Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2012 COMC 14

Date de la décision : 2012‑01‑26

DANS L’AFFAIRE DE LA PROCÉDURE DE RADIATION EN VERTU DE L’ARTICLE 45 engagée à la demande de Wal-Mart Stores, Inc. visant l’enregistrement no LMC416591 de la marque de commerce RISTORANTE MARCHÉLINO MOVENPICK & Dessin au nom de Mövenpick‑Holding AG

[1]               Le 8 avril 2009, à la demande de Wal-Mart Stores, Inc. (la Partie requérante), le registraire des marques de commerce a donné l’avis prévu à l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch.  T‑13 (la Loi), à Mövenpick Holding AG (l'Inscrivante), propriétaire inscrite de l'enregistrement no LMC416591 visant la marque de commerce reproduite ci-dessous (la Marque) :

RISTORANTE MARCHÉLINO MOVENPICK & DESIGN

[2]               La Marque est enregistrée en vue de son emploi en liaison avec ce qui suit : « Exploitation de restaurants; services de consultation pour le compte d’hôtels et de restaurants » (les Services).

[3]               L’article 45 de la Loi exige que le propriétaire inscrit de la marque de commerce indique, à l’égard de chacune des marchandises et de chacun des services que spécifie l’enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois années précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. En l’espèce, la période au cours de laquelle l’emploi à un moment quelconque doit être établi s’étend du 8 avril 2006 au 8 avril 2009 (la Période pertinente).

[4]               L’« emploi » en liaison avec des services est défini au paragraphe 4(2) de la Loi sur les marques de commerce :

4. (2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

[5]               Enfin, en l’absence d’emploi répondant à la définition qui précède, une marque de commerce est susceptible de radiation, en vertu du paragraphe 45(3) de la Loi, à moins que le défaut d’emploi ne soit attribuable à des circonstances spéciales.

[6]               En réponse à l'avis du registraire, l'Inscrivante a produit la déclaration solennelle de Robert Staub, à laquelle étaient jointes les pièces RS‑1 à RS‑5. Les deux parties ont produit des représentations écrites; toutefois, seule la Partie requérante a pris part à l’audience tenue en l’espèce.

[7]               Dans sa déclaration, M. Staub atteste qu’il est directeur des affaires juridiques du groupe et qu’il offre des services juridiques depuis 2003 au groupe de sociétés Mövenpick, dont l’Inscrivante est membre.

[8]               L’examen de la déclaration de M. Staub révèle clairement qu’il n’existe aucune preuve d’emploi de la Marque par l’Inscrivante au Canada au cours de la période pertinente. L’ensemble de la déclaration de M. Staub et toute la preuve documentaire portent plutôt sur l’historique de l’emploi de la Marque au Canada avant la période pertinente et sur les circonstances entourant l’interruption de son emploi ainsi que sur les efforts de l’Inscrivante pour entrer de nouveau sur le marché canadien. Par conséquent, la question à trancher en l’espèce est de savoir si l’Inscrivante a démontré l’existence de « circonstances spéciales » qui justifieraient le défaut d’emploi de la Marque, permettant ainsi le maintien de l’enregistrement.

[9]               Pour déterminer s’il existe des circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi, il faut examiner trois critères :

(i)                 la période pendant laquelle la marque n’a pas été employée;

(ii)               la question de savoir si le défaut d’emploi était attribuable à des circonstances indépendantes de la volonté du propriétaire inscrit;

(iii)             la question de savoir s’il existe une intention sérieuse de reprendre l’emploi de la marque dans un bref délai [voir Canada (Registraire des marques de commerce) c. Harris Knitting Mills Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 488 (C.A.F.)].

[10]           En ce qui concerne le deuxième critère, les « circonstances indépendantes de la volonté du propriétaire inscrit » s’entendent de « circonstances de nature inhabituelle, peu courantes et exceptionnelles » [voir John Labatt Limitée c. The Cotton Club Bottling Co. (1976), 25 C.P.R. (2d) 115 (C.F. 1re inst.)].

[11]           L’arrêt Smart & Biggar c. Scott Paper Ltd. (2008), 65 C.P.R. (4th) 303 (C.A.F.), a clarifié l’interprétation du critère des circonstances spéciales énoncé dans l’arrêt Harris Knitting, précité. Plus précisément, la Cour a conclu que le critère applicable pour déterminer s’il existe des circonstances spéciales qui justifieraient le défaut d’emploi d’une marque, doit porter sur la cause du défaut d’emploi et non sur toute autre considération. Selon cette analyse, il doit être satisfait au deuxième critère du test énoncé dans Harris Knitting pour que l’on puisse conclure à l’existence de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi d’une marque. Cela ne signifie pas que les deux autres critères ne sont pas des facteurs pertinents, mais simplement que ces critères ne sauraient, à eux seuls, constituer des circonstances spéciales. D’ailleurs, la pertinence du premier critère est manifeste, car des raisons pouvant justifier une brève période de non‑emploi pourraient ne pas justifier une période de non-emploi prolongée [Harris Knitting, précité; Re : Goldwell (1974), 29 C.P.R. (2d) 110 (R.M.C.)]. Quoi qu’il en soit, l’intention de reprendre l’emploi doit être étayée par la preuve [Arrowhead Spring Water Ltd. c. Arrowhead Water Corp. (1993), 47 C.P.R. (3d) 217 (C.F. 1re inst.); NTD Apparel Inc. c. Ryan (2003), 27 C.P.R. (4th) 73 (C.F. 1re inst.)].

[12]           J’appliquerai maintenant le test des circonstances spéciales décrit ci-dessus, pour déterminer si l’Inscrivante a satisfait aux critères qui le composent.  

La période pendant laquelle la marque n’a pas été employée

[13]           Bien que M. Staub précise que l’Inscrivante est une grande chaîne internationale d’hôtels et de restaurants qui a entrepris ses activités commerciales en 1950, il appert que l’Inscrivante n’a fait son entrée sur le marché canadien qu’en 1993. À cet égard, M. Staub explique qu’à partir de 1993, le principal franchisé et licencié de l’Inscrivante, Richtree Inc. (Richtree), et son successeur ont exploité des restaurants au Canada en liaison avec la Marque.

[14]           M. Staub explique que c’est toutefois à la fin de janvier 2005 que Richtree a exécuté pour la dernière fois des services en liaison avec la Marque au Canada. Il commence son exposé en expliquant les circonstances entourant l’interruption d’emploi de la Marque et poursuit en présentant des éléments de preuve quant aux raisons du défaut d’emploi de la Marque et aux efforts déployés par l’Inscrivante pour accéder de nouveau au marché canadien. Par conséquent, je crois qu’il est approprié d’examiner, pour les besoins de l’analyse qui suit, les raisons du défaut d’emploi ainsi que la preuve concernant la reprise de l’emploi de la Marque.

Les raisons du défaut d’emploi et la question de savoir s’il existe une intention sérieuse de reprendre l’emploi dans un bref délai

[15]           M. Staub explique que l’interruption d’emploi de la Marque est attribuable à des évènements qui ont commencé en 2004. C’est à cette époque que Richtree et sa filiale active Richtree Markets Inc. ont été mises sous séquestre judiciaire, puis ont redémarré sous le nom de Richtree Markets Inc. (Richtree Markets), une nouvelle entité juridique. La vente des restaurants de Richtree portant la Marque à Richtree Markets a ensuite été conclue par un séquestre intérimaire nommé en vertu de la loi. M. Staub explique que par suite d’une ordonnance du tribunal, Richtree Markets a ensuite acquis les secrets commerciaux de longue date de l’Inscrivante, les livres comptables et tous les baux des commerces de détail à Toronto et à Ottawa antérieurement obtenus et garantis par l’Inscrivante.

[16]           Les conditions d’une proposition d’accord de licence n’ayant pu être remplies, les liens entre Richtree Markets et l’Inscrivante ont finalement été rompus à la fin de janvier 2005. C’est alors, explique M. Staub, que Richtree Markets a entrepris ses activités au Canada, dans les locaux pour la vente au détail que s’était auparavant procurés l’Inscrivante et à l’aide des renseignements exclusifs obtenus de celle-ci sur ordonnance du tribunal. Richtree Markets était effectivement passé de principal franchisé et licencié à concurrent. Les activités de l’Inscrivante au Canada ont cessé en raison de ces évènements, lesquels, selon M. Staub, étaient indépendants de la volonté de l’Inscrivante.

[17]           La Partie requérante soutient que si la faillite et la vente du licencié canadien de l’Inscrivante peuvent avoir eu lieu indépendamment la volonté de celle-ci, justifiant le défaut d’emploi de la Marque pour une brève période initiale, le défaut d’emploi prolongé de la Marque depuis janvier 2005 dépendait entièrement de la volonté de l’Inscrivante. À cet égard, la Partie requérante fait valoir que les faillites et la nécessité qu’elles entraînent de redémarrer les activités ne sont pas des évènements rares ou inhabituels en affaires, notamment dans la restauration. De plus, bien que les faillites soient parfois indépendantes de la volonté d’un propriétaire inscrit, il a été jugé qu’elles ne justifient que de courtes périodes de défaut d’emploi [voir Rogers & Scott c. Naturade Products Inc.(1988), 19 C.P.R. (3d) 504, à la page 506; Lapointe Rosenstein c. Maxwell Taylor’s Grill Inc. (2001), 19 C.P.R. (4th) 263, à la page 266;  Scott & Aylen c. Stanback Co. Ltd. (1988), 17 C.P.R. (3d) 279, aux pages 281 et 282].

[18]           L’Inscrivante, en revanche, soutient que les cas concernant des faillites sont grandement tributaires des faits, et que la présente affaire peut manifestement être distinguée d’autres affaires. Bien que la faillite ait indéniablement entravé les activités de l’Inscrivante, le véritable obstacle auquel celle-ci a été confrontée et la véritable raison de l’interruption d’emploi de la Marque ont été la perte de locaux de choix pour son commerce de détail ainsi que le savoir accumulé, les renseignements exclusifs et les relations indispensables à l’exercice de ses activités au Canada. L’Inscrivante affirme que, par conséquent, elle a dû mettre sur pied une toute nouvelle entreprise. Elle fait valoir que cette situation s’apparente davantage à l’affaire Cobalt Brands, LLC c. Gowling Lafleur Henderson LLP (2010), 82 C.P.R. (4th) 245 (C.F.).  

[19]           Bien que je convienne avec l’Inscrivante que la présente affaire est quelque peu différente en ce que ses pertes ne se sont pas limitées exclusivement à la faillite de son licencié, l’affaire Cobalt Brands, précitée, ne semble pas s’appliquer. La présente affaire n’est pas caractérisée par une série d’évènements déstabilisants consécutifs tels que la mort de deux propriétaires inscrits successifs, comme dans l’affaire Cobalt. J’estime raisonnable d’accepter que la perte d’actifs opérationnels additionnels, corporels ou autres, qu’a subie l’Inscrivante, est de nature à pouvoir retarder davantage la reprise de l’emploi d’une marque de commerce par le propriétaire inscrit pour une courte période. Cependant, la question de savoir si de telles raisons justifient le défaut d’emploi prolongé de la Marque pour une période de plus de quatre ans est discutable. Autrement dit, le défaut d’emploi prolongé était-il indépendant de la volonté de l’Inscrivante?  

[20]           Pour répondre à cette question, je crois qu’il est nécessaire d’examiner ce qui s’est passé lorsque l’Inscrivante a entrepris d’entrer de nouveau sur le marché canadien.

[21]           M. Staub atteste que ses démarches en vue de la reconstruction des activités canadiennes de l’Inscrivante ont nécessité une recherche prolongée de deux ans pour trouver un employé qui possède la formation spécialisée requise pour assurer la prestation des services de l’inscrivante et qui puisse s’installer au Canada. Toutefois, il ne fournit aucun détail quant aux mesures prises ou aux difficultés rencontrées lors de la recherche de cet employé. Il explique simplement que, parallèlement à cette recherche, des employés et des gestionnaires de l’Inscrivante faisaient des allées et venues entre le Canada et la Suisse pour apprendre et comprendre toutes les exigences juridiques liées au repérage de locaux et à l’exploitation au Canada.

[22]           M. Staub explique ensuite que c’est en 2007, après de nombreuses discussions infructueuses avec Richtree Markets, que l’Inscrivante a engagé des discussions avec plusieurs locateurs à Toronto afin d’obtenir des locaux viables pour son commerce de détail. Ces efforts ont finalement abouti à la location de locaux dans le centre-ville de Toronto à la fin de 2008, près de quatre ans après la date de dernier emploi de la Marque. Une fois de plus, j’estime que les détails fournis ne suffisent pas à expliquer ce retard prolongé.

[23]           À mon avis, il est difficile de déterminer, sans plus de renseignements, si le défaut d’emploi de la Marque au Canada s’est prolongé en raison de facteurs indépendants de la volonté de l’Inscrivante ou s’il s’agit simplement du résultat de décisions d’affaires réfléchies. Puisque le fardeau de preuve repose entièrement sur l’Inscrivante, je conclus que celle-ci n’a pas convaincu le registraire que le défaut d’emploi de la Marque au Canada, qui s’est prolongé plus de quatre ans, est attribuable à des facteurs qui étaient indépendants de sa volonté.

[24]           Dans l’éventualité où j’aurais tort de tirer cette conclusion, l’Inscrivante doit néanmoins satisfaire au troisième critère du test établi dans Harris Knitting Mills, c’est-à-dire qu’elle doit démontrer une intention sérieuse de reprendre l’emploi de la Marque dans un court délai [voir Arrowhead Spring Water Ltd, précitée; NTD Apparel Inc, précitée].

[25]           À titre de preuve concernant ce troisième critère, M. Staub a présenté, en plus des mesures mentionnées précédemment, les pièces RS‑3, RS‑4 et RS‑5. Or, je souligne que la pièce RS‑5 porte manifestement sur des activités entreprises après la période pertinente, a trait à des « services de traiteur » et non aux services tels qu'ils ont été enregistrés, et n'affiche pas la Marque.

[26]           La pièce RS‑3 consiste en une copie d'un communiqué de presse diffusé au Canada le 23 mars 2009 par Newswire, qui annonce l'ouverture attendue de divers restaurants à Toronto en 2010, y compris d'un restaurant « Marchélino ». Je ferai observer que l’annonce ne fait qu’anticiper l’ouverture de ce restaurant. De plus, j’estime que le communiqué de presse est équivoque quant à savoir si les restaurants dont la réouverture est prévue seront exploités sous la marque de commerce telle qu’elle est enregistrée.  

[27]           La pièce RS‑4 fait aussi ressortir cette ambiguïté. Selon la description de M. Staub, cette pièce est constituée de pages du site Web de l'Inscrivante sur lequel étaient annoncées, depuis le 22 février 2009, les possibilités d'emplois découlant de la réouverture anticipée de restaurants portant la Marque. Par souci de commodité et à des fins de comparaison, j’ai reproduit ci‑dessous la Marque à côté de la marque qui figure dans la pièce :

RISTORANTE MARCHÉLINO MOVENPICK & DESIGN          

[28]           De toute évidence, ces marques sont très différentes, au point que l’emploi de la marque figurant dans cette pièce ne constituerait pas un emploi de la marque telle qu’elle est enregistrée [voir Nightingale Interloc Ltd.c. Prodesign Ltd. 2 C.P.R. (3d), à la page 535; Registraire des marques de commerce c. Compagnie Internationale Pour L’Informatique CII Honeywell Bull, Société Anonyme et al. (1985), 4 C.P.R. (3d), à la page 523].

[29]           Bien que l’Inscrivante puisse avoir démontré une intention sérieuse d’entrer de nouveau sur le marché canadien, je ne peux conclure, compte tenu de ce qui précède, qu’elle a démontré une intention sérieuse de reprendre l’emploi de la Marque telle qu’elle est enregistrée. Vu ce qui précède, je ne peux conclure que l’Inscrivante a établi l’existence de circonstances spéciales qui justifieraient le défaut d’emploi de la Marque au cours de la période pertinente.

Décision

[30]           Par conséquent, dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, l’enregistrement sera radié, conformément aux dispositions de l’article 45 de la Loi.

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Kathryn Barnett

Agent d’audience

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

Traduction certifiée conforme

Dominique Lamarche, LL.L., trad. a.

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