Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2015 COMC 233

Date de la décision: 2015-12-23

DANS L'AFFAIRE DE L’OPPOSITION

 

 

Fédération Étudiante Collégiale du Québec

Opposante

et

 

Raymond Drapeau

Requérant

 

 

 

 



1,581,484 pour CARRÉ ROUGE AVEC ÉPINGLE DORÉE & Dessin

 

Demande

 

 

Introduction

[1]               Raymond Drapeau (le Requérant) a produit le 11 juin 2012 une demande pour l’enregistrement de la marque de commerce CARRÉ ROUGE AVEC ÉPINGLE DORÉE & Dessin (la Marque) portant le numéro no 1,581,484 telle que ci-après illustrée :

CARRÉ ROUGE AVEC ÉPINGLE DORÉE & DESSIN

La couleur est revendiquée comme caractéristique de la marque de commerce. Le carré est rouge; l'épingle de sécurité est dorée.

[2]               La demande est fondée sur un emploi projeté de la Marque au Canada en liaison avec : T-shirts; affiches; chandails; tasses; serviettes, nommément porte-documents; bandeaux pour les poignets; cartes postales; parapluies; casquettes (les Produits).

[3]               La demande d’enregistrement fut annoncée le 20 novembre 2013 dans le Journal des marques de commerce pour fins d’opposition.

[4]               La Fédération Étudiante Collégiale du Québec (l’Opposante) a produit le 17 janvier 2014 une déclaration d’opposition. Elle a produit le 3 mars 2014 une déclaration d’opposition révisée qui soulève les motifs d’opposition fondés sur les articles 30(e) et (i), 12(1)(d), 16(3)(a) et 2 (caractère distinctif) de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), ch T-13 (la Loi).

[5]               La Requérante a produit une contre-déclaration détaillée à l’encontre de cette opposition niant tous et chacun des motifs d’opposition.

[6]               L’Opposante a produit, à titre de preuve, l’affidavit d’Emilie Joly (Joly). La Requérante a produit les affidavits de Julie Lecours (Lecours), Raymond Drapeau (Drapeau) et Ismael Coulibaly (Coulibaly). Mme Lecours et M. Drapeau ont été contre-interrogés et les transcriptions sont au dossier.

[7]               Les parties ont produit des plaidoyers écrits et il n’y a pas eu d’audience.

[8]               Pour les raisons plus amplement décrites ci-après, j’estime que la demande d’enregistrement doit être repoussée.

Fardeau de preuve

[9]               Dans le cadre de la procédure en matière d’opposition à l’enregistrement d’une marque de commerce, c’est à la requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer que la demande d'enregistrement ne contrevient pas aux dispositions de la Loi. Cela signifie que, si une conclusion déterminante ne peut être tirée une fois que toute la preuve ait été présentée, la question doit être tranchée en sa défaveur. Toutefois, l’opposante doit, pour sa part, s'acquitter du fardeau initial de prouver les faits sur lesquels elle appuie ses allégations. Le fait qu'un fardeau de preuve initial soit imposé à l'opposante signifie qu'un motif d'opposition sera pris en considération que s’il existe une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l'existence des faits allégués à l'appui de ce motif d'opposition [voir John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CFPI); Dion Neckwear Ltd c Christian Dior, SA et al 2002 CAF 29, 20 CPR (4th) 155; et Wrangler Apparel Corp c The Timberland Company 2005 CF 722, 41 CPR (4th) 223].

Remarques préliminaires

[10]           J’ai pris connaissance de toute la preuve versée au dossier. Toutefois, je me référerai uniquement à ce que je considère pertinent pour les fins de ma décision.

[11]           Tout au long de son contre-interrogatoire le Requérant a insisté sur le caractère ‘original’ de la Marque en se référant à la Loi sur les droits d’auteur. Il va de soi que je n’ai pas à commenter, dans le cadre de cette opposition, les droits qui auraient été octroyés au Requérant en vertu des dispositions de la Loi sur les droits d’auteur. À tout événement, il n’y a pas de preuve documentaire au dossier à cet effet.

[12]           Quant à l’historique de l’emploi de divers symboles en guise d’identification de mouvements de contestation dans le cadre de luttes sociales, il est fort instructif mais très peu pertinent pour résoudre les questions de droit à trancher dans ce dossier.

[13]           Dans le cadre de cette décision les termes ‘étudiant(s)’ et ‘manifestant(s)’ englobent le féminin.

[14]           L’Opposante fait référence à une marque de commerce au sens de la Loi qui fut le symbole de la contestation étudiante, tel qu’il le sera plus amplement décrit ci-après. J’emploierai indistinctement l’expression ‘carré rouge avec épingle dorée et dessin’ pour désigner à la fois cette marque de commerce et ce symbole.

[15]           Finalement, les faits qui ont mené à cette opposition sont assez simples et ne semblent pas être contredits par l’une ou l’autre des parties. Je vais donc les résumer assez succinctement. C’est sur la base de ces faits que j’aurai à déterminer le bien-fondé de chacun des motifs d’opposition soulevés par l’Opposante.

La preuve au dossier

[16]           La preuve au dossier peut se résumer de la façon suivante :

         l’Opposante compte plus de 65,000 membres et regroupe plus de 20 associations d’étudiants dans les cegeps à travers le Québec [paragr. 2 et 3 de Joly];

         lors de son 59ième congrès tenu le 23 janvier 2011 à Jonquière, Québec, les membres de l’Opposante ont adopté le carré rouge avec épingle dorée comme symbole de la grève que les membres de l’Opposante allaient amorcer en guise de protestation aux intentions du gouvernement du Québec d’augmenter les frais de scolarité au Québec [paragr. 4 et 8 de Joly];

         le carré rouge avec épingle dorée a aussi été adopté pour la même cause par d’autres associations étudiantes et d’autres groupes [paragr. 6 de Joly];

         les membres de ces fédérations, associations ou regroupements se sont engagés, ou leur dirigeants ont encouragé leurs membres, à poser le carré rouge avec une épingle dorée sur leurs vêtements d’une façon évidente [paragr. 6 et 7 de Joly];

         le symbole du carré rouge avec épingle avait déjà été adopté en 2005 par des étudiants comme symbole du mouvement contestataire étudiant de l’époque [contre-interrogatoire de Lecours, page 12];

         bien qu’il y ait eu des manifestations en janvier et février 2012 au Québec, le plus gros rassemblement eut lieu le 22 mars 2012 à Montréal et a été fortement médiatisé dans les journaux et à la télévision. Ces événements ont été désignés comme étant ‘Le printemps érable’. D’autres démonstrations ont eu lieu avant le 11 juin 2012 à travers le Québec [paragr. 12 et 13 de Joly, page 7 du contre-interrogatoire de Lecours et paragr. 2 et 4 de Drapeau];

         les manifestants arboraient un carré rouge qui était apposé d’une façon visible sur leurs vêtements au moyen d’attaches de format et de composition diverses, dont des épingles [paragr. 7 et 8 de Lecours, paragr. 10 de Joly et paragr. 4 de Drapeau];

         c’est ainsi que Mme Lecours et d’autres personnes, en préparation à ces manifestations, ont découpé des carrés dans du tissu rouge ou du feutre et les ont distribués, de même que des épingles à nourrice, aux manifestants dans les universités et dans la rue [paragr. 4, 5 et 6 de Lecours];

         les gens, en guise de soutien à la cause étudiante, ont déployé le carré rouge sur des balcons et dans les fenêtres de logements d’habitation et sur le pont Jacques-Cartier [paragr. 5 et 6 de Lecours et pièces A-1 et A-2 à Lecours];

         des symboles tels que le marteau et la faucille, le ‘Peace and Love’, le poing gauche fermé et le A cerclé sont des composantes de marques déposées au Canada [paragr. 4, 6, 8, 10 et les pièces A-1, A-3, A-5 et A-7 de Coulibaly];

         le carré rouge avec ou sans autres composantes a fait l’objet d’enregistrements de marque de commerce au Canada [paragr. 13 et pièce A-9 de Coulibaly].

Position des parties

[17]           Le Requérant prétend essentiellement que :

         la Marque a toutes les caractéristiques d’une marque de commerce au sens de la Loi et qu’elle peut servir à identifier la source des Produits;

         l’Opposante ne détient pas de marque de commerce déposée et donc le motif sous l’article 12(1)(d) est mal fondé;

         la demande d’enregistrement contient la déclaration du Requérant prévue à l’article 30(i) de la Loi;

         le Requérant a l’intention d’employer la Marque en liaison avec les Produits;

         l’Opposante n’a pas démontré l’emploi antérieur d’une marque de commerce au sens de la Loi;

         le carré rouge de l’Opposante, en plus de ne pas être une marque de commerce au sens de la Loi, n’indique aucune source déterminée au soutien d’une activité commerciale;

         la marque de l’Opposante n’indique pas l’origine de produits, mais a plutôt comme fonction d’identifier ses ‘couleurs politiques’ en appuyant un mouvement de contestation.

[18]           Pour sa part l’Opposante prétend dans son plaidoyer écrit que:

         la Marque n’est pas une marque de commerce et ne peut pas servir à distinguer les Produits des produits de tiers et par conséquent ne peut pas être enregistrée;

         le Requérant n’a pas le droit d’obtenir l’enregistrement de la Marque à l’égard des Produits puisqu’à la date de production de la demande, elle avait été employée ou révélée au Canada par des tiers, incluant l’Opposante et ses membres, en liaison avec des produits semblables aux Produits;

         la Marque n’a pas été adoptée pour distinguer, pas plus qu’elle ne peut pas distinguer, les Produits des produits de tiers, incluant ceux de l’Opposante et de ses membres sur lesquels la Marque avait été apposée;

         la Marque fait partie du domaine public ayant été employée depuis des siècles par des tiers à titre de symbole de révolutions, manifestations et protestations contre le pouvoir en place et l’autorité. Ainsi, aucun n’a le droit de s’approprier l’exclusivité de ce symbole, souvent attaché d’une manière ou d’une autre sur des vêtements et qui devrait être considéré comme une marque notoire ayant ainsi droit à une protection large;

         la demande d’enregistrement n’est pas conforme aux dispositions de l’article 30 de la Loi, en ce que l’affirmation du Requérant à l’effet qu’il a le droit d’employer la Marque au Canada en liaison avec les Produits est clairement une fausse représentation puisque le Requérant lors de son contre-interrogatoire a admis qu’il savait que le dessin, faisant l’objet de la présente demande d’enregistrement, avait été employé sur des vêtements et était connu au Canada. Ainsi, lorsqu’il était apposé sur des vêtements, le dessin signifiait que celui ou celle qui le portait protestait contre l’autorité en place et ne pouvait donc pas servir et ne servait pas à indiquer la source des vêtements sur lesquels le symbole était apposé;

         la Marque n’est pas enregistrable en vertu des dispositions de l’article 16(3) de la Loi, puisque si la Marque peut être une marque de commerce au sens de la Loi, ce qu’elle ne peut pas, un dessin identique a été employé par des tiers, ou était connu en liaison avec le même type de produits que ceux mentionnés dans la présente demande d’enregistrement;

         la personne qui portera les Produits arborant la Marque sera perçue comme un contestataire ou un sympathisant à la cause des étudiants. Ainsi, la Marque ne sera pas vue comme un indicateur de la source des Produits;

         la perception du public de l’emploi de la Marque en liaison avec des vêtements sera que l’Opposante ou que des groupes de protestataires vendent maintenant ou ont accordé une licence pour la vente de vêtements et ne sera pas perçu comme une marque de commerce indiquant la source du vêtement;

         le Requérant tente de s’approprier, de mauvaise foi, pour lui-même à des fins commerciales un symbole employé au Canada, associé au mouvement des manifestations étudiantes contre ce que les manifestants percevaient être des injustices sociales et législatives, ledit symbole faisant partie du domaine public au 11 juin 2012.

[19]           Encore faut-il que ces arguments supportent les motifs d’opposition tels que plaidés dans la déclaration d’opposition révisée de l’Opposante.

Motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)(d) de la loi

[20]           Pour les fins de la présente discussion, je reproduis en partie le paragraphe 3 de la déclaration d’opposition révisée de l’Opposante :

3. L’Opposant fonde son opposition sur les dispositions de l’article 38(2)(b) de la Loi; la marque qui fait l’objet de la demande d’enregistrement du requérant n’est pas enregistrable en (sic) égard aux dispositions de l’alinéa 16(3) de la Loi. (…)

[21]           Or, l’alinéa 38(2)(b) fait référence à l’enregistrabilité d’une marque de commerce, et par ricochet aux dispositions prévues aux articles 12 à 15 de la Loi alors que l’alinéa 16(3) concerne le droit à l’enregistrement de la Marque, motif d’opposition prévu à l’alinéa 38(2)(c) de la Loi. Nulle part dans la déclaration d’opposition ou dans la preuve de l’Opposante il est question de faits se rattachant aux articles 12 à 15 de la loi, dont l’existence d’une marque de commerce déposée pour un carré rouge avec épingle dorée et dessin, propriété de l’Opposante ou de tierces parties.

[22]           Puisque l’Opposante n’a pas allégué et prouvé des faits se rapportant aux articles 12 à 15 de la Loi, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 38(2)(b) de la Loi est rejeté.

Motif d’opposition fondé sur l’article 16(3) de la Loi

[23]           L’Opposante plaide que le Requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque puisqu’à la date de production de la demande, la Marque créait de la confusion avec une marque identique antérieurement employée ou révélée au Canada par l’Opposante.

[24]           La date pertinente pour ce motif d’opposition est la date de production de la demande d’enregistrement (11 juin 2012) [voir l’article 16(3) de la Loi].

[25]           Or, il appert de la preuve que le carré rouge fixé sur les vêtements des manifestants à l’aide d’épingles de nourrice lors des manifestations étudiantes, qui ont eu lieu au Québec à compter de la fin du mois de janvier 2012, servait de symbole à un mouvement de contestation étudiante au Québec.

[26]           Tel que le fait valoir à juste titre le Requérant, ce symbole n’était donc pas employé à titre de marque de commerce au sens de la Loi pour identifier la source des vêtements sur lesquels il était apposé. Il n’y a aucune preuve de transfert de propriété de vêtements ou autres produits en liaison avec la marque carré rouge avec épingle dorée et dessin.

[27]           Ce motif d’opposition est donc également rejeté.

Motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif de la Marque

[28]           Il est généralement reconnu que ce motif d’opposition doit s’analyser à la date de production de la déclaration d’opposition (17 janvier 2014) [voir Andres Wines Ltd and E & J Gallo Winery (1975), 25 CPR (2d) 126 à la page 130 (CAF) et Metro-Goldwyn-Mayer Inc c Stargate Connections Inc, 2004 CF 1185, 34 CPR (4th) 317].

[29]           Je reproduis les paragraphes 6 et 7 de la déclaration d’opposition révisée qui sont le fondement de ce motif d’opposition :

6. L’opposant fonde son opposition sur les dispositions de l’alinéa 38(2)d) de la Loi; la marque objet de la demande d’enregistrement du requérant n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi, car elle ne peut distinguer véritablement les marchandises en liaison avec lesquelles son emploi est projeté par le requérant, et n’est pas apte a (sic) les distinguer des marchandises ou services antérieurement employés ou révélées (sic) au Canada par le soussigné, et par conséquent n’est pas une marque de commerce.

7. À la date de publication de la demande du requérant, l’opposant ou d’autres personnes ont antérieurement employées (sic) ou révélées (sic) au Canada le même CARRÉ ROUGE AVEC ÉPINGLE DORÉE dessin en rapport avec les mêmes catégories de marchandise (sic) que les marchandises spécifiés (sic) dans la demande et ils n’avaient pas abandonné l’emploient (sic) de ladite (sic) CARRÉ ROUGE AVEC EPINGLE DORÉE dessin.

[30]           Ainsi, de par ces allégations et la preuve au dossier ci-haut résumée [voir Novopharm v AstraZeneca AB, 2002 CAF 387, 21 CPR (4th) 289], l’Opposante plaide que la Marque n’est pas une marque de commerce car, avant la date pertinente, le carré rouge avec épingle dorée et dessin était fixé sur les vêtements des étudiants participant aux manifestations du printemps érable, largement médiatisées, et donc ce symbole serait du domaine public. Par conséquent, la Marque ne pouvait servir à identifier la source des Produits.

[31]           Je suis d’accord avec le Requérant qui prétend que l’Opposante a employé le carré rouge avec épingle dorée à titre de symbole associé à un mouvement de contestation et non pour identifier l’origine des produits sur lesquels ce symbole était apposé (dont des vêtements) par ses membres ou autres sympathisant(e)s à sa cause. Le Requérant poursuit son raisonnement en affirmant qu’en conséquence, il serait le seul à employer la Marque à titre de marque de commerce en liaison avec les Produits. La Marque servirait donc à identifier le Requérant comme source des Produits.

[32]           L’Opposante prétend que la Marque n’est pas une marque de commerce au sens de la Loi car elle constitue le symbole du mouvement de contestation des étudiants, employé et révélé au Canada en janvier 2012. La Marque serait donc du domaine public. Elle ne pouvait pas indiquer la source des Produits. Au contraire pareil Produit, sur lesquels la Marque serait apposée, seraient perçus, tout au plus, comme des produits dont la vente aurait été autorisée par l’Opposante ou toute autre association étudiante, ou fabriqués sous une licence octroyée par ces dernières.

[33]           L’article 2 de la loi définit le terme ‘distinctive’ :

Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les produits ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des produits ou services d’autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi (mon soulignement).

[34]           Concernant l’enregistrement à titre de marque de commerce d’un symbole qui serait du domaine public, j’ai retracé l’arrêt Rose c Fraternité Interprovinciale des ouvriers en électricité 1984 CarswellNat 859, 1 CPR (3d) 34 (CFPI) qui soulève cette question. Cependant, au paragraphe 27, M. le Juge Walsh estime qu’il n’a pas à trancher la question puisqu’elle n’avait pas été plaidée dans les procédures écrites et, que de toute façon, la preuve de la notoriété du symbole en cause n’avait pas été faite.

[35]           La notion de ‘caractère distinctif’ d’une marque de commerce va au-delà de la probabilité de confusion entre deux marques de commerce. Le caractère distinctif d’une marque de commerce est une qualité fondamentale et essentielle de cette dernière [voir Matilda Publications Inc c Clarco Communications Ltd (1994), 54 CPR (3d) 418 (CFPI)].

[36]           Dans le présent dossier j’ai la preuve, et le Requérant a admis lors de son contre-interrogatoire, que le carré rouge avec épingle dorée était le symbole employé par les étudiants et leurs sympathisants pour s’identifier au mouvement de protestation contre les hausses des frais de scolarité décrétées par le gouvernement du Québec. Ces manifestations ont été fortement médiatisées dans les journaux et à la télévision [paragr. 12 et 13 de l’affidavit d’Émilie Joly]. Le Requérant a suivi de près les événements rattachés au printemps érable [voir paragr. 2 de l’affidavit de M. Drapeau].

[37]           Le Requérant prétend détenir un certificat de droit d’auteur sur la Marque. Il n’y a pas de preuve au dossier à ce sujet. À tout événement, ce n’est pas parce qu’une entité détient un droit d’auteur sur une œuvre qu’elle a automatiquement le droit d’obtenir un enregistrement, à titre de marque de commerce, sur cette œuvre.

[38]           Le Requérant plaide que la Marque est une œuvre artistique ayant une forme bien précise, alors que le symbole employé par l’Opposante et ses membres n’était pas uniforme et que le moyen pour épingler le carré rouge aux vêtements des manifestants variait. Or, je ne crois pas que les variantes des moyens employés pour fixer le carré rouge aux vêtements des manifestants auraient pu avoir  un impact, à la date pertinente, sur la première impression du consommateur voyant la Marque, compte tenu de l’ampleur du mouvement de contestation et de la médiatisation des manifestations étudiantes au printemps 2012. Ce consommateur, en date du 17 janvier 2014, aurait associé la Marque au mouvement de contestation du printemps 2012, organisé par l’Opposante et d’autres associations étudiantes.

[39]           J’estime que cette association dans l’esprit du consommateur fait en sorte que la Marque ne peut pas servir de marque de commerce, c’est-à-dire identifier le Requérant comme étant la source des Produits vendus en liaison avec la Marque.

[40]            Je note l’absence de preuve d’usage de la Marque à la date pertinente. Je suis conscient que la demande d’enregistrement est fondée sur un emploi projeté et que dans les circonstances, le Requérant n’avait pas à soumettre une telle preuve. Cependant, une preuve substantielle d’emploi de la Marque par le Requérant aurait pu possiblement soutenir un argument que la Marque était devenue distinctive à la date pertinente.

[41]           Le Requérant fait valoir dans son plaidoyer écrit que la preuve au dossier [contenu de l’affidavit de M. Coulibaly ci-haut résumé] démontre qu’il existe au registre des marques de commerce des symboles politiques, de protestation ou de luttes sociales (tels que la faucille et le marteau, le symbole de la paix, le poing levé et le symbole anarchiste).

[42]           Cet argument est plaidé par le Requérant dans le contexte du motif d’opposition fondé sur le non-respect de l’alinéa 30(i) de la Loi et non sous le présent motif d’opposition. Je crois qu’il est toutefois judicieux de l’aborder dans le contexte du caractère distinctif de la Marque.

[43]           Tout d’abord, chaque cas est un cas d’espèce. De plus, un symbole peut être une marque de commerce s’il peut servir à identifier la source des produits et services lui étant associés. Or, dans le présent dossier, j’ai expliqué précédemment pourquoi la Marque n’était pas distinctive. Finalement, je note que la majorité des marques déposées citées par le Requérant sont constituées non pas seulement d’un symbole mais aussi d’autres éléments devant être pris en considération dans l’appréciation de leur caractère distinctif.

[44]           La preuve au dossier m’amène à conclure que la Marque n’était pas distinctive des Produits du Requérant au sens de la Loi à la date pertinente car elle ne pouvait pas être associée au Requérant comme source des Produits. La Marque était plutôt associée à cette date au mouvement de contestation des associations étudiantes, tel que ci-haut décrit.

[45]           J’accueille donc ce motif d’opposition.

Motif d’opposition fondé sur l’article 30(i) de la Loi

[46]           Le paragraphe 2 de la déclaration d’opposition révisée se lit comme suit :

2. L’opposant fonde son opposition sur les dispositions de l’article 38(2)a) de la Loi; la demande du requérant n’est pas conforme aux exigences des paragraphes 30e) et i) de la Loi, notamment à la date de production de sa demande, la marque réclamée n’était pas une marque de commerce parce que le dessin était déjà dans la (sic) domaine publique (sic) et le requérant ne pouvait pas être convaincu qu’il avait droit d’employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises décrites dans la demande, car il avait connaissance des droits du soussigné dans sa marque CARRÉ ROUGE AVEC EPINGLE (sic) DORÉE dessin avec les mêmes catégories de marchandises spécifiés (sic) dans la demande, et le requérant ne pouvait être convaincu qu’il a droit d’employer la marque.

[47]           La date pertinente pour analyser ce motif d’opposition est la date de production de la demande d’enregistrement (11 juin 2012) [voir Tower Conference Management Co c Canadian Exhibition Management Inc (1990), 28 CPR (3d) 428 (COMC)].

[48]           L’article 30(i) de la Loi exige que le Requérant se déclare convaincu d’avoir droit d’employer la Marque au Canada. Cette déclaration est comprise dans la présente demande d’enregistrement.

[49]           Il a été déterminé qu’un motif d’opposition sous l’alinéa 30(i) de la Loi pourra être maintenu si ladite déclaration a été faite de mauvaise foi. La simple connaissance des droits de l’Opposante n’est pas suffisante en soi pour maintenir un tel motif d’opposition. Cependant, il pourra être maintenu si la fraude ou mauvaise foi est alléguée et prouvée. Dans notre cas, il est admis que le Requérant savait que l’Opposante et ses membres ainsi que les manifestants portaient un carré rouge fixé à l’aide d’une épingle à leurs vêtements. Le Requérant lui-même associait le carré rouge avec épingle au mouvement de protestation des associations étudiantes.

[50]           Toutefois, l’Opposante n’a pas allégué la mauvaise foi du Requérant dans sa déclaration d’opposition. De plus, je ne suis pas prêt à inférer une telle mauvaise foi de sa part. Dans les circonstances, je ne peux donc pas maintenir le motif d’opposition tel que libellé [voir Canadian Institute of Bookkeeping Incorporated c Canadian Institute of Professional Bookkeepers, 2013 TMOB 14].

[51]           Je rejette donc le motif d’opposition fondé sur l’article 30(i) de la Loi.

Motif d’opposition fondé sur l’article 30(e) de la Loi

[52]           La date pertinente pour ce motif d’opposition est la date de production de la demande d’enregistrement (11 juin 2012) [voir Georgia-Pacific Corp c Scott Paper Ltd, 3 CPR (1984), (3d) 469 (COMC)].

[53]           Le motif d’opposition sous l’article 30(e) de la Loi concerne l’intention du Requérant d’employer la Marque au Canada. Comme la demande d’enregistrement contient une telle déclaration, la question est de déterminer si la preuve démontre que cette déclaration était fausse. Si c’est le cas, le motif d’opposition sera maintenu [voir Home Quarters Warehouse Inc c Home Depot, USA, Inc (1997), 76 CPR (3d) 219 (COMC)].

[54]           Durant son contre-interrogatoire, M. Drapeau a clairement indiqué avoir l’intention d’employer la Marque en liaison avec les Produits dans le cadre d’une opération de marchandisation de ces derniers.

[55]           Dans les circonstances je rejette ce motif d’opposition.

Décision

[56]           Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je repousse la demande d’enregistrement selon les dispositions de l’article 38(8) de la Loi.

______________________________

Jean Carrière

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 


 

COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

___________________________________________________

 

 

Aucune Audience Tenue

 

 

 

AGENT(S) AU DOSSIER

 

Harold W. Ashenmil, Q.C.                                                                  Pour l’Opposante

 

DJB                                                                                                      Pour la Requérante



 

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