Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

Informations sur la décision

Contenu de la décision

TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION de l’Association of Professional Engineers, Geologists and Geophysicists of Alberta à la demande n° 1157042 produite par l’Alberta Institute of Power Engineers en vue de l’enregistrement de la marque de certification PE

 

 

Le 15 octobre 2002, l’Alberta Institute of Power Engineers (le « Requérant » ou l’« AIPE ») a produit une demande d’enregistrement pour la marque de certification PE (la « Marque ») fondée sur l’emploi de la Marque au Canada en liaison avec des services professionnels de génie en matière d’énergie[1] depuis juillet 2001. Les normes spécifiques pour l’utilisation de la Marque sont les suivantes : Une catégorie de personnes qui a) détiennent un certificat d’aptitude professionnelle d’ingénieur électricien[2] valide au travers de toutes les compétences du Canada ou une certification équivalente émise par l’organisme de réglementation gouvernemental approprié et b) sont membres en règle de l’Institute of Power Engineers (Canada).

 

La demande a par la suite été modifiée, le 13 décembre 2004, pour que soit ajoutée la déclaration suivante : Le requérant ne se livre pas à la fabrication, la vente, la location à bail ou le louage de marchandises ou à l’exécution de services tels que ceux pour lesquels la marque de certification est employée.

 

Le 10 février 2006, l’état déclaratif des services a été modifié et se lit maintenant comme suit :

 

[traduction] Services professionnels de génie en matière d’énergie, nommément l’exploitation et la maintenance d’équipement industriel (comme les chaudières, turbines à vapeur et à gaz, génératrices, moteurs à combustion interne au gaz et au diesel, moteurs, pompes, condensateurs, compresseurs, échangeurs de chaleur, moteurs thermiques, appareils sous pression, systèmes d’épuration des eaux et dispositifs de contrôle associés), l’exploitation et la maintenance de systèmes de chauffage, de conditionnement de l’air, de ventilation et de réfrigération, l’exploitation et la maintenance de systèmes de protection contre l’incendie, l’exploitation et la maintenance de systèmes de contrôle de bâtiments; étant spécifiquement exclus tous les services professionnels de génie (comme le génie électrique).

 

 

La demande a été annoncée aux fins d’opposition au Journal des marques de commerce du 3 mars 2004.

 

Le 3 août 2004, l’Association of Professional Engineers, Geologists and Geophysicists of Alberta (l’« Opposante » ou l’« APEGGA ») a produit une déclaration d’opposition à la demande d’enregistrement. Le Requérant a produit et signifié une contre-déclaration dans laquelle il nie les allégations de l’Opposante.

 

La preuve de l’Opposante se compose de l’affidavit d’Albert J. Schuld, registraire adjoint de l’Opposante. La preuve du Requérant est constituée de l’affidavit de Ray Shupac et de deux affidavits de Matt Park (l’un souscrit le 26 août 2005 et l’autre, le 2 février 2006). À titre de contre-preuve, l’Opposante a produit un second affidavit de M. Schuld. Aucun des auteurs d’affidavit n’a été contre-interrogé.

 

Le Requérant et l’Opposante ont respectivement produit un plaidoyer écrit. Il a été tenu une audience à laquelle les deux parties étaient représentées.

 

L’Opposante allègue ce qui suit dans sa déclaration d’opposition :

 

  1. PE est un terme d’emploi courant en Amérique du Nord pour désigner un Professional Engineer [ingénieur, en français].
  2. Dans la province de l’Alberta, où est établie l’AIPE, seule l’APEGGA peut délivrer des permis d’exercice aux Professional Engineers.
  3. Une personne certifiée par l’AIPE n’est pas un Professional Engineer.

 

Le seul motif d’opposition soulevé est le suivant : [traduction] « … la marque de commerce n’est pas enregistrable du fait que, contrairement aux dispositions de l’alinéa 12(1)b), elle donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer ».

 

La date pertinente pour l’examen de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la « Loi »)) est la date de production de la demande (voir Havana Club Holdings S.A. c. Bacardi & Co. (2004), 35 C.P.R. (4th) 541 (C.O.M.C.); Fiesta Barbeques Ltd. c. General Housewares Corp. (2003), 28 C.P.R. (4th) 60 (C.F. 1re inst.)). La question doit être tranchée du point de vue du consommateur moyen des marchandises ou des services. En outre, la marque de commerce visée ne doit pas être soigneusement analysée et décomposée en ses parties constitutives mais elle doit plutôt être envisagée dans son ensemble et selon la première impression (voir Wool Bureau of Canada Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1978), 40 C.P.R. (2d) 25 (C.F. 1re inst.), p. 27 et 28; et Atlantic Promotions Inc. c. Registraire des marques de commerce (1984), 2 C.P.R. (3d) 183 (C.F. 1re inst.))

 

Même s’il incombe au Requérant d’établir que sa marque est enregistrable, l’Opposante doit d’abord produire une preuve suffisante à l’appui de sa prétention que la marque donne une description fausse ou trompeuse (voir John Labatt Limitée c. Les Compagnies Molson Limitée (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), p. 298; Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.)).

 

Dans son affidavit, M. Schuld affirme que le terme PE est l’abréviation qui désigne le Professional Engineer aux États-Unis et que le terme PE est progressivement devenu [traduction] « d’emploi courant » au Canada pour désigner le Professional Engineer, en raison du commerce transfrontière qu’a engendré l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). La pièce A jointe à son affidavit est un extrait de la Texas Engineering Practice Act qui renvoie à l’emploi de « PE » par les Professional Engineers détenant un permis dans l’État du Texas. M. Schuld déclare que cette [traduction] « identification professionnelle » est représentative de celle qu’on trouve dans d’autres États des É.-U.

 

M. Schuld poursuit en affirmant que pour détenir un permis d’exercice aux É.-U., les Professional Engineers du Canada doivent passer avec succès l’examen « Fundamentals of Engineering » du National Council of Examiners for Engineering and Surveying (« NCEES »). La pièce B de son affidavit est un extrait tiré du site Internet du NCEES sur l’attribution du droit d’exercice aux É.‑U. Selon M. Schuld, environ 70 membres de l’Opposante passent cet examen chaque année. Il estime que le nombre de membres de l’Opposante qui possèdent des qualifications réciproques et sont habilités à employer le titre « PE » aux É.‑U. est de l’ordre de 1 000 membres. Il explique ensuite que l’Opposante surveille les Professional Engineers des É.‑U. qui travaillent à des projets en Alberta et, selon les dossiers, 207 de ces Professional Engineers sont inscrits auprès de l’Opposante.

 

La pièce C jointe à l’affidavit de M. Schuld est une copie du Engineering, Geological and Geophysical Professions Act (« l’EGGP Act »), qui traite des termes que peuvent employer les Professional Engineers titulaires d’un permis d’exercice en Alberta. Il explique que tout Professional Engineer détenant la double qualification est autorisé à employer le titre PE. La pièce D de son affidavit est un extrait du site Internet « www.answers.com », qui fournit des renseignements sur le Professional Engineer et sur les [traduction] « initiales d’un titre professionnel » employées pour désigner le Professional Engineer dans divers États. La pièce E est un extrait du site Internet « www.nspe.org », qui examine des questions relatives à la mobilité des Professional Engineers qui travaillent à la fois aux États-Unis et au Canada.

 

M. Schuld ajoute que la plupart des membres du Requérant ne satisfont pas aux normes prescrites pour l’inscription comme membre de l’organisme de l’Opposante. Il déclare en outre qu’un certain nombre de Professional Engineers de l’Opposante possèdent aussi le titre de Power Engineers.

 

Le Requérant a soulevé diverses objections à l’encontre de la preuve de M. Schuld, notamment aux éléments de preuve provenant d’Internet qu’il a présentés. La fiabilité des éléments de preuve provenant d’Internet a été examinée par la juge Lamer-Tremblay dans la décision ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd. (2003), 29 C.P.R. (4th) 182 (C.F. 1re inst.) :

 

 

Pour ce qui concerne la fiabilité d’Internet, je souscris à l’idée que, en général, les sites Web officiels, c’est-à-dire ceux qui sont créés et tenus à jour par l’organisme même, fournissent des renseignements plus fiables que les sites Web non officiels, c’est-à-dire ceux qui contiennent de l’information sur l’organisme mais sont offerts par des personnes physiques ou des entreprises.

À mon avis, les sites Web officiels d’organismes connus peuvent fournir des renseignements fiables qui seraient admissibles en preuve, de la même façon que la Cour peut se fier à Carswell ou à C.C.C. pour ce qui concerne la publication des décisions judiciaires, sans avoir à exiger une copie certifiée conforme du texte publié par l’arrêtiste. Par exemple, il est évident que le site Web officiel de la Cour suprême du Canada propose une version exacte des arrêts de ce tribunal.

 

La Cour n’a pas donné d’autre éclaircissement sur ce qui constitue un « site Web officiel ».

 

En l’espèce, l’avis de non-responsabilité du site Internet « Answers.com » porte que l’entrée provient de Wikipedia, la grande [traduction] « encyclopédie faisant appel aux contributions des utilisateurs » et peut ne pas avoir été vérifiée par des éditeurs professionnels. Cet avis soulève un doute à l’égard de la fiabilité du site Internet visé. Par ailleurs, je fais remarquer que le Trade-mark Trial and Appeal Board (« TTAB ») accepte la preuve provenant de Wikipedia dans la mesure où il est possible d’y répondre. À cet égard, le TTAB reconnaît que l’encyclopédie en ligne Wikipedia comporte un certain risque de non-fiabilité, sans atteindre un degré tel qu’elle soit totalement inadmissible et sous réserve que la partie adverse puisse répondre à la preuve (voir la décision In Re IP Carrier Consulting Group, TTAB, Serial No. 78542726, 6/18/07). Je constate également que des éléments de preuve tirés de Wikipedia ont été acceptés à première vue dans les décisions Build-A-Vest Structures Inv. c. Red Deer (City), (2006), 29 M.P.L.R. (4th) 210 et Gauvin c. Vallée 2006 QCCS 3363. Par conséquent, j’ai accordé une certaine valeur à ces éléments de preuve, tout en observant qu’ils n’établissent pas de manière claire si les renseignements qui figurent sur le site Internet visé ont été portés à l’attention des consommateurs sur le marché du Canada.

 


S’agissant des extraits des sites Internet du NCEES et de la NSPE, je suis persuadée qu’ils existaient au moment où les recherches ont été menées, mais ces éléments de preuve ne sont pas admissibles sur le plan de la véracité des contenus, car très peu de renseignements ont été fournis pour établir que ces sites pouvaient être de la catégorie dite « site Web officiel » ou que l’information qu’ils donnaient était fiable. Quoi qu’il en soit, rien n’établit que les renseignements de ces sites Internet ont été portés à l’attention des consommateurs sur le marché du Canada.

 

L’agent de l’Opposante soutient que si je ne devais pas accorder beaucoup de valeur aux pièces jointes à l’affidavit de M. Schuld, du fait que celui-ci est le registraire adjoint de l’Opposante (c‑à-d. de l’Association of Professional Engineers, Geologists, and Geophysicists of Alberta), il a une connaissance personnelle des faits dont il témoigne dans son affidavit. J’en conviens. Je constate également que M. Schuld n’a pas été contre-interrogé au sujet de son affidavit.

 

Je suis persuadée à l’examen de la preuve que le terme « PE » est l’abréviation qui désigne le Professional Engineer aux États-Unis, mais la preuve ne me convainc pas que l’usager moyen des services du Requérant donnait à ce terme le sens de la Marque au Canada à la date de production de la demande d’enregistrement du Requérant. À cet égard, s’il peut y avoir 1 000 membres de l’Opposante qui possèdent des qualifications réciproques et sont habilités à employer le titre « PE » aux É.‑U., rien n’établit l’emploi ou la réputation effectifs de ce titre par l’un ou l’autre de ces membres ou par quiconque au Canada à la date de production de la demande. Il n’y a non plus aucun élément de preuve établissant que l’un ou plusieurs des 207 Professional Engineers des É.‑U. qui sont inscrits comme membres de l’Opposante emploient PE au Canada.

 

En outre, l’EGGP Act interdit l’emploi du titre « Professional Engineer », de l’abréviation « P. Eng. » [dont l’équivalent français serait « ing. »] ou de toute autre abréviation de ce titre par toute personne physique, société par actions, société de personnes ou autre entité qui n’est pas un Professional Engineer, mais la législation n’identifie pas PE comme une abréviation reconnue de Professional Engineer au Canada.

 

Comme l’Opposante n’a pas établi que PE était un terme d’emploi courant au Canada à la date de production de la demande pour désigner le Professional Engineer, le seul fait que l’Opposante soit la seule association en Alberta autorisée à conférer le permis d’exercice aux Professional Engineers n’appuie pas l’allégation selon laquelle la marque faisant l’objet de la demande donne une description fausse ou trompeuse de la nature ou de la qualité des services visés par elle. À ce sujet, la demande modifiée du Requérant prévoit que les services qui seront fournis par le Requérant excluent spécifiquement tous les services professionnels de génie. L’Opposante ne s’étant pas acquittée de son fardeau de preuve à l’égard de ce motif, le motif n’est pas retenu.

 

Même si j’étais persuadée que l’Opposante s’est acquittée de son fardeau à l’égard de ce motif, le Requérant a présenté diverses définitions de dictionnaire pour établir le sens courant de l’abréviation PE. Je constate que les définitions de l’abréviation PE du Canadian Oxford Dictionary sont notamment : Peru [Pérou, en français] (signe distinctif de l’État d’immatriculation relativement aux automobiles en circulation internationale), physical education [éducation physique, en français] et Prince Edward Island [Île-du-Prince-Édouard, en français] (usage de la poste officielle). Bien que ces sens puissent ne pas se rapporter à des « professional power engineering services », ils semblent être d’un usage assez courant pour être vraisemblablement reconnus par des membres du public au Canada. Compte tenu que « clair » signifie [traduction] « facile à comprendre, évident ou simple » dans le contexte de l’alinéa 12(1)b) (voir Thorold Concrete Products Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1961), 37 C.P.R. 166), j’estime que le sens de la Marque n’est pas évident au Canada du fait de la multiplicité des significations que l’on peut lui attribuer. Aucun fondement ne me permettrait donc de conclure que PE, envisagé dans son ensemble et selon la première impression, donne une description fausse ou trompeuse de la nature ou de la qualité des services du Requérant, en tant que services d’une nature telle qu’ils sont fournis par des professional engineers à la date pertinente.

 


Dispositif

En vertu des pouvoirs qui m’ont été délégués par le registraire des marques de commerce en application du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition de l’Opposante conformément aux dispositions du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

FAIT À Gatineau (Québec), le 26 novembre 2008.

 

Cindy R. Folz

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 

 

Traduction certifiée conforme

 

_Linda Brisebois, LL.B.

 



[1] Note de la traductrice : L’expression « services professionnels de génie en matière d’énergie » est employée dans le texte publié au Journal des marques de commerce du 3 mars 2004. Cependant, ainsi que le précise l’état déclaratif des services (tel que modifié en 2006), les services professionnels de génie sont exclus, de sorte qu’en français, ces services ne devraient pas être désignés comme des services professionnels de génie.

[2] Note de la traductrice : Le terme « ingénieur électricien » est employé dans le texte publié au Journal des marques de commerce du 3 mars 2004. Cependant, ainsi que le précise l’état déclaratif des services (tel que modifié en 2006), les services professionnels de génie sont exclus, de sorte qu’en français, les membres de cet organisme ne devaient pas être désignés comme des ingénieurs.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.