Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2010 COMC 169

Date de la décision : 2010‑10‑18

DANS L’AFFAIRE DE LA PROCÉDURE DE RADIATION EN VERTU DE L’ARTICLE 45, engagée à la demande de McCarthy Tétrault, visant l’enregistrement nLMC631359 de la marque de commerce LAWYERS WITHOUT BORDERS au nom de Lawyers Without Borders Inc.

[1]               À la demande de McCarthy Tétrault (la requérante), le registraire des marques de commerce a donné le 30 juin 2008 l’avis que prévoit l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce à Lawyers Without Borders, Inc., propriétaire inscrite de la marque de commerce susdite (l’inscrivante).

[2]               La marque de commerce LAWYERS WITHOUT BORDERS (la Marque) est déposée pour emploi en liaison avec des « services juridiques ».

[3]               L’article 45 de la Loi dispose que le propriétaire inscrit doit indiquer, à l’égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. Dans la présente procédure, l’inscrivante doit faire état de l’emploi de la Marque à un moment quelconque de la période du 30 juin 2005 au 30 juin 2008 (la Période pertinente).

[4]               Le paragraphe 4(2) de la Loi précise la signification de l’« emploi » d’une marque en liaison avec des services :

4. (2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

[5]               Il est de droit constant que l’article 45 a pour objet et pour champ d’application d’offrir une procédure simple, sommaire et rapide pour radier les enregistrements périmés du registre, de sorte que le critère de preuve que le propriétaire inscrit doit remplir est très peu rigoureux. Je reprends ici à mon compte les observations formulées par le juge Russell à la page 282 de la décision Uvex Toko Canada Ltd. c. Performance Apparel Corp. (2004), 31 C.P.R. (4th) 270 (C.F.) :

[...] Nous savons que l’objet de l’article 45 est de débarrasser le registre du « bois mort ». Nous savons que la simple affirmation par le propriétaire de l’emploi de sa marque de commerce ne suffit pas et que le propriétaire doit « indiquer » quand et où la marque a été employée. Il nous faut des éléments de preuve suffisants pour être en mesure de nous former une opinion en vertu de l’article 45 et d’appliquer cette disposition. Également, nous devons maintenir le sens des proportions et éviter la preuve surabondante. Nous savons également que le genre de preuve exigée varie d’une affaire à l’autre, en fonction d’une gamme de facteurs tels que la nature du commerce et les pratiques commerciales du propriétaire de la marque de commerce.

[6]               L’inscrivante a répondu à l’avis du registraire en produisant un affidavit de Me Christina Storm, sa présidente-directrice générale et fondatrice. Les deux parties ont présenté des conclusions écrites, et il a été tenu une audience où elles étaient toutes deux représentées.

[7]               Me Storm déclare dans son affidavit qu’elle travaille pour l’inscrivante depuis le moment où elle en a été nommée présidente, soit mars 2000. Elle explique que, du fait de son poste, elle s’occupe des questions de marques de commerce concernant l’inscrivante et le Canada, qu’elle a examiné les archives de l’inscrivante et qu’elle a connaissance des questions traitées plus loin.

[8]               Me Storm déclare que l’inscrivante a en tout cinq employés salariés et un consultant externe régulier. Elle affirme que l’inscrivante a commencé à fournir des [TRADUCTION] « services juridiques » au Canada le 15 octobre 2003, qu’elle l’a fait tout au long de la Période pertinente et qu’elle continue à le faire aujourd’hui. Elle détaille comme suit les services juridiques en question :

[TRADUCTION]

          Coordonner la prestation de services juridiques à des organismes canadiens, notamment à des organisations non gouvernementales comme Los Pescadores de La Playita, active en 2006 et appuyée par l’intermédiaire d’étudiants en droit de l’Université McGill.

          Fournir des services de consultation à des organismes et/ou à des avocats canadiens pour l’élaboration et la mise en œuvre de programmes de primauté du droit à l’échelle mondiale faisant appel à des avocats canadiens.

          Superviser et diriger les avocats canadiens travaillant dans des programmes de primauté du droit à l’échelle mondiale.

          Effectuer des recherches sur des questions juridiques.

          Offrir aux étudiants en droit et avocats canadiens, aux organismes juridiques, aux organismes subventionnaires canadiens et aux membres de la magistrature canadienne des services de consultation relative à la prestation de services juridiques gratuits.

[9]               Me Storm explique que les représentants de l’inscrivante emploient la Marque aux fins de promouvoir ses services en participant à des programmes offerts dans des facultés de droit, à des conférences et à des salons de carrières, ainsi qu’à des émissions radiophoniques réalisées et/ou écoutées au Canada et à des réunions internationales d’experts.

[10]           Depuis 2003 au moins, l’inscrivante a à Toronto un représentant permanent qui gère les activités des bénévoles canadiens, les relations diplomatiques et d’autres aspects de la participation canadienne. Ce représentant gère ou a géré par exemple des activités telles que les suivantes : établissement et rédaction de demandes de subventions, financement de programmes de réseautage, participation à une séance d’information diplomatique sous forme de déjeuner de travail au Canada, garde des documents y afférents et aide aux personnes qui viennent au Canada de pays où il peut leur être interdit de porter certains documents.

[11]           Me Storm précise que le Canada est l’un des trois principaux États du monde où l’inscrivante recrute des fournisseurs de services juridiques et se procure des ressources de cette nature en liaison avec la Marque.

[12]           C’est principalement au moyen de son site Web et de son bulletin que l’inscrivante fait la promotion et la publicité de ses services juridiques. Me Storm joint à son affidavit des copies d’écran de son site Web (pièce B), dont elle affirme qu’il existait pendant la Période pertinente et existe encore aujourd’hui. Elle fournit des statistiques relatives aux visites de ce site effectuées à partir du Canada en 2007 et 2008. Je note que, au cours des premiers mois de 2007, le site a fait l’objet de plus de 3 900 requêtes à partir du Canada. Me Storm précise que, selon l’estimation de l’inscrivante, environ 13 % des membres du public-cible de son site Web résident au Canada.

[13]           La Marque figure clairement sur les copies d’écran produites du site Web. Ces copies contiennent des renseignements sur les projets LAWYERS WITHOUT BORDERS qui concernent la fourniture de manuels et de matériel aux étudiants en droit des pays en développement, les programmes de formation en promotion des droits, ainsi que la participation aux activités d’équipes d’avocats (dans des pays comme l’Ouganda) pour contribuer à la résolution de problèmes liés à l’art de plaider et à l’accès communautaire à la justice. En outre, l’inscrivante supervise des activités d’observation de procès, des programmes de primauté du droit, des cours sur le droit de succession et la propriété foncière, et des programmes de promotion de la condition féminine. Elle participe aussi aux travaux de Comités des Nations Unies.

[14]           Me Storm annexe à son affidavit, sous la cote C, un exemplaire d’un numéro type de son bulletin trimestriel Border Briefs (dont la date s’inscrit dans la Période pertinente), qui a été distribué à 50 abonnés résidant au Canada. Ce numéro compte quatre pages, et la Marque y apparaît clairement sur la page couverture et à divers autres endroits. L’examen du bulletin révèle qu’il se rapporte à la prestation de services gratuits pour les programmes de primauté du droit, ainsi qu’à des projets de même nature que ceux décrits sur le site Web et énumérés plus haut. Ces activités semblent pour la plupart être exercées à la demande des ONG intéressées et en partenariat avec elles.

[15]           La requérante fait valoir que les [TRADUCTION] « services juridiques » dont la déposante donne une énumération détaillée dans le passage reproduit au paragraphe 8 ci‑dessus semblent être des activités de consultation, de recrutement et de gestion axées sur les avocats canadiens qui veulent offrir leurs services à l’extérieur du Canada, et non des services juridiques fournis au Canada. Je me trouve d’accord en cela avec la requérante, exception faite cependant des premiers services de cette liste; certains passages du bulletin et des copies d’écran du site Web permettent en effet d’inférer que l’inscrivante a offert et/ou fourni ces services au Canada pendant la Période pertinente.

[16]           Premièrement, il ressort à l’évidence de son site Web que l’inscrivante a créé un modèle de prestation de services juridiques à des organismes sans but lucratif à l’échelle internationale, dans le cadre duquel elle recrute des membres de la collectivité juridique disposés à faire du bénévolat. S’il est évident que la plupart de ces organismes bénéficiaires s’occupent de problèmes juridiques qui se posent dans des pays en développement, je ne vois aucune raison de penser qu’ils doivent nécessairement y résider.

[17]           Deuxièmement, le site Web (dont il est établi qu’il est visité par des Canadiens), contient une page intitulée [TRADUCTION] « ONG » (organisations non gouvernementales), où l’on trouve un [TRADUCTION] « formulaire d’accueil pour ONG » et le passage suivant :

[TRADUCTION] La présente section est consacrée aux organismes, projets, initiatives ou missions qui ont besoin de services juridiques, notamment de conseils en matière d’organisation, de conseils fiscaux, de consultation transactionnelle, de formation pour avocats de la défense ou du ministère public et pour magistrats, de recherches, d’établissement de formulaires et autres documents juridiques, de documentation pour des programmes de vulgarisation sur les droits (axés sur les victimes, les familles ou les accusés), et d’autres formes de documentation juridique pour des projets à l’échelon du pays.

[18]           Cette page propose ensuite des instructions et des conseils à l’intention de ceux qui veulent profiter des [TRADUCTION] « services d’avocats bénévoles » offerts par l’inscrivante, et précise les critères qu’ils doivent remplir à cette fin. À mon sens, le contenu de cette page offre en termes clairs des services juridiques à quiconque visite le site Web et ne limite son champ d’application à aucun pays déterminé.

[19]           Il est de droit constant que  les termes du paragraphe 4(2) « l’exécution [...] de ces services [au Canada] » s’interprètent de manière très large. Il suffit pour établir l’« emploi » que les services soient « fournis sans que les clients canadiens aient à quitter le Canada » et que la marque de commerce soit employée en liaison avec lesdits services [Saks & Co., précitée; voir aussi Bedwell c. Mayflower (1999), 2 C.P.R. (4th) 543; et Société Nationale des Chemins de Fer Français SNCF c. Venice Simplon-Orient-Express, Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 443 (C.F. 1re inst.), confirmant 6  C.P.R. (3d) 87]. Je ne souscris pas à l’affirmation de la Requérante comme quoi on ne peut être dit fournir des [TRADUCTION] « services juridiques » au Canada que si on est autorisé à pratiquer le droit dans au moins une de ses subdivisions; à mon sens, on peut envisager la prestation de tels services sur notre territoire à des Canadiens en butte à des difficultés juridiques dans d’autres pays [comme dans la récente décision Norman M. Cameron Law Corp. c. CMS Cameron McKenna LLP, 2009 CarswellNat 5044 (C.O.M.C.)].

[20]           En outre, s’il est vrai que l’emploi d’une marque de commerce dans l’annonce au Canada de services offerts seulement à l’étranger ne remplit pas les conditions du paragraphe 4(2) [Porter c. Don the Beachcomber (1966), 48 C.P.R. 280 (C. de l’Éch.)], il en va autrement lorsque le propriétaire de la marque de commerce offre les services au Canada et est prêt à les y exécuter [voir Wenward (Canada) Ltd. c. Dynaturf Co. (1976), 28 C.P.R. (2d) 20].

[21]           À mon avis, le formulaire d’accueil pour ONG qu’on trouve sur le site Web, considéré à la lumière des éléments établissant la consultation de celui‑ci par des Canadiens, le fait que le bulletin de l’inscrivante comptait des abonnés au Canada, la participation, aux fins de promotion, à des émissions radiophoniques canadiennes et à des manifestations organisées par des facultés de droit canadiennes, ainsi que la déclaration de la déposante selon laquelle une ONG canadienne a reçu des services de l’inscrivante, sont autant de raisons de conclure que cette dernière a offert et fourni des services juridiques à des Canadiens au Canada pendant la Période pertinente, et que la Marque n’est pas du « bois mort » au registre.

[22]           Au vu de ce qui précède, j’estime que l’inscrivante a produit des éléments indiquant que la Marque avait été employée au Canada conformément aux conditions que prévoient l’article 45 et le paragraphe 4(2). En conséquence, en vertu des pouvoirs qui me sont délégués sous le régime du paragraphe 63(3) de la Loi, l’enregistrement no LMC631359 de la marque LAWYERS WITHOUT BORDERS sera maintenu en application de son article 45.

 

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P. Heidi Sprung

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

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