Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de

la Islamic Society of North America – Canada

à la demande no 1,052,639 produite par la Banque de Montréal

en vue de l’enregistrement de la marque de commerce HALAL

 

 

Le 28 mars 2000, la requérante, Banque de Montréal, a produit une demande d’enregistrement de la marque de commerce HALAL fondée sur l’emploi projeté de cette marque au Canada en liaison avec des « services de fonds mutuels, nommément courtage de fonds mutuels, distribution de fonds mutuels, et administration et gestion de fonds mutuels, y compris perception, investissement et paiement de sommes ».

 

La demande a été publiée aux fins de toute opposition éventuelle dans le Journal des marques de commerce du 20 mars 2002. L’opposante, Islamic Society of North America - Canada, a produit une déclaration d’opposition le 20 août 2002. Les motifs d'opposition sont résumés ci-dessous :

 

1.                  La demande n’est pas conforme à l’alinéa 30i) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi); en effet, la requérante ne pouvait pas être convaincue de son droit d’utiliser la marque de commerce au Canada en liaison avec les services décrits dans la demande, puisque qu'elle était (ou aurait dû être) au courant, à la date de la demande, que le mot « halal » est employé par les Musulmans au Canada dans le sens de « admissible » ou « autorisé » selon Allah, en liaison avec (entre autres) des services financiers.

 

2.                  La marque de commerce n'est pas enregistrable, sauf à titre de marque de certification, par renvoi à l'alinéa 12(1)e) de la Loi, pour la raison qu'il s'agit d'une marque dont l'adoption est interdite par l'article 10 parce que, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, elle est devenue reconnue au Canada comme désignant le genre ou la qualité de marchandises ou services.

 

3.                  La marque de commerce n'est pas enregistrable, par renvoi à l'alinéa 12(1)b) de la Loi, parce qu'elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des services à l'égard desquels on projette de l’employer.

 

4.                  La requérante n’est pas la personne qui a droit à l'enregistrement, au regard de l'alinéa16(3)a) de la Loi, parce que la marque de commerce, à la date de production de la demande, créait de la confusion avec la marque de certification non déposée HALAL employée par l'opposante pour certifier que des marchandises d'autres personnes satisfont à certaines normes.

 

5.         La marque de commerce n’est pas distinctive au sens de l'article 2 de la Loi parce qu’elle ne distingue pas véritablement entre les services en liaison avec lesquels la requérante propose de l'employer et les marchandises ou services d’autres personnes, à savoir l'emploi par ces derniers du mot « halal » par l'opposante, et(ou) par des musulmans individuels, en liaison avec des biens et services pour signifier qu'ils sont autorisés selon les enseignements du Coran.

 

La requérante a déposé et signifié une contre-déclaration. Elle a par la suite demandé et obtenu l'autorisation de modifier sa contre-déclaration; non contente de nier les allégations de l'opposante, la requérante a fait valoir que l'opposante n'est pas propriétaire de la « marque de certification non déposée ».

 

L'opposante a déposé en preuve les affidavits de M. Mohammad Ashraf, Ph.D., de John Beaudoin, de Theresa Leung et de Paul Singh.

 

La requérante a produit en preuve l'affidavit de Ziad Katul.

 

Ni l'une ni l'autre partie n'a produit une argumentation écrite. La tenue d’une audition n’a pas été demandée.

 

Éléments de preuve de l'opposante

 
Affidavit de M. Ashraf

 

M. Ashraf, Ph.D., un musulman pieux, est secrétaire général de l'opposante; il explique que celle-ci est un organisme-cadre communautaire sans but lucratif, affilié à un grand nombre d'organisations islamiques au Canada. L'opposante [traduction] « a pour vocation d'aider les musulmans canadiens à mener leurs affaires dans le respect du droit islamique ».

 

M. Ashraf déclare ce qui suit :

[traduction]

  « Halal est un terme arabe, employé dans le Qur'an [livre sacré des musulmans, souvent désigné "Coran" par les non-musulmans], qui signifie licite ou autorisé selon Allah. »

 

  « On donne communément au concept de "halal" une portée large, pour désigner les activités autorisées dans tous les aspects de la vie musulmane […] "Halal" est souvent employé pour indiquer qu'un aliment est conforme aux strictes restrictions alimentaires imposées par le droit islamique […] Toutefois [...] la notion de "halal" ne se limite pas, dans son application, aux prescriptions alimentaires. »

 

  « Une nette distinction est établie, dans le contexte des activités économiques, entre ce qui est "halal" (autorisé) et "haram" (interdit). Ainsi, le droit islamique interdit tout marché qui comporte des prêts à usure et des activités productrices d'intérêts, de même que les investissements dans des secteurs commerciaux qui traitent de produits et services […] socialement destructeurs et douteux sur le plan islamique. »

 

  « Le mot "halal" est souvent employé comme adjectif, pour décrire les pratiques commerciales, services financiers, pratiques bancaires et placements conformes à l'Islam. À titre d'exemple, j'ai connaissance des expressions suivantes : "investissements halal", "fonds communs de placement halal", "fonds halal" et ainsi de suite. »

 

M. Ashraf explique que l'opposante offre depuis 1980, par le truchement d'une filiale, des possibilités de financement et de placement conformes à l'Islam, en substitution aux instruments traditionnels. Il ajoute que cette filiale [traduction] « offre un financement "halal" ou des hypothèques "halal" aux musulmans désireux d'acheter une maison sans contrevenir à l'interdit sur les intérêts ». Il fournit (pièce 4) un exemplaire d'une brochure décrivant les points saillants de ce programme de financement. Toutefois, je ne vois nulle part le mot « halal » dans cette brochure.

 

M. Ashraf déclare que des filiales de l'opposante offrent en outre d'autres services financiers, comme des placements admissibles au REER, le financement des entreprises et la location et l'achat d'automobiles et de matériel, qui sont conformes à l'Islam.

 

M. Ashraf explique aussi que l'opposante est engagée depuis 1990 dans la certification de la viande selon les critères « halal » au Canada.

 

Pour conclure, M. Ashraf exprime sa conviction [traduction] « que la plupart des musulmans canadiens qui verraient le mot "halal" employé en liaison avec un produit ou service seraient portés à croire que ce produit ou service est conforme au droit islamique. »

 

Affidavit de M. Beaudouin

Quand il a préparé son affidavit, M. Beaudoin était stagiaire en droit aux bureaux des avocats de l'opposante.

 

M. Beaudoin présente des documents, obtenus sur Internet, qui contiennent les termes « halal », [placement ou investissement islamique] « Islamic investment », [fonds communs de placement islamiques] « Islamic mutual funds », [opérations bancaires islamiques] « Islamic banking », [finances islamiques] « Islamic finance » et autres expressions semblables. Je résume ci-après les points qui me paraissent les plus pertinents :

 

  Dans sa quatrième édition, publiée en 2000, The American Heritage ® Dictionary of the English Language définit ainsi le terme « halal » : [traduction] « n. Viande obtenue d'un animal abattu selon les prescriptions de la charia. »; « adj. 1. Viande abattue de la façon prescrite, ou relatif à cette viande : un boucher halal, une étiquette halal. 2. Conforme à la charia ou autorisé par elle. » [Non souligné dans l'original]

 

  Dans la version 2003 de www.dar-al-talaba.net, « A Guide to Halal Food Selection », on peut lire : [traduction] « Vouloir consommer des aliments halal n'est pas simplement une question des choses en elles-mêmes : il s'agit aussi de gagner sa vie par des moyens halal et des méthodes autorisées, et de s'abstenir de consommer une chose non obtenue par des moyens licites, comme l'a enseigné le hadith ci-dessus. » [Non souligné dans l'original]

 

  Des pages tirées de www.islamia.com en 2003 contiennent les énoncés suivants : [traduction] « Halal et Haram : rémunération. La charia islamique nous impose le devoir de gagner notre vie d'une façon halal; elle nous montre aussi les façons de gagner sa vie qui sont halal aussi bien que celles qui sont haram. Une entreprise est halal à moins qu'elle s'occupe de produits haram ou utilise des méthodes haram. »

 

  Un article intitulé « Basic Commitments of Muslims », en date du 4 janvier 2002 (www.islamicsociety.ca), contient l'énoncé suivant : [traduction] « L'argent doit être gagné de façon halal et dépensé de la façon qui convient. »

 

  Un article intitulé « Islamic Funds – The New Religious Investment Era », affiché en 2003 sur www.expatsite.com, contenait l'énoncé suivant : [traduction] « La caractéristique essentielle d'un système économique islamique est la distinction faite, dans la recherche du bien-être économique, entre ce qui est "halal" et ce qui est "haram". »

 

  Quelques extraits de la foire aux questions dans l'édition 2003 de www.amanahfinance.hsbc.com : [traduction] « La charia (droit islamique) n'exige pas que le vendeur d'un produit soit musulman ou que son revenu soit halal (licite) »; « Quand vous ouvrez un compte ou placez votre argent, vos fonds doivent être tenus à l'écart des fonds producteurs d'intérêts, pour que votre rendement soit halal (licite) »; « Comme nous en avons discuté dans la FAQ B6, il ne serait pas halal (licite) d'imposer une charge en vue de compenser la banque pour l'argent prêté. »

 

  Un article intitulé « When Interest is Forbidden by Religion », publié en 2003 dans le Wall Street Journal (http://ptg.djnr.com), contient l'énoncé suivant : [traduction] « Les prêteurs rendent un prêt "halal" (licite en arabe) en imposant un loyer, ou une indemnité, qui constitue leur profit dans cette opération. »

 

  Un article intitulé « Spiritual Principle and No Interest », publié en septembre 2001 sur www.sutton.com, contenait ce qui suit : [traduction] « Ce groupe de citoyens musulmans canadiens a adapté un type de financement "halal" : une personne achète une maison avec un ou plusieurs autres actionnaires-investisseurs, puis la rachète sur plusieurs années selon un accord de location-achat [...] En peu de temps, une coopérative de l'habitation avait été mise sur pied à Toronto; à ce jour, "l'hypothèque halal" a servi à financer plus de 200 foyers. »

 

  Quelques extraits concernant les investissements islamiques, tirés de la version 2003 de www.ihilal.com : [traduction] « Le consensus quasi-total parmi les érudits contemporains est qu'il est halal d'investir dans les bourses des valeurs, à condition que l'entreprise dans laquelle on investit ne soit pas engagée dans des affaires interdites par la charia […] Les produits de placement halal […] Des critères de sélection qualitatifs figurent parmi les règles générales suivies par les érudits de la charia pour décider quels investissements sont halal ou haram. »

 

  Quelques extraits concernant les investissements conformes à la charia, tirés de la version 2003 de www.miraj.com : [traduction] « Les érudits islamiques contemporains ont soigneusement étudié la question de l'échange des actions des entreprises internationales, afin d'établir si cela est licite ("halal") ou non […] Étant donné qu'il est quasiment impossible, dans l'ordre économique contemporain, de trouver des placements purement halal, la plupart des spécialistes de la charia sont d'avis qu'on ne peut refuser aux musulmans des possibilités d'investissement dans les marchés internationaux s'il est possible d'exercer un contrôle strict sur l'élément haram […] Il est donc indispensable, pour optimaliser le rendement halal des investisseurs, de se concentrer sur les actions des entreprises où l'élément "haram" est le plus faible. »

 

  La version 2003 de www.amanafunds.com fait référence au « Halal Investing » (investissements halal).

 

  Un article publié dans un magazine sous le titre « Overcoming the Cost of Being Muslim », en date de septembre 2000, publié sur www.forbes.com, déclare entre autres que : [traduction] « Pour que le fonds demeure halal – "acceptable" selon le droit islamique – les administrateurs de fonds rencontrent chaque trimestre le Fiqh Council of North America […] Des compromis sont nécessaires pour créer un portefeuille halal. »

 

  Quelques extraits concernant les investissements halal, tirés de la version 2003 de www.azzadfund.com : [traduction] « Les investissements Halal (parfois désignés investissements fondés sur la charia) […] Un fonds commun de placement halal est un fonds mutuel, fondé sur la religion, qui […] Les fonds halal cherchent à respecter l'interdit jeté contre les intérêts […] La plupart des investisseurs halal veulent que leurs placements […] Un fonds halal convient-il à mes besoins? Les fonds halal ont la plupart des mêmes caractéristiques conventionnelles que […] Les avoirs dans un fonds halal sont triés […] Un fonds halal ne peut emprunter de l'argent […] Un fonds halal investit uniquement dans des actions ordinaires […] Un fonds halal ne peut investir dans des instruments portant intérêt […] »

 

  Un article intitulé « Finally! A Mutual Fund for (Canadian) Muslim Investors », affiché en février 2002 (http://tyo.ca/islambank.community), discute d'un fonds intitulé StrategicNova SAMI et contient les mots : [traduction] « Les investissements doivent être halal […] »

 

  Définitions trouvées sur des sites francophones : « Petit glossaire de l'islam - Halal, Hallal (Halâl) : [ licite ] Terme utilisé pour qualifier un acte, licite selon la tradition Islamique. (http://www.fleurislam.net/media/glossaire/Aff_gloss.php3?glossAction=term&glossSearchCriteria=Ahkam).

 

Questions - traduisez par le mot « halal » tout ce qui est licite, permis autorisé. Le terme halal n’est pas exclusivement employé dans le domaine de la viande mais d’une manière générale il définit tout ce qui est autorisé par la religion musulmane dans des domaines aussi variés que la viande, le culte, l’éducation, le mariage, le commerce… (http://www.alhalal.com/adcm/Questions.htm)

 

Vers une nouvelle jurisprudence islamique – [...] en Islam, à l'origine des choses est le licite (halâl), l'autorisé, [...]

(http://www.islamiccall.org/Vers%20une%20Nouvelle%20Jurisprudence%20islamique%20(Vol_1).htm)

 

M. Beaudoin fournit en outre des extraits de livres et d'imprimés qu'il a trouvés à Toronto :

 

  « Economic Concepts of Ibn Taimiyah », par Abdul Azim Isalhi, publié en 1988 : [traduction] « Une caractéristique propre à la science économique islamique est qu'elle est régie par le concept de halāl et de harām (légitime et illégitime). »

 

  « Islamic Business Ethics », par Issa Beekun, publié en 1997 : [traduction] « Le Coran et la sunna complètent ces axiomes en indiquant à quel point chacun de ces comportements est licite et en précisant les secteurs d'affaires qui sont harām et halāl pour les hommes d'affaires musulmans. » « Les secteurs d'affaires halāl et harām […] On peut supposer que ce qui est harām correspond à des secteurs d'affaires eux-mêmes harām, et donc contraires à l'éthique. De même, on peut supposer que ce qui est halāl correspond à des secteurs d'affaires eux-mêmes halāl, et donc conformes à l'éthique. »

 

  « Islamic Banking », par Mervyn Lewis et Latifa Algaoud, publié en 2001 : [traduction] « […] Il est permis d'investir dans le marché des titres, à condition que les entreprises en question ne fassent commerce que de marchandises halal. Ce concept se rapproche de l'idée occidentale moderne de l'investissement éthique. »

 

M. Beaudoin déclare pour conclure que, selon les informations les plus récentes qu'il a pu obtenir de Statistique Canada, environ 253 300 Canadiens se sont identifiés comme étant musulmans dans le recensement de 1991.

 

Affidavit de Mme Leung

Mme Leung, agente des marques de commerce, a effectué une recherche en 2003 afin de repérer tous les enregistrements canadiens de marques de commerce contenant le mot « halal ». Elle en a trouvé huit; les détails de ces enregistrements ont été produits.

 

Affidavit de M. Singh
Quand il a préparé son affidavit, M. Singh était stagiaire en droit aux bureaux des avocats de l'opposante. Il a téléchargé, à partir du site Web de Statistique Canada, un tableau qui indique qu'environ 579 640 Canadiens se sont identifiés comme étant musulmans dans le recensement de 2001.

 

Éléments de preuve de la requérante

Affidavit de M. Katul

M. Katul, avocat au service du cabinet qui représente la requérante, a effectué de nombreuses recherches sur Internet en 2003; je les résume ci-dessous :

 

1.                       La recherche du mot « halal » sur Google a donné 254 000 résultats. M. Katul a examiné les 40 premières pages Web obtenus par cette recherche et indique que, dans la très grande majorité, « halal » est employé pour des questions d'aliments et de régimes alimentaires. Je suis d'accord, mais je n'y vois aucune justification pour la conclusion de M. Katul, c'est-à-dire que les résultats de ces recherches démontrent l'emploi le plus fréquent du mot « halal » en mars 2000.

 

2.                       Beaucoup d'autres recherches ont été effectuées sur Google avec le mot « halal » en combinaison avec d'autres, par exemple « aliment », « régime », « magasin », « produit » et « ingrédient ». Il me paraît inutile de faire des observations sur les résultats de ces recherches et je me bornerai à noter qu'elles ont donné beaucoup de résultats.

 

3.                       Le mot « halal » a également fait l'objet d'une recherche sur Google après élimination des mots liés à l'alimentation employés dans les recherches discutées au point 2 ci-dessus. Cette recherche a donné 26 700 pages Web. M. Katul estime que ce nombre représente environ 10 % des pages Web en anglais contenant le mot « halal »; il ajoute que [traduction] « beaucoup de ces 26 700 pages Web portent en fait sur les aliments, les produits alimentaires ou les services alimentaires, parce qu'il est impossible d'exclure de la recherche la totalité de la terminologie alimentaire : en effet, Google limite à dix le nombre de mots sur lesquels une recherche peut porter. Le temps a fait défaut pour procéder à une évaluation individuelle de chacune de ces 26 700 pages Web. » Je note que, sur les dix résumés que contient la pièce C-23 qu'il a présentée, deux semblent clairement concerner les aliments, deux traitent peut-être en partie de questions alimentaires et un discute très nettement de questions financières (Halal Financial Alternatives).

 

4.                       M. Katul a en outre effectué des recherches sur le mot « halal », au moyen de Google, sur des pages Web en français.

 

5.                       M. Katul a consulté le site Web de Statistique Canada (www.statcan.ca) et accédé à des informations sur la répartition de la population canadienne par religion. Il déclare : [traduction] « Ce sont des renseignements accessibles au public, recueillis par le gouvernement du Canada, qui sont selon moi exacts et précis. » Le recensement de 2001 indique, entre autres, que les musulmans canadiens étaient au nombre de 579 645 et représentaient 1,68 % de la population canadienne à l'époque. M. Katul fait observer que ce même recensement faisait état d'une population de 329 995 juifs canadiens au Canada, et il confirme la preuve de M. Beaudoin concernant le nombre de musulmans canadiens selon le recensement de 1991.

 

6.                       M. Katul a effectué des recherches du mot « halal » sur les sites Web de cinq grands journaux canadiens; il n'a rien trouvé dans trois de ces sites – et la majorité des résultats qu'il a obtenus concernait les aliments. Aucun ne se rapportait de façon évidente à des questions financières.

 

7.                       Une recherche dans la base de données en ligne du Bureau canadien des marques de commerce a repéré 15 demandes ou enregistrements en cours pour des marques contenant le mot « halal ». À l'exception de la présente demande de la requérante, ils concernent tous des aliments; en outre, neuf contiennent un avertissement touchant le mot « halal ». M. Katul conclut que le fait que les enregistrements délivrés après 1997 contiennent presque tous un avertissement résulte de la multiplication par presque deux du nombre de musulmans canadiens entre 1991 et 2001.

 

8.                       Une recherche effectuée le 26 novembre 2003 a révélé que la requérante est la seule partie à détenir une demande ou un enregistrement de marque de commerce canadienne pour le mot « halal » en liaison avec des « services financiers » ou des « fonds communs de placement ». M. Katul a aussi vérifié qu'il n'existait à cette date aucune demande ou enregistrement pour le mot « casher » en liaison avec des « services financiers » ou des « fonds communs de placement » (des résultats semblables ont été obtenus dans le Trademark Register des États-Unis).

 

9.                       Au paragraphe 55 de son affidavit, M. Katul donne son avis personnel, qu'il a formé à partir des recherches qu'il a effectuées, sur le sens que le grand public donne aux termes « casher » et « halal ». Je n'ai tenu aucun compte de son opinion, car rien ne donne à croire que M. Katul soit un expert en matière de perceptions du public.

 

10.                   M. Katul a en outre effectué des recherches sur les marques de commerce en fonction des expressions « développement durable », « vert » et « éthique », mais je n'en vois pas la pertinence.

 

11.                   Des recherches sur le mot « halal » ont été menées dans 13 sites Web de type « encyclopédies » ou « dictionnaire »; dans neuf cas, « halal » était défini par rapport aux aliments et les quatre autres n'ont donné aucun résultat.

 

12.                   Au paragraphe 73 de son affidavit, M. Katul inscrit neuf déclarations sur l'emploi du mot HALAL par la requérante, fondées sur ce qu'il croit déduire de l'information que lui a fournie l'agent des normes principal d'une filiale de la requérante. Ces énoncés – qui contiennent des conclusions de droit portant directement sur les questions en l'espèce – sont manifestement inadmissibles.

 

Analyse des motifs d'opposition

Je dirai de prime abord qu'il est parfois difficile de saisir les positions des parties en l'absence d'argumentation, écrite ou orale, de l'une ou de l'autre de ces parties. Cela dit, j'estime que le cinquième motif d'opposition, soit le caractère non distinctif de la marque de la requérante, est le motif le plus convaincant avancé par l'opposante, et je l'analyserai donc en premier. La date pertinente pour déterminer la question du caractère distinctif est celle de la date de production d’une déclaration d’opposition [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F. 1re inst.) à la page 324].

 

Bien entendu, il incombe légalement à la requérante de prouver que sa demande est conforme, selon la prépondérance des probabilités, aux exigences de la Loi, mais l’opposante a le fardeau initial de présenter suffisamment d’éléments de preuves admissibles permettant raisonnablement de conclure à la véracité des faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition [voir John Labatt Limited c. The Molson Companies Limited, 30 C.P.R. (3d) 293 à la page 298; Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.)]. Je conclus que l'opposante s'est acquittée de sa charge initiale en prouvant que le mot HALAL est employé pour qualifier des marchandises et des services autorisés selon le droit islamique.

 

La question est ensuite de savoir si la preuve de la requérante me persuade, selon la prépondérance des probabilités, que le mot HALAL est de nature à distinguer les services de fonds communs de placement offerts par la requérante des services offerts par d'autres. Je conclus que la requérante ne s'est pas acquittée de cette charge, car s'il est vrai que le terme descriptif HALAL semble être employé essentiellement dans l'industrie alimentaire, il ne s'ensuit pas logiquement qu'on pourrait l'utiliser pour distinguer une source unique dans un domaine entièrement différent. Au vu de la preuve que le sens du mot HALAL englobe tous les services et marchandises, et pas seulement les aliments, je ne vois pas comment un musulman pieux pourrait croire, de prime abord, que des fonds communs de placement nommés HALAL désigneraient une source en particulier au lieu de signaler que les services offerts sont conformes à la charia. En raison de son caractère descriptif, le mot HALAL ne permet pas de distinguer les services proposés par la requérante. La conclusion à laquelle j'arrive, à savoir que ce mot ne peut servir à distinguer les services de la requérante, serait davantage étayée par des preuves supplémentaires que d'autres emploient le mot HALAL pour décrire leurs services financiers; néanmoins, le peu de preuve d'un tel emploi par un tiers n'est pas suffisant pour permettre à la requérante de s’acquitter du fardeau de la preuve. Il demeure que HALAL peut servir de descripteur pour des services financiers et que ce fait est suffisant pour lui enlever tout caractère distinctif.

 

Pour les raisons qui précèdent, le motif d'opposition fondé sur le caractère distinctif est accueilli.

 

Sur la question du motif d'opposition fondé sur le caractère descriptif [sic], je statue que l'opposante s'est acquittée de son fardeau initial en établissant que certains Canadiens, au 28 mars 2000, seraient portées à croire que l'emploi du mot « halal » veut dire que les services sont conformes aux enseignements de l'Islam.

 

La question de savoir si la marque de la requérante est clairement descriptive de la nature ou de la qualité des services de la requérante doit être examinée du point de vue de l'acheteur moyen du service en question. « Nature » désigne une particularité, un attribut ou une caractéristique du produit ou service, tandis que « clairement » signifie [traduction] « facile à comprendre, évident ou simple » [Drackett Co. of Canada Ltd. c. American Home Products Corp. (1968), 55 C.P.R. 29, à la page 34]. « La décision à l'effet qu'une marque est clairement descriptive pourra se fonder sur la première impression; elle ne doit pas provenir d'une recherche sur le sens des mots. » [Wool Bureau of Canada Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1978), 40 C.P.R. (2d) 25 (C.F. 1re inst.), à la page 27].

 

Bien que la description des services de la requérante ne donne aucune indication qu'elle cible la communauté musulmane, l'adoption proposée de la marque HALAL laisse supposer une telle conclusion. Rien ne donne à croire que la requérante estime que cette marque a un sens autre que celui énoncé dans le Coran; or la preuve établit sans l'ombre d'un doute que si le mot HALAL est associé le plus souvent à des aliments conformes à l’Islam, en revanche son sens n'est pas exclusivement lié aux aliments : ceux qui connaissent la foi musulmane donneraient au mot HALAL le sens plus général de « autorisé par le droit islamique ». Dans cette optique, il me semble qu'il ne conviendrait pas que ce mot soit monopolisé par une seule entité, surtout au moyen d'une demande d'utilisation proposée.

 

J'ai des doutes quant à l'admissibilité du type de preuve avancée par les parties pour établir le nombre de Canadiens qui sont musulmans. Mais comme les deux parties ont fait appel à la même source d'information, il semble qu'elles soient d'accord qu'une preuve de cette nature doit être considérée comme admissible, et c'est donc ainsi que je la traiterai. En tout état de cause, je pourrais sans doute prendre connaissance d'office qu'un certain nombre de Canadiens pratiquent la foi islamique. Sur la question de l'importance de ce nombre, qui est sans doute assez faible par rapport au nombre de Canadiens non musulmans, il importe de garder à l'esprit l'identité du consommateur moyen éventuel du service en question. S'il est clair que les services financiers ne sont pas exclusivement destinés aux tenants de la foi islamique, il est en revanche manifeste que l'adoption d'un mot connu particulièrement des musulmans a pour objet d'attirer cette clientèle cible. Même si la preuve produite par la requérante donne à croire que « halal » est pour elle un adjectif employé essentiellement par rapport aux aliments, la requérante ne nie pas que ce mot a une importance avant tout pour les adhérents de la foi islamique.

 

Je ne crois pas que l'importance relative de la communauté musulmane au Canada puisse nous empêcher de conclure que le mot HALAL est clairement descriptif des services faisant l'objet de la demande. On peut interpréter le simple fait que le gouvernement du Canada a décidé de tenir des statistiques sur cette population comme une indication que celle-ci constitue un élément notable de notre société.

 

Pour les raisons susmentionnées, je statue que la marque faisant l'objet de la demande n'est pas enregistrable, en application de l'alinéa 12(1)b). Si les services de la requérante sont conformes au droit islamique, la marque est clairement descriptive; s'ils ne sont pas conformes au droit islamique, la marque donne une description fausse et trompeuse.

 

Étant donné que j'ai déjà tranché en faveur de l'opposante à l'égard de deux motifs d'opposition, je m'abstiendrai de discuter des autres motifs.

 

Décision

Par conséquent, et conformément à l’autorité qui m’est déléguée par le registraire des marques de commerce en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi sur les marques de commerce, je rejette la demande en application des dispositions du paragraphe 38(8) de cette loi.

 

FAIT À TORONTO (ONTARIO), CE 10e JOUR DE NOVEMBRE 2005.

 

Jill W. Bradbury

membre

Commission des oppositions des marques de commerce

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