Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION de Corporacion Cuba Ron, S.A. à la demande no 1185061 visant la marque de commerce CUBA et Dessin propriété de Hela Wines & Spirits APS

 

 

[1           Le 17 juillet 2003, Hela Wines & Spirits APS [la Requérante], a produit une demande d’enregistrement visant la marque de commerce CUBA et Dessin [la Marque], reproduite ci‑dessous. 

 

CUBA & Design

[2           La demande est fondée sur l’emploi projeté de la Marque au Canada en liaison avec des boissons alcoolisées, nommément de la vodka et des boissons à base de vodka. La Requérante s’est désistée du droit à l’usage exclusif des mots VODKA, MADE IN DENMARK, www et .com en dehors de la marque de commerce.

 

[3      La demande a été annoncée aux fins d’opposition dans l’édition du Journal des marques de commerce du 14 juin 2006. Le 14 novembre suivant, Corporacion Cuba Ron, S.A. [l’Opposante] a produit une déclaration d’opposition dans laquelle elle invoque des motifs fondés sur les alinéas 38(2)a), b) et d) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 [la Loi].  La Requérante a produit et signifié une contre‑déclaration.

 

[4      À l’appui de son opposition, l’Opposante a produit un affidavit souscrit par Julie Schimmens. La Requérante n’a soumis aucun élément de preuve. Mme Schimmens n’a pas été contre‑interrogée sur son affidavit. 

 

[5      Les deux parties ont produit un plaidoyer écrit. Une audience a été tenue, à laquelle seule la Requérante était représentée. 

 

Fardeau de preuve

[6      Il incombe à la Requérante de démonter suivant la prépondérance des probabilités que sa demande satisfait aux exigences de la Loi. L’Opposante a toutefois le fardeau initial de présenter une preuve recevable suffisante pour qu’on puisse raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués au soutien de chacun des motifs d’opposition [voir John Labatt Limitée c. Les Compagnies Molson Limitée (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), à la page 298]. 

 

Question préliminaire

[7           L’affidavit de Julie Schimmens, recherchiste en marques de commerce dans le cabinet d’avocats représentant l’Opposante, n’a été déposé qu’à la seule fin de produire en preuve la version papier d’un article intitulé « Trading Shots over famed Havana Club rum  », paru dans le site Web www.cubaheadlines.com. Cet article traite d’un litige aux États‑Unis opposant la société française de vins et spiritueux Pernod Ricard à la société Bacardi Ltd. au sujet de la marque de commerce HAVANA CLUB. 

 

[8           Je conviens avec la Requérante que cet élément de preuve relève du ouï‑dire. L’Opposante ne peut donc s’en servir que pour établir l’existence de l’article, non la véracité de ce qui y est relaté. La Requérante fait de plus valoir avec raison que même si je pouvais prendre en compte la teneur de l’article, l’opinion de son auteur sur un litige aux États‑Unis concernant la marque de commerce HAVANA CLUB employée en liaison avec du rhum n’a aucune valeur probante en l’espèce.

 

Les motifs d’opposition fondés sur les alinéas 30e), 12(1)e) et 38(2)d)

[9           L’Opposante n’ayant fourni aucun élément de preuve et invoqué aucun argument à l’appui des motifs d’opposition fondés sur les alinéas 30e), 12(1)e) et 38(2)d), chacun de ces motifs est donc rejeté.

 

Le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b)

[10       L’Opposante soutient qu’en application de l’alinéa 12(1)b), la Marque n’est pas enregistrable parce que, sous sa forme sonore, elle donne une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des marchandises. Elle prétend que Cuba étant un pays des Caraïbes, il est considéré comme un pays producteur de spiritueux, de sorte que le consommateur ordinaire présumerait, devant le mot CUBA (l’élément dominant de la Marque), que les boissons alcoolisées produites par la Requérante proviennent de Cuba, alors que ce n’est pas le cas. Elle tire argument à cet égard de la petitesse des caractères des mots « made in Denmark ». Je relève également que le droit à l’usage exclusif du mot « Denmark » en dehors de la marque a fait l’objet d’un désistement.

 

[11       La question de savoir si la Marque donne une description claire ou une description fausse et trompeuse du lieu d’origine doit s’examiner du point de vue de l’acheteur ordinaire des marchandises. Il ne faut pas scruter séparément chacun des éléments constitutifs de la Marque, celle-ci doit plutôt être considérée dans son ensemble et sous l’angle de la première impression [Wool Bureau of Canada Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1978), 40 C.P.R. (2d) 25 (C.F. 1re inst.), aux pages 27‑28; Atlantic Promotions Inc. c. Registraire des marques de commerce (1984), 2 C.P.R. (3d) 183 (C.F. 1re inst.), à la page 186 (Atlantic Promotions)]. La date pertinente applicable à ce motif d’opposition est la date de la production de la demande [Shell Canada Ltd. c. P.T. Sari Incofood Corp. (2005), 41 C.P.R. (4th) 250) (C.F. 1re inst.), Fiesta Barbeques Ltd. c. General Housewares Corp. (2003), 28 C.P.R. (4th) 60 (C.F. 1re inst.)].   

 

[12       Le test applicable pour déterminer si une marque de commerce donne une description fausse et trompeuse du lieu d’origine de marchandises a été décrit ainsi par le juge Cattanach dans la décision Atlantic Promotions, précitée, à la page 186 :

 

… le critère que l’on doit appliquer pour déterminer si une marque de commerce dans son entier constitue une description fausse et trompeuse consiste à savoir si le public canadien serait induit en erreur sur l’origine du produit associée à la marque de commerce et croirait que ce produit provient de l’endroit désigné par le nom géographique utilisé.

 

Le juge a ajouté que lorsqu’un nom géographique est lié à des marchandises fabriquées à cet endroit, il y a « description claire du lieu d’origine ». Si les marchandises ne sont pas fabriquées en ce lieu, le nom est alors une description fausse et peut, suivant les circonstances, induire en erreur.

 

[13       Aux termes de l’alinéa 12(1)b) de la Loi, n’est pas enregistrable une marque composite dont la forme sonore comporte des éléments lexicaux qui donnent une description claire ou une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des marchandises et qui constituent aussi l’élément dominant de la marque [voir Best Canadian Motor Inns Ltd. c. Best Western International, Inc. (2004). 30 C.P.R. (4th) 481 (C.F. 1re inst.)]. En outre, il faut examiner si les mots faux et trompeurs « dominent la marque de commerce visée par la demande au point ... de faire obstacle à l’enregistrement de celle-ci ... » [Conseil canadien des ingénieurs c. John Brooks Co. (2004), 35 C.P.R. (4th) 507 (C.F. 1re inst.)]. 

 

[14       En l’espèce, la marque comporte notamment le mot CUBA, l’expression MADE IN DENMARK, qui figure à deux endroits différents, l’expression THE REVOLUTIONARY VODKA, qui figure elle aussi à deux endroits différents et la mention du site Web de la Requérante, www.cubavodka.com. J’estime que l’élément dominant de la Marque est le mot CUBA, parce qu’il figure en caractères plus gros et plus gras que les autres mots ou éléments graphiques et qu’il est placé dans la partie supérieure du dessin.     

 

[15       Étant donné ma conclusion que CUBA est l’élément dominant de la Marque dans sa forme sonore, il faut donc déterminer si la Marque dans son ensemble induirait le public canadien à penser erronément que la vodka de la Requérante provient de Cuba. Dans Gainers Inc. c. Hygrade Food Products Corp. (1995), 63 C.P.R. (3d) 265 (C.O.M.C.), M. Partington, alors président, a traité ainsi, aux pages 269‑270, la question de savoir si, dans cette affaire, la marque de commerce WEST VIRGINIA donnait une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des marchandises (jambon et bacon) :

[traduction] En l’espèce, la preuve de l’opposante n’établit pas que le public canadien croirait à tort que les marchandises de la requérante proviennent de la Virginie‑Occidentale. À cet égard, il n’y a aucun élément de preuve indiquant que le consommateur canadien moyen de jambon et de bacon saurait que cet État a la réputation de produire ces marchandises ni même qu’elle en produit. Par conséquent, même si le consommateur canadien moyen était au courant de l’existence de l’État de la Virginie‑Occidentale, aucun élément de preuve n’indique que la marque de commerce de la requérante pourrait l’induire à croire erronément que le lieu d’origine des jambons et du bacon de cette dernière est la Virginie‑Occidentale. Il faut donc conclure que la marque WEST VIRGINIA de la requérante ne donne pas de description fausse et trompeuse du lieu d’origine de ses marchandises. Le premier motif d’opposition est donc rejeté.

 

[16       Le seul élément de preuve présenté à l’appui de ce motif est l’affidavit de Mme Schimmens qui, on l’a vu, ne possède pas une grande valeur probante. Je suis toutefois habilité à prendre connaissance d’office de définitions de dictionnaires [Envirodrive Inc. c. 836442 Canada Inc., 2005 ABQB 446, 140 A.C.W.S. (3d) 970], et il appert de la définition de CUBA, dans le Canadian Oxford Dictionary, qu’il s’agit d’un pays des Caraïbes, de l’île la plus grande et la plus occidentale des Antilles, située à l’embouchure du golfe du Mexique. Je suis donc disposée à considérer que Cuba est connue des Canadiens comme un pays des Caraïbes.

 

[17       Il faut ensuite examiner si Cuba est connue comme pays producteur de vodka. L’Opposante a invoqué quatre décisions récentes de la COMC rejetant des demandes produites par Bacardi & Company Limited en vue de l’enregistrement des marques OLD HAVANA, HAVANA SELECT, OLD HAVANA‑étiquette et OLD HAVANA et Dessin, visant toutes des boissons alcooliques distillées, nommément du rhum, au motif qu’elles donnent une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des marchandises. Les faits des affaires HAVANA se distinguent de la situation qui nous occupe, du fait que la marchandise en cause dans chacune d’elles était du rhum; mon collègue Carrière a conclu que Cuba était connue des Canadiens comme une île des Caraïbes, région connue comme productrice de rhum. Rien dans ces décisions n’indique qu’il puisse y avoir un lien entre le rhum et la vodka.

 

[18       Par conséquent, bien que la connaissance d’office m’autorise à considérer que Cuba est bien connue des Canadiens comme un pays des Caraïbes, aucun élément de preuve n’indique que ce pays soit connu comme producteur de vodka. Il s’ensuit que même si certains consommateurs connaissent Cuba, il n’y a aucune preuve indiquant qu’ils pourraient erronément penser que de la vodka y est produite. Je ne puis donc conclure que la Marque donne une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des marchandises visées. Ce motif d’opposition est donc écarté.

 

[19       J’ajouterais que même s’il avait été démontré que des Canadiens considéreraient que le mot CUBA donne une description fausse du lieu d’origine de la vodka, je ne conclurais pas pour autant que la Marque dans son entier donne une description fausse et trompeuse du lieu d’origine de la vodka de la Requérante. En effet, les mots « made in Denmark » figurant à deux endroits dans la Marque empêchent de penser que la vodka provient de Cuba. Par conséquent, bien que CUBA puisse être l’élément dominant de la Marque, je suis d’avis qu’il ne domine pas la marque dans son entier au point qu’il faille refuser l’enregistrement.

 

[20       Dans l’exercice du pouvoir qui m’a été délégué par le registraire des marques de commerce en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

 

FAIT à Gatineau, le 21 décembre 2009.

 

 

 

 

Cindy R. Folz

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.

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