Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de

Novopharm Limited et Apotex Inc.

à la demande numéro 889 075

en vue de l’enregistrement de la marque de commerce

Orange Coloured Circular Shaped Tablet Design

produite par Purdue Pharma

        

                                                                    

 

Le 1er septembre 1998, Purdue Frederick a déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce Orange Coloured Circular Shaped Tablet Design. La demande est fondée sur l’emploi de la marque de commerce au Canada, depuis au moins le 1er janvier 1986, en liaison avec des préparations pharmaceutiques, nommément les unités posologiques de 60 mg de morphine à libération prolongée. La marque de commerce est montrée ci-dessous :

                                                           

Le dessin est hachuré de manière à indiquer la couleur orange. La marque de commerce vise la couleur orange appliquée à toute la surface visible du comprimé. Le comprimé figurant dans les dessins en pointillé et avec des lignes continues ne fait pas partie de la marque de commerce.


La demande a été publiée en vue de la procédure d’opposition dans le Journal des marques de commerce le 19 mai 1999. Le 19 juillet 1999, Novopharm Limited et Apotex Inc. (collectivement l’« opposante ») ont produit une déclaration d’opposition. La requérante a déposé et signifié une contre-déclaration, qui d’une façon générale, a rejeté les motifs d’opposition.

 

Le 16 novembre 2001, l’opposante a demandé l’autorisation de modifier sa déclaration d’opposition. L’autorisation a été refusée et l’opposante a été avisée au moyen d’une lettre datée du 24 janvier 2002.

 

Quant à sa preuve fondée sur l’article 41 du Règlement, l’opposante a déposé les affidavits de deux médecins, Joan Murphy et Wayne Gold, de deux pharmaciens, Barbara Cole et Pierre Boudreau, ainsi que les affidavits de Tanya Visano, John Andonoff, Christine Shaughnessy et Anna Hucman. La requérante a obtenu des ordonnances pour le contre-interrogatoire de chacun de ces déposants. Un affidavit de Lisa Pol Bodetto a été déposé pour remplacer ceux de John Andonoff et de Tanya Visano, et un deuxième affidavit d’Anna Hucman a été déposé pour remplacer l’affidavit de Christine Shaughnessy. Mme Pol Bodetto est une employée d’Apotex Inc. et Mme Hucman est technicienne juridique. Les transcriptions des contre-interrogatoires de chacun des déposants de l’opposante ont été déposées et font partie du présent dossier. Une réponse à une question à l’égard de laquelle la réponse avait été réservée pendant le contre-interrogatoire de Mme Pol Bodetto a également été déposée et fait partie du présent dossier.

 

Quant à sa preuve fondée sur l’article 42 du Règlement, la requérante a déposé l’affidavit de John H. Stewart, son vice-président administratif et directeur général. L’opposante a obtenu une ordonnance pour le contre-interrogatoire de M. Stewart et la transcription de son contre-interrogatoire fait partie du présent dossier.

 

Chaque partie a déposé une plaidoirie écrite. Par la suite, Purdue Frederick a modifié son nom pour Purdue Pharma.

 

Une audience s’est tenue à laquelle les deux parties étaient représentées.

 

Question préliminaire

Avant d’aborder les questions soulevées par l’opposition, je traiterai de la question du statut des réponses données relativement aux engagements pris durant le contre-interrogatoire de M. Stewart. À l’audience, j’ai indiqué qu’il n’y avait au dossier aucune réponse à l’égard de tous ces engagements. J’ai accepté d’entendre les arguments des parties sur la question de savoir si de telles réponses devaient réellement être considérées comme faisant partie du dossier, et l’agent de l’opposante a accepté de déposer quelques réponses qu’il avait reçues relativement aux engagements.

 

Après l’audience, trois lettres ont été déposées auprès de la Commission concernant ce dossier, soit une lettre datée du 24 mars 2005 (avec pièces jointes) des agents de l’opposante, une lettre datée du 4 avril 2005 (avec pièces jointes) des agents de la requérante ainsi qu’une lettre datée du 14 avril 2005 (avec pièces jointes) des agents de l’opposante.

 

Voici le résumé de la succession des événements. Selon l’ordonnance pour le contre-interrogatoire de M. Stewart, le délai a été fixé au 4 août 2002 pour le dépôt de la transcription du contre-interrogatoire, des pièces et des réponses relatives aux engagements. Ce délai a été prolongé jusqu’au 4 octobre 2002 à la demande de l’opposante. Le 3 octobre 2002, l’opposante a déposé cette transcription et la pièce no 1 du contre-interrogatoire. Dans une lettre datée du 20 décembre 2002, la requérante a envoyé à l’opposante un résumé des engagements et a produit des réponses à l’égard de certains des engagements, en indiquant qu’elle travaillait encore à compiler d’autres réponses. Le 19 septembre 2003, la requérante a de nouveau écrit à l’opposante, déclarant qu’elle avait relevé que certains des engagements pouvaient ne pas avoir fait l’objet de réponses, et donnant des réponses. Au départ, aucune copie des lettres du 20 décembre 2002 ou du 19 septembre 2003 n’a été envoyée à la Commission mais toutes deux sont maintenant parvenues à la Commission en même temps que la lettre de l’opposante datée du 4 avril 2005.

 

Selon l’opposante, aucune des réponses relatives aux engagements ne devrait être considérée comme faisant partie du présent dossier parce qu’elles lui ont été fournies après le délai établi par la Commission. Si je comprends bien, la position de la requérante est la suivante : 1) il incombe à l’opposante de respecter le délai et elle aurait pu demander une prorogation de ce délai; 2) l’opposante ne s’est opposée au retard touchant la production des réponses que plus d’un an plus tard; 3) s’il est convenu que les réponses font partie du présent dossier, il s’ensuivrait un grand préjudice pour la requérante et aucun pour l’opposante; 4) à l’audience, l’opposante a fait remarquer qu’elle produirait les réponses; et 5) même si les réponses ne font pas partie du présent dossier, aucune inférence défavorable ne devrait être tirée, puisque la requérante a effectivement déposé les réponses, mais pas en temps opportun. En ce qui concerne le point n4, je ne suis pas disposée à considérer qu’en déclarant à l’audience qu’elle produirait les réponses, l’opposante se voyait empêcher de plaider que les réponses ne devaient pas faire partie du présent dossier. J’estime qu’à l’époque, l’agent de l’opposante a simplement pensé qu’on avait oublié de produire les réponses, et a compris seulement après l’audience que la raison pour laquelle les réponses n’avaient pas été déposées était leur arrivée tardive. Il m’appartient de décider si les réponses doivent être acceptées à cette date aussi tardive, c’est-à-dire décider s’il y a effectivement lieu d’accorder une prorogation rétroactive de plus de 2 ans du délai.

 

Au sujet des points no 1 et 2, l’opposante n’était pas tenue de s’opposer plus tôt à la production tardive des engagements parce qu’il était ou aurait dû être évident pour la requérante qu’ils n’étaient pas déposés devant le Bureau des marques de commerce en raison de leur retard. Il n’y avait pas non plus d’obligation de la part de l’opposante de demander une prorogation rétroactive du délai lorsque les réponses lui ont finalement été transmises.

 

Je retourne à la requérante les réponses à l’égard des engagements qu’elle a fournies. Je ne suis pas disposée à les considérer à ce stade avancé des procédures en l’absence du consentement de l’opposante. La requérante semble avoir été au courant depuis le début qu’elle avait tardé à produire ses réponses mais n’a pourtant pris aucune mesure pour s’assurer qu’elles feraient partie du présent dossier jusqu’à cette date tardive. Vu les circonstances, je ne vois aucun préjudice pour la requérante qui excède l’ensemble des autres facteurs.

 

Motifs d’opposition

Les motifs d’opposition sont les suivants :

1.             La demande n’est pas conforme à l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce parce que :
a)         La disposition introductive de l’article 30 dispose que la requérante doit produire une demande pour enregistrer « une marque de commerce ». L’article 2 de la Loi précise qu’une marque de commerce se définit comme une marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises de la requérante de celles des autres. La requérante a choisi une couleur, une forme et une taille qui sont très répandues en tant que marque de commerce, laquelle ne peut pas être utilisée pour différencier ses marchandises de celles des autres, ou même dans le but de distinguer ses marchandises. De plus, les marchandises de la requérante portent toutes l’inscription « PF 60 ». En s’assurant que ses marchandises sont ainsi marquées, la requérante admet et reconnaît que la couleur, la forme et la taille en elles-mêmes ne suffisent pas à différencier ses marchandises des autres sur le marché;

 

b)        La demande portant le no 889 075 n’est pas conforme à l’article 30 de la Loi du fait qu’elle ne contient pas un état, énoncé dans les termes ordinaires du commerce, des marchandises spécifiques en liaison avec lesquelles la marque de commerce sera employée, parce que l’opposante n’a pas défini dans les termes ordinaires du commerce la phrase « morphine à libération prolongée », les marchandises spécifiques étant du sulfate de morphine;
 
c)         La demande no 889 075 ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30b) de la Loi sur les marques de commerce du fait que la marque de commerce n’a pas été employée au Canada à partir de la date indiquée. La requérante n’a jamais utilisé la marque de commerce seulement pour différencier ses marchandises de celles des autres parce que :

i)                    lors du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises dans la pratique normale du commerce, la marque n’est pas visible, (les marchandises étant transférées dans un emballage-coque, ou dans des bouteilles opaques), de sorte qu’aucun avis de liaison de la marque des marchandises n’est donné, ou ne pourrait être donné, à la personne à qui la propriété ou la possession est transférée;

 

ii)                  subsidiairement au point i), si les marchandises ne sont jamais visibles lors du transfert de la propriété ou de la possession, la marque n’est pas apposée sur les marchandises de sorte qu’avis de liaison est donné à la personne à qui la propriété ou la possession est transférée. La requérante n’a pas donné d’avis de liaison avec les marchandises, car le consommateur visé ignorera qu’une marque a été apposée sur les marchandises, étant en général familier avec les comprimés de couleur orange; et

 

iii)                c’est la marque MS CONTIN et l’indication « PF 60 » sur l’emballage-coque et sur les comprimés qui peuvent servir à différencier les marchandises de la requérante. Le public visé ne considère pas que la forme des comprimés orangés est utilisée comme une marque de commerce séparément des inscriptions d’usage d’identification sur le comprimé; et

 

iv)                la requérante n’a jamais employé la marque de commerce demandée; en fait, la requérante a toujours employé la couleur, la forme, la taille et les marques inscrites ensemble, de sorte que le client en vienne à conclure que la marque de commerce est soit l’indication « PF 60 » seulement, soit la combinaison de cette indication ainsi que la couleur, la forme et la taille du comprimé.

 

d)        La demande no 889 075 ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30h) de la Loi du fait que la demande ne comprend pas de représentation exacte de la marque de commerce telle qu’utilisée par la requérante. Les deux dessins déposés avec la demande ne reflètent pas correctement les limites du monopole de la marque de commerce demandé :

i)                    Toute marque de commerce alléguée de la requérante doit comprendre la marque au complet que perçoit le public, notamment la couleur, la forme, la taille et les indications qui ne sont pas montrées sur les représentations.

 

ii)                  La description de la marque de commerce indique que la marque de commerce vise « la couleur orange appliquée sur toute la surface visible du comprimé ». Ceci signifie que la marque de commerce comprend la couleur, la taille, la forme, telle que montrée par le comprimé lui-même. Toutefois, on indique aussi dans la demande que « le comprimé figurant dans les dessins en pointillé et avec des lignes continues ne fait pas partie de la marque de commerce ». Si l’on tente de se soustraire aux exigences de l’article 13 de la Loi de cette façon, il devient impossible de comprendre ce qui est revendiqué exactement. Si la requérante demande une marque pour une forme tridimensionnelle et une couleur précise sans demander que la marque s’applique à la forme des marchandises, on ne peut savoir si tous les médicaments orangés sont couverts par la demande, peu importe la forme du médicament, ou seulement les comprimés orangés ayant la forme et la taille illustrées. Dans ce dernier cas, la marque est en fait un signe distinctif.

 

e)         La demande no 889 075 n’est pas conforme aux exigences de l’alinéa 30i) de la Loi du fait que la requérante ne pouvait être convaincue qu’elle était autorisée à employer la marque de commerce alléguée, puisque des comprimés pharmaceutiques dont l’apparence prête à confusion par leur similarité ont été employés par d’autres à la date pertinente sur le marché canadien, soit « la couleur orange appliquée sur l’ensemble de la surface visible du comprimé », notamment, les comprimés nommés au paragraphe 3.

 

2.      La marque de commerce alléguée n’est pas enregistrable, du fait que :

 

a)         la marque de commerce alléguée, si c’est une marque (ce qui n’est pas admis), est un signe distinctif qui s’applique à la forme des marchandises, les marchandises étant d’une couleur précise.  Selon l’article 2 de la Loi, un signe distinctif est défini comme un « façonnement de leurs marchandises ou de leurs contenants » aussi bien qu’un « mode d’envelopper ou empaqueter des marchandises » dont la présentation sert à distinguer. La description dans la demande confirme que la marque ne peut pas être séparée des marchandises : « la couleur orange appliquée sur toute la surface visible du comprimé ». Comme une entité tridimensionnelle définit la marque de commerce, il s’ensuit nécessairement que la marque de commerce est pour une forme particulière de marchandises et est donc un signe distinctif. La requérante ne peut pas se soustraire aux exigences de l’article 13 par l’ajout de l’élément de couleur à la forme des marchandises. Il est illogique de décrire la marque comme une couleur appliquée à une forme tridimensionnelle, et de prétendre ensuite que la marque est distincte de cette forme. Par conséquent, la requérante doit répondre aux exigences de l’article 13 de la Loi.

 

b)        Aux termes de l’alinéa 12(1)e) de la Loi, la marque revendiquée est une marque dont l'article 10 interdit l'adoption et est donc non enregistrable. En particulier, la marque revendiquée, si tant est qu’elle soit reconnue, est reconnue au Canada:

 

i)                  par les patients, pour désigner une sorte ou un type de médicament, notamment ses effets thérapeutiques; et

 

ii)                  par les pharmaciens et autres professionnels de la santé, pour désigner la sorte et la quantité de marchandises, en particulier la dose de 60 mg, qui est courante dans l’industrie pharmaceutique.

 

Elle ne sert pas à indiquer l’origine des marchandises; tel qu’indiqué ci-dessus, ce sont les mots « PF 60 » écrits sur les comprimés, qui sont employés pour identifier le produit de la requérante par rapport à ceux des autres, et non la couleur, la forme et la taille du comprimé.

 

3.       La marque alléguée de la requérante n’est pas distinctive du fait qu’elle ne distingue pas, ou n’est pas adaptée à distinguer, les marchandises de la requérante de celles des autres. Les « comprimés orangés » sont courants dans le commerce du comprimé pharmaceutique et l’ont été à toutes les époques pertinentes; ils ont été prescrits par des médecins, délivrés par des pharmaciens et pris par des patients au Canada, tout comme les comprimés MS CONTIN de la requérante.  Ainsi, la marque alléguée ne distingue pas véritablement les comprimés de la requérante, pas plus qu’elle n’est adaptée à les distinguer, compte tenu notamment des 71 comprimés orangés énumérés.

 

Fardeau de la preuve

Il incombe à la requérante d’établir, selon la prépondérance de la preuve, que sa demande satisfait aux exigences de la Loi sur les marques de commerce. Toutefois, il incombe d’abord à l’opposante de fournir une preuve admissible et suffisante permettant de conclure de façon raisonnable que les faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition existent [voir John Labatt Limited c. The Molson Companies Limited (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.) à la page 298].

 

Résumé de la preuve

Avant d’étudier les motifs précis d’opposition, je résumerai certains des éléments de preuve.

 

La requérante vend des comprimés de morphine à libération prolongée en liaison avec la marque de commerce MS CONTIN. La morphine à libération prolongée MS CONTIN est vendue sous  différentes doses. La dose de 60 mg est vendue sous la forme destinée à être protégée par la présente demande. La dose de 200 mg est vendue sous la forme d’un comprimé rouge. La dose de 100 mg est vendue sous la forme d’un comprimé gris. La dose de 30 mg est vendue sous la forme d’un comprimé pourpre. La dose de 15 mg est vendue sous la forme d’un comprimé vert. Les lettres PF sont inscrites sur le dessus du comprimé de MS CONTIN. La dose est indiquée sur le côté inverse, en l’espèce par l’inscription « 60 mg ».

 

Le matériel promotionnel de la requérante indique que ces différentes couleurs sont liées aux différentes doses. Par exemple, il y a les phrases suivantes sur le matériel promotionnel : [traduction] « petits comprimés avec codes de couleur pour faciliter et respecter la dose »; « petits comprimés avec codes de couleur dans une gamme complète de posologies »; « une sélection de comprimés ayant quatre codes de couleurs et faciles à avaler qui assurent une souplesse de dosage, pour satisfaire aux exigences particulières de chaque patient ». [pièces JHS-6 et JHS-9e et h, affidavit de M. Stewart]

 

La morphine à libération prolongée MS CONTIN est composée de sulfate de morphine, qui est un agent analgésique opiacé. Il est utilisé pour traiter les douleurs aiguës. Les patients qui reçoivent du MS CONTIN augmentent habituellement leur dose de MS CONTIN, pour passer à une autre dose de MS CONTIN et prennent aussi très souvent d’autres médicaments [question 139, contre-interrogatoire de M. Stewart; paragraphes 14 et 19-21, affidavit de Mme  Murphy; question 108, contre-interrogatoire de Mme  Murphy]. Le docteur Gold dit que des patients peuvent recevoir du sulfate de morphine pendant une période de temps indéterminée [paragraphes 4 et 5 de l’affidavit de M. Gold], mais le docteur Murphy dit que les patients reçoivent habituellement du MS CONTIN pendant une période allant de 3 à 6 mois [paragraphe 8, affidavit de Mme  Murphy].

 

La morphine à libération prolongée est un médicament contrôlé qui est conservé dans un endroit fermé à clé dans les pharmacies. [questions 98-103, contre-interrogatoire de Mme  Cole]

 

M. Boudreau déclare au paragraphe 5 de son affidavit, « je délivre le MS Contin dans un contenant de prescription ordinaire, qui est de couleur ambre et qui protège les médicaments de la lumière. Lorsqu’un médicament, notamment le MS Contin, est placé dans son contenant ambre, la couleur du médicament n’est plus visible ». Cependant, M. Stewart, qui de son propre aveu n’est pas pharmacien, affirme au paragraphe 25 de son affidavit : [traduction] « Dans le cas des comprimés, les pharmaciens prennent habituellement le produit dans le contenant du fabricant et le délivre dans des fioles transparentes sur lesquelles une étiquette est apposée identifiant l’ingrédient pharmaceutique actif ».

 

Mme Cole atteste que sa pharmacie achète le MS CONTIN dans les flacons opaques du fabricant. [paragraphe 2, affidavit de Mme  Cole]

 

Questions de droit relativement au caractère distinctif

La date pertinente pour juger du caractère distinctif est la date de dépôt de l’opposition, le 19 juillet 1999 [voir Metro-Goldwyn-Meyer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F. 1re inst.), à la p. 324; Re Andres Wines Ltd. and E. & J. Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126 (C.A.F.), à la p. 130; et Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 412 (C.A.F.), à la p. 424].

 

Dans la décision Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. et al. (1999), 3 C.P.R. (4th) 305 (C.F. 1re inst.), aux p. 321-323, conf. par (2000), 9 C.P.R. (4th) 304 (C.A.F.), M. le juge Evans énumère certains des principes juridiques liés au caractère distinctif qui sont appliqués aux marques portant sur la taille, la forme, la couleur de médicaments dans les termes suivants :

Tout d'abord, il y a lieu d'indiquer que, tant au cours de la procédure d'opposition tenue devant le registraire que dans le cadre de la procédure d'appel qui se déroule devant cette Cour, le fardeau d'établir le caractère distinctif de la marque incombe à la requérante. Ainsi, Bayer doit établir selon la probabilité la plus forte qu'en 1992, lorsque Novopharm a déposé son opposition à la demande, les consommateurs ordinaires associaient les comprimés de 10 mg à libération progressive « Adalat » ronds et rose antique à Bayer ou à un seul fournisseur ou fabricant: voir Standard Coil Products Can. Ltd. c. Standard Radio Corp., [1971] C.F. 106 (1re inst.), à la page 123; confirmé par [1976] 2 C.F. iv (C.A.).

Deuxièmement, pour répondre à cette question, les « consommateurs ordinaires » dont il faut tenir compte sont non seulement les médecins et les pharmaciens, mais aussi les « consommateurs ultimes », c'est-à-dire les patients pour lesquels les comprimés « Adalat » sont prescrits et à qui ils sont fournis, même si ceux-ci ne peuvent se procurer de la nifédipine que sur ordonnance médicale: voir l'arrêt Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc. , [1992] 3 R.C.S. 120.

Dans l'arrêt Ciba-Geigy, la Cour a statué que les éléments du délit de passing-off (ou commercialisation trompeuse) s'appliquaient aux produits pharmaceutiques comme à tout autre produit. Par conséquent, il convenait d'examiner si l'« apparence » des produits de la demanderesse avait acquis un caractère distinctif susceptible d'amener les patients à identifier cette « apparence » à une seule source, de sorte qu'ils risquent de croire à tort que le produit de quelqu'un d'autre, d'apparence similaire, émane de la même source que ceux de la demanderesse.

Il faut aussi remarquer que, bien que les actions engagées pour le délit de passing-off (ou de commercialisation trompeuse) et les procédures d'opposition à l'enregistrement d'une marque de commerce se distinguent par des différences évidentes, elles ont aussi un lien important qui les unit. Le rejet de l'opposition de Novopharm permettra à Bayer d'empêcher ses concurrents de commercialiser un produit interchangeable avec « Adalat » sous forme de comprimés ayant une apparence similaire à ses comprimés de nifédipine.

Par conséquent, Bayer, dans toute poursuite qu'elle engagerait pour la contrefaçon de sa marque de commerce, ne serait pas tenue de prouver que la couleur, la forme et la taille de son produit ont une notoriété propre, comme elle devrait le faire dans une action en passing-off (commercialisation trompeuse) si elle n'était pas titulaire d'une marque de commerce valide. En vertu de la définition que la Loi donne d'une marque de commerce, l'enregistrement valide de la marque en litige dans la présente procédure établit effectivement, et de façon irréfutable, que les consommateurs relient la présentation des comprimés « Adalat » à une seule source.

Troisièmement, bien que j'accepte qu'en droit, la couleur, la forme et la taille d'un produit peuvent, ensemble, constituer une marque de commerce, la marque résultante risque généralement d'être faible: voir la décision Smith Kline & French Canada Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerces), [1987] 2 C.F. 633 (1re inst.), aux pages 634 à 636.

En l'espèce, comme les petits comprimés ronds et roses sont courants sur le marché des produits pharmaceutiques, Bayer doit s'acquitter d'un lourd fardeau pour établir, selon la probabilité la plus forte, qu'en 1992, ces propriétés avaient une notoriété propre, de sorte que les consommateurs ordinaires associaient ces comprimés à une seule source: voir la décision Standard Coil, précitée, à la page 123. Le fait qu'à l'époque du dépôt de l'opposition de Novopharm, « Adalat » était le seul comprimé de nifédipine à libération progressive sur le marché n'est pas suffisant en soi pour établir une notoriété propre: voir les arrêts Cellular Clothing Company v. Maxton & Murray, [1899] A.C. 326 (H.L.), à la page 346; Canadian Shredded Wheat Co. Ltd. v. Kellogg Co. of Canada, [1939] R.C.S. 329.

Quatrièmement, il n'est pas fatal à une demande que les consommateurs puissent aussi avoir recours à d'autres moyens que la marque pour identifier le produit à une seule source. Ainsi, bien que les pharmaciens se fient principalement au nom de marque et à d'autres indices d'identification apparaissant sur les bouteilles et l'emballage contenant le produit, ou à l'inscription sur les comprimés, laquelle ne fait pas partie de la marque, s'il ressort, selon certains éléments de preuve, qu'ils reconnaissent aussi, d'une manière significative, le produit par son apparence (à l'exception des marques inscrites sur le comprimé, parce qu'elles ne font pas partie de la marque), cette preuve peut suffire à établir le caractère distinctif de la marque.

 

De plus, madame la juge Dawson, aux pages 133 et 134 de Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB et al. (2003), 28 C.P.R. (4th) 129 (C.F. 1re inst.) [ci-après nommé « AstraZeneca (Dawson) »], fait les observations suivantes concernant la question du caractère distinctif :

               Il s'ensuit que ce qu'il faut décider en l'espèce est la question de savoir si Astra s'est acquittée du fardeau qui lui incombait d'établir que les marques de commerce projetées étaient distinctives à la date de l'opposition. Il s'agit de répondre à la question factuelle de savoir si, à la date de l'opposition, des comprimés commercialisés sous une apparence similaire à celle des comprimés de 5 mg et de 10 mg d'Astra rendent non distinctives les marques d'Astra et empêchent par conséquent l'enregistrement de la marque de commerce.

              Le mot « distinctive » est défini comme suit à l'article 2 de la Loi :

 

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

 

"distinctive", in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them.

 

 

 

             Comme l'a énoncé la Cour d'appel dans l'arrêt AstraZeneca AB c. Novopharm Ltd., 2003 CAF 57 au paragraphe 16 :

[…] Une marque distingue véritablement en acquérant le caractère distinctif par l'emploi, ce qui lui confère un caractère distinctif en fait. Une marque qui est « adaptée à les distinguer ainsi » est une marque qui ne dépend pas de l'emploi pour son caractère distinctif, parce qu'elle possède un caractère distinctif inhérent. Une marque se composant d'un mot forgé ou inventé entre dans cette catégorie : Standard Coil Products (Canada) Ltd. c. Standard Radio Corp., [1971] C.F. 106 (1re inst.), à la page 115; The Molson Companies Limited c. Les Brasseries Carling O'Keefe du Canada Limitée, [1982] 1 C.F. 175 (1re inst.), aux pages 278 et 279.

                 Les principes qui doivent être appliqués à l'examen de cette question sont les suivants :

1.         Le requérant de l'enregistrement de la marque de commerce doit satisfaire au critère à trois volets formulé par le juge Rouleau dans la décision Phillip Morris c. Imperial Tobacco Ltd. (1985), 7 C.P.R. (3d) 254 (C.F. 1re inst.), à la page 270. Voir l'arrêt AstraZeneca AB c. Novopharm, précité, au paragraphe 19. La troisième partie du critère à trois volets exige que la liaison entre la marque et le produit permette au propriétaire de la marque de distinguer son produit de celui des autres.

2.         La couleur seule n'a pas été jugée comme ayant un caractère distinctif inhérent. Voir l'arrêt AstraZeneca AB c. Novopharm, paragraphe 18.

3.         La preuve que la marque distingue véritablement n'est pas un fardeau aisé. Voir l'arrêt AstraZeneca AB c. Novopharm, paragraphe 20.

4.         Lorsque l'ingrédient actif du produit pharmaceutique n'est pas demandé comme marque de commerce et que la marque de commerce dont l'enregistrement est demandé se compose de la couleur et de la forme du comprimé, le requérant doit démontrer que la couleur et la forme distinguent le comprimé des comprimés d'autres fabricants. Voir l'arrêt AstraZeneca AB c. Novopharm, paragraphe 22.

5.         Il incombe au requérant de l'enregistrement d'une marque de commerce de démontrer que médecins, pharmaciens ou patients peuvent employer et emploient en fait la marque de commerce projetée pour choisir de prescrire, délivrer ou demander le produit. Voir Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag (2000), 6 C.P.R. (4th) 16 (C.F. 1re inst.); conf. par (2001) 15 C.P.R. (4th) 327 (C.A.F.).

6.         Il n'est pas fatal à une demande que les consommateurs puissent aussi avoir recours à d'autres moyens que la marque pour identifier le produit à une seule source. Comme l'a écrit le juge Evans (maintenant juge à la Cour d'appel) dans la décision Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. (1999), 3 C.P.R. (4th) 305 au paragraphe 79, confirmée par (2000) 9 C.P.R. (4th) 304 (C.A.F.) :

[…] Ainsi, bien que les pharmaciens se fient principalement au nom de marque et à d'autres indices d'identification apparaissant sur les bouteilles et l'emballage contenant le produit, ou à l'inscription sur les comprimés, laquelle ne fait pas partie de la marque, s'il ressort, selon certains éléments de preuve, qu'ils reconnaissent aussi, d'une manière significative, le produit par son apparence (à l'exception des marques inscrites sur le comprimé, parce qu'elles ne font pas partie de la marque), cette preuve peut suffire à établir le caractère distinctif de la marque.

 

Marché à prendre en compte relativement au caractère distinctif

La jurisprudence actuelle établit clairement que le marché qui doit être pris en compte en ce qui concerne le caractère distinctif pour les demandes de marques de commerce comme celle qui fait l’objet du présent examen est le marché des produits pharmaceutiques dans sa globalité. [voir AstraZeneca AB c. Novopharm Ltd. et al. (2003), 24 C.P.R. (4th) 326 (C.A.F.); Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB et al. (2003), 28 C.P.R. (4th) 129 (C.F. 1re inst.); Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag (2004), 36 C.P.R. (4th) 158 (C.O.M.C.)] Il ressort de l’affidavit de M. Stewart et du plaidoyer écrit de la requérante que celle-ci considère que sa marque de commerce doit seulement permettre de distinguer la morphine à libération prolongée qu’elle produit de la morphine à libération prolongée de ses concurrents. Si ce critère pouvait être approprié antérieurement, il ne l’est plus.

 

J’ajouterai à cela qu’à l’audience, l’agent de la requérante a émis l’avis que le marché à prendre en compte dans ce cas-ci est celui des produits pharmaceutiques entrant dans la catégorie des substances contrôlées. Toutefois, je n’accepte pas cette limitation.

 

Autres « comprimés orangés »

Dans sa déclaration d’opposition, l’opposante énumère plus de 70 comprimés orangés en invoquant que ceux-ci [traduction] « étaient et sont, à toutes les époques en cause, d’usage courant dans le commerce de comprimés pharmaceutiques et prescrits par les médecins, délivrés par les pharmaciens, et pris par les patients du Canada au même titre que les comprimés MS CONTIN de la requérante ».

 

À l’audience, avec le consentement de l’agent de la requérante, l’opposante a fourni un tableau recensant les comprimés orangés mentionnés dans les plaidoiries et la preuve, avec indication de la preuve en lien avec chacun d’eux. Ce résumé de la preuve a été très apprécié, car il s’est montré utile et a permis une grande économie de temps.

 

Dans son affidavit du 24 mars 2000, Mme Cole fournit une liste de médicaments d’ordonnance de couleur orange qu’elle a délivrés et qu’elle savait être en vente au Canada depuis au moins le 31 décembre 1996 [paragraphe 3, affidavit de Mme  Cole]. Elle fournit également une liste de médicaments orangés en vente libre qu’elle a délivrés depuis au moins le 31 décembre 1996 [paragraphe 7, affidavit de Mme  Cole].

 

M. Boudreau, dans son affidavit du 27 mars 2000, atteste que depuis le début de sa pratique en 1993, il a distribué [traduction] « nombre de pilules oranges, aussi bien médicaments de prescription que médicaments en vente libre », et il fournit une liste de huit de ces pilules qu’il a fréquemment délivrées au cours de ces années [paragraphe 6, affidavit de M. Boudreau].

 

Mme Pol Bodetto a fourni des chiffres de ventes pour différents comprimés orangés vendus par sa société.

 

Les déposants des deux côtés ont fourni des copies d’extraits du Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques (CPS). Ils sont d’accord sur le fait que le CPS liste les produits pharmaceutiques disponibles au Canada [paragraphe 14, affidavit de M. Stewart; paragraphe 10, affidavit de M. Boudreau].

 

Je suis d’avis que d’après la preuve, il y avait au moins les comprimés circulaires et orangés suivants sur le marché canadien à la date critique du 19 juillet 1999 :

1.      DILAUDID 2 mg (d’après, notamment, son apparence dans le CPS de 1999);

2.      PROVERA 2,5 mg (d’après son apparence dans le CPS de 1999 et le paragraphe 3 de l’affidavit de Mme Cole);

3.      HYTRIN 2 mg (d’après son apparence dans le CPS de 1999, le paragraphe 3 de l’affidavit de Mme Cole et la pièce « B »);

4.      SYNTHROID 25 μg (d’après son apparence dans le CPS de 1999, le paragraphe 3 de l’affidavit de Mme Cole et le paragraphe 8 de l’affidavit de M. Boudreau);

5.      ZESTRIL 20 mg (d’après son apparence dans le CPS de 1999 et le paragraphe 8 de l’affidavit de M. Boudreau);

6.      GRAVOL 50 mg (d’après son apparence dans le CPS de 1999);

7.      Alti-Medroxyprogesterone 2,5 mg (d’après le paragraphe 3 de l’affidavit de Mme Cole et la pièce « B »);

8.      Apo-Allopurinol 300 mg (d’après le paragraphe 3 de l’affidavit de Mme Cole et la pièce « B »);

9.      Apo-Terazosin 2 mg (d’après le paragraphe 5 de l’affidavit de Mme Pol Bodetto, les pièces « A » et « C », le paragraphe 3 de l’affidavit de Mme Cole et la pièce « B »);

10.  Apo-Trazodone 50 mg (d’après le paragraphe 5 de l’affidavit de Mme Pol Bodetto, les pièces « A » et « C », le paragraphe 3 de l’affidavit de Mme Cole et la pièce « B »);

11.  Apo-Amitriptyline 75 mg (d’après le paragraphe 5 de l’affidavit de Mme Pol Bodetto et les pièces « A » et « C »);

12.  Apo-K 600 mg (d’après le paragraphe 5 de l’affidavit de Mme Pol Bodetto, les pièces « A » et « C » et le paragraphe de l’affidavit de Mme Cole);

13.  Apo-Pen VK 300 mg (d’après le paragraphe 5 de l’affidavit de Mme Pol Bodetto et les pièces « A » et « C »);

14.  Apo-Propranolol 10 mg (d’après le paragraphe 5 de l’affidavit de Mme Pol Bodetto et les pièces « A » et « C »);

15.  Apo-Ibuprofen 400 mg (d’après son apparence dans le CPS de 1999, le paragraphe 3 de l’affidavit de Mme Cole, la pièce « B »,  le paragraphe 5 de l’affidavit de Mme Pol Bodetto et les pièces « A » et « C »);

16.  DESYREL 50 mg (d’après son apparence dans le CPS de 1999, le paragraphe 3 de l’affidavit de Mme Cole et la pièce « B »);

17.  DICETEL 50 mg (d’après son apparence dans le CPS de 1999, le paragraphe 3 de l’affidavit de Mme Cole et la pièce « B »);

18.  LOZIDE 1,25 mg (d’après son apparence dans le CPS de 1999, le paragraphe 3 de l’affidavit de Mme Cole et la pièce « B »);

19.  PMS-Clonazepam 0,5 mg (d’après le paragraphe 3 de l’affidavit de Mme Cole et la pièce « B »);

20.  VibraTab 100 mg (d’après son apparence dans le CPS de 1999, le paragraphe 3 de l’affidavit de Mme Cole et la pièce « B »);

21.  COMBRANTIN 125 mg (d’après le paragraphe 7 de l’affidavit de Mme Cole et la pièce « C »);

22.  SLOW-K 600 mg (d’après le paragraphe 7 de l’affidavit de Mme Cole et la pièce « C »);

23.  SENOKOT-S (d’après le paragraphe 7 de l’affidavit de Mme Cole et la pièce « C »).

 

J’en conclus, en me fondant sur cette preuve, que l’opposante s’est acquittée de son fardeau de présentation et a prouvé que les comprimés orangés étaient courants dans le commerce des produits pharmaceutiques à la date pertinente [Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) de 44 à 58 (C.F. 1re inst.)].

 

J’ajouterais qu’il a également été démontré qu’un bon nombre de pilules oranges non circulaires étaient sur le marché canadien à la date pertinente. Ces pilules peuvent aussi être prises en compte  d’après les commentaires du juge Evans formulés à la page 300 de Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. et al. (1999), 3 C.P.R. (4th) 305 (C.F. 1re inst.) :

Cette preuve, il est vrai, ne porte pas toujours à la fois sur la couleur et la forme et la grosseur des médicaments autres qu’« Adalat ». Toutefois, à mon avis, elle tend à réduire à néant la prétention de Bayer selon laquelle la couleur et la forme d’« Adalat » sont distinctives du produit, surtout que la couleur rose appliquée à une petite pilule ronde, biconvexe peut difficilement être considérée comme ayant un caractère distinctif inhérent : Novopharm Ltd. c. Searle Canada Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 400 (C.O.M.C.).

 

Avant de poursuivre, je dois mentionner que Mme Pol Bodetto a aussi fourni les chiffres de vente au Canada pour un certain nombre d’autres comprimés orangés produits par des tiers. Ces chiffres sont tirés d’une base de données créée par Intercontinental Medical Statistics Canada, une société qui surveille l’industrie pharmaceutique et fournit des renseignements relatifs aux ventes à ses clients. L’admissibilité de ces chiffres concernant ces autres comprimés orangés produits par des tiers a été contestée par la requérante sous prétexte qu’il s’agit de ouï-dire. Cependant, je ne vois pas la nécessité de traiter de la question de l’admissibilité des chiffres de vente de tiers puisque l’opposante s’est acquittée du fardeau initial en se fondant sur d’autres éléments de preuve et que ma décision dans ce cas-ci ne se fonde aucunement sur ces chiffres.

 

Fardeau de la requérante – Preuve d’utilisation de la marque de la requérante à la date de l’opposition

Le comprimé circulaire et orangé MS CONTIN 60 mg de la requérante était déjà en vente en janvier 1986. Les ventes ont augmenté au cours des années et à la fin de 1998, elles totalisaient 20 740 000 $ [paragraphe 18, affidavit de M. Stewart]. Le nombre de comprimés auquel correspondent ces chiffres n’a pas été fourni. Quoi qu’il en soit, « des chiffres de vente impressionnants ne permettent pas à une partie requérante de prouver qu"une marque de commerce est distinctive» [Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag (2000), 6 C.P.R. (4th) 16 (C.F. 1re inst.), 2000 IIJCan 15216 (C.F.), par. 15, confirmé par 15 C.P.R. (4th) 327].

 

Conclusion concernant le motif du caractère distinctif invoqué par l’opposition

Selon le paragraphe 22 de AstraZeneca (Dawson), la bonne question est celle de savoir ce que signifie pour un pharmacien une pilule orange. Il m’apparaît évident que dans ce cas-ci, la réponse n’est pas « un médicament provenant d’une seule source ».

 

Dans l’ensemble, je ne trouve pas que la preuve fournie par les professionnels de la santé dans ce cas-ci diffère vraiment des affaires précédentes où il a été déterminé que la couleur/taille/forme d’une marque ne pouvait permettre de déterminer la source d’une préparation pharmaceutique. Par exemple, au paragraphe 22 de son affidavit, M. Boudreau déclare : [traduction] « Si on me montrait une pilule orange sans inscription, je ne pourrais pas l’identifier, car c’est l’inscription sur les pilules qui me permet de les identifier, comme souligné plus haut. Même si cet échantillon était exactement de la même teinte et de la même forme qu’une sorte particulière de pilule, si les inscriptions qui se trouvent sur cette pilule ne correspondent pas, ou s’il n’y a aucune inscription, je ne pourrais pas identifier cette pilule avec certitude ». De la même façon, au paragraphe 18 de son affidavit, le Dr Murphy affirme : [traduction] « Si on me présentait une pilule ronde et orange sans inscription, je serais sûr qu’il ne s’agit pas de MS Contin, car je suis sûr que les pilules MS Contin portent une inscription qui permet de les identifier ».

 

Concernant les patients, comme le souligne le juge Evans à la page 331 de Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. (précité), même si une preuve directe peut ne pas être nécessaire pour prouver que les patients identifient la marque de commerce demandée à une source unique, l’absence d’une telle preuve « est préjudiciable lorsque des éléments de preuve provenant de pharmaciens et de médecins indiquent qu'habituellement les patients n'associent pas l'apparence d'un médicament à une seule source ». À cet égard, je relève que M. Boudreau déclare ceci : [traduction] « Mes patients parlent de leurs médicaments selon leurs effets thérapeutiques … La plupart de mes clients se soucient peu du fabricant, aussi longtemps que le médicament fait effet... ce qui les intéresse, c’est de faire cesser une douleur vive, et non pas de savoir ce que la société pharmaceutique met dans leurs pilules oranges pour contribuer à soulager la douleur » [paragraphes 24 à 28, affidavit de M. Boudreau]. Le Dr Gold fait état du fait suivant : [traduction] « D’après mon expérience, les patients se soucient peu de la couleur ou de la forme des médicaments qui leur sont prescrits... Je sais d’expérience que les patients croient que les médicaments qui ont un aspect différent contiennent des ingrédients actifs différents et ont un effet différent, même s’il s’agit du même composé médicamenteux... Les patients associent l’apparence de leurs médicaments à l’indication concernant leur médication; p. ex. ce comprimé jaune est un diurétique que je prends à cause de mon insuffisance cardiaque » [paragraphes 9 à 16, affidavit de M. Gold]. (Il convient de remarquer que ces deux personnes se fient aux rapports quotidiens qu’ils ont avec leurs patients pour parvenir à ces conclusions, et qu’il ne s’agit donc pas d’une enquête formelle.)

 

Je prends acte que le point de vue de M.  Stewart est que [traduction] « les médecins, pharmaciens et patients reconnaissent que l’apparence (c.-à-d. la couleur et la forme) de différents produits pharmaceutiques peut leur permettre d’identifier les produits d’un fabricant particulier » [paragraphe 31, affidavit de M. Stewart] mais, pour paraphraser le juge Rothstein à la page 205 de John Labatt Ltd. et al. c. Brasseries Molson, société en nom collectif (2000), 5 C.P.R. (4th) 180 (C.A.F.), je vois mal comment la preuve intéressée fournie par le dirigeant de la société demanderesse peut avoir valeur probante. Malgré les nombreuses années d’expérience de M. Stewart dans le domaine pharmaceutique, il aurait été préférable que la requérante fournisse des affidavits de personnes pertinentes, nommément de pharmaciens, de médecins et de patients, plutôt que de donner la perception de ses propres employés.

 

L’opposante fait valoir que les gens doivent utiliser autre chose que la couleur et la forme pour identifier le produit de la requérante en regard des autres comprimés orangés et circulaires, et la requérante ne m’a pas convaincue qu’il était raisonnable de parvenir à une conclusion autre.

 

Le fait que d’autres fabricants utilisent une présentation similaire pour des produits appartenant à la même catégorie générale de marchandises, c.-à-d. les préparations pharmaceutiques, signifie que la requérante ne peut obtenir le droit exclusif de s’accaparer cette présentation par enregistrement. La requérante ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver, selon la prépondérance de la preuve, que la marque de commerce demandée permettait de distinguer ses marchandises à la date critique. Comme il est précisé à la page 112 de Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag (2000), 6 C.P.R. (4th) 101 (C.O.M.C.) : « Étant donné la faiblesse inhérente de cette marque, il incombait à la requérante de prouver clairement que nombre de consommateurs la reconnaissaient comme une marque et non pas comme une caractéristique esthétique ou fonctionnelle du produit ».

 

Le motif d’opposition concernant l’absence de caractère distinctif (motif 3) est donc probant.

 

Motifs d’opposition fondés sur l’article 30

Motif 1(a)

Dans la mesure où ce motif semble invoquer l’absence de caractère distinctif, je le rejette, car la question du caractère distinctif est traitée correctement dans le motif 3. Dans la mesure où il est plaidé que la demande est incomplète parce que l’inscription « PF 60 » n’apparaît pas sur le dessin soumis, je le rejette en me fondant sur la jurisprudence, qui indique qu’il n’est pas obligatoire d’inclure les inscriptions dans les marques de commerce. [Novopharm Ltd. c. Bayer Inc. et al. (1999), 3 C.P.R. (4th) 305 (C.F. 1re inst.); Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag (2004), 36 C.P.R. (4th) 158 (C.O.M.C.); Novopharm Limited c. Eli Lilly and Company, décision non publiée du 9 novembre 2004 concernant la demande No 783 742 (C.O.M.C.)]

Motif 1(b)

Je n’accepte pas le motif alléguant que la demande en cause n’est pas conforme à l’alinéa 30a) de la Loi. Même s’il est vrai que les marchandises de la requérante auraient pu être définies plus précisément par sulfate de morphine, cela ne signifie pas que la description de morphine à libération prolongée n’est pas assez spécifique. Les déposants pour l’opposante ne semblent pas avoir eu la moindre difficulté à comprendre quelles étaient les marchandises de la requérante. De plus, l’avis de pratique du Bureau des marques de commerce du 6 août 2003 intitulé « Respect de l’alinéa 30a) de la Loi sur les marques de commerce – produits pharmaceutiques » indique spécifiquement que les états déclaratifs des marchandises comme les « préparations pharmaceutiques, à savoir un antibiotique » sont acceptables, même si je ne doute pas qu’une terminologie plus précise est employée dans le CPS pour n’importe quel antibiotique. Par conséquent, je rejette le motif 1(b).

 

Motif 1(c)

Ce motif d’opposition n’allègue pas que la requérante elle-même n’a pas utilisé la marque qui fait l’objet d’une demande. Il soulève plutôt la question de savoir si la couleur et la forme qui font l’objet de la demande ont déjà servi en soi comme marque de commerce et si ce type de marque peut être vu au moment du transfert de la propriété ou de la possession des marchandises. Par rapport au premier point, je comprends que l’opposante plaide qu’à prime abord, le public considère que la marque comprend l’inscription des lettres PF. À cet égard, l’opposante s’appuie sur la décision non publiée Brouillette Kosie Prince c. Andres Wines Ltd., [2004] A.C.F. no 1000, mais je considère que le cas qui nous occupe part de faits différents. Quant au second point, je considère que les éléments de preuve des deux parties sont lacunaires en ce qui a trait à la manière dont les marchandises sont acheminées aux consommateurs. Ceci dit, je ne compte pas m’attarder davantage à ce motif étant donné que l’opposition a déjà été acceptée sur un autre motif.

 

Motif 1(d)

Ce motif reprend le thème récurrent à savoir si la couleur et la forme des marchandises de la requérante peuvent servir de marque de commerce. De plus, il soutient que la description écrite de la marque est contradictoire et que la marque ne serait en fait qu’un signe distinctif. Je vais me contenter de dire qu’il est courant que le Bureau des marques de commerce accepte une description écrite du type de celle présentée par la requérante.

 

Motif 1(e)

Ce motif est rejeté parce que l’opposante ne plaide pas que la requérante était au courant de l’existence des comprimés orangés des autres fabricants. En l’absence de cette connaissance, il n’y a pas de fondement permettant de conclure que la requérante ne pouvait pas être convaincue qu’elle était fondée à enregistrer la marque demandée.

 

Motifs d’opposition fondés sur le caractère enregistrable

Motif 2(a ) - Non-respect de l’article 13

L’opposante a plaidé que la marque de commerce alléguée de la requérante est plutôt un signe distinctif. Cependant, la jurisprudence est défavorable à l’opposante. Dans l’ensemble, la décision dans l’affaire Smith, Kline & French c. Registraire des marques de commerce, [1987] 2 C.F. 633 constitue le fondement de la position de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada selon laquelle une marque de commerce consistant uniquement en une ou plusieurs couleurs appliquées sur toute la surface visible d’un objet en trois dimensions particulier est considérée comme une marque de commerce ordinaire, et non pas comme un signe distinctif. Par conséquent, le motif 2(a) est rejeté.

 

Motif 2(b) – La marque demandée fait l’objet d’une interdiction en vertu de l’article 10

L’opposante semble alléguer que le comprimé orange de forme circulaire, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, est devenu connu au Canada comme distinctif des marchandises énoncées dans les états déclaratifs de la requérante. Cependant, compte tenu des autres médicaments vendus sous la forme d’un comprimé orange et circulaire présentés ci-haut, je vois mal comment on peut parvenir à cette conclusion. Je rejette donc le motif de l’opposition 2(b).

 

Décision

En vertu des pouvoirs que m’a délégués le Registraire des marques de commerce en conformité avec le paragraphe 63(3) de la Loi sur les marques de commerce, je refuse la demande de la requérante conformément au paragraphe 38(8) de la Loi.

 

 

 

FAIT À TORONTO, EN ONTARIO, LE 13 MAI 2005.

 

 

Jill W. Bradbury

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 

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