Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

Informations sur la décision

Contenu de la décision

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION PAR Granny’s Poultry Co-operative (Manitoba) Ltd. à la demande d’enregistrement No. 1147449 pour la marque de commerce GRANNY’S et dessin produite par  Saputo Groupe Boulangerie Inc_______________________________________

 

 

 

I Les Procédures

 

Saputo Groupe Boulangerie Inc. (la « Requérante ») a déposé le 25 juillet 2002 une demande pour l’enregistrement de la marque de commerce GRANNY’S et dessin telle que ci-après illustrée :

 

GRANNY'S & DESSIN (la «Marque»),

 

fondée sur un emploi projeté en liaison avec des produits alimentaires, nommément : craquelins, pains-bâtons, croûtons, chapelures, farines, toast melba, biscottes, bases pour soupes et sauces désydratées, soupes et sauces déshydratées, biscuits, tartes, tartelettes, feuilletés, bonbons, gâteaux, barres-gâteaux, brownies, grignotises à bases de céréales, galettes et carrés à la guimauve («les Marchandises »).

 

Cette demande fut publiée le 18 décembre 2002 dans le journal des marques de commerce pour fins d’opposition.

 

Granny’s Poultry Co-operative (Manitoba) Ltd. («l’Opposante») a déposé le 22 janvier 2003 une déclaration d’opposition. Les motifs d’opposition sont essentiellement les suivants:

 

1)      En vertu des dispositions des articles 38(2)(a) et 30(i) de la loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (« loi »), la Requérante ne pouvait être convaincue, et ne peut l’être présentement, de pouvoir employer la Marque au Canada en liaison avec les Marchandises car elle avait pleine connaissance de la marque de commerce suivante  de l’Opposante:

GRANNY’S et dessin ovale (demande no. 1155980) pour de la volaille fraîche ou congelée ou des parties de volaille fraîches ou congelées.

 

2)      En vertu des dispositions des articles 38(2)(b) et 10 de la loi :

a)      la Marque n’est pas enregistrable car l’Opposante, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, a employé sa marque de commerce d’une telle manière qu’elle est devenue reconnue au Canada comme désignant le genre, la qualité, la valeur des marchandises avec lesquelles la marque de l’Opposante est associée, et que l’emploi de la Marque par la Requérante en liaison avec les Marchandises induirait en erreur le public quant à la source des marchandises de l’Opposante et celles de la Requérante;

b)      l’emploi de la Marque par la Requérante est susceptible d’induire en erreur le public en ce qu’il confondra la Marque avec celle de l’Opposante.

3)      En vertu des dispositions des articles 38(2)(c) et 16(3)(a) de la loi, la Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque car à la date de production de la demande d’enregistrement, la Marque portait à confusion avec la marque de commerce de l’Opposante employée au Canada.

4)      En vertu des dispositions des articles 38(2)(d) et 2 de la loi, la Marque n’est pas distinctive car elle ne distingue ou n’est pas apte à distinguer les Marchandises des marchandises et services des tiers et en particulier les marchandises de l’Opposante vendues en liaison avec sa marque.

 

L’Opposante allègue également :

 

“The opponent’s trade-mark has been continuously used in Canada by the Opponent and its predecessors in title; and has been used since at least as early as 1964 in association with the applicable wares. The trade-mark has also been used in conjunction with the opponent’s trade-mark “GRANNY’S” which latter trade-mark was registered under number UCA35896 and has been used in association with fresh and frozen poultry and fresh and frozen poultry parts since August 3, 1950.”

 

Le 2 mai 2003, la Requérante a déposé une contre-déclaration d’opposition niant les motifs d’opposition soulevés par l’Opposante et alléguant que l’article 10 est plaidé de façon irrégulière. Elle soutient également que le motif d’opposition ci-haut reproduit est ambigu et insuffisant en ce qu’il ne précise pas en relation avec lesquelles marchandises la marque aurait été utilisée depuis 1964 et que l’expression « applicable wares » est insuffisante.

 

La preuve de l’Opposante est constituée de l’affidavit de M. Wayne F. Morrison. La Requérante a produit en preuve les affidavits de M. Michel Lanctôt et de Mme Annie Robinson. Aucun des affiants n’a été contre-interrogé.

 

L’Opposante a demandé la permission d’amender sa déclaration d’opposition afin d’y ajouter la référence à l’article 12(1)(e) de la loi dans le cadre de son second motif d’opposition ci-haut décrit. Par décision rendue le 6 décembre 2004 le registraire a accueilli la demande de l’Opposante. L’Opposante a toutefois informé le registraire le 20 mars 2006 qu’elle se désistait de son second motif d’opposition.

 

Chacune des parties a déposé un plaidoyer écrit et était représentée lors d’une audience.

 

II La preuve

 

 M. Morrison est le « COO »  de l’Opposante. Il dresse un historique corporatif de cette dernière. Il a produit une copie d’une demande d’enregistrement pour la marque GRANNY’S et dessin telle que ci-après illustrée :

GRANNY'S & DESIGN( « marque graphique de l’Opposante »)

 

portant le numéro 1155980 (Pièce A) qui a été déposée le 16 octobre 2002 (donc postérieurement à la présente demande) basée sur un emploi depuis 1964 en liaison avec de la volaille fraîche ou congelée ou des parties de volaille fraîches ou congelées.

 

Il a également produit les pièces suivantes :

Pièce B, une copie du certificat d’enregistrement numéro UCA035896 pour la marque GRANNY’S émis le 9 août 1950 en liaison avec de la volaille fraîche ou congelée ou des parties de volaille fraîches ou congelées ainsi que des produits laitiers et des œufs;

Pièce C : document intitulé Progress Report du prédécesseur en titre de l’Opposante où il est fait référence à la marque GRANNY et la marque graphique de l’Opposante;

Pièce D : exemplaires de factures portant la marque graphique de l’Opposante, la plus vieille remontant au 20 septembre 1995;

Pièce E : formulaire daté de mars 1978 déposé auprès d’Agriculture Canada pour l’approbation d’étiquettes sur lesquels formulaires il est fait référence à la marque GRANNY’S;

Pièce F : exemplaires d’étiquettes présentement utilisées par l’Opposante et sur lesquelles est apposée la marque graphique de l’Opposante;

Pièce G : un emballage portant la marque graphique de l’Opposante;

Pièce H : échantillons de sacs d’emballage portant la marque graphique de l’Opposante;

Pièce I : une boîte portant la marque graphique de l’Opposante;

Pièce J : copie d’un coupon rabais détachable portant la marque graphique de l’Opposante et employé en février 1998;

Pièce K : copie d’une étiquette où la marque graphique de l’Opposante apparaît pour identifier les commanditaires du championnat provincial de curling à Virden, Manitoba en février 1998;

Pièce L : facture pour l’achat d’objets promotionnels portant la marque graphique de l’Opposante en date du 25 août 2002;

Pièce M : photos de camions et vans portant la marque graphique de l’Opposante;

Pièces N : extraits de publicités publiées dans des journaux et magazines durant la période de 2001 à 2003 principalement dans des journaux et magazines du Manitoba (Winnipeg Free Press, Ciao et Manitoba Business magazine) où apparaît la marque graphique de l’Opposante.

 

L’affiant allègue que l’Opposante a dépensé, entre 1990 et 2003 en frais de publicité, plus de $3,3 millions pour promouvoir la vente de produits portant la marque graphique de l’Opposante. Les ventes de l’Opposante pendant la même période ont totalisé plus de $780 millions et sont ventilés par province pour la période de 1997 à 2003. Les produits de l’Opposante portant la marque graphique de l’Opposante sont vendus à travers le Canada principalement dans des épiceries.

 

M. Lanctôt est à l’emploi de la Requérante depuis février 2002 et occupe présentement le poste de vice-président marketing. La Requérante exploite une entreprise qui offre des produits alimentaires notamment des pâtisseries, gâteaux, muffins, galettes, barres, biscuits, tartelettes, brownies et grignotines à base de céréales. Elle a utilisé la marque GRANNY’S en liaison avec des tartelettes et ce depuis le 1er juillet 1970.

 

Il  a produit comme pièce ML-1 les certificats d’enregistrement LMC 184057 pour la marque GRANNY’S et LMC 250490 pour la marque GRANNY’S et dessin reproduite ci-après :

 

GRANNY'S DESIGN(« GRANNY’S et dessin »)

 

Il allègue que la Requérante emploie la Marque depuis le 30 septembre 2002.

 

Il fournit les chiffres de ventes des produits portant la marque GRANNY’S au Canada pour les années 1988, 1991 et de 1997 à 2003 qui totalisent près de $55 millions. Il est à noter que nous n’avons pas les chiffres de ventes en liaison avec chacune des marques de commerce  GRANNY’S de la Requérante. (GRANNY’S, GRANNY’S et dessin et la Marque)

 

Une liasse de factures a été produite comme pièce ML-2 couvrant la période de septembre 1997 à décembre 2003. M. Lanctôt explique que l’abréviation « gran. » apparaissant sur lesdites factures désigne les marchandises vendues sous la marque GRANNY’S. Toutefois nous ne savons pas laquelle des marques de commerce de la Requérante ci-haut mentionnées apparaît sur les emballages des produits identifiés sur lesdites factures.

 

Les sommes dépensées pour la promotion au Canada des produits portant l’une ou l’autre des marques GRANNY’S en 2003 et 2004 totalisent plus de $500,000. Du matériel promotionnel portant la Marque a été produit comme pièce ML-3 et celui portant la marque GRANNY’S et dessin comme pièce ML-4.

 

L’affiant allègue que la Marque est une modernisation de la marque GRANNY’S et dessin employée antérieurement au 30 septembre 2002. Des échantillons d’emballages portant la Marque ont été produits comme pièce ML-5 alors que ceux portant la marque GRANNY’S et dessin, employés avant le 30 septembre 2002, constituent la pièce ML-6.

 

M. Lanctôt allègue qu’aucun cas de confusion entre les marques de la Requérante  et la marque de commerce de l’Opposante n’a été porté à son attention. Toutefois, M. Lanctôt ne spécifie pas à laquelle des marques de commerce de l’Opposante (GRANNY’S ou la marque graphique de l’Opposante) il réfère.

 

Mme Robinson est une technicienne juridique à l’emploi des agents de la Requérante. Elle a effectué le 24 mars 2004 une recherche du registre des marques de commerce afin de trouver toutes les marques de commerce comportant le mot « GRANNY’S ». La pièce AR-1 constitue le résultat de sa recherche. Une seconde recherche fut exécutée afin de trouver toutes les marques comportant une ellipse dans la portion graphique de la marque.

 

III Le droit et les points en litige

 

Dans le cadre de procédures en matière d’opposition à l’enregistrement d’une marque de commerce, l’Opposante doit présenter suffisamment d’éléments de preuve concernant les motifs d’opposition qu’elle soulève afin qu’il soit apparent qu’il existe des faits qui peuvent supporter ces motifs d’opposition. Si l’Opposante rencontre cette exigence, la Requérante devra alors convaincre le registraire que les motifs d’opposition ne devraient pas empêcher l’enregistrement de la Marque. [Voir Sunshine Biscuits Inc. c. Corporate Foods Ltd. (1982), 61 C.P.R. (2d) 53, Joseph Seagram & Sons Ltd. v. Seagram Real Estate Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 325 et John Labatt Ltd. c Molson Companies Limited, (1990), 30 C.P.R. (3d) 293]

 

La date pertinente pour analyser les différents motifs d’opposition varie selon le motif d’opposition soulevé. Ainsi, pour les motifs d’opposition fondés sur l’article 30 de la loi, la date pertinente est celle du dépôt de la demande d’enregistrement (25 juillet 2002) [voir Dic Dac Holdings (Canada) Ltd c. Yao Tsai Co. (1999), 1 C.P.R. (4th) 263]. Lorsque le motif d’opposition est fondé sur l’alinéa 16(3) de la loi, la date de production de la demande d’enregistrement est également la date de référence tel que stipulé audit article. Finalement, il est généralement reconnu que la date de dépôt de la déclaration d’opposition (le 23 janvier 2003) représente la date pertinente pour analyser le motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif de la Marque. [Voir Andres Wines Ltd. and E&J Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126 (F.C.A.) à la page 130, Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 à la page 424 (F.C.A), et Metro-Goldwyn-Meyer Inc c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317]

 

Je désire souligner d’emblée que l’Opposante n’a pas plaidé que la Marque n’était pas enregistrable car elle porterait à confusion avec les marques déposées de l’Opposante (article 12(1)(d) de la loi). Dans les circonstances les certificats d’enregistrements produits au soutien de l’affidavit de M. Morrison seront peu utiles à l’Opposante.

 

À la lumière de la preuve versée au dossier par l’Opposante et décrite ci-haut, je ne peux conclure qu’elle s’est déchargée de son fardeau de preuve initial relativement à son premier motif d’opposition. En effet, il n’y a aucune preuve au dossier que la Requérante avait connaissance de la marque graphique de l’Opposante. De plus même si elle en avait connaissance, rien ne l’empêchait de déclarer, de bonne foi, qu’elle était convaincue d’avoir le droit d’employer la Marque au Canada en liaison avec les Marchandises. Advenant le cas où je serais dans l’erreur dans mon interprétation de ce motif d’opposition, son sort reposerait sur la détermination du risque de confusion entre la Marque et la marque graphique de l’Opposante. Cette analyse sera effectuée dans le cadre de l’examen des deux derniers motifs d’opposition.

 

Néanmoins, l’Opposante s’est déchargée de son fardeau de prouver l’emploi de la marque graphique de l’Opposante avant la date de production de la présente demande d’enregistrement. De plus, la preuve révèle qu’elle n’a pas abandonné cet usage au moment de la publication de la demande de la Requérante (article 16(5) de la loi).

 

L’Opposante prétend que la Marque, de par la combinaison du mot « granny » et un dessin en forme ovale, porte à confusion avec la marque graphique de l’Opposante. Pour déterminer si l’emploi de la Marque est susceptible de créer de la confusion avec la marque graphique de l’Opposante, je me dois de suivre la démarche prescrite aux articles 6(2) et (5) de la loi qui se lisent comme suit :

6. (..)

(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(…)

 

 

 

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

 

La liste des circonstances énumérées à l’article 6(5) de la loi n’est pas exhaustive et il n’est pas nécessaire d’accorder autant de poids à chacun de ces critères. [Voir à titre d’exemple Clorox Co. c. Sears Canada Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 483 (F.C.T.D.) et Gainers Inc. c. Marchildon (1996), 66 C.P.R. (3d) 308 (F.C.T.D.)]

 

Le fardeau de preuve de la Requérante a été énoncé par l’honorable juge Décary de la cour d’appel fédérale dans Dion Neckwear Limited c Christian Dior S.A. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 dans les termes suivants:

« Le registraire doit donc être raisonnablement convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l'enregistrement n'est pas susceptible de créer de la confusion. Il n'est pas nécessaire qu'il soit convaincu hors de tout doute qu'il n'y a aucun risque de confusion. Si la norme de preuve «  hors de tout doute » s'appliquait, les requérants seraient, dans la plupart des cas, confrontés à un fardeau insurmontable parce qu'en matière de risque de confusion, la certitude est une denrée rare. Dans le meilleur des scénarios, ce n'est que lorsque les probabilités sont égales qu'on peut dire qu'il existe une sorte de doute, lequel doute doit être résolu en faveur de l'opposant. Mais la notion de doute est un concept trompeur et déroutant en matière civile et le registraire devrait éviter d'y recourir. »

 

L’Opposante, d’entrée de jeu, a clairement indiqué qu’elle ne s’opposait pas à l’usage par la Requérante de ses marques de commerce GRANNY’S ou GRANNY’S et dessin en liaison avec les Marchandises. De toute façon, l’objet de la présente opposition est la Marque et non tout autre marque de la Requérante.

 

a) caractère distinctif des marques en présence et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

 

Il est bon de se rappeler le passage suivant de l’arrêt Pink Panther Beauty Corp. c United Artists, (1998) 80 C.P.R. (3d) 247:

“The first item listed under subsection 6(5) is the strength of the mark. This is broken down into two considerations: the inherent distinctiveness of the mark, and the acquired distinctiveness of the mark. Marks are inherently distinctive when nothing about them refers the consumer to a multitude of sources. Where a mark may refer to many things or, as noted earlier, is only descriptive of the wares or of their geographic origin, less protection will be afforded the mark. Conversely, where the mark is a unique or invented name, such that it could refer to only one thing, it will be extended a greater scope of protection.

Where a mark does not have inherent distinctiveness it may still acquire distinctiveness through continual use in the marketplace. To establish this acquired distinctiveness, it must be shown that the mark has become known to consumers as originating from one particular source. In Cartier, Inc. v. Cartier Optical Ltd./Lunettes Cartier Ltée,21 Dubé J. found that the Cartier name, being merely a surname, had little inherent distinctiveness, but, nevertheless, it had acquired a great deal of distinctiveness through publicity. Likewise in Coca-Cola Ltd. v. Fisher Trading Co.,22 the Judge found that the word "Cola" in script form had become so famous that it had acquired a very special secondary meaning distinctive of the beverage, and was, therefore, worthy of protection.”

 

Le mot “granny” signifie “grandmother” (Webster’s Ninth New Collegiate Dictionary). La Marque possède un certain degré de caractère distinctif inhérent en raison de son élément graphique. Toutefois la combinaison de ce mot avec les mots « oven baked » et « cuit au four » et la présence d’une moufle suggère que les Marchandises aient été cuites selon une vieille recette. La marque graphique de l’Opposante possède également un caractère distinctif inhérent. Cependant, le caractère distinctif de cette marque est supérieur à celui de la Marque en raison de son emploi dans le temps selon la preuve soumise par l’Opposante et résumée ci-haut.

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage;

 

L’Opposante prétend qu’elle peut se référer à l’information contenue dans sa demande d’enregistrement numéro 1155980 pour prouver l’usage de la marque graphique de l’Opposante depuis 1964. Elle cite Cartier Men’s Shops Ltd. c. Cartier Inc. (1981), 58 C.P.R. (2d) 68 pour supporter ses prétentions. Je ne suis pas d’accord avec son interprétation de l’arrêt Cartier. Dans un premier temps, la cour s’est référée non pas à une demande d’enregistrement mais plutôt à un certificat d’enregistrement. De plus la cour devait se prononcer sur un  motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)(d) de la loi et non celui fondé sur l’article 16(3)(a). Dans ce dernier cas l’Opposante doit prouver son emploi antérieur.

 

Il y a toutefois dans le présent dossier une preuve d’emploi de la marque graphique de l’Opposante en liaison avec de la volaille. La preuve au dossier permet de conclure à un tel usage depuis au moins 1995 (factures, pièce D).

 

Pour sa part, la Requérante allègue qu’elle utilise la marque GRANNY’S depuis de nombreuses années. Or la marque qui fait l’objet de la présente demande n’est pas GRANNY’S mais plutôt la Marque. De plus la demande est fondée sur un intention d’usage. Ce facteur favorise donc l’Opposante.

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

 

 

La Requérante plaide que les Marchandises sont des produits de boulangerie et de pâtisserie, préemballés, prêts à consommer et vendus dans des magasins de grande surface, des dépanneurs, des coopératives et autres points de vente similaires s’adressant au public en général. Elle soumet que les produits de l’Opposante sont entreposés, distribués et vendus dans les réseaux de distribution conservant toujours une chaîne de froid, via un réseau réfrigéré. Par conséquent, bien que les produits des parties puissent se retrouver dans les mêmes magasins de grande surface, des dépanneurs ou des coopératives, il n’en demeure pas moins qu’ils ne seront pas placés au même endroit, soit dans des présentoirs réfrigérés pour la volaille de l’Opposante alors que les Marchandises se retrouveront dans la section des produits de boulangerie et pâtisserie.

 

De son côté l’Opposante plaide que les produits des parties en cause constituent de la nourriture. Il est évident qu’en employant le terme général nourriture, l’Opposante tente d’inclure les Marchandises dans la même catégorie que ses propres produits. On ne peut nier que les Marchandises sont de la nourriture mais je crois qu’il existe une différence entre de la volaille et des produits de boulangerie et de pâtisserie. Je suis d’avis toutefois qu’il existe une connexité entre les bases pour soupes et sauces déshydratées, soupes et sauces déshydratées d’une part et de la volaille d’autre part car une soupe peut être constituée à base de volaille et les sauces peuvent être utilisées dans la cuisson ou la présentation de la volaille. Donc ces facteurs, en ce qui concerne les bases pour soupes et sauces déshydratées, soupes et sauces déshydratées, favorisent l’Opposante.

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

 

La portion vocable des marques est identique. De plus elle se situe dans chacun des cas à l’intérieur d’une ellipse de même forme. La Requérante a souligné les différences entre les dessins : le caractère des lettres, la présence d’une moufle et des mots « cuit au four » et « oven baked ». Toutefois c’est la Marque pris dans son ensemble qui doit être comparée à la marque graphique de l’Opposante. Il ne faut pas tomber dans le piège de procéder à une analyse minutieuse des marques en présence afin de trouver à la Marque des différences pour conclure que les marques ne se ressemblent pas. Le caractère employé dans chacun des cas, pour la rédaction des lettres du mot « granny’s », est semblable. Les mots « cuit au four » et « baked in oven » sont à peine lisibles et la moufle ne représente pas un trait dominant de l’ensemble de la Marque de telle sorte qu’ils permettent à la Marque de se distinguer de celle de l’Opposante.

 

À titre de circonstances additionnelles la Requérante a soulevé les arguments ci-après décrits. Elle a mis beaucoup d’emphase sur le fait qu’elle possédait déjà une marque de commerce déposée pour la partie vocable de la Marque dont le certificat d’enregistrement a été émis en 1972. De plus elle détient une autre marque déposée pour une version antérieure de sa marque graphique (illustrée ci-haut), émise en 1980. Elle aurait employé la marque GRANNY’S en liaison avec des produits de boulangerie et pâtisserie depuis 1970. Or la marque graphique de l’Opposante est employée en liaison avec de la volaille depuis de nombreuses années et ce sans qu’il y ait eu de cas de confusion de signaler. Les marques en présence pourraient donc cohabiter sans problèmes. La Requérante plaide également que l’état du registre démontre que le mot « granny » est une composante de nombreuses marques de commerce déposées en liaison avec de la nourriture et qu’en conséquence le caractère distinctif de la  marque graphique de l’Opposante est grandement dilué. Finalement elle plaide, dans son argumentation écrite, que l’enregistrement de la marque vocable GRANNY’S en liaison avec des produits de boulangerie et pâtisserie lui procure un monopole pour cette marque, peu importe la façon dont la marque est présentée graphiquement.

 

Il n’y a pas de doute que la cohabitation de marques pendant une longue période a déjà été retenu comme un facteur additionnel justifiant la conclusion d’absence de risque de confusion entre des marques de commerce. Pour les fins de cet argument, je me limite à considérer la cohabitation entre la Marque et la marque graphique de l’Opposante. J’utiliserai, pour les fins de cette discussion, la date pertinente la plus favorable à la Requérante, à savoir la date de production de la déclaration d’opposition (date retenue pour l’analyse du motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif de la Marque). Ainsi la durée de la cohabitation ne représente qu’à peine cinq (5) mois, ce qui est nettement insuffisant pour conclure en faveur de la Requérante.

 

Le fait de détenir une marque de commerce déposée, aussi semblable soit-elle à la Marque, ne confère pas à la Requérante un droit automatique à l’enregistrement de la Marque. Le droit exclusif à l’emploi d’une marque déposée par son propriétaire se termine là où les droits exclusifs d’une tierce partie débutent. [Voir Coronet-Werke Heinrich Schlerf GMBH c. Produits Ménagers Coronet Inc. (1984), 4 C.P.R. (3d) 108]

 

La Requérante a produit, lors de l’audience, un tableau instructif sur l’état du registre. Elle présente dans ce tableau ce qu’elle considère comme étant les marques les plus pertinentes pour l’analyse de l’état du registre. J’élimine d’emblée de cette liste les marques qui ne comportent qu’une représentation graphique d’une personne âgée. Je note qu’il y a seize (16) marques de commerce qui pourraient donc, à première vue, être considérées pertinentes en ce qu’elles contiennent le vocable GRANNY ou son équivalent phonétique ou linguistique. De ce nombre je dois ignorer les marques qui ont été radiées du registre (6) et les marques des parties en présence (3). Des sept marques qui restent de la liste initiale, il n’y en a que trois (3) qui ne comportent que le vocable GRANNY ou son équivalent linguistique. Ce nombre est nettement insuffisant pour prétendre que les consommateurs sont exposés à un nombre élevé de marques identiques ou semblables à la Marque de telle sorte qu’ils sont en mesure de distinguer les une des autres.

 

Le test de la confusion entre les marques en présence peut se résumer ainsi :  le consommateur moyen ayant une mémoire imparfaite de la marque graphique de l’Opposante et qui voit l’une des Marchandises portant la Marque pourrait-il raisonnablement conclure qu’elle provienne de la même source, à savoir de l’Opposante?

 

Il a maintes fois été retenu que le résultat de l’analyse des critères pertinents ne doit pas dépendre d’un décompte mathématique des critères analysés. Les parties ont cité plusieurs causes pour supporter leur position concernant le risque ou pas de confusion entre les marques en présence. Certaines d’entre elles concernent, comme dans notre cas, à la fois de la nourriture et des marques identiques. Toutefois pour une décision favorisant une partie on peut retrouver une décision favorisant l’autre partie. Ceci illustre bien que chaque cas est un cas d’espèce et qu’il est difficile de tirer une ou des conclusions applicables à toutes les situations.

 

La majorité des  facteurs favorisent l’Opposante. De plus les facteurs additionnels mentionnés par la Requérante n’appuient pas vraiment ses prétentions. À la lumière de cette analyse, je conclus que la Requérante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve. Tout au plus, j’arriverais à une situation où la balance des probabilités est égale et encore une fois une telle conclusion joue en défaveur de la Requérante. Je maintiens donc le troisième motif d’opposition soulevé par l’Opposante.

 

Quant à l’absence de caractère distinctif de la Marque, ce motif d’opposition est tributaire du risque de confusion entre les marques des parties. La différence entre les dates pertinentes n’est pas déterminante dans le présent dossier. Mes conclusions sur le risque de confusion entre les marques dans le cadre de mon analyse du troisième motif d’opposition sont également applicables en l’espèce. Je me dois donc d’accueillir également le dernier motif d’opposition de l’Opposante.

 

 

 

 

 

 

 

III Conclusion

 

En raison des pouvoirs qui m’ont été délégués par le registraire des marques de commerce en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la loi, et à la lumière de ce qui précède, je repousse la demande d’enregistrement pour la Marque.

 

DATÉ À BOUCHERVILLE, QUÉBEC, CE 9 MAI 2006.

 

 

 

Jean Carrière

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.