Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2011 COMC 194

    Date de la décision : 2011-10-18

DANS L'AFFAIRE DE L'OPPOSITION produite par Fuji Television Network, Inc. à l'encontre de la demande d'enregistrement no 1 303 714 pour la marque de commerce IRON CHEF au nom de Ramesh Suri

[1]               Le 1er juin 2006, Ramesh Suri (le Requérant) a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce IRON CHEF (la Marque) fondée sur un emploi au Canada depuis le 1er juin 2006 en liaison avec « barbecue (conçu et fabriqué pour cuisine); dosseret en acier inoxydable pour n’importe quel type de cuisine », telle que modifiée (les Marchandises).

[2]               La demande a été annoncée aux fins d'opposition dans le Journal des marques de commerce du 14 mars 2007.

[3]               Le 14 août 2007, Fuji Television Network, Inc. (l’Opposante) a produit une déclaration d’opposition. Les motifs d’opposition peuvent être résumés de la façon suivante :

         non-respect de l’al. 30b) de la Loi sur les marques de commerce, S.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi) en ce que le Requérant n’a pas vraiment employé la Marque au Canada depuis le 1er juin 2006 tel que revendiqué dans la demande.

         le Requérant n’a pas droit à l’enregistrement de la Marque en vertu de l’al. 16(1)a) de la Loi vu qu’à la date de premier emploi, la Marque créait de la confusion avec la marque de commerce IRON CHEF de l’Opposante dont l’emploi au Canada était antérieur en liaison avec une émission de télévision portant sur des compétitions d’art culinaire;  des produits utilisés en cuisine, y compris des couteaux, des gobelets et des verres; des vêtements et des produits alimentaires.

         la marque n’est pas distinctive en ce qu’elle n’est pas adaptée à distinguer les Marchandises de celle de l’Opposante.

[4]               Le Requérant a signifié et produit une contre-déclaration dans laquelle il nie les allégations de l’Opposante et exige que celle-ci en fasse clairement la preuve.

[5]               Au soutien de son opposition, l’Opposante a produit comme preuve l’affidavit de Yukio Sonobe, souscrit le 15 mai 2008, ainsi que les pièces A à C, conformément à l’article 41du Règlement sur les marques de commerce, DORS/96-195 (le Règlement). M. Sonobe n'a pas été contre-interrogé au sujet de son affidavit. M. Sonobe est le directeur principal de Fuji Creative Corporation (FCC), une entité qui est de façon générale responsable d’octroyer des licences à l’égard des maques de commerce de l’Opposante et de veiller à leur mise en marché.

[6]               Au soutien de sa demande, le Requérant a produit l’affidavit de Ramesh Suri, souscrit le 29 décembre 2008, ainsi que les pièces A à E. Monsieur Suri n’a pas été contre-interrogé au sujet de son affidavit. M. Suri est le président et le propriétaire de Swift Canada Inc. (Swift), il est également le Requérant. M. Suri affirme que Swift a été constituée en Colombie-Britannique le 4 novembre 2002 et qu’elle fait affaires dans les domaines de la conception, fabrication, distribution et vente d’appareils électroménagers, nommément [traduction] « barbecues au gaz naturel, barbecue au propane, barbecues au gaz naturel et propane, surfaces de cuisson électriques en céramique, surfaces de cuisson électriques à élément tubulaire, dosseret en cuivre, dosseret en acier inoxydable et contenants à déchets ». Dans son affidavit, M. Suri déclare que lui-même, le Requérant, [traduction] « a conçu » la Marque et qu’il a octroyé une licence à Swift pour son emploi au Canada. M. Suri déclare que la majorité des produits de Swift sont vendus sous la marque de commerce SWIFT, mais que les produits de la ligne de première qualité de Swift sont vendus sous la Marque.

[7]               Le 16 mars 2010, le Requérant a produit une demande modifié changeant la description des Marchandises de la façon décrite ci-dessus. La demande modifiée a été acceptée le 26 avril 2010.

[8]               Les deux parties ont produit un plaidoyer écrit. Une audience a été tenue, à laquelle seule l’Opposante était représentée.

Fardeau de la preuve et dates pertinentes

[9]               C’est sur le Requérant que repose le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Il incombe toutefois à l’Opposante de s’acquitter du fardeau initial de présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun des motifs d’opposition [voir John Labatt Limitée c. Les Compagnies Molson Limitée, (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), à la page 298].

[10]           Les dates pertinentes quant aux motifs d’opposition sont les suivantes :

         al. 38(2)a) et 30b) – la date de production de la demande [voir Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 469, p. 475 (C.O.M.C.) et Tower Conference Management Co. c. Canadian Exhibition Management Inc. (1990), 28 C.P.R. (3d) 428, p. 432 (C.O.M.C.)].

         al. 38(2)c) et 16(1)a) – la date du premier emploi revendiqué [voir le par. 16(1) de la Loi].

         al. 38(2)d) et art. 2 – la date de production de l’opposition [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F.)].

Le motif fondé sur l’al. 30b)

[11]           L’Opposante peut se fonder sur la preuve du Requérant pour s’acquitter du fardeau initial qui lui incombe à l’égard de ce motif [voir Molson Canada . Anheuser-Busch Inc., (2003), 29 C.P.R. (4th) 315 (C.F. 1re inst.), et York Barbell Holdings Ltd. c. ICON Health and Fitness, Inc. (2001), 13 C.P.R. (4th) 156 (C.O.M.C.)]. Cependant, l’Opposante doit établir que la preuve du Requérant est « manifestement incompatible » avec les prétentions formulées dans sa demande d’enregistrement [voir Ivy Lea Shirt Co. c. 1227624 Ontario Ltd. (1999), 2 C.P.R. (4th) 562, pages 565 et 566 (C.O.M.C.), conf. Par  11 C.P.R. (4th) 489 (C.F. 1re inst.)].

[12]           Dans son affidavit, M. Suri affirme que la première présence de Swift dans le marché canadien remonte à février 2004 à l’occasion d’une participation au Home and Garden Show, à Vancouver, en C.-B. Monsieur Suri déclare qu’en 2005 environ, Swift a commencé a commercialisé des produits en liaison avec la Marque et à envoyer des produits à des distributeurs. M. Suri dit que les ventes de produits réalisées sous la Marque ont commencé vers la fin de 2005 et que les ventes ont augmentées en 2006 et par la suite.

[13]           M. Suri déclare qu’en mai 2005 et en avril 2006 Swift a présenté des barbecues et des dosserets en liaison avec la Marque au Kitchen and Bath Industry Show and Conference à Las Vegas, au Nevada et à Chicago, dans l’Illinois, respectivement.

[14]           M. Suri affirme que la Marque est apposée sur les produits de l’une ou l’autre des deux façons suivantes : soit elle est estampée sur le produit directement, soit elle inscrite sur un autocollant qui est par la suite fixé sur le produit. Par exemple, M. Suri dit que la Marque est estampée dans le métal dont sont fabriqués les barbecues de Swift. M. Suri joint à son affidavit une photographie d’un barbecue qui illustre la Marque estampée dans le couvercle (pièce B). En ce qui concerne les dosserets, M. Suri dit qu’un autocollant portant la Marque leur est apposé. M. Suri a fourni une copie d’une page d’autocollants portant la Marque (pièce C) ainsi qu’une photographie d’un aménagement de cuisine réalisé dans l’établissement commercial de Swift à Richmond, en C.-B (pièce D) illustrant comment les autocollants sur lesquels figure la Marque sont fixés aux dosserets dans le coin inférieur droit. En raison de la piètre qualité de la photographie qui m’a été fournie, je souligne qu’il m’est impossible d’y voir la Marque. Ceci étant dit, je suis disposée à accepter les déclarations de M. Suri, selon lesquelles la Marque figure  sur les Marchandises.

[15]           M. Suri déclare que la Marque est aussi employée pour décrire les Marchandises sur les factures représentatives transmises aux clients pour des ventes réalisées de 2005 à 2008 (pièce E). Je souligne que la Marque est employée pour décrire les produits figurant dans chacune des factures.

[16]           Je souligne que les factures produites par le Requérante font la preuve de ventes réalisées par Swift, et non par le Requérant. Dans son affidavit, M. Suri affirme qu’il a octroyé une licence autorisant l’emploi de la Marque par Swift. L’Opposante a raison lorsqu’elle soutient que le Requérant n’a fourni aucune preuve concernant l’objet de cette licence ou le degré de soin et de contrôle que le Requérant exerçait sur le genre et la qualité des Marchandises. Cela étant dit, le Requérant agit en tant que président et propriétaire, et vraisemblablement comme âme dirigeante, de Swift, la titulaire de la licence. En conséquence, il est possible d’inférer que le Requérant exerce un contrôle sur le genre et la qualité des Marchandises. À cet égard, n this regard, je m’appuie sur les enseignements de l’affaire Petro-Canada c. 2946661 Canada Inc. (1998), 83 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.). Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincue qu’il est possible pour le Requérant de se fonder sur des ventes réalisées par Swift pour soutenir qu’elles lui profitent. 

[17]           Le Requérant a produit les factures pertinentes figurant ci-dessous qui, selon lui, étayent la réalisation de ventes de Marchandises antérieures à la date alléguée de premier emploi :

a.       le 22 septembre 2005 pour « IRON CHEF CHARCOL BARBQUE » (la facture de septembre);

b.      le 16 janvier 2006 pour « IRON CHEF EURO 36 N/ » (la facture de janvier);

c.       le 6 février 2006 pour « IRON CHEF COAL BBQ (SAMPLES) » (la facture du 6 février);

d.      le 10 février 2006 pour « IRON CHEF BACKSPLASH » (la facture du 10 février);

e.       le 22 mars 2006 pour « IRON CHEF ‘Wave’ Pattern Wallsplash » (la facture de mars);

f.       le 31 mai 2006 pour « IRON CHEF 54” x 28” Wave Pattern Wallsplash » (la facture de mai).

[18]           L’Opposante a soulevé un certain nombre d’objections techniques à l’égard de ces factures, parmi lesquelles se trouvent les suivantes :

a.       En ce qui concerne les factures de septembre et du 6 février, l’Opposante fait remarquer que les barbecues décrits dans les factures sont au « charbon de bois » ou au « charbon » et que des barbecues de ce type ne seraient pas conçus pour être utilisés à l’intérieur, comme les Marchandises le laissent entendre (« bar-be-que (conçu et fabriqué pour cuisine) »). En se fondant sur cette observation, l’Opposante fait valoir que ces factures ne prouvent pas des ventes de Marchandises. En l’absence de preuve à l’appui, je ne suis pas convaincue que l’objection technique soulevée par l’Opposante à l’égard de ces factures justifie une conclusion selon laquelle ces factures sont nettement incompatibles avec la Marque employée en liaison avec les Marchandises.

b.      En ce qui concerne la facture de janvier, l’Opposante soutient que la nature des marchandises qui y sont décrites n’est pas claire et qu’elle ne peut donc étayer des ventes de Marchandises. Je suis d’accord avec l’Opposante et je conclus que cette facture ne peut être utilisée au soutien de la date de premier emploi revendiquée par le Requérant.

c.       En ce qui concerne les factures de mars et de mai, l’Opposante soutient que l’utilisation du terme « wallsplash » par opposition à « backsplash », tel qu’il figure dans la description des Marchandises et tel qu’il est utilisé dans les autres factures, empêche ces factures de prouver des ventes des « dosserets en acier inoxydable pour n’importe quel type de cuisine », qui sont décrits comme étant des Marchandises. Je ne souscris pas à l’argument de l’Opposante. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, je ne vois aucune raison de conclure que le terme « wallsplash » signifie autre chose que « backsplash ».

d.      En ce qui concerne la facture du 6 février, l’Opposante fait valoir que l’utilisation du mot « échantillon » dans la description des marchandises et le fait de fixer à 5 $ le prix correspondant au barbecue revendiqué laissaient entendre que cette facture ne prouvait pas la vente d’un vrai barbecue. Je suis d’accord avec l’argument de l’Opposante et je conclus que cette facture ne peut être utilisée au soutien de la date de premier emploi revendiquée par le Requérant.

e.       Enfin, en ce qui concerne les factures du 6 et du 10 février et celle de mai, l’Opposante soutient qu’en raison du fait que les clients se trouvaient aux États-Unis rendaient les factures impropres à établir l’emploi de la Marque au Canada.  Dans son plaidoyer écrit, l’Opposante fait valoir qu’étant donné que les ventes constatées par ces factures [traduction] « ont été faites aux États-Unis, en plus d’être réalisées par le Requérant lui-même, elles ne remplissent pas les conditions établies au par. 4(3) quant à l’usage présumé ». Je ne suis pas d’accord. Lors de l’audience, l’Opposante a précisé le sens de son argument suivant lequel ces factures ne pouvaient établir un emploi présumé au sens du par. 4(3) de la Loi vu l’absence de preuve établissant qu’elles avaient été livrées avec les marchandises. Cette prétention ne me convainc pas non plus vu que la preuve qui m’a été présentée démontre que la  Marque est apposée sur les Marchandises mêmes. Finalement, lorsqu’elles sont examinées en relation avec le reste de l’affidavit de M. Suri,  je suis convaincue que ces factures pourraient constituer une preuve établissant l’emploi de la Marque au sens du par. 4(3) de la Loi.

[19]           Je ne suis pas convaincue que les objections formulées par l’Opposante à l’égard des factures sont suffisantes pour rendre la preuve présentée par le Requérant clairement incompatible avec la date de premier emploi revendiquée pour les Marchandises. Plus particulièrement, j’estime que le Requérant a produit une facture prouvant des ventes de barbecues (la facture de septembre) et trois factures prouvant des ventes de dosserets (les factures du 10 février, de mars et de mai). Lorsque les factures sont examinées en relation avec le reste de l’affidavit de M. Suri, je conclus qu’elles suffisent à soutenir l’allégation du Requérant selon laquelle il emploie les Marchandises depuis le 1er juin 2006.

[20]           Compte tenu de ce qui précède, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b) de la Loi est rejeté en raison du défaut de l’Opposante de se décharger de son fardeau de preuve.

 

Motif fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement – Paragraphe 16(1) de la Loi

[21]           Bien qu’il incombe au Requérant d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe aucune probabilité raisonnable de confusion entre la Marque et la marque de commerce IRON CHEF de l’Opposante, celle-ci a le fardeau initial de prouver que la marque de commerce invoquée à l’appui de son motif d’opposition fondé sur le par. 16(1) de la Loi était employée au Canada avant la date de premier emploi alléguée par le Requérant (le 1er juin 2006) et n’avait pas été abandonnée à la date de l’annonce de la demande d’enregistrement de la Marque (le 14 mars 2077) [par. 16(5) de la Loi].

[22]           Dans son affidavit, M. Sonobe déclare que l’Opposante produit une émission de télévision intitulée IRON CHEF, laquelle est diffusée au Japon depuis octobre 1993 ainsi qu’une version doublée en anglais diffusée au Canada depuis 1999. M. Sonobe explique que l’émission de télévision met en vedette deux chefs cuisinant divers mets qui sont jugés à la fin de l’émission. Les chefs ont une heure pour réaliser le plus grand nombre de plats possibles, dont chacun doit comprendre un ingrédient « secret » qui est révélé au début de chaque émission. Environ 300 épisodes de l’émission de télévision originale IRON CHEF ont été produits.  M. Sonobe déclare que le dernier nouvel épisode de l’émission de télévision IRON CHEF a été diffusé au Japon en septembre 1999, mais que des reprises de ces épisodes originaux ont été diffusées sur le The Food Network Canada depuis 1999.

[23]           Outre l’émission de télévision originale IRON CHEF, depuis janvier 2005, une nouvelle émission de télévision intitulée IRON CHEF AMERICA a été produite en vertu d’une licence octroyée par l’Opposante et a été diffusée sur le The Food Network Canada.

[24]           M. Sonobe dit que chacune des émissions de télévision IRON CHEF met en évidence la marque de commerce IRON CHEF.

[25]           M. Sonobe a joint des éléments de preuve documentaire au soutien de son allégation selon laquelle les émissions de télévision IRON CHEF sont accessibles au Canada.

[26]           Premièrement, M. Sonobe joint à son affidavit une liasse de documents qui, selon lui, démontrent l’accessibilité actuelle du The Food Network Canada dans les marchés importants  partout au Canada (pièce A). M. Sonobe produit des imprimés tirés du site Internet du TV Guide de Toronto, Montréal, Vancouver, Ottawa, Calgary, Edmonton, la ville de Québec City, Winnipeg, Halifax et Victoria, lesquels ont été imprimés le 2 mai 2008. Tous ces imprimés indiquent que The Food Network Canada est un réseau dont la disponibilité s’étend à tous ces territoires. De plus, je remarque qu’à l’intérieur de chacun de ces territoires, à l’exception de Toronto, il est mentionné dans la partie de la grille horaire ayant été imprimée que l’émission de télévision IRON CHEF AMERICA est diffusée sur les ondes du The Food Network Canada. Je souligne que les éléments de preuve de cette nature tirés de l’Internet constituent du ouï-dire [voir Candrug Health Solutions Inc. c. Thorkelson (2007), 60 C.P.R. (4th) 35 (C.F. 1re inst.), infirmé par (2008), 64 C.P.R. (4th) 431 (C.A.F.)].

[27]           Deuxièmement, M. Sonobe joint à son affidavit une liasse de rapports émanant de Nielsen Media Research qui, selon lui, prouvent l’heure de diffusion des émissions de télévision IRON CHEF et IRON CHEF AMERICA au Canada de 2001 à la date à laquelle il a souscrit son affidavit (pièce B). Ayant été préparé par une tierce partie, les données relatives à l’heure de diffusion constituent du ouï-dire [voir R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531].

[28]           Bien que presque l’ensemble de la preuve présentée par M. Sonobe constitue du ouï-dire, je suis disposée à y accorder un certain poids pour les raisons suivantes. Premièrement, je remarque que les données provenant à la fois des imprimés du site Internet du TV Guide et des tableaux de Nielsen Media Research ne se contredisent pas les unes par rapport aux autres pour l’année 2008 (la seule année de chevauchement). De plus, je souligne que M. Sonobe n’a pas été contre-interrogé sur son affidavit. Enfin, je souligne que le Requérant n’a présenté aucune preuve pour contredire la conclusion selon laquelle l’émission de télévision IRON CHEF était accessible au Canada depuis 1999. En l’absence de contre-interrogatoire, et lorsqu’il n’est pas contredit par la preuve présentée par le Requérant, je suis disposée à accepter le témoignage de M. Sonobe étant donné que je ne dispose d’aucun motif pour douter des déclarations sous serment faites par M. Sonobe selon lesquelles l’Opposante a diffusé les émissions de télévision IRON CHEF et IRON CHEF AMERICA au Canada sur The Food Network Canada depuis 1999 et  2005, respectivement.

[29]           Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincue que l’Opposante a présenté à la télévision une émission portant sur la cuisine en liaison avec la marque de commerce IRON CHEF au Canada depuis 1999.

[30]           En ce qui concerne les allégations de vente par l’Opposante de marchandises d’accessoires de cuisine en liaison avec la marque de commerce IRON CHEF, je souligne que selon les déclarations de M. Sonobe, compte tenu de la popularité des émissions de télévision  IRON CHEF et IRON CHEF AMERICA de l’Opposante, dans lesquelles des concours de cuisine avaient lieu, il était naturel pour l’Opposante de vendre des accessoires de cuisine et des produits alimentaires, et d’octroyer des licences à des tiers pour le faire. M. Sonobe affirme que toutes ces marchandises ont été commercialisées et vendues en liaison avec la marque de commerce IRON CHEF.

[31]           Monsieur Sonobe affirme plus particulièrement que les marchandises vendues en liaison avec la marque de commerce IRON CHEF comprennent : [traduction] coutellerie, couteaux à dépecer; couteaux du chef; couvert, nommément, fourchettes, couteaux et cuillères; vêtements, nommément, napperons, t-shirts et pulls molletonnés; produits alimentaires, nommément, sauces pour salade, vinaigres, pâtes alimentaires, épices, chocolat; paniers de cadeaux composés principalement de sauces, chocolats, pâtes alimentaires et épices; logiciel pour jeux vidéo et sur ordinateur dans le domaine de la cuisson et des recettes; périphériques d’ordinateur (les Marchandises de l’Opposante). M. Sonobe joint à son affidavit des photocopies de photographies de certaines de ces marchandises et de leur emballage portant la marque de commerce IRON CHEF (pièce C). La qualité des photocopies produites étant, dans certains cas, si piètre, je souligne que je suis incapable de déterminer le genre de marchandises figurant sur les photographies. Ceci étant dit, on m’a soumis des photocopies claires des marchandises suivantes, sur la totalité desquelles figure la marque de commerce IRON CHEF, soit sur les marchandises, soit sur leur emballage : couteaux, ensembles de couteaux, verres, sauces, mélanges pour soupe, DVD, t-shirts, chapeaux et napperons.

[32]           Monsieur Sonobe affirme que selon les livres comptables de FCC, les ustensiles de cuisine IRON CHEF comme les couteaux, gobelets, verres et produits alimentaires ont été expédiés et vendus au Canada. M. Sonobe déclare que d’autres vêtements souvenirs portant la marque IRON CHEF ont également été expédiés au Canada. Il dit que des milliers de ces articles ont été vendus à des Canadiens. Je souligne que M. Sonobe n’a fourni aucune date, aucun chiffre de vente détaillé ou aucune facture à l’appui de cette déclaration.

[33]           Monsieur Sonobe affirme que l’Opposante a constituée un achalandage appréciable pour sa marque de commerce IRON CHEF avec les émissions de télévision  IRON CHEF et IRON CHEF AMERICA. Selon M. Sonobe, vu qu’il d’agit de concours culinaires, il serait naturel pour des consommateurs d’articles de cuisson, comme des appareils ménagers, et de services culinaires de supposer que des accessoires ou produits culinaires sur lesquels figure la marque IRON CHEF sont fabriqués par l’Opposante ou sont autorisés par celle-ci en tant que productrice de l’émission de télévision IRON CHEF. Je ne ferai pas référence aux déclarations faites par M. Sonobe  exposant son opinion sur les questions intéressant le fond de l’opposition, ni n’y accorderai d’importance [voir British Drug Houses Ltd. c. Battle Pharmaceuticals (1944), 4 C.P.R. 48, p. 53 et  Les Marchands Deco Inc. c. Society Chimique Laurentide Inc. (1984), 2 C.P.R. (3d) 25 (C.O.M.C.)].

[34]           Bien que la preuve présentée par l’Opposante comporte un certain nombre d’incohérences, comme je l’ai déjà souligné, je suis finalement convaincue que l’Opposante a prouvé l’emploi de la marque de commerce IRON CHEF au Canada avant la date revendiquée de premier emploi de la Marque et qu’elle ne l’avait pas abandonné à la date de l’annonce de la demande d’enregistrement de la Marque. Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincue que l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve. Je dois maintenant évaluer si le Requérant s’est acquitté du sien.

[35]           Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. Le paragraphe 6(2) de la Loi indique que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

[36]           Lorsqu’il applique le test en matière de confusion, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles expressément énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi, à savoir : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle chacune des marques de commerce a été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Il n’est pas nécessaire d’attribuer un poids égal à chacun de ces facteurs. [Voir, de façon générale, Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc. (2006), 49 C.P.R. (4th) 321 (C.S.C.)].

[37]           Dans la plupart des cas, le degré de ressemblance dans la présentation ou le son, ou dans les idées suggérées, est le facteur décisif, les autres facteurs jouant un rôle secondaire [voir Beverly Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Upholstery Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2) 145, conf. par 60 C.P.R. (2d) 70 (C.F. 1re inst.)].

[38]           Récemment, dans l'arrêt Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc. (2011), 96 C.P.R. (4th) 361 (C.S.C.), la Cour suprême du Canada a analysé l'importance du facteur énoncé à l'alinéa 6(5)e) dans le cadre de l'analyse de la probabilité de confusion entre les marques des parties en conformité avec l'article 6 de la Loi (voir le paragraphe 49) :

[…] le degré de ressemblance soit le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion, et ce même s’il est mentionné en dernier lieu au par. 6(5) […] si les marques ou les noms ne se ressemblent pas, il est peu probable que l’analyse amène à conclure à la probabilité de confusion même si les autres facteurs tendent fortement à indiquer le contraire.  En effet, ces autres facteurs ne deviennent importants que si les marques sont jugées identiques ou très similaires […] En conséquence, certains prétendent que, dans la plupart des cas, l’étude de la ressemblance devrait constituer le point de départ de l’analyse relative à la confusion […]

[39]           Dans les circonstances de l’espèce, j’estime qu’il convient de commencer par l’analyse du degré de ressemblance entre les marques des parties.

Alinéa 6(5)e) – le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent

[40]           Les marques des parties sont identiques et, par conséquent, ce facteur favorise nettement l’Opposante.

[41]           Ayant conclu que les marques des parties sont identiques, je dois maintenant examiner les autres circonstances pertinentes de l’espèce afin de déterminer si ces autres facteurs sont suffisamment importants pour faire basculer la prépondérance des probabilités en faveur de la Requérante [voir Masterpiece, précité, au paragraphe 49].

Alinéa 6(5)a) – le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[42]           Les marques des deux parties évoquent la nature de leurs marchandises étant donné que les marchandises des deux parties ainsi que les émissions de télévision de l’Opposante traitent de cuisson. Étant donné que les marques sont identiques, j’estime que le caractère distinctif inhérent est identique.

[43]           Il est possible d’accroître la force d’une marque de commerce en la faisant connaître au Canada par la promotion ou l’usage. Je vais maintenant examiner la mesure dans laquelle les marques de commerce sont devenues connues au Canada.

[44]           Bien que le Requérant a produit certains éléments de preuve établissant qu’il avait vendu des barbecues et des dosserets en liaison avec la Marque, il ne m’a été présenté aucun chiffre de ventes ou autre élément de preuve me permettant de déterminer la mesure dans laquelle la Marque était devenue connue.

[45]           Bien que l’Opposante a produit des éléments de preuve établissant qu’elle a présenté des émissions de télévision en liaison avec les marques de commerce IRON CHEF et IRON CHEF AMERICA au Canada depuis 1999 et 2005, respectivement, et qu’elle avait vendu des articles de cuisine visés par une licence, aucune preuve n’a été versée au dossier établissant la mesure dans laquelle les émissions de télévision de l’Opposante avaient été vues par des Canadiens ou les chiffres de ventes concernant les Marchandises de l’Opposante. En conséquence, je ne peux d’aucune manière déterminer la mesure dans laquelle la marque de commerce IRON CHEF de l’Opposante était devenue connue.  

Alinéa  6(5)b) – la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[46]           Le Requérant a vendu des Marchandises en liaison avec la Marque au Canada depuis 2005.

[47]           L’Opposante a diffusé des émissions de télévision au Canada depuis environ 1999 et a offert en vente des articles de cuisine peu de temps par la suite.

Alinéa  6(5)c)– le genre des marchandises

[48]           Le Requérant soutient que les Marchandises sont des « articles de cuisine spécialisés » et qu’elles ne sont donc pas le genre de produits qu’on serait susceptible de trouver en tant que « produits dérivés de la mise en marché » associée à une émission de cuisine diffusée à la télévision. Je ne suis pas convaincue que la preuve versée au dossier est suffisante pour soutenir l’allégation du Requérant sur ce point. Plus particulièrement, on ne m’a présenté aucune preuve concernant ce qu’il conviendrait de reconnaître comme étant des « produits dérivés de la mise en marché » associée à une émission de cuisine diffusée à la télévision. C'est pourquoi je ne tiendrai pas compte de l'argument du Requérant sur ce point.

[49]           Bien que les marchandises des parties ne sont pas identiques, ces marchandises sont associées à la cuisson et à la cuisine. Compte tenu de ce qui précède, je conclus qu’il existe une certaine ressemblance entre la nature des marchandises des parties.

[50]           En ce qui concerne les services liés à l’émission de télévision de l’Opposante, la nature de ceux-ci diffère de toute évidence des Marchandises, quoiqu’en raison du lien direct qui les associe à la cuisson et à la cuisine, je conclue qu’il y a une relation entre les services de l’Opposante et les Marchandises.

Alinéa  6(5)d) – la nature du commerce

[51]           En ce qui concerne la nature des commerces des parties, le Requérant soutient que les consommateurs cherchant à se procurer les Marchandises seraient des « consommateurs avertis » prenant le temps d’examiner les produits disponibles sur le marché avant de compléter leurs achats et qu’en raison de ce comportement la probabilité de confusion entre les marques des parties serait moins grande.

[52]           La Cour suprême du Canada s’est récemment exprimée sur la question des consommateurs hautement qualifiés dans l’arrêt Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc. (2011), 96 C.P.R. (4th) 361 (C.S.C.) où le juge Rothstein a dit que le fait que les biens soient onéreux n’est pas un  facteur pertinent et ne constitue pas une raison pour restreindre le bénéfice de la protection du régime des marques de commerce. Le test applicable en matière de confusion est celui de la première impression [Polo Ralph Lauren Corp. c. United States Polo Assn. (2000), 9 C.P.R. (4th) 51 (C.A.F.)]. Les mesures prises ultérieurement par des consommateurs hautement qualifiés pour tenter de dissiper la confusion ressentie à première vue ne sont pas pertinentes [par analogie, voir les paragraphes 68 à 74 de l'arrêt Masterpiece, précité].

[53]           Le Requérant soutient que les Marchandises sont vendues par l’intermédiaire des établissements commerciaux de Swift à Richmond, en C.-B. et en ligne par l’intermédiaire du site Internet de Swift (Affidavit de M. Suri, par. 3 et 6). L’Opposante offre une émission de télévision et vend des accessoires de cuisine visés par une licence. L’Opposante n’a pas présenté de preuve établissant les voies de commercialisation par l’intermédiaire desquelles sont vendues les Marchandises de l’Opposante.

[54]           Le Requérant soutient que les marchandises des parties seraient vendues dans des établissements commerciaux différents ou dans des sections différentes si elles étaient vendues dans les mêmes établissements commerciaux.

[55]           Compte tenu des voies de commercialisation actuelles du Requérant, il semble improbable que les voies commerciales des parties se chevauchent. Cependant, en l’absence de restriction touchant à la nature des voies de commercialisation du Requérant, et compte tenu du chevauchement de la nature des marchandises des parties, je suis convaincue que les marchandises des parties pourraient être vendues par l’intermédiaire des mêmes voies commerciales.

 

Circonstance additionnelle – absence de preuve de confusion réelle

[56]           Le Requérant fait de plus valoir qu’une circonstance additionnelle dont il faut tenir compte est le fait que l’Opposante n’a présenté aucune preuve de confusion réelle, malgré l’emploi de la Marque par le Requérant depuis 2005. Il n'est évidemment pas nécessaire que l’Opposante établisse l’existence d’une confusion pour que je conclue à l’existence d’une probabilité de confusion. Néanmoins, l'absence de preuve de cas de confusion sur une période significative peut permettre de tirer une conclusion négative quant à la probabilité de confusion [voir Monsport Inc. c. Vêtements de Sport Bonnie (1978) Ltée (1988), 22 C.P.R. (3d) 356 (C.F. 1re inst.), Mercedes-Benz A.G. c. Autostock Inc. (anciennement Groupe T.C.G. (Québec) Inc.), 69 C.P.R. (3d) 518 (C.O.M.C.)].

[57]           En l’espèce, je souligne que la preuve versée au dossier indique que seulement quelques ventes de Marchandises ont été faites avant la date pertinente (c.-à-d., les quatre factures décrites ci-dessus au paragraphe 19 de ma). À mon avis, l’absence de preuve établissant que la Marque a été utilisée au Canada de manière très soutenue m’empêche de tirer des conclusions défavorables du défaut de l’Opposante de présenter la preuve de cas de confusion réelle survenu dans le marché.   

Conclusion

[58]           Compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, en particulier du fait que les marques des parties sont identiques des parties, je ne suis pas convaincue que la Requérante s'est acquittée du fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'existe aucune probabilité raisonnable de confusion entre la Marque et la marque de commerce IRON CHEF de l'Opposante. 

[59]           Compte tenu de ce qui précède, j’accueille le motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement.

Motif fondé sur l’absence de caractère distinctif – al. 38(2)d) de la Loi

[60]           Afin de s'acquitter de son fardeau de preuve initial relativement à ce motif d'opposition, l'Opposante doit établir que sa marque de commerce IRON CHEF était connue au Canada, du moins dans une certaine mesure, en date du 14 août 2007 [voir Bojangles' International, LLC c. Bojangles Café Ltd. (2006), 48 C.P.R. (4th) 427 (C.F.) et Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44 (C.F. 1re inst.)].

[61]           Bien que l’Opposante a présenté une preuve suffisante pour permettre de conclure qu’elle a employé la marque de commerce IRON CHEF au Canada avant la date revendiquée de premier emploi de la Marque, l’Opposante n’a pas produit une preuve suffisante pour soutenir la conclusion que la marque IRON CHEF était devenue suffisamment connue au Canada à la date de production de la déclaration d’opposition de manière à nier le caractère distinctif de la Marque. Compte tenu de ce qui précède, je conclus que l’Opposante ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait quant au motif fondé sur l’absence de caractère distinctif et, en conséquence, je rejette ce motif. 

Décision

[62]           Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande conformément aux dispositions du paragraphe 38(8) de la Loi.

______________________________

Andrea Flewelling

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada 

 

 

Traduction certifiée conforme.

Jean-Jacques Goulet, LL.L.

 

 

 

 

 

 

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