Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2013 COMC 176

Date de la décision : 2013-10-15
TRADUCTION

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION produite par Oregon Brewing Company à l’encontre de la demande d’enregistrement no 1,484,257 pour la marque de commerce The Rogue au nom de Flat Rock Cellars Ltd.

[1]               Oregon Brewing Company, une société de l’Oregon, a produit une opposition en vertu de l’article 38 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi) à l’encontre d’une demande produite par Flat Rock Cellars Ltd. en vue de faire enregistrer la marque de commerce The Rogue (la Marque) en liaison avec des vins. La demande, qui a été produite le 8 juin 2010, est fondée sur l’emploi projeté de la Marque.

[2]               Deux des motifs d’opposition soulevés s’appuient sur des allégations selon lesquelles la demande n’est pas conforme aux exigences de l’article 30 de la Loi. Les trois autres motifs sont fondés sur des allégations de confusion entre la Marque et la marque de commerce ROGUE enregistrée et antérieurement employée ou révélée au Canada en liaison avec les marchandises suivantes : [TRADUCTION] « boissons maltées et fermentées, nommément lagers, ales et vin d’orge; boissons fermentées, nommément cidres ».

[3]               Les parties ont toutes deux produit une preuve. Oregon Brewing Company (l’Opposante) a produit un affidavit de Brett Joyce, le président de l’Opposante. Flat Rock Cellars Ltd. (la Requérante) a produit un affidavit de Conor Cronin, un étudiant en droit employé par le cabinet qui agit comme agent de marques de commerce pour la Requérante. Aucun contre-interrogatoire n’a été mené.

[4]               Les parties ont toutes deux produit un plaidoyer écrit et étaient toutes deux représentées à l’audience.

[5]               Pour les raisons exposées ci-dessous, il convient de repousser la demande d’enregistrement.

Fardeau ultime et fardeau de preuve

[6]               La Requérante a le fardeau ultime de démontrer que la demande ne contrevient pas aux dispositions de la Loi, contrairement à ce qui est allégué dans la déclaration d’opposition. Cela signifie que, si la Commission n’arrive pas à une conclusion déterminante après clôture de la preuve, la question doit être tranchée à l’encontre de la Requérante. L’Opposante doit, pour sa part, s'acquitter du fardeau initial de prouver les faits sur lesquels elle appuie ses allégations. Le fait qu’un fardeau de preuve initial soit imposé à l’Opposante signifie qu’un motif d’opposition ne sera pris en considération que s’il existe une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de ce motif d’opposition [voir John Labatt Ltd c. Molson Companies Ltd (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.); Dion Neckwear Ltd c. Christian Dior, SA et al (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.), et Wrangler Apparel Corp c. The Timberland Company (2005), 41 C.P.R. (4th) 223 (C.F.)].

Les questions

[7]               Les questions à trancher dans la présente opposition sont les suivantes :

1.   La Requérante avait-elle l’intention d’employer la Marque au Canada à la date de production de la demande?

2.   La Requérante pouvait-elle être convaincue d’avoir droit d’employer la Marque au Canada à la date de production de la demande?

3.   La Marque est-elle enregistrable en date d’aujourd’hui?

4.   La Requérante était-elle la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque à la date de production de la demande?

5.   La Marque était-elle distinctive des marchandises de la Requérante à la date de production de la déclaration d’opposition?

Analyse des questions

[8]               J’analyserai successivement chacune des questions susmentionnées.


1.   La Requérante avait-elle l’intention d’employer la Marque au Canada à la date de production de la demande?

[9]               Cette question découle du motif d’opposition portant que la demande n’est pas conforme aux exigences de l’alinéa 30e) de la Loi en ce que la Requérante n’avait pas l’intention d’employer la Marque au Canada au moment où elle a produit la demande.

[10]           Pour les raisons exposées ci-dessous, je rejette le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30e).

[11]           La demande renferme une déclaration portant que la Requérante a l’intention d’employer la Marque au Canada, elle-même et/ou par l’entremise d’un licencié; elle était donc conforme aux exigences de l’alinéa 30e) de la Loi, quant à la forme, à la date du 8 juin 2010. La question qui se pose est donc de savoir si la demande était conforme à l’alinéa 30e) de la Loi, quant au fond; en d’autres termes : la déclaration de la Requérante portant que la Requérante avait l’intention d’employer la Marque était-elle véridique? [voir Home Quarters Warehouse, Inc c. Home Depot, USA, Inc (1997), 76 C.P.R. (3d) 219 (C.O.M.C.); Jacobs Suchard Ltd c. Trebor Bassett Ltd (1996), 69 C.P.R. (3d) 569 (C.O.M.C.)].

[12]           L’Opposante n’a produit aucun élément de preuve pour établir que la Requérante n’était pas sincère lorsqu’elle a fait la déclaration exigée par l’alinéa 30e) de la Loi. En outre, contrairement à ce qu’affirme l’Opposante, le fait que la Requérante n’ait fourni aucune preuve de son intention d’employer la Marque en liaison avec des vins n’est pas suffisant pour permettre à l’Opposante de s’acquitter de son fardeau de preuve initial. Un requérant n’a pas à établir l’emploi d’une marque de commerce projetée et n’est pas tenu d’employer une marque de commerce projetée tant que la demande n’a pas été approuvée [voir Molson Canada c. Anheuser-Busch Inc (2003), 29 C.P.R. (4th) 315 (FC), p. 335].

[13]           En conséquence, le motif d’opposition est rejeté parce que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve.

2.   La Requérante pouvait-elle être convaincue d’avoir droit d’employer la Marque au Canada à la date de production de la demande?

[14]           Cette question découle du motif d’opposition portant que la demande n’est pas conforme aux exigences de l’alinéa 30i) de la Loi en ce que la Requérante ne pouvait pas être convaincue qu’elle avait droit d’employer la Marque au Canada. L’Opposante allègue, plus particulièrement, qu’un tel emploi serait contraire à la loi parce que la Requérante avait connaissance de l’emploi et de la publicité de la marque de commerce ROGUE de l’Opposante et qu’il aurait pour effet de diminuer la valeur de l’achalandage attaché à la marque de commerce déposée de l’Opposante en violation du paragraphe 22(1) de la Loi.

[15]           Pour les raisons exposées ci-dessous, je rejette le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i).

[16]           L’alinéa 30i) de la Loi exige que le requérant joigne à sa demande une déclaration portant qu’il est convaincu d’avoir droit d’employer la marque de commerce au Canada. D’après la jurisprudence, lorsque le requérant a fourni la déclaration exigée, on ne peut conclure à la non-conformité avec l’alinéa 30i) qu’en présence de circonstances exceptionnelles, telles qu’une preuve de mauvaise foi, qui rendent la déclaration du requérant invraisemblable [voir Sapodilla Co Ltd c. Bristol-Myers Co (1974), 15 C.P.R. (2d) 152 (C.O.M.C.), p. 155]. Il n’y a aucune preuve de cette nature en l’espèce.

[17]           En outre, à ma connaissance, ni le registraire ni la Cour fédérale n’ont encore statué sur la validité d’un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i) s’appuyant sur la violation de l’article 22 de la Loi [Parmalat Canada Inc c. Sysco Corp (2008), 69 C.P.R. (4th) 349 (C.F.), para. 38 à 42]. Même si je considérais qu’il s’agit là d’un motif d’opposition valable, l’Opposante n’a produit aucune preuve étayant la probabilité d’une diminution de la valeur de l’achalandage attaché à sa marque de commerce déposée qui contreviendrait à l’article 22 de la Loi [voir Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot ltée et al (2006), 49 C.P.R. (4th) 401 (C.S.C.)].

3.   La Marque est-elle enregistrable en date d’aujourd’hui?

[18]           Cette question découle du motif d’opposition portant que la Marque n’est pas enregistrable suivant l’alinéa 12(1)d) de la Loi en ce qu’elle crée de la confusion avec la marque de commerce ROGUE de l’Opposante enregistrée sous le no LMC534,517 en liaison avec les marchandises « boissons maltées et fermentées, nommément lagers, ales et vin d’orge; boissons fermentées, nommément cidres ».

[19]           Pour les raisons exposées ci-dessous, j’accueille le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d).

[20]           J’ai exercé le pouvoir discrétionnaire du registraire et je confirme que l’enregistrement no LMC534,517 de l’Opposante existe en date d’aujourd’hui; la date pertinente qui s’applique à ce motif d’opposition étant la date de ma décision [voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd et le Registraire des marques de commerce (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.)].

[21]           L’enregistrement no LMC534,517 étant en règle, l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve. La question qui se pose maintenant est donc de savoir si la Requérante s’est acquittée de son fardeau ultime de démontrer qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion entre la Marque et la marque de commerce déposée ROGUE de l’Opposante.

[22]           Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du vague souvenir. Le paragraphe 6(2) de la Loi prévoit que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

[23]           Dans l’application du test en matière de confusion, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles expressément énoncées au paragraphe 6(5) de la Loi, à savoir a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Le poids qu’il convient d’accorder à chacun de ces facteurs n’est pas nécessairement le même. [Voir Mattel, Inc c. 3894207 Canada Inc (2006), 49 C.P.R. (4th) 321 (C.S.C.); Veuve Clicquot Ponsardin, précité; et Masterpiece Inc c. Alavida Lifestyles Inc (2011), 92 C.P.R. (4th) 361 (C.S.C.) pour une analyse approfondie des principes généraux qui régissent le test en matière de confusion.]

[24]           Dans Masterpiece, précité, la Cour suprême du Canada a déclaré que le degré de ressemblance entre les marques, bien qu’il soit mentionné en dernier lieu au paragraphe 6(5) de la Loi, constitue souvent le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’analyse relative à la confusion; elle a choisi de commencer son analyse de la probabilité de confusion par l’examen de ce facteur. Je passe donc maintenant à l’évaluation des facteurs du paragraphe 6(5) dans le contexte de la présente affaire, en commençant par le degré de ressemblance entre les marques de commerce.

Alinéa 6(5)e) : le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent

[25]           S’agissant d’évaluer la probabilité de confusion, il est clairement établi en droit qu’il est inapproprié de décomposer les marques de commerce en leurs éléments constitutifs; les marques de commerce doivent plutôt être considérées dans leur ensemble.

[26]           Je ne souscris pas à l’argument de la Requérante selon lequel les similitudes entre les marques des parties dans la présentation et dans le son sont minimes. En revanche, j’estime, comme le fait valoir l’Opposante, que l’article « the » dans la Marque n’est pas particulièrement frappant et que l’élément distinctif de la Marque est le terme « rogue », qui est, il va sans dire, identique à la marque de commerce ROGUE.

[27]           S’agissant des idées suggérées par les marques, il convient d’abord de souligner qu’il n’y a aucun débat à savoir si le terme « rogue » est un mot ordinaire de la langue anglaise. En fait, chacune des parties a fourni dans son plaidoyer écrit des définitions de ce mot extraites de dictionnaires. Ces définitions n’ont pas été présentées en preuve, mais il m’est loisible de consulter moi-même des dictionnaires [voir Insurance Co of Prince Edward Island c. Prince Edward Island Insurance Co (1999), 2 C.P.R. (4th) 103 (C.O.M.C.)]. Les définitions du mot « rogue » qui figurent dans le Canadian Oxford Dictionary (2 éd.) sont essentiellement les mêmes que celles fournies par les parties et sont rédigées comme suit : [TRADUCTION] « une personne malhonnête ou peu scrupuleuse » ou [TRADUCTION] « une personne espiègle, en particulier un enfant »”.

[28]           La Requérante ne conteste pas que l’idée suggérée par la Marque est celle associée au mot « rogue » tel qu’il est défini dans les dictionnaires. En revanche, la Requérante met en doute le fait que la marque de l’Opposante suggère également cette même idée.

[29]           Plus particulièrement, la Requérante souligne que le dossier démontre que l’Opposante est une société des États-Unis constituée sous le régime des lois de l’Oregon, dont le principal lieu d’affaires est situé à Newport, en Oregon; conséquemment, la Requérante prétend que l’idée suggérée par la marque ROGUE est celle d’une région géographique comprise dans l’État d’origine de l’Opposante. À l’appui de son argument, la Requérante invoque les pièces « D », « E » et « F » jointes à l’affidavit de M. Cronin censées démontrer que la vallée du Rogue, qui est traversée par le fleuve Rogue, est une zone comprise dans la Région viticole américaine de la vallée du Rogue (Rogue Valley American Viticulture Area (Rogue Valley AVA)), laquelle est située dans le sud de l’Oregon. Les pièces consistent en des copies d’articles tirés de l’encyclopédie en ligne Wikipédia.

[30]           À mon avis, l’argument de la Requérante est une tentative de diversion. Même si j’accordais une valeur probante aux articles de Wikipédia, j’estime qu’attribuer une référence géographique à la marque de commerce de l’Opposante est exagéré. La Requérante ne m’a pas convaincue que le consommateur canadien moyen verrait dans la marque de l’Opposante autre chose qu’une allusion à l’idée suggérée par le mot « rogue », selon les définitions susmentionnées. Les marques suggèrent donc la même idée.

[31]           Par conséquent, le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)e) favorise considérablement l’Opposante.

Alinéa 6(5)a) : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[32]           La Requérante soutient que la marque de l’Opposante est dépourvue de caractère distinctif inhérent du fait de sa signification géographique. Si je comprends bien les observations de la Requérante, cette dernière prétend que la marque de l’Opposante fait allusion à une région géographique de l’État de l’Oregon, mais pas qu’elle décrit le lieu d’origine des marchandises de l’Opposante. La Requérante soutient que la Marque possède un caractère distinctif inhérent plus marqué, car aucune signification géographique ne lui est rattachée.

[33]           La Requérante prétend, d’une part, qu’une signification géographique est rattachée à la marque de l’Opposante et, d’autre part, que la Marque, qui est destinée à être employée en liaison avec des vins, est dépourvue de cette même signification; ces deux arguments me semblent difficilement conciliables. Après tout, la Requérante s’appuie sur la pièce « E » de l’affidavit de M. Cronin pour démontrer que la Région viticole américaine de la vallée du Rogue est une région spécialisée dans la culture de la vigne où l’on trouve au moins 20 vignobles.

[34]           Quoi qu’il en soit, je ne suis pas prête à conclure que la Marque possède un caractère distinctif inhérent plus important que celui de la marque de l’Opposante, comme le prétend la Requérante. En outre, au vu de la preuve au dossier, il appert qu’en l’espèce, le plus significatif des deux aspects du facteur énoncé à l’alinéa 6(5)a) est la mesure dans laquelle les marques de commerce sont devenues connues au Canada.

[35]           Étant donné que la Requérante n’a fourni aucune preuve d’emploi ou de promotion de la Marque au Canada, je ne peux que conclure que la Marque n’est pas du tout devenue connue. En d’autres termes, la Marque ne bénéficie d’aucun caractère distinctif acquis.

[36]           En revanche, l’Opposante a fourni une preuve d’emploi et de promotion de sa marque de commerce ROGUE au Canada en liaison avec différents types de bières, y compris des lagers, des ales et du vin d’orge, depuis au moins mai 1995, et en liaison avec des spiritueux depuis au moins juillet 2006. Le témoignage de M. Joyce à cet égard peut être résumé comme suit :

         l’opposante, un brasseur de bière et de spiritueux artisanaux, vend différents types de bières et de spiritueux sous la marque de commerce ROGUE;

         les bières ROGUE sont vendues dans les provinces de l’Alberta, de la Colombie-Britannique, du Manitoba, de la Nouvelle-Écosse, de l’Ontario, du Québec et de la Saskatchewan;

         les spiritueux ROGUE sont vendus dans les provinces de la Colombie-Britannique et de la Saskatchewan;

         les ventes totales de bière ROGUE de l’Opposante au Canada au cours de la période allant de 1999 à 2011 ont excédé 1,8 M$. Selon la répartition annuelle de ces ventes fournie dans l’affidavit, les ventes de l’Opposante en 2008, 2009 et 2010 ont totalisé 1,5 M$; les ventes de 2006 et 2007 combinées ont totalisé plus de 120 000 $. Aucune répartition du chiffre des ventes n’est fournie pour les années 1999 à 2005 et pour l’année 2011;

         en moyenne, les dépenses publicitaires annuelles avoisinent 11 200 $ US. Ces dépenses comprennent une somme d’environ 4 200 $ US engagée par l’Opposante et une autre somme de 4 200 $ US engagée par les distributeurs de l’Opposante. Je souligne que le déposant affirme que ces dépenses sont engagées pour faire connaître et promouvoir [TRADUCTION] « les produits » vendus sous la Marque;

         depuis 2006, l’Opposante participe à divers festivals et événements canadiens en lien avec la bière et les spiritueux, notamment le « Mondial de la Bière », qui a lieu à Montréal, et où l’Opposante a remporté des prix pour certaines de ces bières ROGUE en 2011, 2009 et 2008;

         l’Opposante et sa marque de commerce ROGUE ont été citées ou annoncées dans des journaux canadiens, des journaux américains traitant d’événements canadiens en lien avec la bière, des communiqués de presse et des publications spécialisées.

[37]           Au chapitre de la preuve documentaire, je souligne que M. Joyce a joint 41 pièces à son affidavit, dont certaines assez volumineuses. Je me bornerai à mentionner que cette preuve documentaire comprend les éléments suivants :

         une liste des différents spiritueux et bières ROGUE vendus au Canada par l’Opposante, accompagnée de photographies de bouteilles arborant une étiquette indiquant qu’il s’agit de bières ou de spiritueux ROGUE;

         une liste des points de vente au détail en Alberta, en Colombie-Britannique, au Manitoba, en Nouvelle-Écosse, en Ontario, au Québec et en Saskatchewan où les bières ROGUE avaient été vendues ou étaient vendues à la date à laquelle M. Joyce a souscrit son affidavit, soit le 26 octobre 2011;

         des exemples de formulaires de commande, de factures, de correspondance à des fins de planification et de documents d’expédition datant de différentes années;

         des documents concernant la participation de l’Opposante à des festivals et événements canadiens au cours des années 2006 à 2011;

         des articles sur l’Opposante et ses bières ROGUE parus dans des journaux et des magazines, y compris des articles mentionnant les prix remportés par l’Opposante à l’occasion du « Mondial de la Bière ».

[38]           La Requérante soutient qu’aucun poids ne devrait être accordé à la preuve qu’a produite l’Opposante relativement à l’emploi de sa marque de commerce ROGUE en liaison avec des « spiritueux ». Plus précisément, la Requérante soutient qu’il n’est nulle part fait mention de spiritueux dans la déclaration d’opposition et que ces marchandises ne sont pas non plus spécifiées dans l’enregistrement de l’Opposante. L’Opposante ne conteste pas le fait que sa marque de commerce n’est pas enregistrée en liaison avec des « spiritueux ». Elle soutient, néanmoins, que sa preuve est pertinente, particulièrement en ce qui a trait à la nature du commerce.

[39]           Je reviendrai sur les observations des parties quant à la pertinence de la preuve d’emploi de la marque de commerce ROGUE en liaison avec des « spiritueux » plus loin dans ma décision, lorsque j’examinerai les facteurs énoncés aux alinéas 6(5)c) et d). Pour ce qui est du facteur énoncé à l’alinéa 6(5)a), il n’est pas nécessaire que je me penche sur les observations de la Requérante, car j’estime que la preuve de l’Opposante n’est pas suffisante pour me permettre de conclure que la marque de commerce ROGUE est devenue connue dans quelque mesure que ce soit au Canada en liaison avec des spiritueux. En effet, je suis d’avis que l’affidavit de M. Joyce établit, au mieux, uniquement un emploi commercial minimal de la marque de commerce ROGUE au Canada en liaison avec des spiritueux, en particulier du rhum, du gin et du whisky.

[40]           Cela dit, je ne souscris pas à la prétention de la Requérante selon laquelle la preuve de l’Opposante n’est pas de nature à permettre à cette dernière de revendiquer [TRADUCTION] « quelque caractère distinctif acquis que ce soit ». En effet, suivant une interprétation raisonnable de l’affidavit de M. Joyce dans son ensemble, j’estime que la preuve produite est suffisante pour me permettre de conclure que la marque de commerce ROGUE est devenue connue dans une mesure considérable au Canada en liaison avec des bières.

[41]           En définitive, je conclus, après examen global du facteur énoncé à l’alinéa 6(5)a), que ce facteur favorise l’Opposante.

Alinéa 6(5)b) : la période pendant laquelle chaque marque de commerce a été en usage

[42]           La Requérante reconnaît que ce facteur joue en faveur de l’Opposante. Elle soutient toutefois que les ventes de bière de l’Opposante avant 2008 [TRADUCTION] « étaient très minimes » et qu’elles ont été [TRADUCTION] « modestes » au cours des années 2008 à 2001.

[43]           La question à examiner est celle de la période pendant laquelle la marque de commerce ROGUE a été en usage au Canada. La preuve de l’Opposante corrobore la conclusion selon laquelle la marque de commerce ROGUE a été employée de façon continue au Canada en liaison avec « des boissons maltées et fermentées, nommément des lagers, des ales et du vin d’orge » depuis la date de premier emploi revendiquée dans l’enregistrement no LMC534,517, à savoir « depuis au moins mai 1995 ».

[44]           Par conséquent, le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)b) favorise considérablement l’Opposante.

Alinéa 6(5)c) : le genre de marchandises, services ou entreprises; et Alinéa 6(5)d) : la nature du commerce

[45]           Aux fins de l’examen de ces facteurs, je dois d’abord revenir sur les observations des parties quant à la pertinence de la preuve de l’Opposante concernant les « spiritueux », bien que ces observations ne nécessitent pas une analyse approfondie. Il suffit, en effet, de rappeler que ce sont les états déclaratifs des marchandises qui figurent respectivement dans la demande d’enregistrement de la Marque et dans l’enregistrement de l’Opposante qui doivent être pris en considération lorsqu’il s’agit d’évaluer les facteurs des alinéas 6(5)c) et d) au titre d’un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) [voir Mr Submarine Ltd c. Amandista Investments Ltd (1987), 19 C.P.R. (3d) 3 (C.A.F.); et Miss Universe, Inc c. Bohna (1994), 58 C.P.R. (3d) 381 (C.A.F.)].

[46]           Sachant cela, je commencerai, aux fins de mon analyse de ces facteurs, par formuler les remarques générales suivantes.

[47]           Premièrement, étant donné que la marque ROGUE est enregistrée en liaison avec les marchandises « boissons maltées et fermentées, nommément lagers, ales et vin d’orge; boissons fermentées, nommément cidres », je ne m’attarderai pas davantage aux observations des parties quant aux similitudes et aux différences entre les « spiritueux » et les « vins ».

[48]           Deuxièmement, je ne me pencherai pas sur les marchandises « boissons fermentées, nommément cidres », spécifiées dans l’enregistrement de l’Opposante. Outre le fait que les observations de l’Opposante sont axées sur sa marque ROGUE employée en liaison avec des bières, je considère que la comparaison de la marque enregistrée en liaison avec des « boissons maltées et fermentées, nommément des lagers, des ales et du vin d’orge » avec la Marque en liaison avec des « vins » sera déterminante dans l’évaluation des facteurs énoncés aux alinéas 6(5)c) et d). En d’autres termes, l’issue de la présente affaire ne repose pas sur une comparaison de la Marque en liaison avec des “vins” avec la marque ROGUE enregistrée en liaison avec des « boissons fermentées, nommément des cidres ».

[49]           Enfin, les parties ont toutes deux cité plusieurs décisions à l’appui de leur cause respective en ce qui concerne les facteurs énoncés aux alinéas 6(5)c) et d). J’ai passé en revue l’ensemble de ces décisions; néanmoins, il est bien établi en droit que chaque affaire doit être jugée en fonction des circonstances qui lui sont propres. Par conséquent, je n’examinerai pas et ne citerai pas les décisions invoquées par les parties, à l’exception de Carling Breweries Ltd c. le Registraire des marques de commerce (1972), 8 C.P.R. (2d) 247 (C.F. 1re inst.) (Carling Breweries). La décision Carling Breweries faisait suite à un appel de la décision du registraire de repousser une demande d’enregistrement pour la marque de commerce WHITE CAP en liaison avec des boissons alcoolisées brassées, nommément des bières de types ale, lager, porter et stout, au motif que la marque créait de la confusion avec deux marques de commerce WHITE CAP enregistrées, l’une en liaison avec des vins et l’autre avec du rhum. L’appel a été rejeté par la Cour. Il est intéressant de constater que les parties ont toutes deux cité la décision Carling Breweries à l’appui de leur cause respective.

[50]           Cette dernière remarque m’amène à examiner les observations des parties. Comme les parties ont toutes deux consacré une part considérable de leur plaidoyer écrit et de leur plaidoirie aux facteurs des alinéas 6(5)c) et d), je résumerai ces observations dans la mesure du possible.

[51]           L’Opposante soutient que :

         les parties œuvrent toutes deux dans l’industrie des boissons alcoolisées;

         il a été déterminé antérieurement que la bière appartient à la même catégorie générale de marchandises que les vins; ces produits sont tous des produits issus d’une même industrie;

         la vente de boissons alcoolisées est fortement réglementée au Canada; dans chaque province, un organisme est chargé de réglementer la consommation et la vente de boissons alcoolisées; les marchandises des parties sont régies par les mêmes règlements provinciaux;

         les ventes de vins sous la Marque auraient lieu principalement dans des magasins d’alcools appartenant à l’État ou détenus pas des intérêts privés; il s’agit là des voies de commercialisation de l’Opposante.

[52]           La Requérante soutient que :

         l’Opposante exploite une brasserie, tandis que la Requérante exploite un établissement vinicole; l’Opposante n’a produit aucune preuve de l’existence d’un fabricant de boissons alcoolisées brassées qui fabriquerait également des vins;

         une lecture attentive du commentaire formulé par le juge Gibson dans Carling Breweries, à la page 251, révèle que le juge Gibson considère que la bière et le vin n’appartiennent pas à la même catégorie générale : [TRADUCTION] « Dans tous les cas, en l’espèce, le para. 6(2) est pertinent dans la mesure où à certains égards (mais pas à mon avis) la bière, les vins et les spiritueux pourraient être considérés comme appartenant à la même catégorie générale de marchandises. » (le soulignement est de moi);

         dans la vaste majorité des points de vente d’alcools au détail au Canada, que ces derniers soient sous le contrôle de l’État ou détenus par des intérêts privés, les vins ne sont pas placés au même endroit que les bières et autres boissons alcoolisées brassées;

         le fait que les produits puissent être vendus dans les mêmes points de vente au détail n’est pas déterminant en ce qui concerne la question de la confusion;

         la pièce « A » de l’affidavit de M. Cronin démontre que des marques similaires ou identiques destinées à être employées en liaison avec différents types de boissons alcoolisées coexistent dans le registre. Je souligne que la pièce est formée de la copie d’une demande d’enregistrement et des copies de 13 enregistrements extraites de la Base de données sur les marques de commerce canadiennes.

[53]           J’estime utile, pour clore l’examen des observations de la Requérante, de reproduire un extrait de son plaidoyer écrit, à la page 17. Bien qu’un peu long, cet extrait semble expliquer l’argument général de la Requérante selon lequel l’Opposante accorde une importance excessive à la question de savoir si la « bière » et le « vin » font partie de la même industrie par opposition à la question de savoir s’il existe ou non une probabilité de confusion entre les marques au sens de l’article 6 de la Loi.

[TRADUCTION]
La Commission ne devrait pas fixer son attention sur la question de savoir si les marchandises sont de la même catégorie générale (elles ne le sont pas, comme l’a indiqué le juge Gibson) ou font partie de la même industrie (oui, généralement parlant, il s’agit dans les deux cas de boissons alcoolisées) ou si elles sont vendues dans les mêmes types de magasins (oui, des magasins de vente d’alcools au détail). Toute cette information doit simplement servir à déterminer s’il existe une probabilité de confusion. Est-ce qu’un consommateur moyen qui possède une certaine connaissance de la bière ROGUE de l’Opposante conclurait, à la vue d’un vin commercialisé sous la marque The Rogue au Canada, que les marchandises sont liées? Il est clair, à notre avis, que la réponse à cette question est « non » – et nous appuyons notre position sur les différences entre les idées suggérées par les marques […], les différences entre les marchandises (bière versus vin), le fait que l’Opposante n’a présenté aucune preuve quant à l’existence au Canada de brasseurs fabriquant également du vin, et le fait que le registraire a antérieurement établi une distinction entre le vin, les spiritueux et la bière en permettant l’enregistrement de marques nominales similaires pour emploi en liaison avec des produits appartenant à ces différentes catégories de boissons alcoolisées. Considérer qu’il existe une probabilité de confusion équivaut à faire abstraction de la réalité commerciale, c’est-à-dire du fait que les consommateurs de boissons alcoolisées reconnaissent d’emblée qu’en règle générale, la bière et le vin proviennent de sources différentes et de fabricants différents.

[54]           Comme je l’ai indiqué précédemment, je ne souscris pas à l’argument de la Requérante selon lequel il existe des différences entre les idées suggérées par les marques. En outre, il est de mon devoir d’examiner tous les facteurs énoncés au paragraphe 6(5) de la Loi et d’accorder à chacun le poids qu’il convient; le genre de marchandises et la nature du commerce ne font pas exception.

[55]           Pour les raisons exposées ci-dessous, la Requérante ne m’a pas convaincue que, dans les circonstances de la présente espèce, les facteurs des alinéas 6(5)c) et d) sont dénués d’importance.

[56]           D’abord, la probabilité de confusion entre les marques en cause ne repose pas sur la question de savoir si la « bière » et le « vin » font partie de la même catégorie générale de marchandises. À cet égard, il convient de souligner que le paragraphe 6(2) de la Loi porte qu’une marque de commerce peut créer de la confusion avec une autre marque de commerce « que [l]es marchandises ou [l]es services soient ou non de la même catégorie générale »; la Requérante l’a d’ailleurs elle-même reconnue. De plus, il ressort clairement du paragraphe 6(2) de la Loi qu’il peut y avoir probabilité de confusion même si les marchandises ne sont pas exposées côte à côte en magasin.

[57]           En outre, je conviens avec l’Opposante que le raisonnement du juge Gibson dans Carling Breweries, à la page 251, s’applique à la présente espèce :

[TRADUCTION]
Quant à la nature du commerce (al. 6(5)d)), la seule preuve qui a été produite concerne des ventes « hors du lieu d’affaires ». Il n’y a aucune preuve de la nature du commerce pour ce qui est des ventes « sur le lieu d’affaires ». Je suis d’avis, cependant, que le facteur prépondérant est que la bière, les vins et les spiritueux sont tous des produits d’une même industrie et que, par conséquent, il est probable que le public serait plus susceptible de se méprendre quant à la source d’un ou plusieurs de ces produits. Quoi qu’il en soit, il appert de la preuve que toute différence établie entre ces produits est légère. [le soulignement est de moi]

[58]           Enfin, je ne souscris pas aux observations de la Requérante selon lesquelles je devrais accorder du poids à la pièce « A » de l’affidavit de M. Cronin dans l’évaluation de la probabilité de confusion entre les marques de commerce des parties. À cet égard, la Requérante soumet à juste titre que le juge Gibson dans Carling Breweries a reconnu que le registraire avait autorisé des enregistrements distincts pour des marques nominales similaires employées en liaison avec des produits appartenant à différentes catégories de boissons alcoolisées. Le juge Gibson n’a toutefois accordé aucun poids à cette preuve. Je reproduis ci-dessous les commentaires formulés par le juge Gibson, à la page 252, quant à la preuve concernant les enregistrements distincts de marques nominales similaires destinées à être employées en liaison avec des boissons alcoolisées.

[TRADUCTION]
À cet égard, il pourrait y avoir une certaine incohérence de la part du registraire dans le fait d’avoir jusqu’ici autorisé des enregistrements distincts pour des marques de commerce nominales destinées à être employées en liaison avec différentes catégories de boissons alcoolisées, dont certaines sont énumérées [à l’Annexe 1 des motifs du jugement], et de repousser la demande d’enregistrement de l’appelante en l’espèce. Peut-être y a-t-il une certaine incohérence. Mais, il est impossible de le dire sans connaître les faits et les décisions propres à chacune de ces affaires, considérant surtout que les marques énumérées à l’Annexe 1 sont toutes des marques nominales différentes et qu’elles sont aussi différentes de la marque nominale en cause. Il est possible également que, dans le but de préserver la pureté du registre et dans l’intérêt public, les demandes d’enregistrement comme celle de l’appelante qui visent à faire enregistrer des marques nominales semblables aux marques nominales déposées énumérées à l’Annexe 1 ne soient plus approuvées. Quoi qu’il en soit, il m’est impossible, dans la présente affaire, d’accorder quelque poids que ce soit à cette « circonstance de l’espèce », si tant est qu’il s’agisse d’une circonstance de l’espèce, dans la prise de ma décision quant à la question qui fait l’objet de cet appel. [le soulignement est de moi]

[59]           Avec respect pour la Requérante, je ne suis pas disposée à accorder de poids à la pièce« A » de l’affidavit de M. Cronin pour la simple raison que la Requérante [TRADUCTION] « ne pense pas qu’il est approprié pour la Commission (ou les tribunaux) de distinguer des exemples tirés d’affaires antérieures en se basant simplement sur le fait qu’ils concernent des marques différentes des marques à l’étude en l’espèce – il en sera presque toujours ainsi » [page 10 de son plaidoyer écrit].

[60]           En définitive, après examen global des facteurs énoncés aux alinéas 6(5)c) et d), je conclus que ces facteurs favorisent considérablement l’Opposante pour ce qui est des marchandises « boissons maltées et fermentées, nommément lagers, ales et vin d’orge », spécifiées dans l’enregistrement.

Autre circonstance de l’espèce

[61]           La Requérante soutient que le fait que la marque ROGUE coexiste, aux États-Unis et en Australie, avec des marques de commerce ROGUE de tiers employées en liaison avec des vins est une circonstance additionnelle de l’espèce qui appuie la conclusion qu’il n’existe pas de probabilité de confusion. À cet égard, la Requérante soumet ce qui suit, aux pages 17 et 18 de son plaidoyer écrit :

[TRADUCTION]
[…] nous soulignons également, à titre de circonstance pertinente de l’espèce, que la marque de commerce ROGUE est employée par divers commerçants en liaison avec du vin tant en Oregon qu’en Australie (voir l’affidavit de Conor Cronin, paragraphe 4). Les bières de l’Opposante sont distribuées dans l’ensemble des 50 États des États-Unis (y compris l’Oregon, son état d’origine) et en Australie (voir l’affidavit de Brett Joyce, paragraphe 5). L’Opposante coexiste donc déjà sur le marché (aux États-Unis et en Australie) avec divers commerçants qui emploient la marque de commerce ROGUE en liaison avec du vin, et l’Opposante n’a produit aucune preuve indiquant qu’il y a eu confusion réelle ou qu’elle a pris des mesures coercitives à l’encontre de ces commerçants.

[62]           Le paragraphe 4 de l’affidavit de M. Cronin est rédigé comme suit :

[TRADUCTION]
J’ai également eu l’occasion de faire des recherches sur l’emploi de la marque de commerce « ROGUE » en liaison avec du vin dans l’État de l’Oregon et en Australie. ROGUE est employé en liaison avec du vin tant en Oregon qu’en Australie. Des copies de sites Web de vignobles de l’Oregon et de l’Australie qui emploient la marque de commerce ROGUE aux fins de la commercialisation de leurs vins sont jointes en pièce « C ». Cote du Rogue est un vignoble de l’Oregon. Troon Vineyard est un vignoble de l’Oregon qui produit des vins baptisés Spirit of the Rogue River. Rogue Wines est un vignoble de la Nouvelle-Zélande qui vend du vin en Australie.

[63]           Je n’accorde aucune importance à la preuve de la Requérante. D’une part, les déclarations de M. Cronin concernant l’emploi par des tiers de la marque ROGUE en liaison avec des vins constituent un témoignage d’opinion qu’il convient d’exclure de l’examen selon Cross Canada Auto Body Supply (Windsor) Limited et al c. Hyundai Auto Canada (2005) 43 C.P.R. (4th) 21 (C.F.); conf. par 53 C.P.R. (4th) 286 (C.A.F.). Un témoignage d’opinion fourni par un employé de l’avocat était en cause dans cette affaire. En outre, les extraits de sites Web ne sont pas des preuves du contenu des sites Web dont ils proviennent; je ne peux donc accorder aucun poids à ces sites Web [voir ITV Technologies Inc c. WIC Television Ltd (2003), 29 C.P.R. (4th) 182 (C.F.)].

[64]           Je tiens à souligner également que je ne tire aucune conclusion quant à la pertinence de l’état du marché dans un pays étranger lorsque j’évalue la probabilité de confusion au Canada.

Conclusion quant à la probabilité de confusion

[65]           Dans l’application du test en matière de confusion, j’ai considéré que ce dernier tenait de la première impression et du vague souvenir. À l’issue de mon évaluation de chacun des facteurs énoncés au paragraphe 6(5), je conclus que la Requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau ultime d’établir qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion entre la Marque et la marque de commerce ROGUE de l’Opposante employée en liaison avec les marchandises « boissons maltées et fermentées, nommément lagers, ales et vin d’orge » spécifiées dans l’enregistrement.

[66]           En conséquence, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) est accueilli.

4.   La Requérante était-elle la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque à la date de production de la demande?

[67]           Cette question découle du motif d’opposition portant que la Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque suivant l’alinéa 16(3)a) de la Loi. Plus particulièrement, l’Opposante allègue que la Marque, à la date de production de la demande, créait de la confusion avec sa marque de commerce ROGUE antérieurement employée ou révélée au Canada en liaison avec les marchandises « boissons maltées et fermentées, nommément lagers, ales et vin d’orge; boissons fermentées, nommément cidres ».

[68]           À titre préliminaire, je souligne que la Requérante soutient, ici encore, qu’aucun poids ne devrait être accordé à la preuve concernant l’emploi de la marque de commerce ROGUE de l’Opposante en liaison avec des « spiritueux », car ces marchandises ne sont pas mentionnées dans le plaidoyer. Je suis d’accord. Le motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement, tel qu’il est plaidé, ne fait pas état d’un emploi ou d’une révélation antérieurs de la marque ROGUE de l’Opposante en liaison avec des « spiritueux ». En outre, il n’est nulle part fait mention de « spiritueux » dans la déclaration d’opposition.

[69]           Dans la décision Massif Inc c. Station Touristique Massif du Sud (1993) Inc (2011), 95 C.P.R. (4th) 249 (C.F.), la Cour fédérale a ordonné que les oppositions soient évaluées en fonction des motifs d'opposition tels qu'ils sont plaidés. Si un opposant soutient qu'une demande contrevient à un article de la Loi en raison de circonstances précises, il n'est pas permis de repousser la demande au motif qu'elle n’est pas conforme à cet article en invoquant des raisons autres que celles plaidées. J’ajouterai que rien n’empêchait la Requérante de demander l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition pour invoquer l’emploi antérieur au Canada de sa marque ROGUE en liaison avec des spiritueux.

[70]           Cela dit, j’estime que l’Opposante s’est acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait de démontrer que sa marque de commerce ROGUE avait déjà été employée au Canada à la date du 8 juin 2010 en liaison avec les marchandises « boissons maltées et fermentées, nommément lagers, ales et vin d’orge » et qu’elle n’avait pas été abandonnée à la date d’annonce de la demande d’enregistrement de la Marque, à savoir le 1er décembre 2010 [paragraphe 16(5) de la Loi]. Par conséquent, la question qui se pose maintenant est de savoir si la Requérante s’est acquittée de son fardeau ultime de démontrer qu’il n’existait pas, à la date du 8 juin 2010, de probabilité raisonnable de confusion entre la Marque et la marque de commerce ROGUE de l’Opposante.

[71]           J'estime qu'évaluer chacun des facteurs énoncés au paragraphe 6(5) en fonction de la date du 8 juin 2010 plutôt qu’en fonction de la date d’aujourd’hui n’a pas d’incidence significative sur ma précédente analyse des circonstances de la présente espèce. Ainsi, pour des raisons similaires à celles exposées dans mon analyse du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d), je conclus que la Requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau ultime de démontrer qu’il n’existait pas, à la date du 8 juin 2010, de probabilité raisonnable de confusion entre la Marque et la marque de commerce ROGUE employée en liaison avec des « boissons maltées et fermentées, nommément des lagers, des ales et du vin d’orge ».

[72]           En conséquence, le motif d’opposition fondé sur l’absence de droit à l’enregistrement est accueilli dans la mesure où il repose sur une allégation de confusion entre la Marque et la marque de commerce ROGUE antérieurement employée au Canada en liaison avec des « boissons maltées et fermentées, nommément des lagers, des ales et du vin d’orge ».

5.   La Marque était-elle distinctive des marchandises de la Requérante à la date de production de la déclaration d’opposition?

[73]           Cette question découle du motif d’opposition portant que la Marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi. La date pertinente pour l’examen de cette question est la date de production de la déclaration d’opposition, en l’espèce le 28 avril 2011 [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc c. Stargate Connections Inc (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F.)].

[74]           Ici encore, le motif d’opposition plaidé s’articule autour de la probabilité de confusion entre la Marque et la marque ROGUE de l’Opposante employée en liaison avec les marchandises « boissons maltées et fermentées, nommément lagers, ales et vin d’orge; boissons fermentées, nommément cidres ».

[75]           Tel qu’il ressort de mon examen de l’affidavit de M. Joyce, j’estime que l’Opposante s’est acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait de démontrer que sa marque de commerce ROGUE, à la date du 28 avril 2011, avait acquis au Canada en liaison avec des « boissons maltées et fermentées, nommément des lagers, des ales et du vin d’orge » une notoriété substantielle ou significative, ou dans tous les cas suffisante pour faire perdre à la Marque son caractère distinctif [voir Motel 6, Inc c. No 6 Motel Ltd (1981), 56 C.P.R. (2d) 44 (C.F. 1re inst.); Bojangles’ International LLC c. Bojangles Café Ltd, 2006 C.F. 657 (CanLII), (2006), 48 C.P.R. (4th) 427 (C.F.)].

[76]           Étant donné que l’évaluation de chacun des facteurs énoncés au paragraphe 6(5) en fonction de la date du 28 avril 2011 n’a pas d’incidence sur ma précédente analyse des circonstances de la présente espèce, je conclus que la Requérante s’est acquittée de son fardeau ultime d’établir qu’il n’existait pas, à la date du 28 avril 2011, de probabilité raisonnable de confusion entre la Marque et la marque ROGUE employée en liaison des « boissons maltées et fermentées, nommément des lagers, des ales et du vin d’orge ».

[77]           En conséquence, le motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif est accueilli.

Décision

[78]           Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande d’enregistrement selon les dispositions du paragraphe 38(8) de la Loi.

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Céline Tremblay

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme
Judith Lemire

 

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