Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2015 COMC 65

Date de la décision : 2015-04-07

TRADUCTION

DANS L'AFFAIRE DE L'OPPOSITION produite par Chaussures Bellini Inc. à l'encontre de la demande d'enregistrement no 1,380,505 pour la marque de commerce I SHOES & Dessin d'un cœur au nom de ShoeSource Worldwide, Inc.

Le dossier

[1]          Le 24 janvier 2008, Payless ShoeSource Worldwide, Inc. a produit une demande d'enregistrement pour la marque de commerce I SHOES & Dessin d'un cœur, reproduite ci-dessous, fondée sur l'emploi projeté au Canada en liaison avec les services énoncés ci-dessous :

I SHOES & Heart Design

 

[Traduction]
services de magasin de vente au détail de chaussures et d'accessoires de mode; services de magasin de détail en ligne dans le domaine des articles chaussants, des vêtements, des porte-monnaie, des sacs à main et des sacs à dos, accessibles au moyen de réseaux informatiques mondiaux.

[2]          La requérante revendique, en vertu de l'article 34 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, la date de priorité de production du 15 janvier 2008 sur la base d'une demande correspondante produite aux États-Unis d'Amérique.

[3]          La Section de l'examen de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada (« OPIC », sous l'égide duquel cette Commission exerce aussi ses activités) s'est opposée à la demande, dans une lettre datée du 5 novembre 2008, au motif que la marque créait de la confusion avec les marques de commerce déposées reproduites ci-dessous :

I ITALIAN SHOES & Design
THE HARTT SHOE AND HEART DESIGN

                Enregistrement no LMC713832                                             Enregistrement no LMCDF14049

[4]          La requérante a répondu à l'objection de l'Examinateur en soulignant les différences entre la marque visée par la demande et les marques invoquées et en informant l'Examinateur que les services de vente au détail de chaussures de la requérante sont offerts uniquement dans ses propres points de vente ou en ligne par l'entremise du site Web de la requérante. Il semble que l'Examinateur a accepté les observations de la requérante (il n'existe aucun dossier), puisque la marque en cause a été annoncée aux fins d'opposition dans le Journal des marques de commerce du 22 décembre 2010. La société 9098-2505 Québec Inc., exerçant ses activités sous la dénomination de Maison Bellini, la propriétaire de l'enregistrement no LMCDF713,832 invoqué par l'Examinateur, s'est ensuite opposée à la demande le 22 février 2011.

[5]          Le 10 mars 2011, le registraire a transmis à la requérante une copie de la déclaration d'opposition, conformément aux dispositions de l'article 38(5) de la Loi sur les marques de commerce. En réponse, la requérante a produit et signifié une contre-déclaration dans laquelle elle nie de façon générale les allégations contenues dans la déclaration d'opposition. Au cours de cette procédure, l'opposante a changé son nom pour celui de Chaussures Bellini Inc. La déclaration d'opposition a été modifiée à deux occasions : voir les décisions du 17 janvier et du 23 juillet 2012 de la Commission. Les références à la déclaration d'opposition que je ferai ultérieurement se rapporteront à la dernière déclaration d'opposition modifiée datée du 4 juin 2012.

[6]          La preuve de l'opposante se compose de l'affidavit de Hagop Artinian, qui a été contre-interrogé relativement à son témoignage par affidavit. La transcription de son contre-interrogatoire et la Pièce A qui l'accompagne font partie de la preuve au dossier. La preuve de la requérante est formée des affidavits de Pam Merten, de Remi Kalacyan et de Kaitlin MacDonald. Seule la requérante a produit un plaidoyer écrit, mais les parties étaient toutes deux présentes à l'audience qui a été tenue le 18 décembre 2014.

Déclaration d'opposition

[7]          Divers motifs d'opposition sont invoqués. Cependant, la question déterminante à trancher est celle de savoir si la marque visée par la demande crée de la confusion avec la marque de l'opposante. Les dates pertinentes pour l'appréciation de la question de la confusion sont les suivantes : i) la date de production de la demande, soit le 24 janvier 2008, eu égard au motif d'opposition fondé sur l'absence de droit à l'enregistrement; ii) la date de production de la déclaration d'opposition, soit le 22 février 2011, eu égard au motif d'opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif; et iii) la date de ma décision, eu égard au motif d'opposition fondé sur la non-enregistrabilité.

[8]          Avant de me pencher sur la question de la confusion, j'examinerai d'abord la preuve au dossier, le fardeau de preuve initial qui incombe à l'opposante, le fardeau ultime imposé à la requérante et la signification du terme confusion dans le contexte de la Loi sur les marques de commerce.

Preuve de l'opposante

Hagop Artinian

[9]          M. Artinian atteste qu'il est le secrétaire de l'entreprise de l'opposante. L'opposante exploite un magasin de détail au centre-ville de Montréal depuis environ 30 ans. Le magasin a été exploité sous le nom de Maison Bellini et est maintenant exploité sous le nom de Chaussures Bellini. Le magasin vend au détail des chaussures pour hommes et pour femmes de même que des sacs à main, des valises et des ceintures. Le magasin se spécialise dans les articles chaussants de conception italienne et/ou de fabrication italienne. L'opposante vend sa propre gamme d'articles chaussants BELLINI de même que des articles chaussants qui arborent les marques d'autres fabricants. Les deux ensembles d'articles chaussants peuvent aussi arborer la marque I ITALIAN SHOES & Dessin de l'opposante, sur les marchandises elles-mêmes, c'est-à-dire inscrite en relief sur les semelles et/ou sur les étiquettes volantes fixées aux semelles, et/ou sur les emballages (présentés dans la Pièce C jointe à l'affidavit). La marque de l'opposante figure aussi bien en vue sur une affiche présentée dans la vitrine du magasin de l'opposante, comme le montre la Pièce D :

[10]       Pendant le contre-interrogatoire de M. Artinian, celui-ci s'est assuré qu'une photo, montrant une vue de face de l'affiche, a été prise depuis la rue, en face du magasin, tandis qu'une photo de la vue en angle de l'affiche a été prise à l'intérieur du magasin, en face de la rue.

[11]       L'importance de l'emplacement du magasin de l'opposante est expliquée aux para. 7 et 10 de l'affidavit :

[traduction]
7.
         Le magasin Bellini est situé au coin de la rue Sainte-Catherine Ouest et de la rue Peel à Montréal. Il se trouve au cœur même du district commercial du centre-ville de Montréal. Nous sommes entourés des deux côtés d'autres détaillants nationaux comprenant, sans toutefois s'y limiter, Mexx, La Senza, . . . Louis Vuitton et Oakley. Compte tenu de notre emplacement et de sa concentration de détaillants de même que de restaurants, de cafés, de cafés-restaurants, de théâtres et ainsi de suite, beaucoup de gens passent chaque jour devant notre vitrine. Le nombre exact de passants n'est pas connu, mais selon mon estimation, ils sont au nombre de milliers chaque jour, et tous ces gens peuvent facilement voir la marque LOVE [la marque déposée de l'opposante] sur les affiches présentées dans les vitrines du magasin Bellini donnant sur la rue Sainte-Catherine Ouest.

. . . . .

 

10.      Le magasin Bellini n'a pas de site Web, pas plus qu'il ne fait l'objet de beaucoup de publicité dans les journaux ou à la radio ou à la télévision. La publicité de Bellini est faite du fait de son emplacement qui est au cœur du prestigieux district commercial du centre-ville de Montréal, où la marque LOVE est vue sur les affiches présentées dans nos vitrines par des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes chaque année.

[12]       Environ 10 000 paires de chaussures arborant la marque de l'opposante sur l'article chaussant et/ou l'emballage ont été vendues aux clients de Bellini depuis novembre 2005, volume qui représente environ 6 % des ventes totales de chaussures de l'opposante. M. Artinian croit que les clients perçoivent les caractéristiques graphiques de la marque de l'opposante comme étant un cœur, formé par la silhouette de deux chaussures disposées talon à talon et pointe à pointe, et comme un symbole du mot love (amour).

Contre-interrogatoire

[13]       L'opposante souligne que son lien avec l'Italie est une stratégie de commercialisation; cependant, seulement environ 10 % des chaussures qu'elle vend sont d'origine italienne. La stratégie de commercialisation, qui s'applique à la marque BELLINI de même qu'à la marque I ITALIAN SHOES & Dessin, vise à dénoter un certain style et une certaine mode. La marque I ITALIAN SHOES & Dessin figure sur les chaussures vendues par l'opposante dans son magasin unique de Montréal et sur aucune autre marchandise. Le dessin de chaussures entourant et formant le dessin de cœur figure principalement en rouge. Environ 60 % à 70 % des chaussures de fabrication italienne vendues par l'opposante sont exclusives à l'opposante.

[14]       La grande affiche arborant la marque I ITALIAN SHOES & Dessin présentée dans la vitrine du magasin de l'opposante doit être remplacée de temps à autre parce qu'elle devient usée et parce que la lumière du soleil fera pâlir la couleur rouge du dessin de chaussures. Autrement, l'affiche est demeurée dans la vitrine de façon ininterrompue depuis environ 2005.

[15]       Pendant un interrogatoire prolongé à propos du positionnement de l'affiche dans la vitrine en lien avec la circulation des piétons, M. Artinian a expliqué que, de temps à autre, une affiche semblable ou d'autres matériels publicitaires apparaîtra dans la fenêtre du deuxième étage, au-dessus de la vitrine du magasin, qui est visible pour les piétons se trouvant de l'autre côté de la rue : voir les pages 40-47 de la transcription du contre-interrogatoire et la Pièce A du contre-interrogatoire. La Pièce A a été présentée en preuve par l'avocat de la requérante. Elle a été désignée comme étant un imprimé de Google Maps montrant une [traduction] « vue sur la rue » de la devanture du magasin de l'opposante. M. Artinian a confirmé que l'affiche, illustrée au para. 9 ci-dessus, a été saisie dans la Pièce A, bien que l'affiche soit à peine discernable dans l'image.

[16]       Les chaussures offertes dans le magasin de l'opposante se vendent de 35 $ à 2 500 $, le prix moyen des chaussures pour femmes étant d'environ 110 $ et de 130 $ pour les chaussures pour hommes. L'opposante vend environ 1 650 paires de chaussures par année qui arborent la marque de l'opposante.

Preuve de la requérante

Pam Merton

Historique de la société

[17]       Mme Merton atteste qu'elle est la présidente de Payless ShoeSource Canada LP (« Payless Canada »), une société qui est affiliée à la requérante. Payless Canada est autorisée sous licence par la requérante à employer ses marques au Canada conformément à l'article 50 de la Loi sur les marques de commerce. La requérante, par l'entremise de sociétés affiliées, exerce ses activités au Canada depuis 1997 sous la marque PAYLESS SHOESOUCE.

[18]       La requérante tire son origine d'une entreprise fondée en 1956 à Topeka, au Kansas. En 1996, compte tenu de diverses restructurations, Payless ShoeSource Inc. (PSSI) lui a succédé, changeant son nom pour celui de Collective Brands, Inc. (« CBI ») en 2007. En 2012, CBI était l'une des plus grandes familles de détaillants d'articles chaussants au monde, exerçant ses activités sous la marque PAYLESS SHOESOURCE.

[19]       Avant février 2006, les magasins PAYLESS SHOESOURCE étaient détenus et exploités au Canada par Payless Shoestore Canada Inc. (« PSCI »), une filiale en propriété exclusive de PSSI. Après février 2006, la quasi-totalité des magasins PAYLESS SHOESOURCE au Canada étaient détenus et exploités par Payless GP, une filiale en propriété exclusive de CBI.

[20]       La requérante est affiliée à CBI et à Payless Canada; ses sociétés affiliées exploitent l'entreprise PAYLESS de la requérante en employant sous licence les marques de commerce de la requérante. Les sociétés affiliées à la requérante, et Payless Canada à l'heure actuelle, exploitent les magasins PAYLESS SHOESOURCE au Canada depuis 1997. En 2012, il y avait plus de 285 magasins dans tout le Canada, dans chacune des dix provinces.

[21]       Les magasins PAYLESS SHOESOURCE du Canada sont situés dans les mails régionaux, les centres commerciaux, les quartiers commerciaux centraux, les édifices isolés et autres lieux de vente au détail conformément à la stratégie [traduction] « magasin dans un magasin » de la requérante. Des chaussures pour hommes, pour femmes et pour enfants sont vendues, de même que des articles chaussants, des vêtements et des accessoires personnels connexes. En 2012, 1 200 personnes à temps plein et 600 personnes à temps partiel étaient à l'emploi de Payless Canada.

Manière dont la Marque I SHOES & Dessin d'un cœur est employée

[22]       Mme Merton donne une description générale de la manière dont la requérante emploie la marque I SHOES & Dessin d'un cœur visée par la demande en liaison avec ses services au para. 16 de son affidavit :

[traduction]
16.
      Depuis mars 2008, la Marque de commerce est employée de manière interrompue au Canada en liaison avec des articles chaussants, des accessoires et des services de vente au détail connexes par la Requérante, par l'entremise d'une ou de plusieurs Licenciées canadiennes de Payless. Comme il est décrit plus en détail ci-dessous, cet emploi interrompu comprend le positionnement bien en vue de la Marque de commerce sur des affiches à l'intérieur des magasins de détail, sur du matériel d'étalage dans les magasins, sur les sacs et dans la publicité.

[23]       Les paragraphes 17-31 décrivent en détail cet emploi, et des exemples d'emploi sont présentés dans les Pièces A-O jointes à son affidavit. Le paragraphe 22 et la Pièce F présentent un intérêt particulier :

 [traduction]
22.
      Une copie de ce qu'on appelle un écran de délai de clavier d'identification personnelle est jointe comme Pièce « F » [illustrations présentées ci-dessous] à mon affidavit. À chaque caisse d'un magasin PAYLESS SHOESOURCE au Canada, il y a un appareil électronique (appelé « clavier d'identification personnelle ») que les clients peuvent employer pour faire glisser ou insérer leur carte au moment de payer par carte de crédit ou de débit. Avant que l'information relative à l'achat du client s'affiche à l'écran, le client voit un court diaporama (ce qu'on appelle « écran de délai »). Comme élément du diaporama, l'écran montre ce qui est présenté dans la Pièce « F ». La Marque de commerce figure bien en vue dans l'écran que le client regarde. Ces écrans de délai de clavier d'identification personnelle sont présents dans presque tous les magasins de détail PAYLESS SHOESOURCE au Canada depuis 2008 et de façon ininterrompue jusqu'à aujourd'hui et auraient été vus par pratiquement tous les clients à la caisse au moment de payer par carte de crédit ou de débit.

(Soulignement ajouté)

Chiffres relatifs aux ventes et à la promotion au Canada

[24]       Les ventes d'articles chaussants et d'accessoires connexes faites au Canada dans les magasins PAYLESS SHOESOURCE se sont élevées à environ 180 millions de dollars pour chacune des années 2008 à 2011 inclusivement, ce qui représente environ 6 millions d'unités d'articles chaussants chaque année. La requérante fournit aussi gratuitement aux clients des sacs de magasinage arborant la marque visée par la demande au moment de l'achat de produits dans les magasins. En 2008, 4 millions de ces sacs ont été distribués aux clients; 2,8 millions de sacs ont été distribués pendant la période allant de janvier à octobre 2012.

[25]       Payless Canada exploite dix-sept magasins PAYLESS SHOESOURCE sur l'île de Montréal, dont deux sur la rue Ste-Catherine Ouest, c'est-à-dire sur la même rue que l'opposante. En contre-interrogatoire, M. Artinian a affirmé qu'il était au courant qu'un de ces magasins était situé à [Traduction] « deux, trois pâtés de maisons » de son magasin : voir les Q. 8-10/p. 5 de la transcription du contre-interrogatoire.

Malgré la proximité relative des points de vente au détail des parties, Mme Merton affirme au para. 36 de son affidavit qu'elle n'a connaissance d'aucun cas de confusion réelle entre les marques des parties.

Différences de coût des chaussures des parties

[26]       Mme Merton souligne que le prix des chaussures vendues dans les magasins PAYLESS SHOESOURCE va de 3 $ (en solde) à environ 69 $, le prix de vente moyen étant d'environ 26 $, ce qui est bien inférieur à la fourchette de prix et au coût moyen des chaussures de l'opposante (corroboré au para. 16 ci-dessus.)

Remi Kalacyan

[27]       Mme Kalacyan atteste qu'elle est une enquêteuse privée retenue par les agents de la requérante. Elle s'est rendue dans le magasin BELLINI de Montréal de l'opposante le 17 août et le 1er septembre 2012. Des photographies montrant l'extérieur du magasin au cours de ces deux journées sont jointes comme Pièces B et C à son affidavit. Pendant ces deux journées, l'affiche présentée au para. XX ci-dessus n'apparaissait pas dans la vitrine du magasin ni n'était visible à l'intérieur du magasin. Mme Kalacyan n'a fourni aucune preuve quant à savoir si la marque de l'opposante était visible sur les souliers ou sur les étiquettes volantes à l'intérieur du magasin.

[28]       Je souligne que M. Artinian a été contre-interrogé le 28 mai 2012 et qu'il ne pouvait par conséquent pas être interrogé à propos de l'absence de l'affiche le 17 août ou le 1er septembre. Évidemment, l'opposante aurait pu clarifier la situation par la voie d'une preuve en réponse, mais elle a choisi de ne pas le faire. En tout état de cause, la preuve de Mme Kalacyan, en elle-même, n'est pas suffisante pour me permettre de tirer une conclusion défavorable quant à l'exactitude et à la fiabilité du témoignage par affidavit de M. Artinian ou du témoignage qu'il a rendu en contre-interrogatoire.

Fardeaux de preuve

[29]       Comme je l'ai mentionné précédemment, avant de me pencher sur la question de la confusion, j'estime nécessaire d'examiner i) le fardeau de preuve initial imposé à l'opposante au soutien des allégations figurant dans la déclaration d'opposition et ii) le fardeau ultime imposé à la requérante pour établir sa preuve.

[30] En ce qui a trait au point i) ci-dessus, conformément aux règles de preuve habituelles, l'opposante doit s'acquitter du fardeau initial de prouver les faits sur lesquels elle appuie ses allégations formulées dans la déclaration d'opposition : voir John Labatt Limited c The Molson Companies Limited, 30 CPR (3d) 293, p. 298 (CF 1re inst). La présence d'un fardeau de preuve imposé à l'opposante à l'égard d'une question donnée signifie que, pour que la question soit considérée, la preuve doit être suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l'existence des faits allégués à l'appui de ladite question. Quant au point ii) susmentionné, c'est à la requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer que la demande ne contrevient pas aux dispositions de la Loi sur les marques de commerce invoquées par l'opposante dans la déclaration d'opposition (concernant les allégations pour lesquelles l'opposante s'est acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait). Le fait que le fardeau ultime incombe à la requérante signifie que, s'il est impossible d'arriver à une conclusion déterminante une fois que toute la preuve a été présentée, la question doit être tranchée à l'encontre de la requérante.

 

Quand des marques de commerce créent-elles de la confusion?

[31]       Des marques de commerce créent de la confusion lorsqu'il existe une probabilité raisonnable de confusion au sens de l'article 6(2) de la Loi sur les marques de commerce, lequel est libellé comme suit :

L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits . . . liés à ces marques de commerce sont fabriqués. . . ou que les services liés à ces marques sont. . . exécutés, par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non. . . de la même catégorie générale.

[32]       Ainsi, l'article 6(2) ne porte pas sur la confusion entre les marques elles-mêmes, mais sur la confusion portant à croire que des produits ou des services provenant d'une source proviennent d'une autre source. En l'espèce, la question que soulève l'article 6(2) est celle de savoir si les acheteurs des chaussures de la requérante, vendues sous la marque de service de vente au détail I SHOES & Dessin d'un cœur, croiraient que ces chaussures ont été vendues par l'opposante, ou que la requérante a été autorisée à vendre les chaussures par l'opposante ou détient une licence l'autorisant à vendre les chaussures de l'opposante, qui vend des chaussures sous la marque I ITALIAN & Dessin. C'est à la requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer, selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités qui s'applique en matière civile, qu'il n'y aurait pas de probabilité raisonnable de confusion.

Le test en matière de confusion

[33] Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. Les facteurs à prendre en considération pour déterminer si deux marques créent de la confusion sont « toutes les circonstances de l'espèce, y compris » celles expressément énoncées aux art. 6(5)a) à 6(5)e) de la Loi, à savoir : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période pendant laquelle chaque marque a été en usage; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce; le degré de ressemblance entre les marques dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent. Cette liste n'est pas exhaustive et il importe de prendre en considération tous les facteurs pertinents. En outre, ces facteurs n'ont pas nécessairement tous le même poids, et le poids qu'il convient d'accorder à chacun varie selon les circonstances : voir Gainers Inc. c. Tammy L. Marchildon et le Registraire des marques de commerce (1996), 66 CPR (3d) 308 (CF 1re inst.). Toutefois, comme l'a souligné le juge Rothstein dans Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc. (2011), 92 CPR (4th) 361 (CSC), le degré de ressemblance est souvent le facteur susceptible d'avoir le plus d'importance dans l'analyse relative à la confusion, et ce, même s'il est mentionné en dernier lieu à l'art. 6(5).

Examen des facteurs énoncés à l'art. 6(5)

Premier et deuxième facteurs - le caractère distinctif inhérent et acquis; la période pendant laquelle les marques ont été en usage

[34]       La marque visée par la demande ne possède pas un caractère distinctif inhérent très marqué, comme elle est formée des mots du dictionnaire d'usage courant I (je) et SHOES (chaussures) et d'un dessin courant de cœur. Il s'agit d'une marque intrinsèquement faible. La marque de l'opposante est aussi formée d'éléments plutôt intrinsèquement faibles, à savoir les mots I (je), ITALIAN (italien) et SHOES (chaussures), mais les chaussures à talon aiguille disposées talon à talon et pointe à pointe pour former un dessin de cœur constituent un élément graphique distinctif. Considérée dans son ensemble, la marque de l'opposante est tout de même une marque assez faible, mais elle possède un caractère distinctif inhérent plus marqué que la marque de la requérante, au moins dans la présentation. La marque visée par la demande n'aurait pas acquis un caractère distinctif à la date pertinente la plus lointaine (février 2008), comme il s'agit d'une marque dont l'emploi est projeté. Cependant, la marque de la requérante avait acquis une notoriété substantielle aux dernières dates pertinentes (février 2011 et aujourd'hui), compte tenu de l'emploi à grande échelle de la marque à compter de mars 2008. La marque de l'opposante avait acquis une certaine notoriété à la date pertinente la plus lointaine en raison de l'emploi de la marque depuis novembre 2005. Aux dernières dates pertinentes, la marque visée par la demande avait acquis un caractère distinctif beaucoup plus marqué que la marque de l'opposante. Par conséquent, à la date pertinente la plus lointaine, les premier et deuxième facteurs, considérés ensemble, favorisent l'opposante, mais légèrement plutôt que de manière significative. Aux dernières dates pertinentes, les premier et deuxième facteurs, considérés ensemble, favorisent la requérante, compte tenu de l'emploi à grande échelle de sa marque à compter de mars 2008, ce qui l'emporte à mon avis sur la période plus longue (d'environ 2,5 années) pendant laquelle l'opposante a employé sa marque et sur le caractère distinctif inhérent plus marqué de la marque de l'opposante. J'estime que, aux dernières dates pertinentes, le caractère distinctif acquis de la marque de la requérante favorise de manière significative la requérante.

Troisième et quatrième facteurs – le genre de marchandises et de services et la nature des commerces des parties

[35]       Le troisième facteur favorise clairement l'opposante, parce que le genre de marchandises et de services des parties est essentiellement le même, les deux parties vendant toutes deux une gamme de chaussures au détail. Le fait que les marchandises des parties sont vendues à des « échelles de prix » différentes n'est pas pertinent pour trancher la question de la confusion : voir, ci-dessous, Bagagerie SA c Bagagerie Willy Ltée (1992), 45 CPR (3d) 503 (CAF), p. 509-510 :

 [traduction]
Le juge de première instance a accordé beaucoup d'importance au fait que les produits offerts par chacune des parties étaient destinés à des consommateurs différents, les moins bien nantis et les mieux nantis. Les tribunaux ont reconnu que le prix des produits et le type de consommateur auquel les produits sont destinés sont des facteurs pertinents1, mais dans un contexte différent de celui qu'évoque le juge de première instance. La conclusion qu'ils ont tirée est que des produits vendus à un prix élevé qui constituent en quelque sorte un investissement amènent le consommateur à porter plus d'attention à l'achat que dans le cas de produits moins dispendieux. Plus l'achat de produits amène le consommateur à examiner et à réfléchir, moins il y a risque de confusion. C'était le cas dans l'affaire Bellows, citée par le juge de première instance, qui se rapportait à deux marques de réfrigérateurs. Dans cette affaire, le facteur « prix », mentionné par le juge Rand dans les motifs que cite le juge de première instance, était commun aux deux types de produits. Cette affaire ne concernait pas des produits qui se vendaient à un prix plus élevé par un marchand et à un prix inférieur par un autre. L'inverse est aussi vrai. Plus le prix est bas, moins il y aura de réflexion prolongée. . . De plus, l'affaire Hermes, précitée, citée par le juge de première instance, repose principalement sur le fait que certains produits ont été vendus dans des magasins très spécialisés et d'autres ont été vendus dans des boutiques exclusives. La différence était moins celle du prix, même s'il s'agissait d'un facteur, que d'une distinction se rapportant au type de magasin dans lequel un produit est acheté.

. . . . .

 

Les tribunaux ne font aucune distinction entre des produits de la même catégorie générale pour lesquels le facteur « prix » est le principal élément distinctif . . . Sur ce point, le juge de première instance a incorrectement appliqué les règles jurisprudentielles sur lesquelles il s'est appuyé.

(Soulignement ajouté)

[36]       Le passage susmentionné de l'affaire Bagagerie est également instructif en ce qui concerne le quatrième facteur, c'est-à-dire la nature des commerces des parties. À cet égard, l'opposante exploite un magasin « boutique » de détail unique en son genre, qui attire les consommateurs en mettant l'accent sur un lien avec l'Italie et qui dénote ainsi un certain style et une certaine mode pour ses produits. La requérante a adopté une approche de marchandisage de masse. En conséquence, la nature des commerces des parties est différente. Le quatrième facteur favorise par conséquent la requérante. Cependant, j'estime que les troisième et quatrième facteurs considérés ensemble s'équilibrent et ne favorisent ensemble ni l'une ni l'autre des parties.

Cinquième facteur - le degré de ressemblance

[37]       Les marques des parties se ressemblent dans une large mesure en raison des éléments nominaux communs I (je) et SHOES (chaussures) et du dessin commun de cœur. Évidemment, les marques sont différentes du fait que la marque de l'opposante comporte l'élément nominal additionnel ITALIAN (italien) de même que le dessin de chaussures à talon aiguille qui sert également à créer le dessin de cœur. Dans la marque visée par la demande, chacun des trois éléments de la marque a plus ou moins la même importance. Dans la marque de l'opposante, ce sont les dessins de chaussures à talon aiguille et de cœur qui sont « au premier plan », et j'estime qu'ils constituent les éléments les plus dominants, suivis au plan de l'importance de l'expression ITALIAN SHOES (chaussures italiennes). Je conclus par conséquent que les marques en cause diffèrent davantage qu'elles se ressemblent dans la présentation. La marque visée par la demande serait prononcée « I love shoes » (j'aime les chaussures), alors que la marque de l'opposante serait prononcée « I love Italian shoes » (j'aime les chaussures italiennes). Par conséquent, les marques diffèrent davantage qu'elles se ressemblent dans le son. L'idée que suggère la marque visée par la demande est « I love shoes » (j'aime les chaussures), tandis que l'idée suggérée par la marque de l'opposante est « I love women's Italian shoes » (j'aime les chaussures italiennes pour femmes). Évidemment, c'est la présence du dessin de chaussures à talon aiguille et de l'élément nominal ITALIAN (italien) qui différentie l'idée suggérée par la marque de l'opposante de l'idée plus simple suggérée par la marque visée par la demande. Je conclus que les marques en cause diffèrent davantage qu'elles se ressemblent dans les idées qu'elles suggèrent. Dans l'ensemble, lorsque chacun des aspects du degré de ressemblance (c.-à-d., la présentation, le son, les idées suggérées) est considéré, je conclus que les marques en cause diffèrent beaucoup plus qu'elles se ressemblent.

Autres circonstances de l'espèce – absence de preuve de cas de confusion réelle

[38]       Une autre circonstance de l'espèce à considérer est l'absence de preuve de confusion réelle. Évidemment, l'opposante n'est pas tenue de produire une preuve de cas de confusion réelle, et l'absence d'une telle preuve ne soulève pas nécessairement de présomptions défavorables à l'opposante, pas plus qu'elle ne permet de trancher la question de la confusion. Néanmoins, l'absence de preuve de confusion réelle au cours d'une période pertinente, malgré un recoupement des produits, des services et des voies de commercialisations des parties, peut entraîner une conclusion défavorable quant à la probabilité de confusion : Monsport Inc. c. Vetements de Sport Bonnie (1978) Ltée (1988), 22 CPR (3d) 356 (CF 1re inst.); MercedesBenz A.G. c. Autostock Inc., 69 CPR (3d) 518 (COMC).

[39]       Les observations de la requérante en ce qui concerne cette autre circonstance de l'espèce sont présentées au para. 59 de son plaidoyer écrit :

[Traduction]
Malgré le fait que la marque de commerce de l'opposante est employée dans au moins deux magasins de vente de chaussures au détail à quelques minutes de marche du magasin unique de l'opposante au centre-ville de Montréal, et malgré l'emploi continu de la Marque de commerce [la marque visée par la demande] depuis 2008, la preuve des principaux témoins de la Requérante et de l'Opposante a démontré que ni l'une ni l'autre n’avait connaissance de cas de confusion entre la Marque de commerce et la Marque de l'Opposante. Le fait que la Marque de l'Opposante et la Marque de commerce coexistent dans des lieux aussi rapprochés depuis plusieurs années sans que des cas de confusion soient portés à l'attention des parties (et en particulier du témoin de l'Opposante qui a témoigné de sa présence continue dans le magasin) permet nettement de conclure qu'il n'existe pas de probabilité de confusion entre la Marque de l'Opposante et la Marque de commerce à l'avenir.

Je conviens que, en l'espèce, l'absence de preuve de confusion réelle est un facteur qui joue en faveur de la requérante.

Décision

[40]       Eu égard aux facteurs énoncés à l'article 6(5) et analysés ci-dessus, j'estime que la requérante s'est acquittée de son fardeau ultime de démontrer que les marques en cause ne créent pas de confusion. L'opposition est par conséquent rejetée.

[41]       La présente décision est rendue dans l'exercice des pouvoirs qui me sont délégués par le registraire des marques de commerce en vertu des dispositions de l'article 63(3) de la Loi sur les marques de commerce.

[42]       J'ajouterais que ma décision aurait été la même si l'absence de preuve de confusion réelle n'avait pas été prise en compte comme autre circonstance de l'espèce favorisant la requérante. Autrement dit, les cinq facteurs énoncés à l'article 6(5) favorisent suffisamment la requérante pour que je rejette l'opposition.

__________________

Myer Herzig, membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Pierre Hétu, trad.

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