Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de

Strauss Enterprises Ltd. à la demande no 1 134 315 produite par

Wings International Marketing Ltd. en vue de l’enregistrement

de la marque de commerce WINGS HEARTDROP et dessin

                                                        

 

Le 15 mars 2002, la requérante, Wings International Marketing Ltd., a produit une demande en vue de l’enregistrement de la marque de commerce WINGS HEARTDROP et dessin. La marque de commerce est reproduite ci-dessous :

                                              

La requérante s’est désistée du droit à l’usage exclusif du mot FORMULA en dehors de la marque de commerce.

 

La demande est fondée sur un emploi projeté en liaison avec des remèdes biologiques de phytothérapie pour fins médicinales et thérapeutiques, vendus sous forme de teinture liquide aux herbes.

 

La demande a été publiée aux fins de la procédure d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 2 avril 2003. Le 8 mai 2003, l’opposante, Strauss Enterprises Ltd., a produit une déclaration d’opposition à la demande. L’opposante a invoqué des motifs d’opposition en vertu des al. 30i), 12(1)d) et 16(3)a) et de l’art. 2 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la « Loi »), tous fondés sur son emploi antérieur des marques de commerce STRAUSS HEART DROPS, STRAUSS HEARTDROPS, HEART DROPS et HEATDROPS [sic] et sur ses enregistrements/demandes antérieurs visant ces marques.

 

La requérante a signifié et produit une contre-déclaration. Elle n’a pas contesté directement les motifs d’opposition mais a plutôt invoqué les « motifs » suivants au soutien de sa demande :

a)      Les mots « HEARTDROPS » et « HEART DROPS » sont aussi génériques que les mots EYE DROPS et EYEDROPS, EAR DROPS et EARDROPS, ou même COUGH DROPS et COUGHDROPS. L’emploi courant des nomenclatures HEARTDROP dans le domaine public en général, et en particulier chez les herboristes traditionnels, précède certainement toute tentative de l’opposante de les réclamer en tant qu’objets de droits de propriété intellectuelle privée.

 

b)      Dans la documentation fournie par l’OPIC, plus précisément dans le « Guide des marques de commerce » (à la p. 15), on évoque le risque qu’une marque populaire devienne un terme générique (« Croyez-le ou non, une réputation excessive peut être une nuisance »). Plus particulièrement, nous avancerions que le terme « Heartdrops » ne distingue plus Strauss d’aucune autre formule de « Heartdrops », ce terme ayant été employé au Canada – sans protection à titre de marque de commerce enregistrée – pendant plus de 20 ans. Il a été employé couramment et continue d’être employé couramment pour décrire des formules similaires mises au point par des sociétés comme Innovite, Kardiovite et SuperNatural’s Herbal Heart Formula. Le document cité donne un exemple parmi plusieurs qui sont pertinents; le sort de la marque de commerce « Zipper », aujourd’hui employée pour décrire toutes les fermetures éclair.

 

c)      L’ajout du mot « FORMULA » à la demande de Wings élimine toute confusion possible chez les consommateurs canadiens.

 

d)     Le dessin WINGS montrant un cœur ailé contribue encore à éliminer toute possibilité de confusion visuelle dans le contexte de la mise en marché auprès des consommateurs.

 

À titre de preuve soumise en vertu de l’article 41, l’opposante a produit l’affidavit de Peter Strauss. À titre de preuve soumise en vertu de l’article 42, la requérante a produit l’affidavit de Dennis Milligan.

 

Les deux parties ont produit une argumentation écrite. Une audience n’a pas été demandée.

 

La preuve de l’opposante – l’affidavit de M. Strauss

M. Strauss est le président de l’opposante, qui est propriétaire des demandes canadiennes de marques de commerce no 1 089 798 et 1 089 799, pour STRAUSS HEART DROPS et HEART DROPS, ainsi que des enregistrements no LMC 580 184 et LMC 580 185 pour STRAUSS HEARTDROPS et HEARTDROPS, chacun visant les marchandises « remèdes de phytothérapie naturels vendus sous forme liquide pour usages médicinaux et thérapeutiques ». Ces quatre marques de commerce sont désignées collectivement ci-après les « marques de commerce Strauss ».

 

En 1980, M. Strauss et son père ont mis au point un extrait liquide d’herbes pour lequel ils ont adopté les marques de commerce Strauss. M. Strauss atteste qu’il n’y avait aucun autre produit à base d’herbes sur le marché portant la marque de commerce HEARTDROPS à cette époque et que les marques de commerce Strauss ont été employées sans interruption depuis leur introduction.

 

M. Strauss a produit divers documents promotionnels qui montrent comment la promotion des marques de commerce Strauss s’est faite depuis 1999. Les dépenses publicitaires de l’opposante relativement à ses marques de commerce Strauss ont été les suivantes : 1999 – plus de 5193 $; 2000 – plus de 26 462 $; 2001 – plus de 308 861 $; 2002 – plus de 524 640 $. Les ventes au cours de chacune de ces années ont dépassé les montants suivants : 1999 – 732 246 $; 2000 – 3 751 990 $; 2001 – 5 395 160 $; 2002 – 6 778 912 $.

 

M. Strauss produit, à titre de pièce 27, des échantillons d’étiquettes de produits employées au cours des 24 années précédant 2004 par [traduction] « l’opposante elle-même, ou par l’entremise de son prédécesseur en titre, James Strauss et Peter Strauss, et ou par l’entremise de licenciés ». Les étiquettes comportent toujours le terme HEARTDROPS ou HEART DROPS sur une ligne distincte sous le mot STRAUSS, et STRAUSS apparaît parfois dans une police de caractères différente. Trois des cinq étiquettes produites ne comportent pas de terme générique relativement au produit, tandis que les deux autres étiquettes portent la mention [traduction] « Un complément alimentaire à base d’herbes » et « Un produit unique à base d’herbes ».

 

En 2003, M. Strauss a procédé à des recherches dans des dictionnaires qui n’ont révélé aucune rubrique pour les mots « heart drops » ou « heartdrops ». Il a aussi effectué une recherche sur Internet afin de tenter d’y repérer le mot « heartdrops » au moyen du moteur de recherche Google; les seules mentions recensées étaient reliées au produit de sa société et au produit de la requérante.

 

M. Strauss atteste que le terme générique se rapportant aux produits vendus sous les marques de commerce Strauss est « teinture », « extrait » ou « décoction », et non « heartdrops ». Il atteste en outre que la requérante était parfaitement au courant des marques de commerce Strauss de l’opposante parce qu’un ancien distributeur de l’opposante est un administrateur de la requérante.

 

M. Strauss produit un [traduction] « échantillon d’étiquette du produit WINGS HEART FORMULA original… mis en marché par BC Organic Herbs Ltd. ». Il affirme que cette société avait la même adresse que la requérante et que tous les administrateurs et tous les dirigeants de ces deux entreprises étaient les mêmes personnes, à l’exception de l’administrateur qui était un ancien distributeur de l’opposante.

 

M. Strauss produit aussi des copies des documents promotionnels de la requérante dans lesquels il note que la requérante mentionne souvent WINGS HEART DROPS et WINGS HEARTDROPS, par opposition à WINGS HEARTDROP FORMULA.

 

M. Strauss a produit des copies de pages Web concernant deux des trois tierces parties que la requérante a mentionnées dans sa contre-déclaration, à savoir Innovite et Kardovite. Il atteste que les mots HEARTDROPS ou HEART DROPS n’apparaissent pas sur leurs sites Web. M. Strauss atteste qu’il ne connaît pas la dernière tierce partie, SuperNatural’s Herbal Heart Formula, et qu’il n’a pas pu la trouver sur Internet.

 

La preuve de la requérante – l’affidavit de M. Milligan

M. Milligan est le président et directeur de la mise en marché de la requérante, et ce, depuis la constitution de la société en février 2002. Au paragraphe 4 de son affidavit, il déclare :


[traduction]

Wings a terminé ses essais de commercialisation de sa teinture biologique Heartdrop en septembre 2000 et a nommé son premier distributeur canadien en juin 2001. À cette époque, le mot « Heartdrop » était largement accepté comme une description générique d’une teinture à base d’herbes employée pour favoriser la santé cardiovasculaire. Les détaillants à qui l’on demandait d’identifier des « Heartdrops » sur leurs tablettes répondaient en indiquant Innovite, Kardovite et Strauss.

 

Il n’est pas clair qui M. Strauss [sic] désigne lorsqu’il parle de « Wings » dans la citation qui précède, puisqu’il a clairement déclaré que la requérante, Wings International Marketing Ltd., avait été constituée en personne morale en 2002, près de deux ans après les activités qu’il décrit. Néanmoins, M. Milligan déclare ensuite [traduction] « À partir du début de 2001, Wings Heartdrops s’est rapidement fait connaître comme la seule version biologique d’une formule de “Heartdrops” ».

 

M. Milligan ne présente aucune preuve concernant l’emploi par la requérante de la marque visée par la demande, ce qui mène à la conclusion qu’elle n’était toujours pas employée à la date de son affidavit, le 2 mars 2004. Même dans la comparaison de l’emballage des deux parties, qu’il entreprend au paragraphe 9 de son affidavit, la pièce « A » à laquelle il renvoie montre une étiquette présentant la marque WINGS ORGANIC HEARTDROPS et dessin, et non la marque WINGS HEARTDROP FORMULA et dessin. 

 

M. Milligan déclare, [traduction] « En octobre 2001, …, l’opposante avait réalisé des ventes dépassant 8 millions de dollars sans enregistrer de marque de commerce. Au cours de cette période, une tradition orale s’est établie selon laquelle le nom “Heartdrop” en est venu à désigner toute teinture dont les principaux ingrédients étaient de l’ail…de l’aubépine…et du poivre de Cayenne…avec d’autres variantes ». M. Milligan ajoute, [traduction] « Nous sommes d’avis que, premièrement, en omettant d’enregistrer rapidement “Heartdrop” en tant que marque de commerce, et deuxièmement, en omettant de défendre activement ladite marque de commerce à la suite de son enregistrement, Strauss est devenue la victime de son propre succès de plusieurs millions de dollars ».

 


Analyse préliminaire de la preuve

Dans Siebruck Hosiery Ltd. c. Just Hosiery Inc. (1996), 66 C.P.R. (3d) 398 (C.O.M.C.), le membre de la Commission M. Herzig a formulé les commentaires suivants à la page 401 au sujet de la preuve qui lui avait été soumise :

[traduction] En l’absence de contre-interrogatoire, il n’y a pas grand-chose qui puisse m’aider à déterminer la légitimité des allégations contradictoires des parties. Cependant, je préfère le témoignage de M. Lazar à celui de Stephen et Paul Harbour parce qu’il est plus détaillé et plus complet, il laisse moins de questions sans réponse, et parce que les pièces qui sont jointes à l’affidavit de M. Lazar corroborent son témoignage dans une plus large mesure que ne le font les pièces jointes à l’affidavit de M. Harbour.

 

Des commentaires semblables s’appliquent à la preuve qui m’a été soumise, avec comme résultat que je préfère la preuve présentée par M. Strauss à celle présentée par M. Milligan dans la mesure où elles se contredisent. Évidemment, la preuve présentée par les deux parties est teintée par leur intérêt personnel, mais M. Strauss produit des éléments de preuve au soutien d’un plus grand nombre de ses allégations à comparer à M. Milligan, dont les déclarations ne sont généralement pas étayées. Bien que M. Milligan prétende [traduction] « bien connaître le fonctionnement du secteur pharmaceutique et du secteur de la phytothérapie, la concurrence sur le marché et l’exploitation courante d’une société de plantes médicinales », ses références ne sont pas assez bonnes pour que je puisse accepter ses déclarations en l’absence de preuve corroborante.

 

Fardeau de preuve

Bien que ce soit à la requérante qu’il incombe d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande satisfait aux exigences de la Loi, l'opposante a le fardeau initial de produire une preuve admissible suffisante à partir de laquelle on puisse raisonnablement conclure à la véracité des faits allégués au soutien de chaque motif d’opposition. [voir John Labatt Limited v. The Molson Companies Limited, 30 C.P.R. (3d) 293 à la p. 298; Dion Neckwear Ltd. v. Christian Dior, S.A. et al. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.)]

 

Motifs d’opposition concernant l’enregistrabilité

La déclaration d’opposition énonce que selon l’al. 12(1)d), la marque de la requérante crée de la confusion avec les marques de l’opposante, STRAUSS HEARTDROPS et HEARTDROPS, enregistrées le 29 avril 2003 sous les numéros respectifs LMC 580 184 et LMC 580 185. La date pertinente au regard de l’al. 12(1)d) est la date d’aujourd’hui [voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. et le Registraire des marques de commerce, 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.)].

 

Le critère qui permet de déterminer s'il y a confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. Lorsqu’il applique le critère énoncé au par. 6(2) de la Loi pour déterminer s’il y a confusion, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, notamment celles qui sont énumérées au par. 6(5) de la Loi. Les facteurs énoncés expressément au par. 6(5) sont les suivants : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce, et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période pendant laquelle chacune a été en usage; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce; le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent. La valeur à accorder à chaque facteur pertinent peut varier, dépendant des circonstances [voir Clorox Co. c. Sears Canada Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 483 (C.F. 1re inst.); Gainers Inc. c. Tammy L. Marchildon et le Registraire des marques de commerce (1996), 66 C.P.R. (3d) 308 (C.F. 1re inst.)].

 

L’argumentation écrite de la requérante ne porte pas sur les circonstances de l’espèce suivant l’article 6. Au lieu de cela, la requérante y réitère dans une large mesure les affirmations faites dans sa preuve. En particulier, elle formule les arguments suivants :

  1. l’opposante a attendu plus de 20 ans avant de produire une demande en vue de l’enregistrement de ses marques;
  2. au cours de ces vingt années, [traduction] « une tradition orale s’est établie suivant laquelle le nom simple et commode “Heartdrop” en est venu à désigner toute teinture » composée de certains ingrédients principaux;
  3. l’opposante a omis de protéger ses marques de commerce et n’a jamais demandé à la requérante de cesser d’employer « Heartdrop »;
  4. [traduction] la « marque et dessin employée par la requérante est si complètement différente de Strauss que son argument selon laquelle elle “prête à confusion par sa similarité avec” Strauss est trompeur et dénué de fondement ».

 

Dans la mesure où la requérante a évoqué dans son argumentation des faits qui ne figurent pas dans la preuve, je n’en ai pas tenu compte.

 

J’aborderai tour à tour chacun des arguments énumérés ci-dessus :

1.      le fait qu’une partie tarde à demander un enregistrement est dénué de pertinence au regard du risque de confusion;

2.      il n’y a pas suffisamment de preuve, à supposer même qu’il y en ait, pour étayer la prétention de la requérante selon laquelle il existe une telle tradition orale;

3.      a) puisqu’il n’y a aucune preuve d’emploi par des tiers des mots « heart drop » ou « heartdrop », il n’y a aucune preuve de défaut de la part de l’opposante de protéger ses droits;

b) M. Milligan n’a présenté aucune preuve d’emploi ou de promotion de la marque visée par la demande – si la marque de la requérante était peu présente sur le marché, l’absence de plainte de la part de l’opposante est compréhensible;

4.      l’argumentation de l’opposante se concentre sur les différences dans l’emballage, plutôt qu’entre les marques en cause. Ce faisant, elle adopte une démarche qui conviendrait dans le cadre d’une action en commercialisation trompeuse, mais non dans le cadre de la présente procédure.

                 

J’aimerais aussi souligner qu’une procédure d’opposition n’est pas le contexte approprié pour attaquer le caractère distinctif d’une marque de commerce enregistrée. La Loi prévoit d’autres recours pour contester la validité d’un enregistrement de marque de commerce.

 

Le moyen le plus fort de l’opposante repose sur son enregistrement de HEART DROPS. Je commencerai donc par analyser les circonstances de l’espèce qui concernent cette marque. Par ailleurs, étant donné que la marque HEARTDROPS de l’opposante ne me paraît pas être autre chose au fond qu’une variation mineure de la marque HEART DROPS, j’ai traité toute preuve d’emploi ou de promotion de HEART DROPS comme une preuve d’emploi ou de promotion de HEARTDROPS. [voir le 2e principe dans Nightingale Interloc Ltd. v. Prodesign Ltd. (1984), 2 C.P.R. (3d) 535 (C.O.M.C.) aux pp. 538-9]

 

La marque WINGS HEARTDROP FORMULA et dessin de la requérante possède un caractère distinctif inhérent plus marqué que la marque HEARTDROPS de l’opposante. Lorsqu’il est employé en liaison avec des remèdes médicinaux / à base d’herbes, le mot HEARTDROPS donne à entendre que le produit consiste en des « gouttes » qui sont bonnes pour le coeur.

 

Cependant, il appert que la marque de l’opposante a acquis un caractère distinctif au fil d’au moins deux décennies d’emploi et trois années de promotion active. La requérante elle-même semble admettre que le produit de l’opposante a connu un succès retentissant. En revanche, M. Milligan ne nous a présenté aucune preuve concernant l’ampleur de l’emploi ou de la promotion de la marque de la requérante.

 

La période pendant laquelle chaque marque avait été employée à la date pertinente favorise clairement l’opposante.

 

Les marchandises des parties sont d’une nature semblable, sinon identique, et l’on ne peut que présumer que leurs réseaux de vente seraient similaires.

 

La ressemblance entre les marques résulte de ce que la requérante a essentiellement incorporé l’intégralité de la marque de l’opposante dans sa propre marque. « Même s'il faut examiner la marque comme un tout (et non la disséquer pour en faire un examen détaillé), il est tout de même possible d'en faire ressortir des caractéristiques particulières susceptibles de jouer un rôle déterminant dans la perception du public. » [United Artists Corp. c. Pink Panther Beauty Corp. (1998), 80 C.P.R. (3d) 247 (C.A.F.) à la p. 263]

 

Dans Polo Ralph Lauren Corp. c. United States Polo Association et al. (2000), 9 C.P.R. (4th) 51 (C.A.F.) aux pp. 58-59, le juge Malone a résumé comme suit les principes directeurs à appliquer lorsque l’on évalue le risque de confusion :

L'examen de certains arrêts-clés fournit également des principes directeurs pratiques. Par exemple, la Cour doit se mettre à la place d'une personne ordinaire qui est familière avec la marque antérieure mais qui n'en a qu'un vague souvenir; la question à se poser est de savoir si un consommateur ordinaire, au vu de la marque postérieure, aura comme première impression que les marchandises avec lesquelles la seconde marque est employée sont en quelque façon associées à celles de la marque antérieure. S'agissant du degré de ressemblance dans la présentation, le son ou l'idée dont il est question à l'alinéa 6(5)e), les marques de commerce en cause doivent être examinées comme un tout. De la même façon, puisque c'est la combinaison des éléments qui constitue la marque de commerce et lui confère son caractère distinctif, il n'est pas correct, pour l'application du critère de la confusion, de placer les marques l'une en regard de l'autre et de comparer ou observer les ressemblances ou les différences des éléments ou des composantes de ces marques. En outre, les marques de commerce ne doivent pas être considérées séparément des marchandises ou services avec lesquels elles sont associées, mais en liaison avec ces marchandises ou services. Quand il s'agit de marques célèbres ou notoirement connues, il peut être plus difficile d'établir qu'il n'y a pas de probabilité de confusion, particulièrement quand le genre des marchandises est similaire. En dernier lieu, les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) ne doivent pas nécessairement se voir attribuer le même poids. Chaque cas de confusion peut justifier qu'on accorde plus d'importance à l'un de ces critères.

 

Il s’agit de déterminer si un consommateur qui a un souvenir général et non précis de la marque de l’opposante sera susceptible, au vu de la marque de la requérante, de penser que les deux produits proviennent de la même source. Étant donné la preuve selon laquelle l’opposante a été la seule partie à employer HEARTDROPS, et ce, pendant une longue période et dans une mesure appréciable, je ne suis pas convaincue qu’un consommateur qui connaîtrait le remède à base d’herbes HEARTDROPS de l’opposante n’aurait pas comme première impression que le remède à base d’herbes vendu sous la marque de commerce WINGS HEARTDROPS FORMULA et dessin provenait de la même source. En fait, il me semble que l’ajout du mot FORMULA dans la marque de la requérante renforce une telle conclusion en donnant à entendre que le produit est fabriqué de la même manière que le produit HEARTDROPS que le consommateur connaît déjà. Je suis consciente que le requérant pourrait dire que cela découle du fait que, pour tout le monde, HEARTDROPS évoque une formule plutôt qu’une source, mais il n’y a aucune preuve, mis à part les affirmations non étayées de la requérante, qui soutient cette allégation.

 

Je note également que M. Milligan affirme que le produit de la requérante est [traduction] « la seule version biologique d’une formule de “Heartdrops” ». [paragraphe 4, affidavit de M. Milligan] Si tel est le cas, alors les consommateurs pourraient conclure que la marque de commerce de la requérante indique qu’il s’agit de la version biologique du produit HEARTDROPS de l’opposante.

 

Comme l’affirmait la Cour fédérale dans Conde Nast Publication Inc. c. Union des Éditions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F. 1re inst.) à la page 188, si « l'on craint que l'enregistrement d'une marque de commerce puisse créer la confusion entre elle et une marque plus ancienne, cette dernière doit tirer le bénéfice de ce doute ».

 

Je conclus que la requérante ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que sa marque n’était pas susceptible de créer de la confusion avec la marque enregistrée HEARTDROPS. J’en arrive à cette conclusion malgré les différences entre les deux marques dans la présentation et le son. Le motif fondé sur l’al. 12(1)d) et tiré de l’enregistrement no LMC 580 185 est donc accueilli.

 

Motifs d’opposition fondés sur le droit à l’enregistrement

Bien que la requérante mentionne dans sa déclaration d’opposition des marques qu’elle a employées et dont elle a demandé l’enregistrement, elle invoque seulement l’al. 16(3)a), et non l’al. 16(3)b). En conséquence, j’interprète son acte de procédure comme traitant uniquement de confusion avec des marques antérieurement employées, et non de confusion avec des marques à l’égard desquelles des demandes ont été antérieurement produites. Je ne peux pas tenir compte de moyens qui n’ont pas été soulevés. [voir Imperial Developments Ltd. c. Imperial Oil Ltd. (1984), 79 C.P.R. (2d) 12 (C.F. 1re inst.) à la p. 21]

 

L’opposante a soutenu qu’à la date de production de la demande, la marque de la requérante créait de la confusion avec les marques STRAUSS HEART DROPS et HEART DROPS, dont chacune avait été employée sans interruption au Canada au moins depuis 1980 par l’opposante et ses prédécesseurs en titre en liaison avec des remèdes de phytothérapie naturels vendus sous forme liquide pour usages médicinaux et thérapeutiques

 

Dans les circonstances de l’espèce, la date à laquelle est tranchée la question de la confusion est indifférente. En conséquence, le motif d’opposition fondé sur l’al. 16(3)a) est accueilli sur la base de l’emploi antérieur de la marque de commerce HEART DROPS, pour des motifs semblables à ceux exposés ci-dessus dans le cadre de mon analyse relative à l’alinéa 12(1)d).

 

Autres motifs d’opposition

Étant donné que j’ai déjà tranché en faveur de l’opposante relativement à deux motifs d’opposition, je n’aborderai pas les autres motifs.

 

Conclusion

En qualité de délégataire du registraire des marques de commerce conformément au par. 63(3) de la Loi, je refuse la demande en vertu du par. 38(8).

 

 

FAIT À TORONTO, ONTARIO, CE 15E JOUR DE NOVEMBRE 2005.

 

 

 

Jill W. Bradbury

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

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