Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2011 COMC 255

Date de la décision : 2011‑12‑19

DANS L'AFFAIRE DE L’OPPOSITION produite par Bacardi & Company Limited à l'encontre de la demande d'enregistrement no 1 175 652 pour la marque de commerce RON CASTILLO – Dessin de l'étiquette, au nom de Corporativo de Marcas GJB, S.A. de C.V.

 

[1]               Le 22 avril 2003, Jose Cuervo, S.A. de C.V. (la Requérante initiale) a produit la demande d'enregistrement no 1 175 652 pour RON CASTILLO – Dessin de l'étiquette (la Marque). La demande est fondée sur l’emploi de la Marque au Canada depuis au moins juillet 1998 en liaison avec du rhum. La Marque est reproduite ci-dessous :

RON CASTILLO LABEL Design

[2]               La Requérante s’est désistée du droit à l’usage exclusif du mot RON en dehors de la Marque, parce que « ron » signifie « rhum » en espagnol.

[3]               La demande a été annoncée aux fins d'opposition dans le Journal des marques de commerce du 17 août 2005.

[4]               Le 17 octobre 2005, Bacardi & Company Limited (l'Opposante) a produit une déclaration d'opposition. La Requérante initiale a produit et signifié une contre-déclaration dans laquelle elle nie les allégations de l’Opposante.

[5]               À l’appui de son opposition, l’Opposante a produit les éléments de preuve suivants :

   un affidavit de Monica Auer;

   une copie certifiée conforme d'une lettre de Shapiro Cohen en date du 26 juin 2006 qui a été produite au bureau du registraire des marques de commerce concernant l'enregistrement no 341 290 et qui inclut en pièce jointe un affidavit souscrit le 23 juin 2006 par Ricardo Juarez Avina;

   une seconde copie certifiée conforme de l'affidavit susmentionné de M. Avina en date du 23 juin 2006;

   une copie certifiée conforme d'un affidavit souscrit le 28 janvier 2009 par Ricardo Juarez Avina au sujet, également, de l'enregistrement no 341 290; cet affidavit a été produit à la Cour fédérale.

[6]               Mme Auer a été contre-interrogée sur son affidavit, et la transcription du contre‑interrogatoire a été versée au dossier.

[7]               Dans une lettre datée du 26 octobre 2007, la Requérante initiale a modifié sa demande no 1 175 652 pour ajouter ses prédécesseurs en titre, à savoir Grupo Industrial B.G., S.A., J. Wilckens, Inc., Jose Cuervo International, Inc. et Quarry Corporation Limited.

[8]               Au soutien de sa demande, la Requérante initiale a produit les éléments de preuve suivants :

   une copie certifiée conforme d'un affidavit souscrit par Alejandro Cantu le 21 mars 1996;

   une copie certifiée conforme des motifs du jugement de la Section de première instance de la Cour fédérale rendu le 13 décembre 1996 dans l'affaire Bacardi & Company c. Quarry Corporation Limited;

   une copie certifiée conforme des motifs du jugement rendu le 11 mars 1999 par la Section d'appel de la Cour fédérale dans l'affaire Bacardi & Company c. Quarry Corporation Limited;

   un affidavit souscrit par Nihan Keser le 2 février 2010.

[9]               L'Opposante a obtenu une ordonnance l’autorisant à contre-interroger M. Cantu. Comme M. Cantu ne pouvait se présenter pour être contre-interrogé, la Requérante initiale a retiré l'affidavit.

[10]           Les deux parties ont produit un plaidoyer écrit.

[11]           Le 27 janvier 2011, une inscription relative à la cession de la demande d'enregistrement no 1 175 652 à Corporativo de Marcas GJB, S.A. de C.V. (la Requérante actuelle) a été portée au registre. Dans la suite de la présente décision, le terme « Requérante » désignera collectivement la Requérante initiale et la Requérante actuelle.

[12]           Une audience a été tenue en l’espèce, et les deux parties y ont participé.

 

 

Motifs d’opposition

[13]           Seuls deux motifs d’opposition ont été soulevés :

1.      La demande n'est pas conforme aux exigences de l'alinéa 30b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), du fait que ni la Requérante ni ses prédécesseurs en titre n'ont employé la Marque au Canada en liaison avec du rhum depuis au moins juillet 1998 comme il est revendiqué dans la demande.

2.      La Requérante n'a pas droit d'obtenir l’enregistrement de la Marque. Plus particulièrement, elle ne satisfait pas aux dispositions énoncées au paragraphe 16(1) de la Loi, parce que ni elle ni ses prédécesseurs en titre n'ont employé la Marque au Canada.

[14]           La Requérante fait valoir, et je suis d'accord, que le motif d’opposition fondé sur le paragraphe 16(1) de la Loi n'est pas dûment plaidé. Par conséquent, le deuxième motif d’opposition est rejeté.

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b)

[15]           L'alinéa 30b) de la Loi exige qu'il y ait eu un emploi continu, dans la pratique normale du commerce, de la marque de commerce visée par la demande d'enregistrement, depuis la date revendiquée (voir Brasserie Labatt Limitée c. Benson & Hedges (Canada) Ltée (1996), 67 C.P.R. (3d) 258 (C.F. 1re inst.), à la page 262]. La date pertinente pour l'examen d'un motif d'opposition fondé sur l'article 30 est la date de production de la demande [voir Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 469 (C.O.M.C.), à la page 475].

[16]           C'est à la Requérante qu'incombe le fardeau ultime d’établir, suivant la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Toutefois, l’Opposante doit s'acquitter du fardeau initial de présenter une preuve admissible suffisante permettant de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués au soutien de chacun des motifs d’opposition [voir John Labatt Limitée c. Les Compagnies Molson Limitée (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), à la page 298]. Le fardeau de preuve est moins exigeant en ce qui touche la non-conformité à l'alinéa 30b) de la Loi [voir Tune Masters c. Mr. P.'s Mastertune Ignition Services Ltd. (1986), 10 C.P.R. (3d) 84 (C.O.M.C.), à la page 89]. En outre, l'Opposante peut s'acquitter de son fardeau en s’appuyant sur la preuve de la Requérante [voir Brasserie Labatt Limitée c. Les Brasseries Molson, société en nom collectif (1996), 68 C.P.R. (3d) 216 (C.F. 1re inst.), à la page 230].

[17]           La seule question à trancher dans cette procédure d'opposition est de savoir si l'Opposante s'est acquittée du fardeau initial qui lui incombe à l'égard du motif d’opposition fondé sur l'alinéa 30b). Dans l'affirmative, la demande sera repoussée, parce que la Requérante n'a même pas laissé entendre que des éléments de preuve dont je suis saisie démontrent qu'elle-même ou ses prédécesseurs en titre ont employé la Marque au Canada comme elle le prétend. Au lieu de cela, la Requérante a simplement pris le parti qu'elle n'avait rien à produire pour s'acquitter du fardeau ultime qui lui incombe, étant donné qu'à son avis, l'Opposante ne s'est pas acquittée de son fardeau initial.

[18]           J'analyserai donc maintenant si la preuve est suffisante pour satisfaire au fardeau peu exigeant qui incombe à l'Opposante. Plus particulièrement, est‑il raisonnable de conclure de la preuve que la Requérante ou ses prédécesseurs désignés n'ont pas employé la Marque de façon continue au Canada en liaison avec du rhum depuis au moins juillet 1998 jusqu'à la date de production de la demande, le 22 avril 2003?

[19]           La preuve sur laquelle se fonde l'Opposante pour s'acquitter de son fardeau initial est composée de la preuve et des motifs de jugement dans deux procédures de radiation en vertu de l’article 45 mettant en cause les parties qui s'affrontent en l'espèce ou leurs prédécesseurs, relativement à l’enregistrement de la Requérante portant le numéro LMC341290 pour la marque nominale CASTILLO, en liaison avec du rhum.

[20]           La première procédure prévue à l’article 45 a été introduite par l'Opposante à l'encontre de l'enregistrement no LMC341290, et l'avis y afférent a été donné le 21 septembre 1995. Le registraire des marques de commerce a décidé que l'enregistrement devait être radié, mais la Section de première instance de la Cour fédérale ainsi que la Cour d'appel fédérale ont maintenu l'enregistrement [voir Quarry Corporation Limited c. Bacardi & Company Limited (1996), 72 C.P.R. (3d) 25 (C.F. 1re inst.), conf. par (1999), 86 C.P.R. (3d) 127 (C.A.F.)].

[21]           La deuxième procédure introduite en vertu de l’article 45 a été engagée par l'Opposante à l'encontre de l'enregistrement no LMC341290, et l'avis y afférent a été donné le 26 octobre 2005. Le registraire des marques de commerce a décidé que l'enregistrement devait être radié, et les appels interjetés devant la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale ont été rejetés [voir Jose Cuervo S.A. de C.V. c. Bacardi & Company Limited et al. (2009), 78 C.P.R. (4th) 451 (C.F.), conf. par 2010 CAF 248].

[22]           L'Opposante a versé en preuve des copies certifiées conformes de la preuve produite au soutien de l'enregistrement CASTILLO dans la deuxième procédure prévue à l’article 45, à savoir deux affidavits souscrits par Ricardo Juarez Avina alors qu’il était responsable du service juridique de la Requérante initiale. Le premier affidavit de M. Avina, daté du 23 juin 2006, a été produit au bureau du registraire des marques de commerce; son second affidavit, en date du 28 janvier 2009, et a été produit dans le cadre de l'appel interjeté en Cour fédérale.

[23]           Dans la deuxième procédure prévue à l’article 45, la Requérante initiale devait démontrer que la marque de commerce CASTILLO était employée au Canada en liaison avec du rhum entre le 26 octobre 2002 et le 26 octobre 2005; si la marque n'avait pas été ainsi employée, la Requérante initiale devait établir l'existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi.

[24]           Dans son premier affidavit, M. Avina a choisi d'indiquer que la Requérante initiale est propriétaire tant de l'enregistrement no LMC341290 pour CASTILLO que de la demande no 1 175 652 visée en l'espèce pour RON CASTILLO – Dessin de l'étiquette. Il affirme que la Requérante initiale possédait une licence pour la production de produits de rhum CASTILLO et fournit les copies de deux factures, l'une du 21 novembre 1994 au nom de la Régie des alcools de l'Ontario et l'autre du 24 novembre 1999 au nom d'UDV Canada pour une vente en consignation à la Alberta Gaming and Liquor Commission. M. Avina fait observer qu'il est indiqué sur les factures, à la ligne descriptive, que l'article vendu est du « Ron Castillo Rum » [rhum Ron Castillo]. Il affirme que [traduction] « le mot "Ron" signifie rhum en espagnol et sert à indiquer le type de boisson vendue, mais il ne fait pas partie de la marque de commerce. » M. Avina déclare également : [traduction] « En mai 2002 ou vers ce mois, une importante stratégie de marketing a été lancée pour créer une nouvelle étiquette pour le rhum portant la marque de commerce CASTILLO et y ajouter la marque de commerce secondaire COHIBA ». Il explique par la suite qu'un différend international concernant l'emploi de COHIBA a retardé la vente des produits de marque CASTILLO au Canada, puisque l'étiquette CASTILLO portait aussi la marque COHIBA.

[25]           Je reproduis ci-dessous les paragraphes 4, 5, 6 et 9 du deuxième affidavit de M. Avina, qui a été produit dans le cadre de l'appel devant la Cour fédérale.

[traduction]

4. À mon affidavit souscrit le 23 juin 2003 était jointe à titre de pièce A une facture datée du 24 novembre 1999 [...] au nom d'UDV Canada pour une vente en consignation à la Alberta Gaming and Liquor Commission.

5. L'emploi de la marque de commerce CASTILLO a ensuite été interrompu par [la Requérante initiale].

6. [La Requérante initiale] a repris l'emploi de sa marque de commerce CASTILLO au Canada le 4 août 2008. Je joins à mon affidavit la pièce A, une copie d'une facture [...] de vente en consignation de rhum CASTILLO à la Alberta Gaming and Liquor Commission [...]. La facture jointe à titre de pièce A indique dans la colonne descriptive que l'article vendu est du « RON CASTILLO ANEJO ». Le mot « RON » signifie rhum en espagnol et sert à indiquer le type de boisson vendue, mais il ne fait pas partie de la marque de commerce.

[...]

9. Comme les questions juridiques liées à l'emploi de COHIBA au Canada sont restées non résolues pendant quelque temps, il a été décidé de retirer la marque COHIBA de l'étiquette qui devait être utilisée au Canada, et l'emploi a repris.

[26]           S'appuyant sur les affidavits de M. Avina, l'Opposante soutient que la Requérante n'employait pas la Marque au Canada entre le 24 novembre 1999 et le 4 août 2008. Aux fins de l'espèce, il importe peu de savoir ce que faisait la Requérante avant juillet 1998 ou après le 22 avril 2003; cependant, dans la mesure où la preuve de M. Avina sème un doute quant à l'emploi continu de la Marque au Canada entre le 24 novembre 1999 et le 22 avril 2003, la question est pertinente pour la présente procédure d'opposition.

[27]           La Requérante a exposé plusieurs motifs pour lesquels, à son avis, la preuve de M. Avina est soit non pertinente soit inadmissible, et j'examinerai maintenant ces motifs.

[28]           La Requérante fait observer que les procédures de radiation introduites en vertu de l’article 45 visaient la marque de commerce CASTILLO, non la Marque visée par la présente opposition. Toutefois, l'emploi de la Marque constitue clairement un emploi de la marque nominale CASTILLO [voir Nightingale Interloc Ltd. c. Prodesign Ltd. (1984), 2 C.P.R. (3d) 535 (C.O.M.C.)]. Puisque tel est le cas, lorsque M. Avina affirme que l'emploi de CASTILLO a été interrompu après le 24 novembre 1999 et a repris le 4 août 2008, cette affirmation équivaut à dire que la Marque n'a pas été employée entre ces deux dates.

[29]           La Requérante soutient en outre que les décisions concernant la marque nominale CASTILLO n'ont pas force de chose jugée à l'égard de la présente procédure. Je suis d'accord, mais ces décisions ne sont pas invoquées à cette fin, c'est‑à-dire pour prétendre qu’elles règlent définitivement les questions en litige dans la présente procédure. L'Opposante s'appuie tout simplement sur cette preuve pour s'acquitter d'un fardeau de preuve, auquel la Requérante a eu l'occasion de répliquer en présentant d'autres éléments de preuve.

[30]           L'Opposante avance que les déclarations invoquées dans les affidavits de M. Avina constituent des aveux manifestes, et elle attire l'attention sur la décision rendue dans l'affaire General Foods c. Sunny Crunch Foods Ltd. (1987), 15 C.P.R. (3d) 380 (C.O.M.C.), dans laquelle une copie certifiée conforme d'un affidavit produit dans une autre instance par M. Krushel, un agent de la requérante, a été examinée comme preuve au soutien du fardeau initial de l'opposante. L'ancien président Partington déclare, à la page 386 de cette décision :

[traduction] Comme M. Krushel a rédigé son affidavit en qualité de président de la requérante et était donc, à l'époque, un agent de la requérante, j'estime que la copie certifiée conforme de son affidavit est admissible contre la requérante dans la présente procédure d'opposition. Bien qu'il eût été loisible à la requérante en l'espèce soit de prouver que les déclarations exposées dans l'affidavit ont été faites par M. Krushel dans l'ignorance des faits, soit d'expliquer autrement la déclaration de M. Krushel, la requérante n'a soumis dans son acte de procédure aucune preuve pour étayer une conclusion contraire à celle formulée par M. Krushel dans son affidavit.

Ces commentaires de M. Partington semblent pouvoir s'appliquer à la présente situation.

[31]           À l'audience, l'agent de la Requérante a objecté qu'un nombre trop élevé de conclusions étaient tirées des affidavits de M. Avina, et a souligné que la Requérante exigeait des faits clairs. Or, c'est la Requérante qui a accès aux « faits clairs », non l'Opposante, et c'est pourquoi le fardeau initial de l'opposante à l'égard de l'alinéa 30b) est peu exigeant.

[32]           Je conclus que les affidavits de M. Avina sont admissibles et satisfont au fardeau initial peu exigeant de l'Opposante.

[33]           La preuve indique que la Requérante n'employait aucune marque de commerce comprenant le mot CASTILLO au Canada entre le 24 novembre 1999 et le 22 avril 2003. La question, sous le régime de l’alinéa 30b), n'est pas de savoir si la Requérante avait abandonné sa Marque à la date de production de la demande, mais simplement de savoir si elle en a fait un emploi continu, dans la pratique normale du commerce, entre juillet 1998 et le 22 avril 2003. Comme il appert de la preuve que la Requérante n'employait pas la Marque lorsqu'elle a produit la demande, le 22 avril 2003, et qu'elle ne l'utilisait pas depuis le 24 novembre 1999, je conclus que l'Opposante s'est acquittée du fardeau initial peu exigeant qui lui incombait. La Requérante a eu amplement l'occasion de produire des éléments de preuve pour réfuter la conclusion selon laquelle la Marque n'était pas employée au Canada entre le 24 novembre 1999 et le 22 avril 2003, mais elle a choisi de ne pas le faire. La Requérante ne s'est donc pas acquittée du fardeau ultime qui lui incombait. Par conséquent, le motif d'opposition fondé sur l’alinéa 30b) est retenu.


Décision

[34]           Pour les motifs qui précèdent, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande conformément aux dispositions du paragraphe 38(8) de la Loi.

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Jill W. Bradbury

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Dominique Lamarche, trad. a.

 

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