Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION de La Banque Toronto-Dominion à la demande no 1010066 produite pour le compte de e-Funds Limited en vue de l’enregistrement de la marque de commerce EFUNDS            

 

Le 29 avril 1999, eFunds Limited a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce EFUNDS (la Marque) fondée sur l’emploi projeté de la Marque au Canada. L’état déclaratif des marchandises et des services énonce actuellement ce qui suit :

marchandises

(1) Formulaires de demande et états de présentation de rapports des clients portant sur les comptes d’épargne-retraite autogérés, sur les fonds enregistrés de revenus de retraite, sur les comptes de régimes enregistrés d’épargne-études et sur les comptes d’investissement; prospectus de fonds mutuels, rapports de participants, états financiers et bulletins; marchandises, nommément stylos, tasses, tee-shirts, vestes, chapeaux, chaînettes porte-clés, balles de golf, parapluies, aimants, blocs-correspondance.

services

(1) Comptes d’épargne-retraire autogérés, fonds enregistrés de revenus de retraite, compte de régimes enregistrés d’épargne-études et comptes d’investissement; site du World Wide Web pour la tenue de ventes et d’achats de fonds mutuels, et pour la remise des états des clients et la fourniture de renseignements sur les investissements, d’un service de répartition de l’actif et d’un service de consultation des comptes.

 

Le nom de la requérante a plus tard été rectifié et se lit dorénavant e-Funds Limited (la Requérante).

 

La demande a été publiée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 7 août 2002. Le 7 janvier 2003, La Banque Toronto-Dominion (l’Opposante) a produit une déclaration d’opposition à l’encontre de la demande.

 

La Requérante a produit et signifié une contre-déclaration dans laquelle elle nie les allégations formulées dans la déclaration d’opposition.

 

L’Opposante a ensuite obtenu l’autorisation de produire une déclaration d’opposition modifiée, et la Requérante a été autorisée à répondre par la production d’une contre-déclaration modifiée.

 

Conformément à l’article 41 du Règlement sur les marques de commerce, dans sa version en vigueur le 30 septembre 2007, l’Opposante a produit :

  • un affidavit de Sandy Cimoroni, vice-présidente et directrice générale de Gestion de placements TD, une filiale de l’Opposante;
  • un affidavit de Raquel Sananes, technicienne juridique qui travaille en propriété intellectuelle au cabinet des avocats de l’Opposante.

La Requérante a obtenu une ordonnance lui permettant de contre-interroger chacune des déposantes, et les transcriptions de leur contre-interrogatoire respectif (ainsi que les réponses faisant suite aux engagements) ont été versées en preuve.

 

Conformément à l’article 42, la Requérante a produit :

  • un affidavit de Robert Thiessen, président de la Requérante;
  • un affidavit de Jamie Hollingworth, stagiaire d’été au cabinet des avocats de la Requérante;
  • un affidavit de Michael Godwin, président de Michael Godwin & Associates Inc., une société spécialisée dans la recherche des dossiers de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada;
  • une copie certifiée conforme de la demande numéro 1015748 pour l’enregistrement de la marque de commerce EFUNDS;
  • une copie certifiée conforme de la demande numéro 1034636 pour l’enregistrement de la marque de commerce EADVISOR.

L’Opposante a obtenu une ordonnance lui permettant de contre-interroger M. Thiessen et a produit la transcription du contre-interrogatoire de ce dernier et des réponses faisant suite aux engagements.

 

Conformément à l’article 43, l’Opposante a produit :

  • un affidavit de Michelle Mazepa, commis à la recherche au service des agents de marques de commerce de l’Opposante;
  • un affidavit de Herman Campbell, copropriétaire de Ad Ease Media Research, une entreprise de dépouillement des médias;
  • un affidavit de K. Enis Davis-Lewars, technicien juridique au service des agents des marques de commerce de l’Opposante.

 

Enfin, conformément à l’article 44, l’Opposante a été autorisée à produire :

         une copie certifiée conforme de la demande numéro 1059362 pour l’enregistrement de la marque de commerce EFUNDS;

         une copie certifiée conforme de la demande numéro 1297368pour l’enregistrement de la marque de commerce E FUNDS & Dessin.

 

Chacune des deux parties a présenté un plaidoyer écrit, et chacune était représentée à l’audience qui a été tenue en l’espèce.

 

Fardeau de la preuve

S’il incombe à la Requérante de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande satisfait aux exigences de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), l’Opposante a néanmoins le fardeau initial de présenter des éléments de preuve admissibles qui permettent de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués au soutien de chacun des motifs d’opposition. [Voir John Labatt Limitée c. Les Compagnies Molson Limitée, 30 C.P.R. (3d) 293, à la page 298; Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.).]

 

Motifs d’opposition

Les motifs invoqués dans la déclaration d’opposition modifiée sont reproduits ci-dessous :

            [traduction]

a)      Alinéa 38(2)a)

(i)                 La demande ne respecte pas les exigences de l’article 30 : en effet, la Requérante ne pouvait pas être convaincue qu’elle avait le droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises et les services décrits dans la demande, étant donné qu’à la date de production de la demande, la Requérante n’existait pas ni n’avait l’intention d’employer la marque. 

(ii)               La demande ne respecte pas les exigences de l’alinéa 30e), parce que la Requérante a déclaré à tort qu’elle avait l’intention d’employer, au Canada, la marque de commerce visée par la demande, elle–même ou par l’entremise d’un licencié, ou elle-même et par l’entremise d’un licencié, à compter de la date de production de la demande, alors qu’en réalité, ladite marque de commerce était déjà employée, par la Requérante, au Canada, à la date de production de la demande.

 

b)      Alinéa 38(2)b)

(i)                 La marque de commerce n’est pas enregistrable eu égard aux dispositions de l’alinéa 12(1)b), parce qu’elle donne une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises et des services à l’égard desquels on projette de l’employer.

(ii)               La marque de commerce n’est pas enregistrable eu égard aux dispositions de l’alinéa 12(1)c), parce qu’elle est constituée du nom des marchandises et des services à l’égard desquels la Requérante projetterait de l’employer.

(iii)             La marque de commerce n’est pas enregistrable eu égard aux dispositions de l’alinéa 12(1)e), parce que la marque, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, est devenue connue au Canada comme désignant le genre de marchandises et de services de la même catégorie générale, et que l’emploi de la marque de commerce est susceptible d’induire en erreur, en violation de l’article 10.

 

c)      Alinéa 38(2)d)

La marque de commerce n’est pas distinctive au sens de l’article 2, parce qu’elle ne distingue pas véritablement les marchandises et services en liaison avec lesquels la Requérante projette de l’employer des marchandises ou des services d’autres propriétaires, et qu’elle n’est pas non plus adaptée à les distinguer ainsi. 

 

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b)

L’Opposante soutient que la principale question en l’espèce est le caractère descriptif de la Marque et plaide qu’étant donné que « e » est interprété comme signifiant « électronique » ou « Internet », l’ajout de « e » au mot « funds » [fonds], lequel donne une description claire, n’a pas pour effet de créer une marque qui ne donne pas une description claire.

 

La question de savoir si la Marque de la Requérante donne une description claire doit être appréciée du point de vue de l’utilisateur ordinaire des marchandises et services de la Requérante. De plus, il ne faut pas disséquer les différentes composantes de la Marque et faire de celle-ci une analyse minutieuse, mais bien plutôt l’évaluer dans son ensemble, en se fondant sur l’impression immédiate. [Voir Wool Bureau of Canada Ltd. c. Registraire des marques de commerce, 40 C.P.R. (2d) 25 (C.F. 1re inst.), aux pages 27 et 28; Atlantic Promotions Inc. c. Registraire des marques de commerce, 2 C.P.R. (3d) 183 (C.F. 1re inst.), à la page 186.] Le mot « nature » désigne un aspect, un trait ou une caractéristique des marchandises et des services et « claire » signifie « facile à comprendre, évidente ou simple ». [Voir Drackett Co. of Canada Ltd. c. American Home Products Corp. (1968), 55 C.P.R. 29 (C. de l’É.), à la page 34.]

 

Le fait qu’une combinaison particulière de mots ne figure dans aucun dictionnaire n’empêche pas de conclure qu’une marque de commerce donne une description claire ou une description fausse et trompeuse. Si chaque composante d’une marque a un sens bien connu en langue française ou en langue anglaise, la combinaison de ces composantes risque fort de tomber sous le coup de l’alinéa 12(1)b) de la Loi. Même lorsqu’une marque consiste en un mot inventé, il est possible de tenir compte des acceptions que donnent les dictionnaires de ses composantes [voir Oshawa Group Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1980), 46 C.P.R. (2d) 145, à la page 149 (C.F. 1re inst.)].

 

La date pertinente pour l’examen de l’alinéa 12(1)b) est celle de la production de la demande [voir Havana Club Holdings S. A. c. Bacardi & Company Limited (2004), 35 C.P.R. (4th) 541 (C.O.M.C.); Fiesta Barbeques Limited c. General Housewares Corporation (2003), 28 C.P.R. (4th) 60 (C.F. 1re inst.)]. Autrefois, la jurisprudence indiquait que la date pertinente à cet égard était celle de la décision; si la question devait être évaluée selon la situation en date d’aujourd’hui, je conclurais sans difficulté que la marque n’est pas enregistrable eu égard à l’alinéa 12(1)b), parce que la preuve démontre qu’il est communément admis aujourd’hui que l’apposition de la lettre « e » comme préfixe à un mot désigne une version électronique ou Internet. Le mot « funds » donnant une description claire des services de la Requérante, le terme « efunds » donne aussi, aujourd’hui, une description claire de ces services. Cependant, la preuve quant à savoir si, le 29 avril 1999, l’utilisateur ordinaire des marchandises et services de la Requérante aurait attribué au préfixe « e » de la Marque le sens qu’il a maintenant, est moins claire. Je crois pouvoir prendre connaissance d’office que nous sommes entrés dans l’ère Internet de façon assez subite. Toutefois, je ne saurais prendre connaissance d’office du moment où ce phénomène s’est produit, et il se peut que la demande en cause ait été produite avant que l’investisseur canadien ordinaire se soit familiarisé avec Internet (et avec l’abréviation « e » correspondante). Puisque la preuve ne permet pas d’établir qu’en date du 29 avril 1999, le Canadien ordinaire interprétait le préfixe « e » comme désignant une demande présentée par voie électronique ou en ligne, je conclus que l’Opposante n’a pas satisfait à son fardeau de preuve initial relativement à l’alinéa 12(1)b). En conséquence, ce motif est rejeté.

 

Il convient de noter qu’au soutien de sa position, l’Opposante a renvoyé à plusieurs décisions du United States Patent and Trademark Trial and Appeal Board, soit In re SPX Corp. (2002) 63 USPQ2d 1592, In re Styleclick Inc. (2000), 57 USPQ2d 1445, et Continental Airlines Inc. v. United Air Lines Inc. (1999) 53 USPQ2d 1385, concernant les marques E‑AUTODIAGNOSTICS, E FASHION et E-TICKET, respectivement. L’Opposante reconnaît que le droit canadien diffère du droit états-unien et convient que, naturellement, je ne suis pas liée par ces décisions. Elle m’invite néanmoins à examiner ces affaires dans une optique semblable à celle qu’a adoptée la Cour suprême du Canada à l’égard de la jurisprudence des États-Unis, à savoir que cette jurisprudence est instructive et offre un raisonnement qui pourrait être utile en l’espèce. À cet égard, je relèverai les commentaires suivants formulés par la Cour suprême dans l’arrêt Veuve Clicquot Ponsardin Maison Fondée en 1772 c. Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23 :

42          Bien que le libellé de la Lanham Trade-Mark Act diffère […], le commentaire suivant, figurant dans le Restatement américain, fournit aussi des indications judicieuses : […]

64                     […] même si la jurisprudence états-unienne doit être lue en gardant à l’esprit qu’elle fait appel à une terminologie différente, elle fournit néanmoins certaines explications utiles sur des concepts pertinents […]

67           Ces renvois à la jurisprudence états-unienne servent à illustrer notre propos.

 

L’Opposante signale plus particulièrement les pages 1446 à 1448 de la décision états-unienne concernant E FASHION, un appel à l’encontre du refus par un examinateur d’enregistrer la marque de commerce au motif que le terme E FASHION est purement descriptif. Le fardeau de la preuve dans cette affaire différait du fardeau applicable en l’espèce, mais l’appel a été rejeté. Ce faisant, le United States Patent and Trademark Trial and Appeal Board a examiné diverses questions qui entrent en ligne de compte dans la présente affaire, notamment l’état du registre, l’époque où la signification du préfixe « e » est devenue communément connue et la question de savoir si le fait que la partie requérante est la première utilisatrice du terme revêt une importance :

[traduction]

Nous avons passé en revue les nombreux enregistrements au nom de tiers inscrits au registre principal […]

Ces enregistrements sont de peu d’utilité pour statuer sur le fond dans le présent appel […]

La pratique administrative a donné lieu à un traitement variable des marques comprenant le préfixe « e » et dont la nature s’apparente à celle de la partie requérante. En tentant de comprendre cet état de choses, nous croyons devoir souligner que de jour en jour, l’Internet devient plus généralisé dans la vie quotidienne des Américains. Un grand nombre de mots issus d’Internet, par exemple « e-mail » et « e-commerce », se sont glissés dans la langue courante […] Nous remarquons que la plupart des enregistrements au nom de tiers invoqués par la partie requérante ont été effectués en 1997 et 1998, et quelques-uns en 1999. Alors que dans la plupart des domaines, un recul de un an à trois ans dans le temps permet de qualifier l’époque de « récente », une année ou deux représentent une éternité en « temps Internet », compte tenu de la percée rapide d’Internet dans tous les aspects de la vie quotidienne (surtout en ce qui concerne le courrier électronique). Encore « récemment », l’acception liée à Internet du préfixe « e » n’était peut-être connue que par le nombre restreint de personnes qui avaient accès à Internet, mais nous sommes convaincus qu’en l’année 2000, le préfixe « e » est communément reconnu et interprété par presque quiconque comme désignant Internet […] 

En résumé, il est généralement reconnu que l’emploi de « e- » comme préfixe, à la manière de la marque de la partie requérante, correspond à « électronique » en matière d’informatique et d’Internet. Lorsque ce préfixe, qui ne renseigne pas sur l’origine, est associé au mot descriptif « fashion », la marque E FASHION, dans son ensemble, se borne à décrire les produits alimentaires ou les services de la partie requérante. Le fait que celle‑ci est la première ou la seule entité qui emploie E FASHION n’est pas un élément déterminant.

 

 

Je suis peu encline à tirer des éléments d’orientation de la décision des États-Unis citée ci-dessus et, à vrai dire, je ne crois pas qu’il soit nécessaire en l’espèce de puiser des indications d’une source étrangère plutôt que de sources canadiennes. La jurisprudence canadienne qui sera abordée ci‑dessous dans mon analyse du motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif peut servir de guide en ce qui touche la pertinence de l’état du registre dans les cas fondés sur le caractère descriptif d’une marque. Quant à la dernière phrase de l’extrait reproduit ci-dessus, je ferai observer que M. Martin, membre de la Commission, a formulé un commentaire semblable lorsqu’il a traité du caractère descriptif dans la décision e-Funds Ltd. c. La Banque Toronto-Dominion (2007), 61 C.P.R. (4th) 475, au paragraphe 15 : « Il n’importe pas non plus qu’aucun autre courtier jusqu’ici n’ait employé l’expression “ Web broker ” pour désigner ses services de courtage sur le Web ».

 

Motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif

La date pertinente pour l’examen du caractère distinctif est la date de la production de l’opposition. [Voir Re Andres Wines Ltd. et E. & J. Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126 (C.A.F.), à la page 130, et Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 412 (C.A.F.), à la page 424.]

 

Dans la décision Clarco Communications Ltd. c. Sassy Publishers Inc. (1994), 54 C.P.R. (3d) 418 (C.F. 1re inst), Monsieur le juge Denault a déclaré, à la page 428 :

Bien que le caractère distinctif d’une marque de commerce soit très souvent apprécié lors de l’examen de la question de savoir si la marque de commerce projetée crée de la confusion avec une autre marque de commerce au sens de l’article 6 de la Loi, il est possible de rejeter une demande d’enregistrement au motif qu’elle n’est pas distinctive, indépendamment de la question de la confusion, à condition que ce moyen soit invoqué dans une opposition […] Le caractère distinctif est une caractéristique fondamentale et essentielle d’une marque de commerce. Le moyen fondé sur l’absence de caractère distinctif peut donc être soulevé en opposition par quiconque et s’appuyer sur le défaut de distinguer ou d’être adapté à distinguer la marque de commerce projetée des marchandises de tous les autres propriétaires.

 

Dans le cas présent, lorsqu’on examine le motif d’opposition portant sur le caractère distinctif dans le contexte de la déclaration d’opposition dans son ensemble, il semble que l’objection soit que la Marque n’est pas distinctive parce qu’elle donne une description claire. Il est possible d’avoir gain de cause relativement à ce motif d’opposition en invoquant cet argument même si le motif fondé sur l’alinéa 12(1)b) n’est pas retenu, parce que le caractère distinctif doit s’apprécier en fonction d’une date beaucoup plus tardive, en l’occurrence le 7 janvier 2003.  

 

La preuve quant au caractère distinctif de la Marque en date du 7 janvier 2003 peut être divisée en deux catégories : 1) la preuve générale de l’adoption par des tiers de marques comportant le préfixe « e » et la signification de la composante « e »; 2) la preuve relative à l’emploi et à la promotion de EFUNDS par l’Opposante.

 

1) Preuve concernant l’adoption par des tiers de marques comportant le préfixe « e » et signification de la composante « e »

Comme pièce F, Mme Sananes a produit des extraits du livre intitulé Computer, Internet and Electronic Commerce Terms : Judicial, Legislative and Technical Definitions, publié en 2001, de l’auteur Barry B. Sookman, B.A., ME.S., LL.B., membre du Barreau de l’Ontario. À la page 107, l’auteur donne la définition suivante : 

[traduction]

« E »

Pour quiconque connaît un tant soit peu Internet et le courrier électronique, le préfixe « e » est une forme abrégée de « électronique » et désigne Internet. EFax.com v. Oglesby, le juge Parker, 25 janvier 2000 (Eng.Ch.D.) (décision inédite).

 

Je suis d’avis que cet élément de preuve satisfait au fardeau initial qui incombe à l’Opposante relativement au motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif.

 

La Requérante a démontré qu’en date du 7 janvier 2003, l’enregistrement de marques de commerce comportant le préfixe « e » suivi d’un mot descriptif était chose courante au Canada. M. Godwin a effectué une recherche dans le Registre canadien des marques de commerce, le 9 août 2004, en vue de repérer des marques de commerce répondant aux critères suivants :

1.      demandes produites après 1997;

2.      comportant uniquement le préfixe « e » suivi d’un mot du dictionnaire, avec ou sans trait d’union;

3.      dont le statut est soit admise, soit enregistrée;

4.      à l’exclusion des dessins-marques;

5.      à l’exclusion des marques de commerce composées.

La recherche a repéré 268 marques à l’égard de chacune desquelles M. Godwin a fourni tous les détails [pièce C]. Les marques enregistrées avant 2003 comprennent les suivantes : E*TRADE pour des services de courtage en valeurs mobilières; E-BALE pour un service d’achats sur l’Internet ayant trait au fourrage et à l’alimentation du bétail; e-Benefit pour des services d’assurances; E‑CHART pour des logiciels informatiques…; E-CINEMA pour la production de publicité dans des médias électroniques …; E-CLIP pour des programmes informatiques, nommément des logiciels pour l’intégration du contenu de sites Web et des applications à partir de ceux-ci…; E:COACH pour la fourniture de services d’Internet en ligne aux conseillers financiers; E-FLOSS pour des services électroniques conçus pour créer et encourager la fidélité d’utilisation de la soie dentaire…; E‑METER pour des dispositifs électroniques...; E-PAGER pour des services de télécommunications, nommément des services de recherche de personne; e‑Perform pour la surveillance des performances d’un site Web; E-PRINTS pour la sélection et la commande électroniques en ligne de photographies…; E-ROCK pour des initiatives sur le Web pour le marché de l’exploitation minière; et bien d’autres encore.

 

Les parties ne s’entendent pas sur la signification et la pertinence des résultats de la recherche. Je traiterai donc de l’état de la jurisprudence concernant la pertinence de la preuve de l’état du registre dans l’examen de la question du caractère descriptif.

 

Dans la décision Mitel Corporation c. Registraire des marques de commerce (1994), 79 C.P.R. (2d) 202 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Dubé a présenté l’aperçu suivant de la jurisprudence concernant la pertinence de la preuve de l’état du registre dans l’examen du caractère descriptif :

8     La jurisprudence est contradictoire en ce qui concerne la pertinence de l’état du registre.

 

9     Dans l’affaire John Labatt Ltd. c. Carling Breweries Ltd. (1974), 18 C.P.R. (2d) 15, le juge Cattanach a décidé que la marque de commerce « NO. 1 » était clairement descriptive, et a fait les commentaires suivants sur la pertinence de l’état du registre, à la page 23 :

 

Si je comprends bien, ce principe tel qu’énoncé porte simplement que, même si des erreurs ont pu se produire dans le passé, ce n’est pas un motif pour les répéter.

 

10     Il convient de reproduire ici la note de l’arrêtiste :

 

« On ne peut examiner l’état du registre pour rendre enregistrable une marque qui ne l’est pas. Toutefois, on a examiné l’état du registre pour démontrer qu’un élément d’une marque est courant dans le commerce. Cette dernière considération joue souvent un rôle important pour la détermination du caractère distinctif et de la portée de la protection. »

 

11     Dans l’affaire Provenzano v. Registrar of Trade Marks, supra, le juge Addy a décidé que la marque « KOOL ONE » n’était pas clairement descriptive pour une bière. Il a fait les commentaires suivants sur la pertinence de l’état du registre, à la page 190 :

 

« …Pour décider s’il y a lieu d’intervenir, la Cour a le droit d’examiner le registre et si, comme dans le présent cas, il semble y avoir des décisions antérieures du Registraire tout à fait contraires à la décision en question, il est bon de les examiner avant de décider si la décision doit être renversée ou non. »

 

12     Dans l’affaire Wool Bureau of Canada v. The Registrar of Trade Marks, supra, le juge Collier a décidé que la marque « SUPERWASH » constituait une description claire d’un tissu, et a fait les commentaires suivants à la page 28 :

 

« Il a été prétendu, au nom de l’appelant, que la cour a le droit d’examiner l’état du registre pour déterminer s’il existe des tendances relativement au caractère enregistrable des marques. L’état du registre n’est pas, je crois, pertinent. Il ne peut affecter la validité ou la non‑validité de la demande de l’appelant. »

 

Dans Aetna Life Insurance Co. of Canada c. S.N.J. Associates Inc. (2001), 13 C.P.R. (4th) 539 (C.O.M.C.), Mme Folz, membre de la Commission, a déclaré au paragraphe 20 : « la preuve de l’état du registre est généralement dépourvue de pertinence pour démontrer qu’un enregistrement ne devrait pas être refusé du fait que des enregistrements ont été antérieurement accordés pour des marques similaires (voir Thomas J. Lipton Ltd. v. Salada Foods Ltd. (no 4 (1979), 45 C.P.R. (2d) 157, à la page 163) ».

 

Si la preuve de l’état du registre est pertinente pour l’examen du caractère descriptif, j’estime que la preuve dont je suis saisie ne sert pas la cause de la Requérante. La preuve fournie par M. Godwin montre bien que de nombreuses personnes jugent souhaitable de décrire leurs marchandises ou leurs services en ajoutant le préfixe « e », et que bon nombre d’entre elles ont réussi à faire enregistrer une telle marque. Toutefois, cet état de choses, en soi, ne répond pas à la question de savoir si, le 7 janvier 2003, le consommateur type aurait perçu la marque EFUNDS, à la première impression, comme donnant une description claire des marchandises et services de la Requérante. La preuve établit peut-être bien que les Canadiens étaient habitués à voir toutes sortes de marques comportant le préfixe « e ». Selon moi, ce seul élément ne permet pas de conclure que EFUNDS ne donne pas une description claire; il peut plutôt mener à conclure que le Canadien moyen sait que le préfixe « e » a une certaine signification, ce qui appuie la conclusion que la marque EFUNDS décrit clairement des services de fonds d’investissement offerts sur Internet ou de façon électronique.

 

Le fardeau de la preuve incombe à la Requérante, et tout doute que je peux entretenir quant à savoir si EFUNDS donnait une description claire en date du 7 janvier 2003 doit être résolu en faveur de l’Opposante. Pour ce motif, compte tenu de la preuve qui précède, je fais droit au motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif. EFUNDS est un terme descriptif qui devrait demeurer accessible à tous les courtiers de l’industrie.

 

Avant de poursuivre, je ferai remarquer que la Requérante n’a soumis aucun élément de preuve pour étayer la conclusion que sa Marque était devenue distinctive en date du 7 janvier 2003 du fait de son emploi ou de sa promotion.

 

2) Preuve de l’emploi et de la promotion de EFUNDS par l’Opposante

Selon Mme Cimoroni, l’Opposante a commencé à employer EFUNDS ADVANTAGE et TD eFUNDS le ou vers le 24 novembre 1999, et les ventes nettes canadiennes de services TD eFUNDS avant 2003 ont dépassé 196 millions de dollars (bien qu’il n’y ait eu que 5 329 comptes TD eFUNDS actifs en date du 22 septembre 2003). Or, la Requérante prétend que l’Opposante n’a pas le droit, dans le cadre de la présente procédure, d’invoquer son propre emploi de EFUNDS pour contester le caractère distinctif de la Marque de la Requérante.

 

La Requérante fait valoir que l’Opposante n’a pas adopté et employé EFUNDS de bonne foi, parce qu’elle l’a fait après que la Requérante eut abordé l’Opposante pour lui proposer d’agir à titre de nue-fiduciaire de la Requérante à l’égard de fonds communs de placement offerts par cette dernière. Les événements, selon les affirmations énoncées aux paragraphes 9 à 18 de l’affidavit de M. Thiessen, se sont déroulés comme suit :

         le 16 juin 1999, la Requérante a pris contact avec l’Opposante en s’adressant à un gestionnaire des services de nu-fiduciaire de l’Opposante;

         les 7 et 14 juillet 1999, la Requérante s’est entretenue au téléphone avec un agent de développement des entreprises au service de l’Opposante; 

         le 16 juillet 1999, la Requérante a rencontré l’agent de développement des entreprises de l’Opposante;

         en août et septembre 1999, les négociations se sont poursuivies et ont donné lieu à une lettre d’engagement signée le 1er octobre 1999 [pièce E de l’affidavit de M. Thiessen];

         en octobre 1999, la Requérante a appris que l’Opposante planifiait de lancer ses propres fonds communs de placement en utilisant EFUNDS;

         le 29 octobre 1999, M. Thiessen a laissé un message vocal à un employé de l’Opposante, dans lequel il déclarait que l’Opposante ne devrait pas employer EFUNDS;

         en novembre 1999, l’Opposante a lancé un groupe de fonds communs de placement qu’elle a appelé EFUNDS;

         de janvier à mars 2000, l’Opposante a continué d’agir pour le compte de la Requérante;

         le 10 mars 2000, la Requérante a été informée au cours d’une conversation téléphonique avec un employé de l’Opposante que celle-ci continuerait d’employer EFUNDS puisqu’il s’agit d’un terme générique.

 

L’Opposante répond en faisant valoir trois points :

1.      l’Opposante est une immense organisation, et il est déraisonnable de conclure que les employés qui ont décidé d’employer EFUNDS avaient connaissance des opérations entre la Requérante et d’autres employés de l’Opposante;

2.      la Requérante n’a jamais eu le droit de monopoliser l’emploi de EFUNDS, parce ce terme a toujours eu valeur descriptive;

3.      la preuve de la Requérante est sujette à caution, parce que M. Thiessen, qui a affirmé se souvenir des événements en raison de notes qu’il avait prises, a été incapable de produire ces notes lorsqu’on le lui a demandé, au cours du contre-interrogatoire. 

 

L’Opposante a aussi traité de la décision Humpty Dumpty Foods Ltd. c. George Weston Ltd. (1989), 24 C.P.R. (3d) 454 (C.F. 1re inst.), qui étaye le principe selon lequel un opposant qui est le nouvel utilisateur peut uniquement invoquer l’emploi ou la promotion qu’il a fait de sa marque avant d’apprendre l’existence de la marque plus ancienne. L’Opposante a distingué cette décision à plusieurs égards. D’abord, la marque qui faisait l’objet de l’opposition dans l’affaire Humpty Dumpty présentait un caractère distinctif inhérent (AMIGOS); elle n’était pas une marque descriptive. Deuxièmement, dans Humpty Dumpty, le second utilisateur avait été expressément avisé par un examinateur du Bureau des marques de commerce que son emploi de la marque AMIGOS était susceptible de causer de la confusion avec la marque AMIGOS du premier utilisateur. Enfin, l’Opposante en l’espèce tente de faire valoir son propre emploi descriptif, alors que le nouvel utilisateur dans Humpty Dumpty souhaitait se fonder sur son propre emploi à titre de propriétaire.

 

Ayant déjà décidé de faire droit au motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif à la lumière d’autres éléments de preuve, il n’est pas nécessaire que je décide si l’Opposante peut également invoquer son propre emploi de la marque au soutien de ce motif d’opposition.

 

Motif d’opposition fondé sur l’article 30

L’Opposante soutient que compte tenu du passage suivant du contre-interrogatoire de M. Thiessen, elle a satisfait à son fardeau de preuve initial relativement à son allégation portant que la Requérante n’avait aucune intention d’employer la Marque :

     [traduction]

164.            Q.        Est-il exact de dire que eFunds Limited, jusqu’à ce jour, n’a jamais procédé à offrir des REER?

       R.        eFunds Limited n’a jamais pu offrir des REER.

 

165.            Q.        Donc, eFunds n’a jamais été en mesure d’offrir des comptes enregistrés d’épargne-retraite autogérés, par exemple?

       R.        eFunds.ca Securities a présenté une demande pour offrir des comptes RÉR autogérés, oui.

 

166.            Q.        Très bien. Dans le cadre de ce contre-interrogatoire, lorsque je mentionnerai eFunds, je parlerai de eFunds ou de ses filiales, d’accord?

R.    D’accord.

 

167.            Q.        Mais eFunds n’a jamais offert un RÉR autogéré à ce jour, est-ce exact?

       R.        La société a fait la demande mais n’en a jamais eu l’occasion.

 

168.            Q.        Très bien. Même chose pour les fonds enregistrés de revenus de retraite? eFunds n’en a jamais proposé aucun?

       R.        C’est exact.

 

169.            Q.        Et des régimes d’épargne-études, elle n’en a jamais offert…

       R.        Elle n’a jamais eu l’intention d’en proposer.

 

170.            Q.        Jamais? Non?

       R.        Non.

 

171 Q.        D’accord. Votre société a-t-elle déjà eu l’intention de proposer des comptes de régimes enregistrés d’épargne-études et des comptes d’investissement?

       R.        Nous l’avons envisagé. Il n’est pas économique d’offrir ces régimes, mais nous avons certainement exploré cette possibilité et pouvons avoir présenté une demande par l’intermédiaire… avec TD, qui était notre fiduciaire et tenait le registre de nos actionnaires, pour que ces comptes se concrétisent.

 

172.            Q.        eFunds Limited a-t-elle jamais eu l’intention de vendre des formulaires et des états de présentation de rapports des clients pour les REER autogérés?

       R.        Vendre des formulaires?

 

173.            Q.        Oui.

       R.        Non. Personne ne vend de formulaires.

 

174.            Q.        D’accord. Et eFunds a-t-elle jamais eu l’intention de vendre des fonds enregistrés de revenus de retraite?

       R.        Oui, nous avons présenté une demande pour l’obtention de notre propre régime autogéré, de notre propre FRR autogéré, avec TD Canada Trust à titre de fiduciaire, et nous avons déposé cette demande conjointement.

 

175.            Q.        Qu’en est-il de la vente de prospectus de fonds communs? Ils n’avaient aucune intention de s’engager dans cette voie, n’est-ce pas?

       R.        On ne vend pas un prospectus de fond commun, on vend un fonds commun dont traite le prospectus. Et eFunds.ca Securities vendait bien des fonds communs de placement.

 

176.            Q.        Votre réponse est la même pour ce qui est des rapports de participants et des états financiers; n’est-ce pas? Vous n’avez jamais eu l’intention de vendre ce type de documents, n’est-ce pas?

          R.        Non, du point de vue de eFunds, nous avions confié la prestation de ce service à TD.

 

177.            Q.        Et avez-vous déjà eu l’intention de vendre des tee-shirts, des vestes, des chapeaux, des chaînettes porte-clés, des balles de golf, des parapluies, des aimants ou des blocs correspondance?

       R.        Non.

 

Au vu de ce qui précède, je suis d’avis que l’Opposante a satisfait au fardeau initial qui lui incombait quant à son allégation selon laquelle la Requérante n’a jamais eu l’intention d’employer sa Marque en liaison avec les marchandises suivantes :

Formulaires de demande et états de présentation de rapports des clients portant sur les comptes d’épargne-retraite autogérés, sur les fonds enregistrés de revenus de retraite, sur les comptes de régimes enregistrés d’épargne-études et sur les comptes d’investissement; prospectus de fonds mutuels, rapports de participants, états financiers; marchandises, nommément tee-shirts, vestes, chapeaux, chaînettes porte-clés, balles de golf, parapluies, aimants, blocs-correspondance.

 

Puisque la Requérante n’a pas satisfait au fardeau de preuve qui lui incombait à l’égard des marchandises énumérées ci‑dessus, il est fait droit au motif d’opposition fondé sur l’article 30 pour ce qui est de ces marchandises. Par contre, la preuve à mon avis ne permet pas de conclure que la Requérante n’a jamais eu l’intention d’employer sa Marque en liaison avec les services visés par la demande. La preuve indique que la Requérante n’a peut-être jamais employé la Marque à l’égard de la plupart –voire de l’ensemble – de ses services, mais cette situation ne semble pas être attribuable à une absence initiale d’intention.


Décision

En application des pouvoirs qui m’ont été délégués par le registraire des marques de commerce en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande conformément au paragraphe 38(8) de la Loi.

 

 

 

FAIT À TORONTO (ONTARIO), LE 20 OCTOBRE 2008.

 

 

 

 

Jill W. Bradbury

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

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