Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

Référence : 2010 COMC 165

Date de la décision : 2010-10-06

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION produite par CTV Limited à l’encontre de la demande d’enregistrement no 1,163,727 pour la marque de commerce VIBE au nom de InterMedia Vibe Holdings, LLC

[1]               Le 3 janvier 2003, Vibe Ventures LLC (VV) a produit une demande d’enregistrement visant la marque de commerce VIBE (la Marque). Cette demande était fondée sur l’emploi de la marque au Canada en liaison avec les marchandises et services suivants :

1.      magazine d’intérêt général ayant trait à la musique, la mode, la culture urbaine et le divertissement (depuis au moins aussi tôt que 1992);

2.      services de divertissement sous forme d’émissions télévisées - depuis au moins aussi tôt que 1998);

3.      exploitation d’un site Web sur l’Internet offrant un magazine et de l’information en ligne ayant trait à la musique, la mode, la culture urbaine et le divertissement (depuis au moins aussi tôt que 1994).

[2]               La demande a été publiée aux fins d’opposition dans l’édition du Journal des marques de commerce du 11 juin 2003.

[3]               Le 12 novembre 2003, CHUM Limited (CHUM) a produit une déclaration d’opposition. VV a produit et signifié une contre-déclaration dans laquelle elle a nié « chacune des allégations » formulées dans la déclaration d’opposition.

[4]               Au soutien de son opposition, CHUM a produit les affidavits de David Kines, Petra McDonald et Hallee Lauriola. VV a été autorisée par ordonnance à contre‑interroger tous ces déposants, mais seul M. Kines a été contre‑interrogé. La transcription du contre‑interrogatoire a été versée au dossier.

[5]               Par lettre en date du 21 décembre 2004, CHUM a été autorisée à modifier sa déclaration d’opposition.

[6]               À l’appui de sa demande d’enregistrement, VV a produit les affidavits de Kenard Gibbs et Anne Ford. CHUM a obtenu une ordonnance l’autorisant à contre-interroger M. Gibbs, mais elle ne s’en est pas prévalue.

[7]               Le 30 octobre 2006, une inscription relative à la cession de la demande d’enregistrement à Vibe Media Group LLC (VMG) a été portée au registre.

[8]               Par lettre en date du 9 octobre 2007, CHUM a fourni la preuve que son nom avait été changé pour celui de CTV Limited. Dans la suite des présents motifs, le terme « Opposante » désigne collectivement CHUM et CTV Limited.

[9]               Par lettre en date du 11 janvier  2008, VMG a été autorisée à présenter un élément de preuve supplémentaire, à savoir l’affidavit d’Enid Goldberg.

[10]           Les deux parties ont produit un plaidoyer écrit.

[11]            Le 1er décembre 2009, une inscription relative à la cession de la demande d’enregistrement à InterMedia Vibe Holdings, LLC a été portée au registre. Dans la suite des présents motifs, le terme « Requérante » désigne selon le cas VV, VMG ou InterMedia Vibe Holdings, LLC, suivant la date envisagée.

[12]           Les deux parties étaient représentées à l’audience.

Questions préliminaires

[13]           Dans son plaidoyer écrit, l’Opposante a demandé que soit rendue une ordonnance portant que la preuve « en réponse » de la Requérante, à savoir l’affidavit Goldberg, ne soit pas versée au dossier. Il est vrai que la Requérante a décrit l’affidavit Goldberg comme une preuve en réponse, et l’Opposante a raison de dire que la procédure d’opposition ne prévoit pas la possibilité pour un requérant de produire de preuve en réponse. Toutefois, dans sa décision du 11 janvier 2008, le registraire n’a pas accordé à la Requérante l’autorisation de présenter une preuve en réponse, mais bien de produire des éléments de preuve supplémentaires en application de l’article 44 du Règlement sur les marques de commerce, DORS/96-195. Je ne suis pas disposée à reconsidérer cette décision et, compte tenu de la nature de celle‑ci, il n’est pas nécessaire de déterminer si l’affidavit Goldberg constitue bien une preuve en réponse.

Résumé des motifs d’opposition et dates pertinentes

[14]           L’Opposante a invoqué des motifs d’opposition fondés sur l’alinéa 38(2)a) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi) :

1.      la demande n’est pas conforme à l’alinéa 30a) parce qu’elle ne renferme pas d’état, dressé dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises et services spécifiques en liaison avec lesquels la Marque a été employée;

2.      la demande n’est pas conforme à l’alinéa 30b) parce que la Requérante n’emploie pas la Marque comme marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises et services décrits dans la demande et ne l’a pas employée ainsi et qu’elle ne l’a pas employée non plus depuis les dates mentionnées dans la demande (ce motif s’appuie sur cinq allégations de fait qui seront examinées plus loin);

3.      la demande n’est pas conforme à l’alinéa 30i) parce que la Requérante ne pouvait pas être convaincue d’avoir le droit d’employer la Marque au Canada en liaison avec les marchandises et services visés par la demande.

[15]           L’Opposante a aussi invoqué des motifs d’opposition fondés sur l’alinéa 38(2)b) de la Loi :

1.      aux termes de l’alinéa 12(1)b), la Marque n’est pas enregistrable car, qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou une description fausse et trompeuse, en langue anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises, à savoir le magazine d’intérêt général ayant trait à la musique, la mode, la culture urbaine et le divertissement, en liaison avec lequel elle est censée être employée au Canada;

2.      aux termes de l’alinéa 12(1)d), la Marque n’est pas enregistrable car elle créait et elle crée de la confusion avec les marques déposées propriété d’Aliant Telecom Inc., à savoir VIBE, enregistrée sous le no 482,248; VIBE Dessin, enregistrée sous le no 488,831, et VIBE VISION, enregistrée sous le no 563,058.

[16]           Des motifs d’opposition fondés sur l’alinéa 38(2)c) de la Loi ont aussi été invoqués :

1.      aux termes de l’alinéa 16(1)a), la Requérante n’a pas droit à l’enregistrement de la Marque car, à la date alléguée du premier emploi de celle‑ci en liaison avec des services de divertissement sous forme d’émissions télévisées, à savoir le 31 décembre 1998, elle créait de la confusion avec les marques de commerce VIBE, VIBE Dessin et VIBE VISION ou des variations de ces dernières marques, antérieurement employées au Canada par Aliant Telecom Inc. ou par ses titulaires de licences dans le cadre de leur entreprise et non abandonnées à la date de l’annonce de la demande de la Requérante;

2.      aux termes de l’alinéa 16(1)c), la Requérante n’a pas droit à l’enregistrement de la Marque car, à la date alléguée du premier emploi de celle‑ci en liaison avec des services de divertissement sous forme d’émissions télévisées, à savoir le 31 décembre 1998, elle créait de la confusion avec les marques de commerce VIBE, VIBE Dessin et VIBE VISION ou des variations de ces dernières marques, antérieurement employées au Canada par Aliant Telecom Inc. ou par ses titulaires de licences dans le cadre de leur entreprise et non abandonnées à la date de l’annonce de la demande de la Requérante;

[17]           Enfin, l’Opposante a invoqué le motif d’opposition suivant fondé sur l’alinéa 38(2)d) de la Loi :

1.   la Marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 parce qu’elle ne distingue pas les marchandises et services de la Requérante décrits dans la demande de ceux qui sont vendus, distribués, diffusés ou mis à disposition par d’autres personnes ou que d’autres personnes ont fait connaître en liaison avec les marques de commerce, noms commerciaux ou noms de domaine comportant le mot VIBE, notamment les services de Vibe Gospel Music, les Vibe Awards, les marchandises et services d’Aliant Telecom Inc. et les marchandises et services d’autres personnes, et qu’elle n’est ni adaptée à les distinguer ainsi ni capable de le faire.

[18]           Les dates pertinentes pour l’examen des motifs d’opposition sont les suivantes :

alinéa 38(2)a)/article 30 - la date de production de la demande [Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 469 (C.O.M.C.), à la page 475];

 

alinéa. 38(2)b)/alinéa 12(1)b) - la date de production de la demande [Shell Canada Limited c. P.T. Sari Incofood Corporation (2005), 41 C.P.R. (4th) 250 (C.F.); Fiesta Barbeques Limited c. General Housewares Corp. (2003), 28 C.P.R. (4th) 60 (C.F.)];

 

alinéa 38(2)b)/alinéa 12(1)d) - la date de la décision [Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. et le registraire des marques de commerce (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.)];

 

alinéa 38(2)c) et alinéas 16(1)a) et c) - la date de premier emploi revendiquée par la Requérante;

 

alinéa 38(2)d) et article 2 - la date de production de l’opposition [voir Metro‑Goldwyn‑Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F. 1re inst.)];

Résumé de la preuve de l’Opposante

[19]           M. Kines est vice-président de la division MUCHMUSIC de l’Opposante, laquelle exploite des canaux de télévision spécialisés, dont MUCHMUSIC et MUCHVIBE. Il a témoigné au sujet des activités de l’Opposante dans le secteur de la radio et de la télévision, en insistant sur l’utilisation de diverses marques de commerce incorporant les mots « much » et « vibe ». Dans cette dernière catégorie figurent MUCHVIBE, VIBEVIDEOFLOW et VINTAGEVIBEVIDEO. M. Kines a également déposé concernant la question de savoir si la Requérante a diffusé ou non un programme de télévision VIBE au Canada. 

[20]           Mme McDonald est agente de marques de commerce et travaille pour le cabinet d’avocats représentant l’Opposante.  Elle témoigne au sujet de chacun des motifs d’opposition. Je n’ai pas tenu compte des déclarations constituant des arguments ou des opinions.

[21]           Mme McDonald fournit divers renseignements recueillis par elle, notamment des renseignements concernant le site Web vibe.com, les résultats de diverses recherches Internet, des détails au sujet de demandes d’enregistrement ou d’enregistrements de tiers relatifs à des marques de commerce comprenant le mot « vibe » au Canada et les divers sens du mot « vibe ».

[22]           Mme Lauriola est assistante juridique et elle travaille pour le cabinet d’avocats représentant l’Opposante. Elle a joint à son affidavit une copie de la transcription du contre‑interrogatoire de M. Kenard Gibbs au sujet de l’affidavit qu’il a souscrit le 11 mai 2004 dans le cadre d’une opposition présentée par VV à l’encontre de la demande d’enregistrement no 1,056,555 visant la marque de commerce MUCHVIBE présentée par CHUM. La transcription est accompagnée d’une copie de l’affidavit en question.

Résumé de la preuve de la Requérante

[23]           M. Gibbs est le président de VV. Il réitère les déclarations faites dans son affidavit du 11 mai 2004, dont copie a été fournie par Mme Lauriola. L’affidavit portait sur l’emploi de VIBE en liaison avec des magazines, des émissions de télévision, un site Web, des livres et des CD préenregistrés. Il clarifie toutefois plusieurs points abordés dans son témoignage antérieur :

1.      Vibe/Spin Ventures LLC est une société de portefeuille propriétaire de VV;

2.      la marque de commerce VIBE de la Requérante était la propriété de VV, non de Vibe/Spin Ventures LLC (en dépit de ses déclarations antérieures selon lesquelles les deux sociétés en étaient propriétaires);

3.      dans l’affidavit antérieur, les mentions relatives à « Vibe » étaient des mentions relatives à VV;

4.      la Requérante n’a jamais abandonné le nom VIBE en liaison avec des émissions de télévision – la production de l’émission originale VIBE TV a cessé, mais l’émission a été remaniée et reprise sous le nom Weekend VIBE (selon l’affidavit du 11 mai 2004 de M. Gibbs, la production de VIBE TV a cessé à la fin d’août 1998 et l’émission Weekend VIBE TV a débuté en 2002);

5.      lorsqu’il a répondu, dans son contre‑interrogatoire antérieur, que VIBE était devenu synonyme de musique urbaine, il parlait du magazine VIBE, non du mot « vibe ».

[24]           Mme Ford est assistante juridique et elle travaille pour le cabinet d’avocats représentant la Requérante. Elle a présenté le registre social de VV ainsi que divers renseignements se rapportant à l’emploi par des tiers du mot «vibe » dans des marques de commerce ou noms commerciaux. Elle a également fourni copie d’un affidavit souscrit par M. Kines à l’égard d’une autre opposition (ainsi que la transcription du contre‑interrogatoire relatif à cet affidavit).

[25]           Mme Goldberg est assistante juridique et préposée aux marques de commerce dans le cabinet d’avocats de la Requérante. Elle présente l’état actuel des enregistrements invoqués dans la déclaration d’opposition ainsi que des renseignements au sujet d’une autre marque « vibe » d’un tiers.

Le fardeau de la preuve

[26]           Il incombe à la Requérante d’établir selon la prépondérance des probabilités que sa demande satisfait aux exigences de la Loi. L’Opposante a toutefois le fardeau initial de présenter une preuve admissible dont on puisse raisonnablement conclure que les faits allégués au soutien de chacun des motifs d’opposition existent [voir John Labatt Limitée c. Les Compagnies Molson Limitée (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), à la page 298].

Le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30a)

[27]           L’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial pour ce qui est de la prétention que les marchandises et services ne sont pas décrits suivant les termes ordinaires du commerce. Bien que les paragraphes 4 et 5 de l’affidavit McDonald se rapportent selon elle à ce motif d’opposition, ils ne permettent à l’Opposante de faire la preuve qui lui incombait. Le motif fondé sur l’alinéa 30a) est en conséquence rejeté.

Le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b)

[28]           Le fardeau de preuve initial pesant sur l’Opposante concernant la question de la non‑conformité à l’alinéa 30b) de la Loi est plus léger, du fait que c’est la Requérante qui connaît le mieux les faits se rapportant à l’emploi de sa marque (Tune Masters c. Mr. P’s Mastertune Ignition Services Ltd. (1986), 10 C.P.R. (3d) 84 (C.O.M.C.), à la p. 89).

[29]           À l’appui de ce motif, l’Opposante allègue d’abord que VV n’a été constituée en société qu’en 1997. L’affidavit de Mme Ford confirme ce fait. Toutefois, lorsque la Requérante revendique un emploi antérieur à 1997, elle se réclame de l’emploi fait par ses prédécesseurs en titre. Elle cherche plus particulièrement à se prévaloir de l’emploi par Time Publishing Ventures, Inc., Time, Inc. et Vibe Ventures (une société constituée par Quincy Jones, David Saltzman et Robert Miller) en liaison avec les marchandises visées par la demande et par Time, Inc. et Vibe Ventures (une société constituée par Quincy Jones, David Saltzman et Robert Miller) en liaison avec les services Internet visés par la demande. Par conséquent, le fait que VV n’a été constituée en société qu’en 1997 ne permet pas de retenir le motif fondé sur l’alinéa 30b).

[30]           Elle allègue en second lieu qu’aucune licence ou autre autorisation du CRTC ni aucune autre forme de permis n’autorisait la Requérante à posséder et exploiter des stations de télévision, à fournir des services de diffusion ou à distribuer de quelque façon des émissions de télévision au Canada. Toutefois, puisqu’il n’a pas été démontré qu’il est effectivement nécessaire d’être ainsi autorisé, l’absence de licence ou permis ne peut fonder le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b). 

[31]           Le troisième fait allégué par l’Opposante est que la Requérante ne diffuse pas depuis 1998 au Canada d’émission télévisée portant la Marque, de façon continue ou pas. L’alinéa 30b) exige qu’il y ait eu emploi continu de la marque de commerce visée par la demande, dans la pratique normale du commerce, de la date indiquée à la date de production de la demande [Brasserie Labatt Limitée c. Benson & Hedges (Canada) Ltée (1996), 67 C.P.R. (3d) 258 (C.F. 1re inst.), à la page 262].

[32]           M. Kines dit être expert en matière de programmation et diffusion télévisuelles au Canada. Après avoir effectué des recherches dans la base de données de la société d’audimètre Nielsen, laquelle renferme selon lui la liste de toutes les émissions programmées au Canada du 31 décembre 1998 au mois de septembre 2004, il déclare qu’aucune émission intitulée VIBE n’a été diffusée au Canada pendant cette période. Je signale que M. Kines travaille pour l’Opposante depuis 1983 et qu’il a joué un rôle actif dans le canal spécialisé MUCHMUSIC de l’Opposante, depuis le lancement de celui‑ci. Il affirme bien connaître les entreprises faisant concurrence à l’Opposante et être au fait de la programmation et de la diffusion en général au Canada, et déclare qu’il n’est au courant d’[traduction] « aucune émission télévisée portant la marque de commerce VIBE qui a pu être diffusée au Canada vers le 31 décembre 1998 ou après cette date » (paragraphe 31, affidavit Kines). Je ne considère pas qu’il soit nécessaire d’accepter M. Kines comme témoin expert pour conclure que son témoignage permet à l’Opposante de s’acquitter de son fardeau initial de preuve à l’égard du motif fondé sur l’alinéa 30b) à l’égard des « services de divertissement sous forme d’émissions télévisées ».

[33]           M. Kines n’a pas fourni de preuve directe qu’il n’existait pas d’émission télévisée intitulée VIBE avant le 31 décembre 1998, mais son affidavit est suffisant pour soulever un doute sur la continuité de l’emploi de VIBE en liaison avec des services de divertissement sous forme d’émissions télévisées entre la date de premier emploi déclarée (depuis au moins 1998, c.‑à‑d. le 31 décembre 1998) et la date de production de la demande d’enregistrement (3 janvier 2003). J’estime donc qu’à l’égard des « services de divertissement sous forme d’émissions télévisées », l’Opposante s’est acquittée du fardeau de preuve initial exigé par l’alinéa 30b).

[34]           Puisque l’Opposante a fait la preuve qui lui incombait, la Requérante devait soumettre une preuve irréfutable établissant l’emploi continu de la Marque au Canada entre le 31 décembre 1998 et le 3 janvier 2003, en liaison avec ses services de divertissement. L’affidavit de M. Gibbs ne satisfait pas à cette exigence. Il renferme des allégations d’emploi, mais aucune pièce ne les étaye. Entre autres, le déposant s’est contenté de déclarer :

[traduction] Depuis 1998 au moins, la marque de commerce VIBE a été employée ou révélée au Canada pour le compte de Vibe en liaison avec des émissions télévisées. Plus particulièrement, une émission de télévision intitulée VIBE a été diffusée par CFMT-TV au Canada de janvier à août 1998. Des épisodes antérieurs ont été diffusés aux États‑Unis, et il est possible que ces émissions ou des publicités les annonçant aient été vues au Canada en raison du débordement du signal par radiodiffusion, câblodiffusion ou diffusion par satellite. En 2002, une autre émission, intitulée Weekend Vibe a été lancée aux États‑Unis pour le compte de Vibe.

Il n’a pas démontré qu’à une date quelconque antérieure à la production de la demande, la marque VIBE a été employée au Canada au sens de l’article 4 de la Loi, en liaison avec des émissions de télévision.

[35]           En conséquence, le motif d’opposition fondée sur l’alinéa 30b) est accueillie à l’égard des « services de divertissement sous forme d’émissions télévisées ».  

[36]           Selon la quatrième allégation de fait de l’Opposante, la Requérante n’exploite pas commercialement de site Web au Canada. L’Opposante précise ainsi son affirmation : [traduction] « Si tant est que la Requérante exploite un site Web, il s’agit d’un site passif, pour ce qui est du Canada, qui sert uniquement à la promotion du magazine publié par la Requérante sous la marque de commerce VIBE et qui, en outre, n’a pas été continuellement accessible au Canada depuis 1994 ». Je répète que l’état descriptif des services relatifs à l’Internet joint à la demande énonce ce qui suit « exploitation d’un site web sur l’Internet offrant un magazine et de l’information en ligne ayant trait à la musique, la mode, la culture urbaine et le divertissement ». Je ne vois pas bien comment l’allégation de passivité du site Web (c.‑à‑d. qu’il ne permet pas d’effectuer des achats en ligne) pourrait permettre à l’Opposante de s’acquitter du fardeau de preuve exigé par l’alinéa 30b). L’affirmation voulant que le site Web soit voué uniquement à la promotion du magazine de la Requérante me paraît tout aussi dénuée de fondement, les pièces démontrant clairement que ce n’est pas le cas. Enfin, aucun élément de preuve n’établit, selon moi, qu’il n’y a pas eu emploi constant depuis 1994. Je suis donc d’avis qu’aucune de ces affirmations ne saurait justifier d’accueillir le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b), l’Opposante ne s’étant pas acquittée de son fardeau initial.  

[37]           L’Opposante allègue en cinquième lieu que la Requérante ne vend pas au Canada de magazine concernant la musique, la mode, la culture urbaine et le divertissement, exposant plus précisément que [traduction] « [s]i tant est qu’il existe un tel magazine, il se rapporte l’industrie de la musique noire ».  L’alinéa 30b) exige du requérant qu’il fournisse la date à compter de laquelle ses prédécesseurs en titre désignés ou lui, le cas échéant, ont employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande. La cinquième allégation de l’Opposante ne met pas l’accent sur la date de premier emploi; elle sous‑entend plutôt que la description des marchandises figurant dans la demande n’englobe pas le genre de magazines en liaison avec lequel la Marque a été employée. Dans la mesure où il repose sur cette allégation, on peut mettre en doute la validité du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b). En supposant qu’il soit valide, il ne peut être accueilli, pour ce qui est de la cinquième allégation, parce que les magazines déposés en preuve entrent dans la description des marchandises.

[38]           En conclusion, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b) n’est accueilli qu’en partie, c’est‑à‑dire en ce qui a trait aux services ainsi décrits : « services de divertissement sous forme d’émissions télévisées ».

Le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i)

[39]           Lorsqu’un requérant produit la déclaration exigée par l’al. 30i), le motif fondé sur cet alinéa ne devrait être retenu qu’en des cas exceptionnels, notamment lorsque la mauvaise foi du requérant est établie [Sapodilla Co. Ltd. c. Bristol-Myers Co. (1974), 15 C.P.R. (2d) 152, à la page 155]. La Requérante a produit cette déclaration, et la preuve n’indique pas que la présente espèce constitue un cas exceptionnel. Le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i) est donc écarté.

Le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b)

[40]           Je conviens avec la Requérante que la preuve ne démontre pas que « vibe » donne une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises visées par la demande. On entend par « nature » une particularité ou une caractéristique du produit, et «claire » signifie [traduction] « facile à comprendre, évidente ou simple » [Drackett Co. of Canada Ltd. c. American Home Products Corp. C.P.R. (1968), 55 C.P.R. 29 (C. de l’É.)]. « Pour qu’on puisse soutenir l’objection qu’un mot constitue une description au sens de l’alinéa 12(1)b), ce mot doit constituer une description claire et non seulement suggestive, et pour qu’un mot constitue une description claire, il doit se rapporter à la composition des biens ou du produit. [Provenzano c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1977), 37 C.P.R. (2d) 189 (C.F. 1re inst.), à la page 189].

[41]           L’Oxford Canadian Dictionary définit ainsi « vibe » [traduction] « vibration, plus particulièrement en rapport avec des sentiments ou des ambiances qui se communiquent ». En conséquence, le mot est tout au plus suggestif des marchandises de la Requérante. Le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b) est donc rejeté. 

Les motifs d’opposition fondés sur l’alinéa 12(1)d)

[42]           Pour que le fardeau de preuve initial de l’Opposante soit rempli à l’égard d’un motif fondé sur l’alinéa 12(1)d), les marques de commerce invoquées par cette dernière doivent exister à la date de la décision. Il ressort de l’affidavit Goldberg que les enregistrements no 482,248, 488,832 et 563,058 ont tous été radiés. L’Opposante ne s’est donc pas acquittée du fardeau de preuve initial, et il y a lieu de rejeter les motifs d’opposition fondés sur l’alinéa 12(1)b).

Les motifs d’opposition fondés sur l’article 16

[43]           Suivant le paragraphe 17(1) de la Loi, l’utilisation antérieure d’une marque de commerce ou d’un nom commercial créant de la confusion ne justifie pas le refus d’une demande, sauf à la demande de l’utilisateur de cette marque. Comme l’Opposante n’est pas l’utilisateur antérieur des marques ou noms créant de la confusion, les motifs fondés sur l’article 16 sont donc rejetés.

Le motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif

[44]           Pour satisfaire au fardeau qui lui incombe relativement à ce motif d’opposition, l’Opposante n’a qu’à démontrer que le 12 novembre 2003, d’autres marques ou noms VIBE étaient devenus suffisamment connus pour annuler le caractère distinctif de la marque de commerce de la Requérante [Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44, à la page 58 (C.F. 1re inst.). 

[45]           La déclaration d’opposition ne mentionne expressément que trois autres sources de marchandises ou services « vibe ». Elle fait également état, cependant, d’« autres » sources, non identifiées, et il importe peu que ces autres utilisateurs n’y soient pas énumérés. Suivant Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB et al. (2002), 21 C.P.R. (4th) 289 (C.A.F.), les actes de procédure qui ne sont pas suffisamment détaillés peuvent être corrigées par la preuve. La Requérante aurait pu demander que soit rendue une décision interlocutoire radiant les mentions relatives aux autres marchandises et services. Comme elle ne l’a pas fait, il faut présumer qu’elle comprend la preuve qu’elle doit réfuter. J’estime plus particulièrement qu’il ressort clairement de la preuve de l’Opposante que celle‑si se réclame notamment de son propre emploi de MUCHVIBE pour fonder son affirmation que la Marque de la Requérante n’est pas distinctive.

[46]           Voici ce qui se dégage du témoignage de M. Kines pour ce qui est de l’emploi de MUCHVIBE antérieur au 12 novembre 2003. L’Opposante a lancé un canal de télévision spécialisé du nom de MUCHVIBE le 7 septembre 2001 et, depuis cette date, elle l’a exploité sans arrêt, 24 heures par jour sept jours par semaine comme canal musical. Depuis le 16 février 2002, l’Opposante diffuse également deux fois par semaine une émission télévisée intitulée MUCHVIBE sur son canal MUCHMUSIC. Entre janvier 2002 et juin 2003, le nombre d’abonnés canadiens au canal de télévision MUCHVIBE est passé de 202 600 à 358 605. À la date pertinente, l’auditoire hebdomadaire cumulé de l’émission MUCHVIBE dépassait 1,5 million de personnes. M. Kines a fourni des exemplaires d’un horaire des émissions MUCHVIBE pour le mois d’août 2003 ainsi que des enregistrements vidéo d’émissions représentatives diffusées au Canada en 2002 et 2003. Il a également fourni divers articles de matériel promotionnel portant la marque MUCHVIBE de l’Opposante. Avant la date pertinente, l’Opposante a également employé VibeVideoFlow, VintageVibeVideo et VibeRated en liaison avec ses services de télévision. En outre, elle possède et exploite, depuis le 7 septembre 2001, un site Web, muchvibe.ca, faisant la promotion de son canal de télévision MUCHVIBE.

[47]           J’estime donc que l’Opposante a satisfait à son fardeau initial de preuve à l’égard du motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif en présentant une preuve suffisante pour fonder la conclusion que sa marque MUCHVIBE était devenue suffisamment connue, avant le 12 novembre 2003, pour affaiblir le caractère distinctif de la Marque de la Requérante, à toute le moins à l’égard des services de télévision.

[48]           La preuve relative à l’emploi de marques « vibe » par des tiers provient en grande partie de Mme McDonald. En 2004, cette dernière a fait imprimer des pages de sites Web afin de démontrer que d’autres personnes se servaient du mot « vibe » dans une marque ou un nom. Cette preuve, toutefois, ne permet pas de conclure que la marque ou le nom de l’une quelconque de ces personnes était devenue suffisamment connue avant le 12 novembre 2003 pour affaiblir le caractère distinctif de la Marque de la Requérante.

[49]           Il incombe donc à la Requérante de démontrer que le 12 novembre 2003, sa Marque distinguait ses marchandises et services en dépit de la réputation acquise par la marque MUCHVIBE de l’Opposante.

[50]           Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’estime que la Requérante a fait la preuve qui lui incombait à l’égard de la marchandise « magazine d’intérêt général ayant trait à la musique, la mode, la culture urbaine et le divertissement » :

i)        les magazines diffèrent substantiellement des émissions de télévision, et leurs voies de commercialisation sont également très différentes;

ii)      les ventes réalisées par la Requérante au Canada avant le 21 novembre 2003 étaient importantes (plus de 490 000 copies);

iii)    aucun élément de preuve n’indique que la source du magazine VIBE et celle des services de télévision MUCHVIBE aient été confondues;

iv)    l’emploi de VIBE par la Requérante en liaison avec des magazines est antérieur de près d’une décennie à celui de MUCHVIBE par l’Opposante;

v)      les marques présentent des différences qui permettent de les distinguer dans les présentes circonstances.

[51]           Je suis également d’avis, pour les raisons suivantes, que la Requérante s’est acquittée de son fardeau de persuasion pour ce qui concerne les services d’« exploitation d’un site web sur l’Internet offrant un magazine et de l’information en ligne ayant trait à la musique, la mode, la culture urbaine et le divertissement ». Bien que les deux parties emploient leur marque sur l’Internet, leur présence commune dans ce média ne constitue pas un facteur significatif. On peut à juste titre affirmer que presque toutes les industries se servent de l’Internet pour promouvoir leur entreprise. Il faut donc examiner dans quel but l’Internet est utilisé. En l’espèce, il appert de la preuve de l’Opposante que celle‑ci a recours à son site Web pour promouvoir ses services de télévision, tandis que le site Web de la Requérante semble principalement être une version électronique du magazine qu’elle publie. Par conséquent, tout comme j’ai conclu qu’il semble peu probable qu’il y ait confusion entre le magazine VIBE de la Requérante et les services de télévision MUCHVIBE de l’Opposante, je conclus que le risque de confusion entre les services Internet respectifs des parties est peu probable.

[52]           Toutefois, je n’ai pas la conviction que, le 12 novembre 2003, la Marque de la Requérante distinguait ses « services de divertissement sous forme d’émissions télévisées » des services de production d’émissions télévisées MUCHVIBE TV de l’Opposante. L’Opposante a fait la preuve que ses services de télévision MUCHVIBE jouissaient d’une grande réputation à cette date, alors que pratiquement aucun élément de preuve n’établit que la Marque de la Requérante était alors le moindrement réputée à l’égard d’émissions de télévision au Canada. De plus, l’état descriptif des services produit par la Requérante ne donne aucune précision sur la nature des émissions, de sorte que je ne peux présumer que ces émissions présenteraient des différences substantielles par rapport à celles de l’Opposante. Étant donné que c’est à la Requérante qu’incombe le fardeau de preuve, le motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif est retenu pour ce qui est des « services de divertissement sous forme d’émissions télévisées ».

Décision

[53]           En conséquence, en vertu des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande d’enregistrement à l’égard des « services de divertissement sous forme d’émissions télévisées  » et je rejette l’opposition pour ce qui est du reste des marchandises et services, en application du paragraphe 38(8) de la Loi [sur la question des décisions partagées, voir Produits Ménagers Coronet Inc. c. Coronet-Werke Heinrich Schlerf Gmbh (1986), 10 C.P.R. (3d) 492 (C.F. 1re inst.)].

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Jill Bradbury

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. A.

 

 

 

 

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