Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2011 COMC 240

Date de la décision : 2011-11-30

DANS L’AFFAIRE DE LA PROCÉDURE DE RADIATION EN VERTU DE L’ARTICLE 45 engagée à la demande de Dimock Stratton s.e.n.c.r.l., visant l’enregistrement no LMC431095 pour la marque de commerce DRIFTER au nom de Canaday’s Apparel Ltd.

[1]               À la demande de Dimock Stratton s.e.n.c.r.l. (la Requérante), le registraire des marques de commerce a transmis un avis en vertu de l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), le 18 juin 2008 à Canaday’s Apparel Ltd., la propriétaire inscrite (l’Inscrivante) de l’enregistrement no LMC431095 pour la marque de commerce DRIFTER (la Marque).

[2]               La Marque est enregistrée en liaison avec les marchandises suivantes (les Marchandises) :

Vêtements pour hommes, dames, garçonnets et fillettes, nommément pantalons, pantalons habillés, shorts, vestes et chemises.

[3]               L’article 45 de la Loi exige que le propriétaire inscrit de la marque de commerce fasse la preuve que la marque de commerce a été employée au Canada en liaison avec chaque marchandise ou service énuméré dans l’enregistrement à tout moment au cours de la période de trois ans précédant immédiatement la date de l’avis et, dans le cas contraire, la date de dernier emploi et la raison pour laquelle elle n’a pas été employée depuis cette date. En l’espèce, la période pertinente pour faire la preuve de l’emploi va du 18 juin 2005 au 18 juin 2008 (la Période pertinente).

[4]               La définition pertinente d’« emploi » en l’espèce est donnée au paragraphe 4(1) de la Loi :

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

[5]               En réponse à l’avis du registraire, l’Inscrivante a fourni deux affidavits de E.J. King. Seule l’Inscrivante a déposé des observations écrites; aucune audience n’a été tenue.

[6]               En ce qui concerne la preuve, je note que le premier affidavit de M. King, déposé auprès de l’Office le 10 décembre 2008, contenait des vices de forme. Par la suite, l’Inscrivante a, en vertu du paragraphe 47(2), demandé et obtenu une prolongation rétroactive du délai pour déposer le deuxième affidavit de M. King. Le deuxième affidavit, qui inclut des preuves similaires à celles figurant dans le premier affidavit, a été déposé sans vice de forme. Suivant le dépôt du deuxième affidavit, je n’ai pas besoin d’examiner les vices de forme dans le premier affidavit de M. King ou d’en tenir compte. Par conséquent, toute référence à l’affidavit de M. King dans la présente décision fait référence au deuxième affidavit de M. King.

[7]               Dans son affidavit, M. King atteste qu’il est le président de l’Inscrivante. Il déclare que l’Inscrivante œuvre dans le milieu de la conception, de la fabrication et de la vente de vêtements partout au Canada en liaison avec ses marques de commerce déposées et non déposées, incluant la Marque.

[8]               M. King atteste également qu’à ce jour, l’Inscrivante distribue et vend des pantalons, pantalons habillés, vestes et chemises pour hommes, dames et enfants en liaison avec la Marque par l’entremise d’au moins 153 détaillants canadiens partout au Canada. Il joint, à titre de pièce B, des échantillons d’étiquettes et des étiquettes de taille montrant ce qu’il décrit comme l’emploi actuel de la Marque par l’Inscrivante en liaison avec une variété de vêtements, incluant des pantalons, pantalons habillés, vestes et chemises. La Marque figure clairement en évidence sur les étiquettes.

[9]               En ce qui concerne la Période pertinente, M. King atteste que l’Inscrivante a vendu partout au Canada de nombreux vêtements en liaison avec la Marque, dont des pantalons habillés, des jeans et des shorts. Je considère que le mot « jeans » est compris dans la marchandise enregistrée « pantalons ». M. King ne précise pas si ces vêtements sont pour hommes, dames, fillettes ou garçonnets. Je note que les échantillons de factures soumis à titre de pièce C semblent appuyer sa déclaration concernant les ventes en général, les factures sont également ambigües en ce qui concerne la question de savoir si les vêtements vendus sont pour hommes, dames, fillettes ou garçonnets.

[10]           M. King déclare ensuite que la Marque a été employée sans interruption par l’Inscrivante au Canada depuis au moins aussi tôt que le 16 juin 1994 en liaison avec les principaux produits de l’Inscrivante. À savoir les pantalons et pantalons habillés; toutefois, en ce qui concerne les Marchandises restantes, il déclare que l’Inscrivante n’a employé la Marque que de manière intermittente au Canada depuis au moins juin 1994. Il justifie les interruptions dans l’emploi de la Marque par l’Inscrivante en disant qu’elles font partie de la pratique normale du commerce pour un fabricant et distributeur de vêtements. Plus particulièrement, ces pauses étant imposées par les changements de tendance dans la mode et par la nécessité de modifier et de réintroduire ces produits sur le marché.

[11]           Des exemples de publicités imprimées et de matériel de promotion sur le lieu de vente sont joints à titre de pièces D et E. Les publicités imprimées datent de la Période pertinente et identifient les produits de l’Inscrivante comme étant vendus dans les magasins de vêtements pour homme. Le matériel de promotion sur le lieu de vente est constitué de ce qui est décrit comme une « affichette de comptoir », souvent utilisée dans les magasins de vente au détail partout au Canada. La carte montre la Marque ainsi que le slogan « The Gentleman’s Jean ».

[12]           Enfin, M. King fournit des chiffres des ventes globales pour la période pertinente ainsi que pour la période couvrant l’utilisation de la Marque par l’Inscrivante à partir du début (1994), ce qui inclut le nombre total de vêtements et la valeur des ventes totales en dollars pour les vêtements employés en liaison avec la Marque. Les chiffres fournis ne sont pas répartis par vêtement; ils représentent plutôt les ventes totales.

[13]           Eu égard à la preuve, la première question est celle de savoir si l’Inscrivante a fait la preuve de l’emploi de la Marque au Canada pendant la Période pertinente pour chaque Marchandise. Dans le cas où l’emploi de la Marque au Canada ne serait pas démontré au cours de la Période pertinente en liaison avec les Marchandises, la question devient celle de savoir si des circonstances spéciales justifient le non-emploi.

 

L’emploi a-t-il été démontré pour chacune des Marchandises?

[14]           Dans la décision de la Commission Cohen c. JMAX Distributors Inc. 2011 CarswellNat 1391 (C.O.M.C.), le membre Sprung a résumé l’état du droit en ce qui concerne l’exigence de prouver l’emploi en liaison avec chaque marchandise ou service de la manière suivante :

L’article 45 de la Loi sur les marques de commerce précise que l’emploi de la marque doit être établi "à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement". Cependant, la procédure prévue à cet article est de nature sommaire et administrative, et la volonté d’éviter la surabondance de preuves s’oppose à l’obligation d’établir l’emploi de la marque à l’égard de chacune des marchandises et de chacun des services que spécifie l’enregistrement de sorte à empêcher qu’ils soient radiés du registre [voir Saks & Co. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1989), 24 C.P.R. (3d) 49 (C.F. 1re inst.); Ridout & Maybee LLP c. Omega SA, 2005 CAF 306, 39 C.P.R. (4th) 261; et Gowling Lafleur Henderson SRL c. Neutrogena Corporation (2009), 74 C.P.R. (4th) 153 (COMC)]. Ce principe se révèle pertinent pour les cas où l’état déclaratif donne une longue liste de marchandises et est structuré de telle manière que la démonstration de l’emploi de la marque de commerce à l’égard d’un certain nombre de marchandises d’une catégorie donnée peut suffire à en établir l’emploi à l’égard de l’ensemble de celle-ci. Dans Performance Apparel Corp. c. Uvex Toko Canada Ltd., 2004 CF 448, 31 C.P.R. (4th) 270, le juge Russell, rappelant l’équilibre à maintenir entre la nécessité d’éviter la surabondance de preuves et l’obligation d’établir l’emploi de la marque de commerce de telle sorte que le registraire puisse se faire une opinion sur le point de savoir si elle a bien été "employée" sous le régime de l’article 45, explique que, dans ce cadre, l’affidavit doit contenir une déclaration claire et complète d’emploi de ladite marque de commerce en liaison avec chacune des marchandises pendant la période pertinente, et exposer des faits suffisants pour permettre au registraire de conclure à un tel emploi.

 

[15]            En plus des principes directeurs énoncés ci-dessus, j’estime également que, sur le plan juridique, une allégation d’emploi ne suffit pas à démontrer l’emploi et que des ambiguïtés dans la preuve de l’inscrivant doivent être interprétées contre les intérêts du propriétaire inscrit [Aerosol Fillers Inc. c. Plough (Canada) Ltd. (1980), 45 C.P.R. (2d) 194, p. 198; confirmée par 53 C.P.R. (3d) 62 (C.A.F.)].

[16]           En l’espèce, je conclus que la liste des marchandises dans l’enregistrement est minime, de sorte que le fait de fournir une preuve d’emploi pour chacune des Marchandises vendues au Canada au cours de la Période pertinente n’aurait pas imposé un fardeau excessif à l’Inscrivante.

[17]           Après examen de la preuve, j’accepte que l’emploi de la Marque au cours de la Période pertinente au Canada a été prouvé en liaison avec les « pantalons habillés, pantalons et shorts ». Pour rendre cette décision, je ne m’appuie pas sur l’étiquette du produit fourni en preuve à titre de pièce B, car M. King atteste que cet élément de preuve concerne l’emploi actuel de la Marque, et il m’est impossible d’inférer que cette preuve est représentative de l’emploi qui était fait durant la Période pertinente. Cette conclusion est également appuyée par les déclarations de M. King concernant l’emploi intermittent de la Marque à l’égard de bon nombre des Marchandises restantes (Plough, précité). J’accepte plutôt les factures jointes à la pièce C comme preuve de cet emploi. À cet égard, la Marque figure clairement sur les factures et ces dernières fournissent des renseignements pour appuyer le fait qu’un avis de liaison suffisant a été donné à l’acheteur [voir Gordon A. MacEachern Ltd. c. National Rubber Co. Ltd. (1963), 41 C.P.R. 149 (C. Éch. Can.); McCarthy Tetrault c. Acer America Corp. (2003), 30 C.P.R. (4th) 562 (C.O.M.C.); et Riches, McKenzie & Herbert LLP c. KOM Networks Inc. (2005), 51 C.P.R. (4th) 65 (C.O.M.C.)]. 

[18]           Toutefois, la question de savoir si cet emploi concerne les vêtements pour hommes, dames, garçonnets ou fillettes n’est pas claire. De fait, les déclarations de M. King concernant l’emploi de la Marque au cours de la Période pertinente, ainsi que les factures fournies à la pièce C sont ambigües à cet égard. Toutefois, bien que les échantillons de facture joints à la pièce D de l’affidavit de M. King ne constituent pas un emploi de la Marque au sens du paragraphe 4(1) de la Loi, je conclus néanmoins que cette pièce est utile pour l’interprétation de la nature des Marchandises vendues au cours de la Période pertinente. Ces publicités traitent de la pratique normale du commerce de l’Inscrivante au cours de la Période pertinente et indique que certaines des Marchandises de l’Inscrivante étaient disponibles dans les boutiques de vêtements haut de gamme pour hommes. Par conséquent, je conclus qu’il est raisonnable d’accepter que l’emploi prouvé concerne des « pantalons habillés, des pantalons et des shorts » pour hommes. Toutefois, rien ne me permet de conclure que cet emploi concernait également, au cours de la Période pertinente, des vêtements pour dames et pour enfants. M. King n’a fourni aucune déclaration claire à cet égard, et la preuve ne me permet pas de tirer d’inférences à l’appui de cette conclusion.

[19]           La question devient ainsi celle de savoir si l’existence de circonstances spéciales justifiant le non-emploi de la Marque en liaison avec les Marchandises restantes a été démontrée ou non.

Circonstances spéciales

[20]           Comme cela a été dit précédemment, M. King explique dans son affidavit que toute interruption temporaire dans l’emploi de la Marque n’a rien d’anormal dans la pratique normale du commerce pour un fabriquant de vêtements œuvrant dans le domaine de la mode, c’est‑à‑dire que le non-emploi pendant la Période pertinente était dû à la nécessité de modifier et de réintroduire les produits pour obéir aux diktats de la mode. Dans ses observations écrites, l’Inscrivante fait valoir que ces circonstances étaient dues à des circonstances spéciales qui étaient hors du contrôle de l’Inscrivante et fait un parallèle entre la situation présente et les circonstances spéciales justifiant le non-emploi par le registraire en liaison avec l’industrie des jeux dans Re Regal Toy Ltd. (1975), 29 C.P.R. (2d) 239 (R.M.C.).

[21]           Il suffit de dire que chaque affaire est un cas d’espèce. Toutefois, je note également que la jurisprudence concernant les circonstances spéciales a considérablement évolué au cours des années. Il est maintenant bien établi que les trois critères doivent être considérés pour trancher la question de savoir s’il existe ou non des circonstances justifiant le non-emploi : premièrement, la période pendant laquelle la marque de commerce n’a pas été employée; deuxièmement, la question de savoir si l’absence d’emploi était attribuable à des circonstances indépendantes de la volonté de l’inscrivant; et troisièmement, il est nécessaire de déterminer s’il existe une intention sérieuse de reprendre l’emploi dans un bref délai [Registraire des marques de commerce c. Harris Knitting Mills Ltd., 4 C.P.R. (3d) 488 (C.A.F.)]. En ce qui concerne le deuxième critère, l’expression « circonstances spéciales » signifie des « circonstances de nature inhabituelle, peu courantes et exceptionnelles » [voir John Labatt Ltd. c. The Cotton Club Bottling Co. (1976), 25 C.P.R. (2d) 115 (C.F. 1re inst.)]. De plus, pour conclure à l’existence de circonstances spéciales, il est impératif de respecter le deuxième critère [Scott Paper Limited c. Smart & Biggar et Procureur général du Canada (2008), 65 C.P.R. (4th) 303 (C.A.F.)]. Je n’insinue pas que les deux autres critères ne sont pas des facteurs pertinents à considérer, j’affirme simplement que ces facteurs, pris isolément, ne constituent pas des circonstances spéciales.

[22]           Dans les présentes circonstances, en ce qui concerne la date de dernier emploi de la Marque avec les Marchandises restantes, M. King a simplement déclaré que cet emploi avait eu lieu [traduction] « de temps à autre entre juin 1994, au moins, et aujourd’hui ». Compte tenu de la nature ambiguë de cette déclaration, je ne suis pas en mesure de déterminer la durée de la période de non‑emploi; cela doit être apprécié en conjonction avec les raisons du non-emploi. 

[23]           En ce qui concerne les raisons justifiant le non-emploi avancées par l’Inscrivante, je ne vois pas en quoi ces circonstances devraient être qualifiées d’inhabituelles, de peu courantes ou d’exceptionnelles. La décision de retirer certaines Marchandises du marché pour les modifier ou les réintroduire demande de la planification et de la prévoyance et, à mon avis, constitue une décision d’affaire consciente de l’Inscrivante. Cette dernière n’a tout simplement pas fourni suffisamment de renseignements pour appuyer l’assertion selon laquelle la modification et l’introduction de nouveaux produits ne pouvaient se faire en même temps que la vente et l’emploi de la Marque en liaison avec des gammes de produits établis ou anciens. Dans tous les cas, compte tenu du manque de clarté concernant la date de dernier emploi de la Marque avec les Marchandises restantes, je ne peux conclure que ce non-emploi s’est poursuivi en raison de facteurs hors du contrôle de l’Inscrivante. Par conséquent, comme j’ai conclu que le deuxième volet du critère Harris Knitting Mills n’a pas été respecté [Scott Paper, précité], je n’ai pas besoin d’examiner la question de savoir si l’Inscrivante a fait montre d’une intention sérieuse de reprendre l’utilisation de la Marque dans un court délai. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que l’existence de circonstances spéciales justifiant le non-emploi de la Marque avec les Marchandises restantes a été prouvée.

 

Décision

[24]           Par conséquent, en vertu des pouvoirs qui me sont délégués sous le régime du paragraphe 63(3) de la Loi, l’enregistrement sera maintenu uniquement à l’égard des « vêtements pour hommes, nommément pantalons, pantalons habillés et shorts ».

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Kathryn Barnett

Agente d’audience

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Vincent

 

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