d’origine est protégé et dont le procédé est contrôlé par le consortium du jambon San Daniele, le fait que des modifications devaient être apportées au procédé afin que celui‑ci soit conforme aux normes du gouvernement canadien et à l’accord, et le fait que le titulaire de l’enregistrement n’est pas en mesure d’agir de façon indépendante du consortium, que ce dernier n’est pas en mesure d’agir de manière indépendante du gouvernement italien et que celui‑ci ne peut pas agir de façon indépendante du gouvernement canadien sont des circonstances qui, à mon avis, sont indépendantes de la volonté du titulaire de l’enregistrement.

 

En ce qui concerne les démarches entreprises, la preuve montre que des démarches en vue de l’exportation du jambon San Daniele au Canada avaient été entreprises avant la date de l’avis prévu à l’article 45 ‑ probablement dès 1994.

 

À cet égard, on peut déduire de la lettre de mai 1994 envoyée par l’ambassade italienne au consortium (pièce A du deuxième affidavit) que ce dernier s’est informé au sujet de la possibilité d’importer du jambon San Daniele au Canada. En outre, je pense qu’il est raisonnable de conclure des visites de différents établissements de production de jambon faites par l’Agence en Italie entre le 14 septembre et le 5 octobre 1997 que des démarches ont été entreprises bien avant 1997 afin que ces visites aient lieu, compte tenu, en particulier, du nombre d’intermédiaires en cause ‑ le consortium, le gouvernement italien et le gouvernement canadien.

 

Il ressort clairement de la lettre du 25 mai 1998 envoyée par le gouvernement canadien au gouvernement italien que plusieurs manquements aux normes de l’Union européenne ou du Canada ont été relevés au cours de ces visites. Bien que ses installations n’aient pas été visitées (il n’avait aucun rôle à jouer dans le choix des membres du consortium qui feraient l’objet de visites), le titulaire de l’enregistrement semble avoir pris toutes les mesures raisonnables pour que ces installations soient conformes aux normes canadiennes et à l’accord. En fait, M. Donato confirme clairement que le titulaire de l’enregistrement a apporté toutes les modifications requises à ses installations. Il explique que ces modifications ‑ rénovation des vestiaires, du local où les jambons frais sont reçus, des cellules où les jambons sont salés une première et une deuxième fois, des locaux où on les laisse reposer et où ils sont pressés et du service d’expédition; modifications à la structure extérieure ‑ étaient importantes, ont pris du temps et ont coûté cher.

 

M. Donato ne précise pas cependant combien de temps a été nécessaire au titulaire de l’enregistrement pour réaliser toutes ces modifications. Cependant, compte tenu des rénovations devant être faites et du fait qu’il s’agissait de modifications majeures qui ont pris du temps et qui ont coûté cher, je suis disposée à considérer que ces rénovations ont probablement été entreprises à la fin de 1998 ou au début de 1999 et ont probablement duré plus d’un an.

 

Étant donné que des démarches semblent avoir été entreprises par le consortium, le gouvernement italien et le titulaire de l’enregistrement avant la date de l’avis afin que le jambon San Daniele puisse être exporté au Canada, que la présence de plusieurs intermédiaires a eu pour effet de retarder le processus et que le titulaire de l’enregistrement a apporté des modifications majeures et coûteuses à ses installations, je conclus que ce dernier a démontré qu’il a réellement l’intention de commencer à employer la marque de commerce au Canada le plus tôt possible.

 

Compte tenu de tout ce qui précède, du fait que M. Donato a indiqué que tous les membres du consortium doivent se conformer aux exigences du gouvernement canadien et à l’accord et du fait qu’un processus de certification doit être établi et approuvé par le gouvernement italien avant que l’exportation au Canada puisse commencer, je suis d’avis que la période de défaut d’emploi n’est pas déraisonnable en l’espèce. Je dois ajouter que cette affaire est clairement différente de la jurisprudence invoquée par la partie requérante. Par exemple, contrairement au titulaire de l’enregistrement dans Sim & McdBurney v. Renault, 13 C.P.R. (4th) 573, en l’espèce, le titulaire de l’enregistrement a apporté des modifications à ses installations avant la date de l’avis de l’article 45 afin de se conformer aux exigences du gouvernement canadien. Par ailleurs, dans Robic, Robic & Associates v. South African Co‑operative Citrus Exchange Ltd., 44 C.P.R. (3d) 530, le titulaire de l’enregistrement était incapable d’expliquer la raison du défaut d’emploi pendant les trois ans précédant l’imposition de sanctions commerciales à l’Afrique du Sud. En l’espèce par contre, le titulaire de l’enregistrement n’a jamais pu exporter du jambon San Daniele au Canada.

 

La partie requérante a invoqué également l’arrêt Consorzio del Prosciutto di Parma v. Maple Leaf Meats Inc., 18 C.P.R. (4th) 414 (C.A.F.), où le juge du procès a mentionné ce qui suit au sujet de l’importation du jambon PARMA (jambon d’origine italienne) au Canada : « Le gouvernement canadien a exprimé certaines craintes au niveau de la santé, mais a par la suite permis que le produit du consortium soit importé au Canada. Les ventes de ce produit ont commencé au Canada en 1997. » La partie requérante prétendait que, si le jambon PARMA n’est plus interdit, il s’ensuit que l’exportation du jambon San Daniele au Canada aurait pu également être approuvée si le consortium avait pris toutes les mesures nécessaires pour se conformer à la réglementation canadienne. Le fait que le gouvernement canadien a autorisé l’importation du jambon PARMA au Canada n’a cependant aucune incidence sur la présente affaire puisque nous ne disposons d’aucune preuve indiquant que les mesures qui devaient être prises dans le cas du jambon PARMA étaient identiques à celles qui étaient requises en l’espèce. En outre, comme l’avocat du titulaire de l’enregistrement l’a fait remarquer, il ressort de cette décision que le propriétaire de la marque PARMA était le consortium lui‑même et non un membre de celui‑ci comme en l’espèce. Ainsi, dans l’affaire PARMA, il y avait un « intermédiaire » de moins.

 

Compte tenu de la preuve produite en l’espèce, je conclus que le titulaire de l’enregistrement a démontré que le défaut d’emploi de la marque était attribuable à des circonstances spéciales qui justifient ce défaut. En conséquence, l’enregistrement de la marque doit être maintenu.

 

L’enregistrement no 354,264 sera maintenu en conformité avec les dispositions du paragraphe 45(5) de la Loi.

 

Toutefois, étant donné l’imprécision de la preuve de M. Donato quant à la raison pour laquelle tous les membres du consortium doivent se conformer aux exigences du gouvernement canadien avant que l’exportation du produit au Canada soit approuvée, vu en particulier la lettre de l’Agence du 25 mai 1998 qui indique que les membres du consortium pourraient exporter du jambon San Daniele au Canada une fois que certains établissements auraient été visités (pourvu que des garanties soient données par le gouvernement italien et qu’un processus de certification acceptable soit en place), et étant donné que l’affidavit de M. Donato ne dit rien au sujet du nombre de membres concernés, des démarches entreprises par sa société pour connaître la date à laquelle on pouvait s’attendre à ce que tous les membres aient apporté les modifications requises à leurs installations (le cas échéant) et des efforts faits par le titulaire de l’enregistrement pour obtenir de l’information concernant la date à laquelle le processus de certification devait être complété, j’ai décidé de donner, en même temps que ma décision, un deuxième avis prévu à l’article 45 au propriétaire inscrit lui enjoignant de démontrer à nouveau qu’il se conforme à l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce. Un nouvel avis prévu à l’article 45 est donc donné au propriétaire inscrit.

 

Comme la partie requérante l’a souligné et comme il a été indiqué dans Re Goldwell Ltd., 29 C.P.R. (2d) 110, [TRADUCTION] « Le but visé n’était pas de permettre à un titulaire étranger de maintenir indéfiniment au Canada un enregistrement basé sur un enregistrement et un emploi à l’étranger, sans employer la marque de commerce. À cet égard, [...] il faut mentionner que l’article 44 [maintenant 45] de la Loi protège les enregistrements contre les mesures qu’il prévoit (à la demande d’une personne autre que le registraire) pendant une période de trois ans à compter de la date de l’enregistrement. »

 

FAIT À GATINEAU (QUÉBEC), LE 5 JUIN 2003.

 

D. Savard

Agente d’audience principale

Division de l’article 45

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