Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de Waterford Wedgwood PLC à la demande nº 1013012 produite par Forma-Kutzscher GmbH en vue de l’enregistrement de la marque LISA MORI____________________

 

 

I           Actes de procédure

 

 

Le 23 avril 1999, Forma-Kutzscher GmbH (la « requérante ») a déposé une demande, fondée sur l’emploi projeté, en vue d’enregistrer la marque LISA MORI, numéro de demande 1013012, en liaison avec de la verrerie, nommément verrerie en cristal et en cristal au plomb (les « marchandises »). La requérante a revendiqué une date de priorité remontant au 26 février 1999 sur la foi d’une demande déposée en Allemagne en vue de faire enregistrer la marque en liaison avec les marchandises. La présente demande a été publiée dans le Journal des marques de commerce du 4 avril 2001 aux fins de la procédure d’opposition.

 

Waterford Wedgwood PLC (l’« opposante ») a produit une déclaration d’opposition le 4 septembre 2001 soulevant les motifs d’opposition suivants :

      [traduction]

1)      Suivant les alinéas 38(2)a) et 30i) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, (la « Loi »), la requérante ne pouvait s’estimer fondée à utiliser la marque au Canada en liaison avec les marchandises depuis la date à laquelle elle a produit sa demande, la requérante connaissait ou aurait dû connaître la marque LISMORE de l’opposante;

2)      Suivant les alinéas 38(2)c) et 16(2)a) de la Loi, la requérante ne pouvait pas être la personne admise à enregistrer la marque :

i)                    à la date de production de la demande, la marque créait de la confusion avec la marque LISMORE précédemment utilisée au Canada et reconnue au Canada en liaison avec la verrerie en cristal, nommément des coupes; verres à champagne, à claret, à porto, à sherry, à vin blanc et à liqueur; verres à vin du Rhin à pied haut; verres à whisky; verres à jus sur pied; verres sans pied, bols à pamplemousse; assiettes à glace et à salade; rince-doigts, touries et décanteurs, tous fait de verre (les « marchandises de l’opposante »);

3)      Suivant les alinéas 38(2)c) et 16(3)a) de la Loi, la requérante n’est pas la personne admise à enregistrer la marque : 

i)                    à la date de production de la demande, la marque créait de la confusion avec la marque LISMORE précédemment utilisée au Canada et reconnue en liaison avec les marchandises de l’opposante;

 

4)      Suivant les alinéas 38(2)b) et 12(1)a) de la Loi, la marque n’est pas enregistrable étant donné qu’elle est constituée d’un mot n’étant principalement que le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;

5)      Suivant les alinéas 38(2)b) et 12(1)d) de la Loi, la marque n’est pas enregistrable étant donné qu’elle crée de la confusion avec la marque déposée LISMORE de l’opposante, certificat d’enregistrement LMC166374;

6)      Suivant l’alinéa 38(2)d) et l’article 2 de la Loi, la marque n’est pas distinctive des marchandises et n’est pas non plus adaptée à les distinguer et n’est pas en mesure de distinguer les marchandises de la requérante de celles de l’opposante

 

 

Le 17 octobre 2001, la requérante a produit une contre-déclaration réfutant essentiellement chaque motif d’opposition et ajoutant que l’enregistrement de la marque de l’opposante n’a pas été invoqué par la Section de l’examen du Bureau des marques de commerce et, par conséquent, n’a pas été considéré comme pertinent.

 

La preuve de l’opposante consiste des affidavits de Peter D. Moore et de Joanne B. Drogemuller, alors que la requérante a déposé l’affidavit de Jennifer Petras. L’opposante a ensuite déposé l’affidavit d’Antonio Turco. Les deux parties ont déposé des observations écrites. 

 

Le 10 mai 2005, la requérante a demandé l’autorisation de produire une preuve additionnelle en vertu de l’article 44 du Règlement sur les marques de commerce (1996), qui consistait en un affidavit de Jocelyne Genest, afin de mettre en preuve une copie de la décision en date du 24 février 2005 rendue par l’Irish Patent Office en ce qui concerne une opposition produite par l’opposante contre la demande de la requérante en vue d’enregistrer la marque en Irlande.

 

Une audience a été tenue pendant laquelle les deux parties ont présenté leurs observations.

 

II Preuve de l’opposante

 

M. Moore est le président et le directeur général de Waterford Wedgwood Canada Inc (« Waterford Canada »), le distributeur exclusif au Canada des produits de Waterford Crystal Limited de Kilbarry, Waterford (Irlande) (« Waterford Crystal ») qui, pour sa part, est une filiale en propriété exclusive de l’opposante.

 

L’opposante vend ses produits au Canada depuis 1953. Waterford Canada est le distributeur canadien des produits portant les marques de commerce de l’opposante depuis 1987. La Baie, Birks, Caplan-Duval et William Ashley, pour n’en nommer que quelques-uns, comptent parmi les clients de Waterford Canada.

 

Le souscripteur d’affidavit prétend que l’opposante est le propriétaire des marques de commerce LISMORE et WATERFORD. Le certificat d’enregistrement canadien numéro LMC166374 établit le droit de propriété de l’opposante dans la marque LISMORE, mais il n’y a aucune preuve similaire en ce qui concerne la marque WATERFORD.

 

Le souscripteur d’affidavit a déposé des échantillons de factures prouvant la vente, au Canada, de verrerie portant la marque LISMORE. Il a également déposé des échantillons des objets suivants déposés comme pièces :

-boîtes portant la marque LISMORE dans lesquelles la verrerie est emballée;

-catalogues distribués au Canada depuis au moins 1988 illustrant la verrerie offerte en vente en liaison avec la marque LISMORE;

-panneaux-affiches et cartons de table portant la marque LISMORE employée au Canada depuis au moins 1990;

-annonces publicitaires publiées dans des magazines canadiens.

 

Depuis 1998, Waterford Canada a vendu près de 60 000 produits de verrerie portant la marque LISMORE totalisant des ventes nettes en gros de plus de 3,6 millions de dollars. M. Moore a communiqué les frais publicitaires et promotionnels approximatifs pour la période allant de 1998 à 2001, mais puisqu’il n’existe aucune ventilation par marque de commerce, j’accorderai peu d’importance à cet élément de preuve.

 

Joanne B. Drogemuller est une agente de marques de commerce qui travaille pour le cabinet d’agents de l’opposante. On lui a demandé de faire des recherches afin de déterminer l’importance du nom Lisa Mori au Canada et ailleurs. Elle a effectué quatre (4) recherches à l’aide des moteurs de recherche suivants : Canada 411, Infospace, Google, Lycos et Dogpile.

 

Au moyen du site Canada 411, elle a trouvé 263 inscriptions au Canada sous le nom Mori, y compris dix (10) L. Mori. Au moyen d’Infospace, elle en a trouvé 200 sous le nom Mori, y compris dix (10) sous le nom L. Mori.

 

Mme Drogemuller a pu trouver sur le Web des références à des particuliers portant le nom Lisa Mori dont une professeure à la California State University. Il y a une autre professeure du même nom à Queens University, mais nous ne savons pas s’il s’agit de la même personne que celle inscrite sur le site Web de la California State University. Une autre référence à une personne portant le nom Lisa Mori se trouvait sur le site Web www.missoulian.com. Mme Drogemuller a terminé son affidavit en déclarant, en tant que Canadienne ordinaire, que même avant d’avoir effectué ses recherches, la combinaison des mots Lisa et Mori représenterait pour elle le nom d’un particulier.

 

III Preuve de la requérante

 

Jennifer Petras a été une technicienne juridique à l’emploi du cabinet d’agents de la requérante. Elle a déposé un extrait du manuel d’examen des marques de commerce traitant des objections préliminaires fondées sur l’alinéa 12(1)a). Selon cet extrait, l’examinateur contestera l’enregistrabilité de la marque visée par la demande seulement si la combinaison exacte se retrouve dans des annuaires, livres de noms ou sources de références semblables. Je ne me considère pas lié par la décision d’un examinateur de ne pas soulever l’al. 12(1)a) de la Loi, puisque l’examinateur n’avait pas à sa disposition la preuve produite par l’opposante sur cette question. De plus, le critère appliqué par le registraire suivant l’article 37 de la Loi diffère de celui utilisé dans les procédures d’opposition. 

 

Mme Petras a déposé les résultats d’une recherche menée sur l’Internet avec le mot clé « Lismore ». À partir des résultats de cette recherche, il semblerait que LISMORE est une ville d’Irlande. Elle a également produit une copie de la décision trouvée sur Internet, sans identifier la référence du site Web, qui semble se rapporter à des procédures d’opposition au Royaume-Uni concernant les mêmes parties et la même marque de commerce. Des extraits pertinents du site Web de la requérante sont joints à son affidavit. Finalement, Mme Petras a déposé des extraits du dictionnaire Webster afin d’établir la prononciation du mot « more ».

 

 

IV Contre-preuve

 

M. Turco est un avocat du cabinet d’agents de l’opposante. Il a effectué une recherche sur Internet à l’aide des moteurs de recherche Google et Canada 411 afin de déterminer le nombre de résidents canadiens qui portent le nom Lisa Mori. Il a trouvé le site Web du Armstrong Spallumcheen Museum and Art Gallery, à Armstrong (Colombie-Britannique) qui identifiait Lisa Mori comme la curatrice-administratrice du musée. Il lui a téléphoné et lui a laissé un message. Elle a retourné l’appel et a parlé avec lui. Il lui a demandé si elle était intéressée à participer aux présentes procédures d’opposition. Elle lui a ensuite répondu par courriel pour l’informer qu’elle n’était pas prête à prendre part aux procédures. Une copie du courriel se trouve au dossier. À partir de ces informations, M. Turco croit fermement qu’une personne portant le nom Lisa Mori vit au Canada. 

 

 

V Analyse des questions d’ordre juridique

 

J’examinerai d’abord la question de la preuve additionnelle produite par la requérante. Lors de l’audience, l’opposante a  retiré l’objection qu’elle avait faite au moment où la requérante a demandé l’autorisation de déposer une telle preuve. Comme il apparaîtra dans ma décision, une telle preuve n’est pas un facteur déterminant dans l’issue de la présente opposition. J’autorise le dépôt de la preuve, réservant mes commentaires sur sa pertinence en temps opportun.

 

Il incombe à la requérante de prouver que sa demande est conforme aux dispositions de l’article 30 de la Loi, mais l’opposante doit s’acquitter du fardeau initial d’établir les faits invoqués à l’appui de chaque motif d’opposition. Si l’opposante s’acquitte de cette charge initiale, la requérante doit encore prouver que les motifs d’opposition ne devraient pas faire obstacle à l’enregistrement de la marque [voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al c. Seagram Real Estate Ltd., 3 C.P.R. (3d) 325, aux pages 329-330; et John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd., 30 C.P.R. (3d) 293].

 

Pour ce qui est du premier motif d’opposition, la connaissance des marques de commerce de l’opposante n’aurait pas nécessairement empêcher la requérante d’être convaincue d’avoir le droit d’employer la marque. Il est possible que la requérante ne pensait pas que les marques en question créaient de la confusion. Il n’y a aucune allégation de mauvaise foi de la part de la requérante dans la déclaration d’opposition [voir Sapodilla Co. Ltd. c. Bristol Myer Co. (1974), 15 C.P.R. (2d) 152]. Par conséquent, je rejette, tel qu’il est formulé, ce motif d’opposition.

 

Le cinquième motif d’opposition (enregistrabilité suivant l’alinéa 12(1)d)) doit être déterminé à la date de ma décision [voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413, p. 424 (C.A.F.)]. Il a été établi que la probabilité de confusion entre la marque et la marque déposée de l’opposante doit être évaluée compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce, y compris les critère indiqués au paragraphe 6(5) de la Loi : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce et le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent. Les critères ne sont pas exhaustifs et il n’est pas nécessaire de leur accorder une importance égale [voir Clorox Co. c. Sears Canada Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 483 (C.F. 1re inst.) et Gainers Inc. c. Marchildon (1996), 66 C.P.R.(3d) 308 (C.F. 1re inst.)].

 

Lors de l’audience, la requérante a reconnu que les trois premiers critères jouaient en faveur de l’opposante. Par conséquent, j’analyserai seulement les deux derniers pour les besoins de ma décision. En ce qui concerne la nature du commerce, la requérante, dans ses observations, prétend que la preuve révèle que les marchandises de l’opposante peuvent être considérées comme des articles de luxe alors que les marchandises de la requérante sont relativement bon marché. La preuve produite par la requérante n’appuie pas cette conclusion. En l’absence d’éléments de preuve sur le réseau de distribution de la requérante, je dois présumer, compte tenu du fait que les marchandises des parties sont identiques, que leurs réseaux de distribution sont identiques ou, à tout le moins, similaires. Ce facteur joue aussi en faveur de l’opposante. 

 

Le degré de ressemblance entre les marques de commerce est très important surtout quand les marchandises sont identiques ou qu’il existe un certain chevauchement entre elles [voir Beverly Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding &Upholstering Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145 à la p. 149 (C.F. 1re inst.)]. Le critère est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire qui n’a qu’un vague souvenir de la marque de commerce de l’opposante [voir Miss Universe c. Bohna (1995), 58 C.P.R. (3d) 381 à la p. 387].

 

Il n’existe aucun degré de ressemblance dans les idées suggérées. La marque de la requérante suggère qu’il s’agit du nom d’une personne alors que, comme le prétend la requérante, le mot LISMORE pourrait être perçu par le consommateur moyen comme un mot inventé, malgré la preuve déposée par la requérante soutenant que Lismore aurait une certaine importance géographique. Je ne crois pas que le consommateur canadien moyen associerait Lismore à une ville d’Irlande. Il y a un certain degré de ressemblance visuellement même si la marque est composée de deux mots plutôt qu’un seul pour la marque de l’opposante. Les marques en question ne m’apparaissent pas phonétiquement similaires. Les marques des parties respectives doivent être considérées dans leur ensemble et je ne dois pas disséquer les marques en leurs différentes composantes pour souligner les similitudes et/ou les différences. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que dans l’ensemble, ce facteur joue légèrement en faveur de l’opposante en raison de la similitude visuelle entre les marques.

 

En tant que circonstance additionnelle, la requérante se fonde sur deux décisions étrangères concernant les mêmes parties et marques de commerce. Dans les deux cas, la requérante a réussi à obtenir l’enregistrement de sa marque. Dans la décision non publiée rendue dans l’affaire Spirits International N.V. c. SC Prodal 94 SRL, demande nº 1,033,359 en date du 9 novembre 2005, ma collègue, Jill W. Bradbury, a traité d’une question semblable en ces termes : 

Les décisions étrangères ne lient pas la Commission, mais il ne s'ensuit pas qu'elles ne puissent pas avoir un caractère persuasif [voir Neutrogena Corp. c. Guaber SRL (1993), 49 C.P.R. (3d) 282 (C.O.M.C.); Origins Natural Resources c. Warnaco U.S. (2000), 9 C.P.R. (4th) 540 (C.O.M.C.) à la p. 548] En l'espèce, on n'a présenté aucune preuve quant au degré de ressemblance entre le droit anglais des marques de commerce et le droit canadien des marques de commerce. L'opposante me demande de prendre connaissance d'office des ressemblances. Bien que je convienne que tout avocat canadien connaît la relation entre le droit anglais et le droit canadien, l'on ne saurait dire que ceux-ci sont identiques. Par exemple, il ressort clairement de la décision invoquée qu'au Royaume-Uni le risque de confusion [TRADUCTION] « doit s'apprécier de manière globale ». En outre, la preuve présentée au Registraire des marques de commerce du Royaume-Uni n'est pas identique à celle présentée dans le cadre de la présente instance. 

 

 

Il n’existe aucune preuve du droit des marques de commerce applicable en Irlande et au Royaume-Uni. Le droit étranger est considéré comme étant des faits devant être prouvés. En l’absence d’une telle preuve, il est difficile d’accorder de l’importance à ces décisions. Quoi qu’il en soit, une lecture de la décision irlandaise révèle que l’agent d’audience en est venu à la conclusion qu’il n’y aurait pas de confusion chez le consommateur irlandais moyen parce que la marque LISA MORI suggère le nom d’une personne alors que LISMORE est le nom d’une ville d’Irlande. Je ne détiens aucune preuve que le consommateur canadien associerait LISMORE à un endroit en Irlande. Cette distinction importante suffit à distinguer la présente affaire de la décision irlandaise. En ce qui concerne la décision du Royaume-Uni, un examen indique que de nombreux facteurs, dont nous ne détenons aucune preuve dans le dossier, ont été pris en considération. Par conséquent, je ne crois pas que ces décisions étrangères puissent être perçues comme circonstance additionnelle étayant la position de la requérante.

 

Je conclus donc, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a un risque de confusion entre la marque et la marque de l’opposante LISMORE. J’en arrive à cette conclusion étant donné que les quatre premiers critères favorisent clairement l’opposante et qu’il y a quelques similitudes visuelles entre les marques des parties. Par conséquent, je maintiens le cinquième motif d’opposition.

 

J’examinerai maintenant le quatrième motif d’opposition (al. 12(1)a) de la Loi) par rapport à la preuve décrite précédemment. Tout d’abord, je dois déterminer la date pertinente à laquelle ce motif d’opposition doit être examiné. Dans le passé, les cours et la Commission ont adopté la date de la décision comme date pertinente pour tout motif d’opposition suivant l’art. 12 de la Loi. En fait, en 1991, la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. et al (1991), 37 C.P.R. (3d) 413, a énoncé le principe général selon lequel la date de la décision doit être utilisée comme date pertinente lorsqu’elle n’est pas identifiée dans la Loi. Il importe de noter que dans Park Avenue, la Cour n’a pas eu à traiter des divers motifs d’opposition en application de l’art. 12 de la Loi. Récemment, la Section de première instance de la Cour fédérale, dans Fiesta Barbeques Limited c. General Housewares Corporation (2003), 28 C.P.R. (4th) 60, a conclu que la date pertinente visée à l’al. 12(1)b) devait être la date de dépôt de la demande. Depuis, le registraire a suivi cette façon de procéder [voir Zorti Investments Inc. c. Party City Corporation (2004), 36 C.P.R. (4th) 90; Havana Club Holdings S.A. c. Bacardi & Company Limited (2004), 35 C.P.R. (4th) 541, et Eloyalty Corporation c. Loyalty Management Group Canada Inc, demande d’enregistrement nº 860,274, décision rendue le 28 mai 2004]. Pour justifier davantage l’emploi de la date de dépôt de la demande comme date pertinente lorsque l’al. 12(1)b) est soulevé à titre de motif d’opposition, la Commission a souligné la parenté de cet alinéa et du par. 12(2). Il est prévu dans ce paragraphe qu’une marque qui n’est pas enregistrable en vertu de l’al. 12(1)b) pouvait le devenir si la requérante démontre au registraire, qu’à la date du dépôt de sa demande, la marque de commerce visée par la demande est devenue distinctive en raison de son emploi au Canada.

 

Le paragraphe 12(2) de la Loi s’applique également aux marques de commerce qui ne sont pas enregistrables selon l’al. 12(1)a). Il n’est donc que logique d’adopter, comme date pertinente, la date de dépôt de la demande quand l’al.12(1)a) est soulevé à titre de motif d’opposition [voir Calvin Klein Trademark Trust c. Wertex Hosiery Inc. (2005), 41 C.P.R. (4th) 552].

 

Les décisions clés sur la question de la non-enregistrabilité d’une marque composée principalement que du nom ou du nom de famille d’un particulier vivant ou décédé dans les trente dernières années sont Gerhard Horn Investments Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1983), 73 C.P.R. (2d) 23 et Standard Oil Company c. Registraire des marques de commerce, (1968) 2 Ex. C. R. 523. La requérante a affirmé, et je ne crois pas que l’opposante ait contesté la question, que le critère prévu à l’al. 12(1)a) est divisé en deux étapes :

1)      il est donc essentiel de déterminer en premier lieu si la marque est le nom ou le nom de famille d’un particulier vivant ou d’un particulier décédé récemment;

2)      si la réponse à la première question est affirmative, le registraire doit alors déterminer si la marque n’est « principalement que » un nom ou nom de famille, ou autre chose. 

[ Voir Gerhard Horn précitée aux par. 40 et 41]

 

À l’audience, la requérante a soutenu que le contenu des affidavits de M. Turco et de Mme Drogemuller constitue une preuve par ouï-dire inadmissible. Mme Drogemuller a effectué sa recherche après la date pertinente. Il est donc raisonnable de supposer qu’elle aurait obtenu un résultat similaire si la recherche avait été effectuée en janvier 1999 compte tenu du nombre d’inscriptions obtenu. Je ne suis toujours pas prêt à conclure, au vu de sa preuve seulement, qu’il existe des personne vivant au Canada nommées Lisa Mori. La fiabilité de ses recherches sur Internet n’a pas été établie. Elle n’a pas mené une enquête complémentaire, comme l’a fait M. Turco. J’accorde donc peu d’importance aux résultats de ses recherches selon lesquelles il existe au moins une personne nommée Lisa Mori. Néanmoins, j’accepte que sa recherche démontre que des personnes vivant au Canada portent le nom de famille Mori.

 

Le contenu de l’affidavit de M. Turco ne constitue pas une preuve par ouï-dire. Il explique comment il a trouvé une personne nommée Lisa Mori. Il a parlé avec cette personne et a reçu une lettre de sa part. Il n’a pas été contre-interrogé et, en conséquence, ses allégations ne doivent pas être mises en doute. Le contenu de l’affidavit de M. Turco établit clairement qu’il y a au moins une personne vivant au Canada portant le nom Lisa Mori. Bien que la preuve soit postérieure à la date pertinente, elle est suffisante pour satisfaire au premier élément du critère énoncé précédemment.

 

La requérante soutient qu’il n’y a aucune preuve que le consommateur canadien moyen considérerait la marque comme étant le nom d’un particulier plutôt qu’une marque de commerce. Puisque l’opposante ne s’est pas acquittée du fardeau allégué, le motif d’opposition suivant l’al. 12(1)a) doit être rejeté. Évidemment, il n’existe aucun sondage au dossier qui démontre la façon dont le consommateur canadien moyen perçoit la marque. Cependant, l’absence d’un tel sondage est-elle fatale pour l’opposante? Je ne crois pas. Dans l’affaire Standard Oil précitée, et citée dans l’affaire Gerhard Horn précitée, le juge Jackett a formulé, à la page 532, la deuxième partie du critère en deux temps de la façon suivante :

 

c'est plutôt la réaction de la population du Canada devant ce nom qui devrait servir de critère à l'intimé (le registraire des marques de commerce en l'espèce) ou, le cas échéant, au tribunal. 

 

Le registraire doit donc déterminer si, selon lui, le grand public canadien penserait d’abord que la marque représente le nom d’une personne vivante. En rendant sa décision, la preuve fournie par l’opposante peut être utile au registraire. Toutefois, à mon avis, l’absence de preuve concernant la première impression du consommateur canadien envers la marque n’entraîne pas à un rejet automatique du motif d’opposition. La combinaison du fait que Lisa est un prénom bien connu et qu’il existe un bon nombre d’inscriptions au Canada sous le nom Mori me porte à conclure que le consommateur canadien moyen associerait d’abord le nom Lisa Mori à une personne plutôt qu’à une marque de commerce employée pour distinguer les marchandises ou les services  d’un particulier de ceux des autres. Par conséquent, selon la prépondérance des probabilités, la marque n’est « principalement que » un nom ou nom de famille et, par conséquent, l’opposante s’est acquittée de la charge initiale de la preuve. La requérante n’a soumis aucun élément de preuve pour réfuter pareille conclusion. Je maintiens donc le quatrième motif d’opposition de l’opposante.

 

Comme une conclusion a déjà été tirée en faveur de l’opposante sur deux motifs d’opposition distincts, il n’est pas nécessaire d’évaluer les autres motifs d’opposition.

 

VI Conclusion

 

Par conséquent, en vertu des pouvoirs qui m’ont été délégués par le registraire des marques de commerce en application du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette la demande de la requérante en vue d’enregistrer la marque en liaison avec les marchandises en vertu du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

 

FAIT À BOUCHERVILLE (QUÉBEC), LE 9 JANVIER 2006.

 

 

 

Jean Carrière,

Membre de la Commission des oppositions des marques de commerce

 

 

 

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