Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de Bétonel Inc. à la demande no 1000556 produite par Permatex GmbH en vue de l’enregistrement de la marque de commerce BETONOL                 

 

 

 

 

I Les actes de procédure

 

Le 23 décembre 1998, Permatex GmbH (la requérante) a demandé, sur le fondement d’un emploi projeté au Canada, l’enregistrement de la marque de commerce BETONOL (la marque), numéro de demande 1000556, en liaison avec des revêtements d’époxyde et de polyuréthane à des fins industrielles et commerciales pour des surfaces à base de ciment (les marchandises). La demande a été annoncée pour fins d’opposition le 1er janvier 2003 dans le Journal des marques de commerce.

 

Bétonel Inc. (l’opposante) a produit, le 28 février 2003, une déclaration d’opposition dans laquelle elle a invoqué les motifs d’opposition suivants :

      [Traduction] 

1)      Pour les motifs exposés ci‑après, la demande n’est pas conforme à l’article 30 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi), étant donné que la requérante a déclaré à tort qu’elle avait droit à l’emploi de la marque au Canada en liaison avec les marchandises;

2)      La demande n’est pas conforme à l’article 30 de la Loi étant donné que la requérante n’avait pas l’intention d’employer la marque en liaison avec les marchandises;

3)      La marque n’est pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi étant donné qu’elle crée de la confusion avec les marques de commerce déposées de l’opposante :

i) BETONEL, certificat d’enregistrement LMC290970 pour « peinture, pour usage sur murs, plafonds, portes et boiseries; solvant, ciment à joint, décapants, vernis, colle et pinceaux »;

ii) BETONEL & dessin, certificat d’enregistrement LMC409559 pour « peintures, solvants, ciments à joints, décapants, vernis, colles et pinceaux »;

iii) BETONEL & dessin, certificat d’enregistrement LMC364757 pour « peinture, solvant, ciment à joint, décapants, vernis, colle et pinceaux »

4)      La requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque au titre du paragraphe 16(1) de la Loi étant donné qu’à la date de la production de la demande, la marque créait de la confusion avec les marques de commerce BETONEL et BETONEL & dessin, susmentionnées, auparavant employées au Canada depuis au moins 1963 par l’opposante, ses prédécesseurs en titre ou ses licenciés en liaison avec les marchandises et services liés aux revêtements et accessoires;

5)      La marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi, car elle n’est pas adaptée à distinguer les marchandises en cause d’autres marchandises et, plus particulièrement, des marchandises et services de l’opposante compte tenu des faits décrits ci‑dessus et de l’adoption et de l’emploi des marques de commerce bien connues de l’opposante, BETONEL et BETONEL & dessin.

 

La requérante a déposé, le 14 avril 2003, une contre‑déclaration réfutant chacun des motifs d’opposition.

 

À titre d’éléments de preuve, l’opposante a produit des certificats d’authenticité pour chacune des marques de commerce déposées mentionnées dans la déclaration d’opposition ainsi que l’affidavit d’Antonin Maltais; pour sa part, la requérante a produit l’affidavit de Tawfic Nessim Abu‑Zahra.

 

Les deux parties ont déposé des observations écrites et une audience a été tenue.

 

II La preuve de l’opposante

 

M. Maltais est le vice‑président de l’opposante. L’opposante a été fondée en 1959; elle fabrique des revêtements dans la province de Québec où elle exploite également le plus important réseau de magasins spécialisés dans la vente de peinture. Son réseau comprend environ 80 points de vente au détail, de franchisés et de distributeurs agréés dans la province de Québec. Des passages tirés du site Web de l’opposante ont été produits pour décrire son entreprise.

 

M. Maltais a fourni un échantillon d’une étiquette pour un revêtement d’époxyde pour des surfaces à base de ciment. Je souligne que la demande de la requérante ne vise pas ce type de revêtement. Nous ne disposons d’aucune information quant à la date à laquelle ce produit a commencé à être vendu au Canada. Le 1er octobre 2001, les ventes de l’opposante s’élevaient à plus de 27 millions de dollars. Toutefois, l’auteur de l’affidavit n’a pas précisé si ces ventes étaient réalisées exclusivement en liaison avec les marques de commerce BETONEL ou BETONEL & dessin ou avec les autres marques de commerce que l’entreprise pouvait utiliser.

 

En 2003, l’opposante a dépensé plus d’un million de dollars pour faire la promotion de sa marque de commerce BETONEL dans des dépliants publicitaires, des affiches, des annonces dans les journaux ou des messages publicitaires à la télé. Des échantillons des dépliants publicitaires sur lesquels figure la marque de commerce BETONEL ont été produits, mais nous n’avons aucun détail pour ce qui est du lieu et de la manière dont ils ont été employés. Des cahiers publicitaires utilisés en 2001, 2002 et 2003 ont également été produits, mais nous ignorons quelle a été l’étendue de leur diffusion. Deux échantillons d’annonces publiées en mars et en avril 2003 dans Le Point d’Impact Inc. ont été fournis. Nous n’avons aucun détail sur le lieu et le nombre d’exemplaires de cette publication qui ont été distribués.

 

Enfin, M. Maltais a fourni une copie du « scénario » d’un message publicitaire diffusé à la télévision en 2003 pour faire la publicité des marchandises de l’opposante en liaison avec la marque de commerce BETONEL. Encore une fois, nous n’avons aucun détail quant à l’étendue de la diffusion de ce message publicitaire. M. Maltais soutient que la requérante, qui est une concurrente directe de l’opposante, ne pouvait pas ne pas être au courant de l’emploi antérieur de la marque de commerce BETONEL par l’opposante.

 

Je dois écarter le dernier paragraphe de l’affidavit de M. Maltais où celui‑ci déclare qu’à son avis, l’emploi simultané de la marque avec la marque de commerce BETONEL de l’opposante créera de la confusion pour les consommateurs quant à l’origine des produits vendus en liaison avec ces marques de commerce. Il s’agit d’un avis juridique sur la question du risque de confusion. Rien dans la preuve versée au dossier n’indique que l’auteur de l’affidavit a la compétence nécessaire pour donner un tel avis.

 

III La preuve de la requérante

 

M. Abu-Zahra était stagiaire en droit travaillant au cabinet d’avocats représentant la requérante. La pièce A qui a été versée en preuve comporte des extraits tirés du site Web www.betonol.dupont.com et une brochure intitulée « BETONOL THE PRODUCTS ». Nous ignorons quand cette brochure a été publiée, à qui elle a été distribuée, comment et où. Comme ce n’est pas un représentant dûment autorisé de la requérante qui a produit cette brochure, son contenu constitue une preuve par ouï‑dire non admissible.

 

La pièce B est une copie du certificat d’enregistrement LMC547293 pour la marque de commerce BETONITE appartenant à Sika AG pour les revêtements de murs extérieurs. La pièce C comporte des extraits du site Web www.sikaconstruction.ca où il est question de la marque de commerce BETONITE; ce site comporte un localisateur qui sert à trouver les distributeurs de Sika et qui a permis à M. Abu‑Zahra de trouver Merkley Supply Ltd. à Ottawa (Ontario). M. Abu‑Zahra a communiqué avec ce fournisseur le 14 juin 2004 et il avait tous les motifs de croire que celui‑ci est en mesure de fournir le revêtement pour murs extérieurs portant la marque de commerce BETONITE.

 

La pièce D est une copie certifiée de l’enregistrement LMC374271 pour la marque de commerce BETONAMIT & dessin qui vise des agents d’éclatement par expansion. La pièce E comporte des extraits du site Web www.trowelex.shawbiz.ca mentionnant la marque de commerce BETONAMIT & dessin. Le 14 juin 2004, M. Abu‑Zahra a téléphoné au numéro inscrit sur le site Web, et il a été informé et a tous les motifs de croire que Trowelex Rental & Sales vend des agents d’éclatement BETONAMIT et qu’il est possible d’obtenir directement le produit de cette entreprise pour l’acheter et l’expédier au Canada.

 

La pièce F est une copie certifiée de l’enregistrement LMC296941 pour la marque de commerce BETONPACT visant un « Mélange sec de béton destiné à être utilisé dans la construction de routes ». La pièce G comporte des extraits du site Web www.djl.ca qui fait mention de la marque de commerce BETONPACT. La pièce H est une copie d’un courriel reçu de DJL Technologies le 18 mai 2004, auquel était joint une brochure concernant un produit portant la marque de commerce BETONPACT. Le 11 juin 2004, M. Abu‑Zahra a téléphoné à DJL Construction au numéro de téléphone indiqué dans le courriel susmentionné et il a été informé et avait tous les motifs de croire que cette entreprise pouvait fournir ce produit sur demande au Canada.

 

La pièce I est une copie certifiée de l’enregistrement LMC240710 pour la marque de commerce PLASTIBETON qui vise du béton polymère préfabriqué pour produits structuraux et non‑structuraux. La pièce J est un extrait du site Web www.synertech.com mentionnant la marque de commerce PLASTIBETON et indiquant l’existence d’un contact à Candiac (Québec). Le 16 juin 2004, après avoir utilisé le numéro de téléphone indiqué dans le site Web de la pièce J, M. Abu‑Zahra a été informé et avait tous les motifs de croire que Synertech vend un système de comptoir sous la marque de commerce PLASTIBETON à des entrepreneurs généraux partout au Québec et en Ontario.

 

La pièce K est une copie certifiée de l’enregistrement LMC515603 pour la marque de commerce ISOBETON visant du « béton prêt à l’emploi ». Le 15 juin 2004, M. Abu‑Zahra a téléphoné à l’inscrivante et a été informé et avait tous les motifs de croire que Lafarge Canada pouvait préparer un « mur ou un plancher ISOBETON » sur demande au Canada.

 

Enfin, la pièce L est un extrait du dictionnaire Collins français‑anglais, deuxième édition, dans lequel la traduction du mot « béton » est, en anglais, « concrete ».

 

IV Analyse des questions juridiques

 

i)                    Admissibilité des extraits tirés de sites Web

 

D’entrée de jeu, j’ai interrogé la requérante sur l’admissibilité des documents constitués des extraits des sites Web susmentionnés. La requérante a soutenu qu’en 2006, ce type de preuve est courant dans les procédures d’opposition et, de toute façon, constituerait une exception à la règle du ouï-dire. Je ne suis pas d’accord avec la requérante pour les motifs suivants. Bien qu’il soit courant de procéder de cette manière, cela ne signifie pas nécessairement qu’il s’agit de la bonne façon de produire des éléments de preuve. Aucune raison n’a été fournie pour expliquer pourquoi la requérante n’a pas été en mesure d’obtenir un affidavit d’un représentant dûment autorisé de l’une des entreprises mentionnées dans les sites Web. Par conséquent, la règle de l’exception fondée sur la nécessité ne peut pas s’appliquer dans notre cas.

 

Dans Envirodrive Inc. v. 836442 Alberta Inc., 2005 ABQB 446, le juge Slatter de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a fait les commentaires suivants au sujet de la recevabilité de la preuve obtenue à la suite d’une recherche sur Internet :

[Traduction] Le fait que ces renseignements proviennent de l’Internet n’influe pas directement sur leur recevabilité. Il n’y a aucune magie particulière dans l’obtention de renseignements sur Internet. Si une autre règle de preuve en permet la présentation, le fait qu’ils ont été obtenus sur Internet ne porte pas à conséquence. Par exemple, les tribunaux prennent connaissance d’office d’encyclopédies et de dictionnaires, sources qu’on trouve fréquemment en format électronique maintenant. La source de ces renseignements n’en altère pas la recevabilité. Par ailleurs, le simple fait qu’une chose soit à la disposition du public et facilement accessible par Internet ne la rend pas recevable. Ces éléments de preuve doivent toujours satisfaire aux règles usuelles de preuve, y compris les règles applicables au ouï‑dire et au témoignage d’opinion. Naturellement, si les renseignements ne sont présentés en preuve que pour démontrer qu’ils étaient connus du public ou pour une autre fin que la preuve de leur contenu (par exemple, dans une affaire de diffamation), ils seront alors recevables : ITV Technologies Inc. c. WIC Television Ltd., [2003] C.F. 1056, 239 F.T.R. 203, par. 23.

 

Ce qu’il faut se demander c’est si les renseignements auraient été recevables s’ils avaient été obtenus d’une autre source. Par exemple, si les actionnaires minoritaires avaient présenté en preuve le rapport annuel de ce concurrent, le document aurait‑il été recevable? La réponse est clairement négative. Le rapport annuel lui‑même aurait constitué du ouï‑dire, et il n’aurait pu être admis en preuve que si un témoin représentant l’entreprise avait attesté la véracité de son contenu. Il en va de même pour les états financiers. En outre, on peut voir dans le recours à la rémunération versée par la concurrence comme point de référence pour le salaire qu’il convient d’accorder au PDG d’Envirodrive Inc. la tentative de présenter une preuve de faits similaires, genre de preuve qu’il convient de soumettre à l’épreuve du contre‑interrogatoire pour que la valeur probante en soit établie ou, subsidiairement, comme une tentative de présenter indirectement un témoignage d’opinion. Les éléments de preuve obtenus par Internet ont donc été écartés.

 

Les extraits des sites Web établissent que ces pages Web existaient au moment où elles ont été imprimées, mais ils ne peuvent pas constituer une preuve de leur contenu, car l’auteur de l’affidavit n’est pas en mesure d’attester la véracité de leur contenu. Au mieux pour l’opposante, ils peuvent prouver que le public pouvait avoir accès à certains renseignements sur Internet. Cependant, nous n’avons aucun détail quant au nombre de Canadiens qui ont consulté ces sites Web.

 

ii)                  Charge de la preuve

 

Il incombe à la requérante de démontrer que sa demande est conforme à l’article 30 de la Loi, mais il appartient d’abord à l’opposante d’établir les faits qu’elle invoque à l’appui de ses motifs d’opposition. Ce fardeau initial rempli, la requérante doit alors démontrer, suivant la prépondérance des probabilités, que les motifs d’opposition en question ne sauraient faire obstacle à l’enregistrement de la marque visée par la demande. [Voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al v. Seagram Real Estate Ltd., 3 C.P.R. (3d) 325, p. 329‑330; John Labatt Ltd. v. Molson Companies Ltd., 30 C.P.R. (3d) 293, et Christian Dior, S.A. et Dion Neckwear Ltd., [2002] 3 C.F. 405]

 

La date pertinente varie d’un motif d’opposition à un autre. En ce qui concerne la conformité aux exigences de la Loi, il s’agit de la date de la production de la demande. [Voir Georgia-Pacific Corp. v. Scott Paper Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 469 (C.O.M.C.)]. Lorsque la demande est fondée sur un emploi projeté, la question du droit à l’enregistrement de la marque sera également déterminée en fonction de la date de la production de la demande. [Voir le par. 16(3) de la Loi]. Pour décider si la marque est enregistrable, la date à retenir est celle de la décision du registraire. [Voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd., (1991), 37 C.P.R. (3d) 413, p. 424 (C.A.F.]. Enfin, on admet généralement que, lorsqu’il s’agit de se prononcer sur le caractère distinctif de la marque, la date à retenir est celle du dépôt de la déclaration d’opposition. [Voir Andres Wines Ltd. and E & J Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126, p. 130 (C.A.F.), Park Avenue Furniture Corporation, précitée, et Metro-Goldwyn-Meyer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F. 1re inst.)]

 

L’opposante n’a produit aucune preuve à l’appui de ses premier et deuxième motifs d’opposition. En ce qui concerne le premier motif d’opposition, je pourrais ajouter que le fait que la requérante, qui est une concurrente directe de l’opposante, ne pouvait pas ne pas connaître les marques de commerce de l’opposante ne signifie pas nécessairement qu’elle a fait une fausse déclaration au sujet de son droit d’employer la marque au Canada en liaison avec les marchandises. En effet, une partie pourrait connaître l’existence des marques de commerce de sa concurrente et néanmoins croire qu’elle a le droit d’enregistrer une marque. Par conséquent, ces motifs d’opposition sont rejetés étant donné que l’opposante ne s’est pas acquittée de sa charge initiale.

 

L’opposante s’est toutefois acquittée de sa charge initiale en ce qui concerne le troisième motif d’opposition puisqu’elle a fourni les extraits pertinents au registraire.

 

iii)                L’enregistrabilité de la marque

 

Pour déterminer s’il existe un risque raisonnable de confusion entre les marques de commerce en cause au sens du paragraphe 6(2) de la Loi, il convient d’examiner toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles qui sont expressément énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi. Les éléments à apprécier sont les suivants : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période pendant laquelle les marques ont été en usage; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce; et le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. C’est toutefois une vérité de La Palice d’affirmer que cette liste n’est pas exhaustive et qu’il n’est pas nécessaire d’accorder le même poids à chacun des éléments. [Voir, par exemple, Clorox Co. c. Sears Canada Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 483 (C.F. 1re inst.), et Gainers Inc. c. Marchildon (1996), 66 C.P.R.(3d) 308 (C.F. 1re inst.)]

 

Dans l’arrêt récent Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, le juge Binnie de la Cour suprême du Canada a dit :

 

Pour l’application du critère de « toutes les circonstances de l’espèce », le par. 6(5) de la Loi énumère cinq facteurs à prendre en compte pour décider si une marque de commerce crée ou non de la confusion. Ce sont : « a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent ». La liste des circonstances n’est pas exhaustive et un poids différent sera attribué à différents facteurs selon le contexte. Voir Gainers Inc. c. Marchildon, [1996] A.C.F. no 297 (QL) (1re inst.). Comme je l’ai déjà dit, dans le cadre d’une procédure d’opposition, c’est au requérant (en l’occurrence l’intimée) qu’incombe le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucune confusion n’est susceptible de survenir.

[…]

Quel point de vue faut‑il alors adopter pour apprécier la probabilité d’une « conclusion erronée »? Ce n’est pas celui de l’acheteur prudent et diligent. Ni, par ailleurs, celui du « crétin pressé », si cher à certains avocats qui plaident en matière de commercialisation trompeuse : Morning Star Co-Operative Society Ltd. c. Express Newspapers Ltd., [1979] F.S.R. 113 (Ch. D.), p. 117. C’est plutôt celui du consommateur mythique se situant quelque part entre ces deux extrêmes, surnommé « l’acheteur ordinaire pressé » par le juge en chef Meredith dans une décision ontarienne de 1927 : Klotz c. Corson (1927), 33 O.W.N. 12 (C.S.), p. 13. Voir aussi Barsalou c. Darling (1882), 9 R.C.S. 677, p. 693. Dans Aliments Delisle Ltd. c. Anna Beth Holdings Ltd. (1992), 45 C.P.R. (3d) 535 (C.O.M.C.), le registraire a dit, à la p. 538 :

Pour évaluer la question de la confusion, il faut examiner les marques de commerce du point de vue du consommateur moyen pressé, ayant une réminiscence imparfaite de la marque de l’opposante, qui pourrait tomber sur la marque de commerce de la requérante utilisée sur le marché en liaison avec ses marchandises.

 

C’est en tenant compte de ces principes que je dois apprécier l’enregistrabilité de la marque en analysant chacun des éléments énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi. J’estime que le scénario idéal pour l’opposante est une comparaison de la marque nominale BETONEL avec la marque en cause.

 

  Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus.

 

La marque est un mot inventé qui fait allusion au « béton » ou « concrete » en anglais. Par conséquent, ce mot laisse entendre que le revêtement vendu en liaison avec la marque sera appliqué sur des surfaces en béton ou que le revêtement lui‑même est dur comme du béton. La marque de commerce BETONEL de l’opposante pourrait également suggérer les mêmes idées.

 

L’emploi largement répandu d’une marque de commerce peut renforcer son caractère distinctif inhérent. Dans le cas de la marque en cause, il n’y a aucune preuve de l’emploi au sens de l’article 4 de la Loi. L’opposante soutient qu’il y a une preuve de l’emploi de sa marque de commerce BETONEL pendant plus de 40 ans. M. Maltais a effectivement affirmé dans son affidavit que l’opposante employait cette marque depuis le 31 janvier 1963. Cependant, comme cette affirmation constitue une conclusion de droit, elle doit être étayée par la preuve produite. L’auteur de l’affidavit a produit une étiquette portant la marque de commerce BETONEL, mais nous n’avons aucune indication quant à la date du premier emploi de cette étiquette, de la mesure dans laquelle elle a été employée et du nombre d’unités de ce produit qui ont été vendues au Canada. M. Maltais affirme que les ventes annuelles de l’opposante dépassent 27 millions de dollars, mais il ne précise pas les marques de commerce en liaison avec lesquelles ces ventes ont été effectuées. Par conséquent, je conclus que cet élément ne joue en faveur d’aucune des parties.

 

  La période pendant laquelle les marques ont été en usage

 

Lorsqu’il détermine si une marque peut être enregistrée, le registraire peut se reporter aux renseignements contenus dans le certificat d’enregistrement de la marque de commerce de l’opposante pour déterminer s’il y a eu emploi de la marque de commerce. [Voir Cartier Men’s Shops Ltd. v. Cartier Inc. (1981), 58 C.P.R. (2d) 58] Le certificat d’enregistrement LMC290970 de la marque de commerce BETONEL indique que la marque est employée depuis le 31 décembre 1963. Par conséquent, je peux conclure qu’il y a eu un certain emploi de la marque de commerce BETONEL. Comme il n’y a aucune preuve de l’emploi de la marque en cause, cet élément joue en faveur de l’opposante.

 

  Le genre de marchandises, services ou entreprises

 

Pour ce qui est du genre de marchandises offertes par les parties, c’est l’état déclaratif des marchandises dans la demande d’enregistrement de la marque de commerce ou dans l’enregistrement de la marque de commerce qui détermine l’appréciation d’un tel élément dans le contexte de l’analyse du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d). [Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 3 (C.A.F.); Miss Universe, Inc. c. Dale Bohna (1984), 58 C.P.R. (3d) 381 (C.A.F.)]

 

À l’audience, l’opposante voulait s’appuyer sur les déclarations faites par la requérante dans le cadre de l’examen de la demande. Les documents pertinents n’ont pas été versés en preuve dans la procédure d’opposition, de sorte que je ne m’y reporterai pas. La partie adverse doit savoir d’avance quels éléments seront invoqués contre elle et se préparer en conséquence. Si l’opposante avait l’intention de s’appuyer sur des documents produits dans le cadre de l’examen de la demande, elle devait produire ces éléments de preuve par voie d’affidavit comme le prévoit l’article 41 du Règlement sur les marques de commerce (1996) ou produire une copie certifiée du dossier de la demande. [Voir la demande no 857320 pour la marque de commerce RESIDENT’S CHOICE, décision du registraire en date du 15 décembre 2004, infirmée par la Cour fédérale sur la base de la preuve additionnelle produite. Loblaws Inc. c. Telecombo Inc., 2006 CF 634] Je n’examinerai pas ces documents aux fins de ma décision.

 

Il y a une preuve d’emploi de la marque de commerce BETONEL de l’opposante en liaison avec un revêtement d’époxyde applicable à des surfaces en béton (pièce AM‑4). Cependant, ce type de produit n’est pas visé par le certificat d’enregistrement LMC290970 ni par les certificats d’enregistrement LMC409559 et LMC364757.

 

Les enregistrements susmentionnés de l’opposante visent de la peinture, des vernis et de la colle. La requérante a beaucoup insisté sur le fait que les marchandises en cause sont différentes puisqu’il s’agit d’un type particulier de revêtement servant à des fins industrielles et commerciales. Elle s’est reportée à la brochure produite par M. Abu‑Zahra (pièce A), mais pour les motifs susmentionnés, je ne considère pas que son contenu est admissible en preuve. La requérante a limité la portée de la protection de l’enregistrement demandé à l’emploi à des fins industrielles et commerciales de revêtements d’époxyde et de polyuréthane pour des surfaces à base de ciment, mais cela n’a aucune incidence véritable sur l’analyse du genre de marchandises. Cela pourrait constituer un élément à prendre en considération dans l’analyse des circuits commerciaux. Il demeure que les produits respectifs des parties consistent en un revêtement à appliquer sur une surface, soit des murs, des planchers ou les deux. Il n’y a aucun élément de preuve admissible pour étayer l’allégation de la requérante selon laquelle les marchandises en cause ont un objet fonctionnel tandis que les marchandises indiquées dans les certificats d’enregistrement de l’opposante ont une fin décorative. Si je pouvais me reporter à la brochure de la requérante versée comme pièce A, je pourrais constater qu’elle contient des allégations au sujet des fonctions esthétiques des marchandises. Comme je ne dispose d’aucun élément de preuve admissible me permettant de faire une distinction claire entre le genre des marchandises respectives des parties, je conclus que ces marchandises sont de nature similaire, c’est‑à‑dire qu’il s’agit d’articles de quincaillerie servant à recouvrir des surfaces.

 

 

 

  Les circuits commerciaux

 

Dans Everex Systems Inc. c. Everdata Computer Inc., (1992) 44 C.P.R. (3d) 175, à la p. 182, le juge Teitelbaum a dit :

Eu égard à la nature du commerce, il n’est pas nécessaire de prouver que les marchandises en question ont déjà été ou sont vendues aux mêmes endroits. Il convient plutôt de se demander si les marchandises pourraient un jour être vendues aux mêmes endroits. Comme l’a dit le juge Dubé dans l’arrêt Cartier Inc. c. Cartier Optical Ltd./Lunettes Cartier Ltée (1988), 20 C.P.R. (3d) 68 (C.F. 1re inst.), à la p. 74 :

Toutefois, si les marchandises sont de la même catégorie générale, il n’est pas nécessaire de prouver qu’elles sont vendues aux mêmes endroits pour établir le risque de confusion; il suffit d’établir qu’elles le pourraient et que les parties ont le droit de le faire [voir la décision Éminence, S.A c. Registraire des marques de commerce (1977), 39 C.P.R. (2d) 40].

 

La requérante a insisté sur le fait que l’opposante vend ses marchandises aux consommateurs dans ses magasins de vente au détail exclusivement tandis qu’elle vend pour sa part ses marchandises à des ingénieurs, des architectes ou d’autres professionnels. On ne m’a soumis aucun élément de preuve au sujet des circuits commerciaux de la requérante; cependant, la description des marchandises précise qu’elles sont destinées à des fins industrielles et commerciales. L’opposante vend peut‑être ses marchandises dans ses magasins de vente au détail, mais il n’y a aucune restriction qui l’empêcherait de vendre ses produits en liaison avec la marque de commerce BETONEL à des fins industrielles ou commerciales ou ailleurs que dans ses magasins de vente au détail.

 

  Le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

Dans Beverley Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Upholstery Ltd (1980), 47 C.P.R. (2d) 145, conf. par 60 C.P.R. (2d) 70, le juge Cattanach a fait le commentaire suivant au sujet de cet élément :

 

À toutes fins pratiques, le facteur le plus important dans la plupart des cas, et celui qui est décisif, est le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent, les autres facteurs jouant un rôle secondaire.

 

La marque en cause ressemble, du moins de par son apparence, à la marque de commerce BETONEL de l’opposante. De plus, comme nous l’avons vu plus haut, l’élément commun BETON semble indiquer que les produits vendus en liaison avec les marques de commerce respectives des parties sont employés sur des surfaces en béton ou que le revêtement lui‑même est dur comme du béton. Par conséquent, il y a une certaine similarité dans les idées que suggèrent ces marques de commerce. La seule différence est la lettre O qui remplace la lettre E dans la dernière syllabe de la marque de commerce de l’opposante. Une telle différence ne suffit pas pour permettre au consommateur moyen pressé de distinguer l’origine des marchandises en cause de celles des marchandises de l’opposante.

 

  Autres circonstances

 

La requérante a soutenu que la preuve versée au dossier indique que le mot « BETON » est couramment employé sur le marché, de sorte que le consommateur connaît ce mot et est donc capable de faire une distinction entre les marques de commerce comportant ce mot. Sans conclure à l’existence d’une preuve appropriée de l’emploi par des tierces parties de marques de commerce qui comportent le mot BETON, je dois dire qu’il y a au dossier certains éléments de preuve concernant l’existence de cinq (5) marques de commerce (BETONITE, BETONAMIT, BETONPACT, PLASTIBETON et ISOBETON). La jurisprudence traitant de l’état du registre et du marché n’a pas fixé le nombre minimum de marques de commerce nécessaires pour qu’il soit possible de tirer la conclusion que souhaite la requérante. Il est toutefois évident que l’existence de cinq enregistrements de marques de commerce et leur emploi ne permettent pas de conclure que le mot « BETON » est un mot courant dans le commerce. [Voir Scott Paper Co. v. Wyant & Co. (1995), 61 C.P.R. (3d) 546, Welch Foods Inc. v. Del Monte Corp. (1992), 44 C.P.R. (3d) 205, et T. Eaton Co. v. Viking GmbH& Co. (1998), 86 C.P.R. (3d) 382].

 

Si j’utilise le critère du consommateur moyen pressé, ayant une réminiscence imparfaite de la marque de commerce BETONEL de l’opposante, qui pourrait tomber sur la marque de commerce de la requérante utilisée sur le marché en liaison avec ses marchandises, je conclus qu’il y a un risque de confusion entre la marque en cause et la marque de commerce BETONEL de l’opposante. Je m’appuie à cette fin sur le fait qu’il y a une ressemblance dans le genre des marchandises respectives des parties et que la marque ressemble dans le son ou dans les idées qu’elle suggère à la marque de commerce BETONEL. Je maintiens donc le troisième motif d’opposition.

 

iv)                Le droit à l’enregistrement et le caractère distinctif

 

Comme il n’y a aucune preuve de l’emploi antérieur des marques de commerce de l’opposante au sens de l’article 4 de la Loi, l’opposante n’a pas démontré, comme il lui appartenait initialement de le faire, le bien‑fondé de ses quatrième et cinquième motifs d’opposition. Ils sont par conséquent écartés.

 

V Conclusion

 

La requérante n’a pas, comme il lui incombait, prouvé selon la prépondérance des probabilités que la marque ne risque pas de causer de la confusion avec la marque de commerce BETONEL de l’opposante. Par conséquent, en vertu des pouvoirs qui me sont délégués par le registraire des marques de commerce aux termes du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette la demande d’enregistrement de la requérante en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

FAIT À BOUCHERVILLE (QUÉBEC), LE 22 SEPTEMBRE 2006.

 

 

Jean Carrière

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

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