Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

Informations sur la décision

Contenu de la décision

TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT LOPPOSITION

du Conseil canadien des ingénieurs

à la demande numéro 851,453 produite par

Rothenbuhler Engineering Company en vue de

lenregistrement de la marque de commerce

ROTHENBUHLER ENGINEERING

-----------------------------------------------------------------

 

 

 

Le 21 juillet 1997, la requérante, Rothenbuhler Engineering Company, a déposé une demande d’enregistrement de la marque de commerce ROTHENBUHLER ENGINEERING en se fondant (1) sur l’emploi au Canada en liaison avec des « engineering services » (services d’ingénierie) ainsi qu’avec les marchandises suivantes depuis au moins 1958 :

radio-émetteurs; récepteurs radio; émetteurs-récepteurs; systèmes radiocommandés à distance y compris émetteurs et récepteurs; chronomètres; commandes de pompes pour puits;

 

équipements de sécurité, nommément, terminaux éloignés, manipulateurs, sonneries d’alarme, modules de ligne, interrogateurs, répondeurs, horloges programmables, commandes de clavier, commandes de commutation, modules de sécurité pour lignes de télécommunication, codeurs de tonalités, survolteurs, modules d’affichage/d’expansion de boucle, processeurs de signaux d’alarme, moniteurs à renversement de polarité, cartes interfaces, capteurs de son, capteurs d’entrée, détecteurs de chaleur, commandes de la situation, interrupteurs à clé, pièges de billets et interrupteurs de portes.

 


La demande canadienne en cause est également fondée (2) sur l’emploi et l’enregistrement de la marque ROTHENBUHLER ENGINEERING de la requérante aux États‑Unis, laquelle a fait l’objet d’une demande d’enregistrement le 7 avril 1997 sous le numéro 75‑271,121 et a été enregistrée le 10 novembre 1998 sous le numéro d’enregistrement 2,202,596 pour être employée en liaison avec des « engineering services » (services d’ingénierie) ainsi qu’avec les marchandises suivantes :

radio-émetteurs; récepteurs radio; émetteurs-récepteurs; systèmes radiocommandés à distance, nommément, émetteurs, récepteurs, antennes, hauts-parleurs supplémentaires, chargeurs de batteries et panneaux d’assemblage; chronomètres; commandes de pompes pour puits;

 

équipements de sécurité, nommément, terminaux éloignés, manipulateurs, sonneries d’alarme, modules de lignes, interrogateurs, répondeurs, horloges programmables, commandes de clavier, commandes de commutation, modules de sécurité pour lignes de télécommunication, codeurs de tonalité, survolteurs, modules d’affichage/d’expansion de boucle, processeurs de signaux d’alarme, moniteurs à renversement de polarité, cartes interfaces, capteurs de son, capteurs d’entrée, détecteurs de chaleur, commandes de la situation, interrupteurs à clé, pièges de billets, nommément, capteurs de déplacement d’argent comptant et interrupteurs de portes.

 

La demande canadienne en cause porte une date de dépôt prioritaire, soit le 7 avril 1997, conformément au paragraphe 34(1) de la Loi sur les marques de commerce, relativement à la demande susmentionnée d’enregistrement de la marque de commerce parallèle qui a été déposée aux États-Unis. En réponse à une objection formulée par la Section de l’examen du Bureau des marques de commerce, la requérante s’est désistée du droit à l’usage exclusif du mot ENGINEERING en dehors de la marque de commerce.

 


Je souligne qu’au cours du processus d’examen, la requérante a soumis une copie certifiée de son enregistrement américain à l’appui du deuxième fondement de l’enregistrement, conformément au paragraphe 31(1) de la Loi sur les marques de commerce. Il appert de l’enregistrement américain numéro 2,202,596 que la marque a été employée pour la première fois aux États-Unis en 1946 et pour la première fois dans le commerce en 1956. J’ajoute que la marque ROTHENBUHLER ENGINEERING de la requérante a été enregistrée aux États-Unis le 10 novembre 1998, c’est-à-dire après le dépôt de la demande canadienne en cause.

 

La demande canadienne en cause a été publiée à des fins d’opposition dans le numéro du 20 octobre 1999 du Journal des marques de commerce et a été contestée par le Conseil canadien des ingénieurs le 20 mars 2000. Le registraire a fait parvenir une copie de la déclaration d’opposition à la requérante le 23 mai 2000. La requérante a répondu en déposant et en signifiant une contre-déclaration.

 

La déclaration d’opposition comporte les allégations suivantes : (1) la requérante est une fédération d’associations provinciales et territoriales d’ingénieurs, (2) ce sont des lois provinciales et territoriales qui régissent l’exercice de la profession d’ingénieur et l’emploi des mots « engineer » (ingénieur) et « engineering » (ingénierie), (3) il est interdit d’exercer la profession d’ingénieur à moins d’avoir obtenu un permis d’exercice de cette profession, (4) la requérante n’est autorisée nulle part au Canada à exercer la profession d’ingénieur, (5) l’opposant est propriétaire de plusieurs marques officielles, dont les marques ENGINEER, PROFESSIONAL ENGINEER, CONSULTING ENGINEER et ENGINEERING.

 

Les motifs d’opposition sont les suivants :


(i) La demande n’est pas conforme à l’alinéa 30b) de la Loi sur les marques de commerce, parce que la requérante n’a pas employé sa marque depuis 1958 ou que l’emploi de la marque n’a pas été fait de façon continue.

(ii) La demande n’est pas conforme à l’alinéa 30i) de la Loi, parce que a) l’expression ROTHENBUHLER ENGINEERING ne peut faire fonction de marque de commerce et b) la requérante n’est pas autorisée à exercer la profession d’ingénieur au Canada et, par conséquent, l’emploi de la marque visée par la demande au Canada est illégal.

(iii) La marque visée par la demande n’est pas enregistrable, conformément à l’alinéa 12(1)b) de la Loi, parce qu’elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises ou services à l’égard desquels on projette de l’employer ou des personnes qui les produisent.

(iv) La marque visée par la demande n’est pas enregistrable, conformément à l’alinéa 12(1)e) et au sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi, parce que la ressemblance entre cette marque et les marques officielles de l’opposant est telle qu’on pourrait vraisemblablement les confondre.

(v) La marque visée par la demande n’est pas enregistrable, conformément à l’alinéa 12(1)e) et à l’article 10, parce que le mot « ENGINEERING » est devenu reconnu au Canada comme un mot désignant la nature, la qualité ou la valeur des marchandises ou services fournis par une catégorie donnée de personnes, c’est-à-dire des ingénieurs dûment autorisés.


(vi) La marque visée par la demande n’est pas distinctive, compte tenu de ce qui précède et également du fait qu’elle n’est pas adaptée à distinguer ni ne distingue les marchandises et services de la requérante de ceux d’autres ingénieurs dont le patronyme est « ROTHENBUHLER ». De plus, l’emploi par la requérante de la marque visée par la demande serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ladite marque sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées par la requérante ou qu’elles font l’objet d’une licence accordée par celle-ci ou encore que les services liés à ladite marque sont loués ou exécutés par la requérante.

 

Dans sa contre-déclaration, la requérante nie de façon générale tous les motifs d’opposition et ajoute (i) que l’opposant a consenti à l’emploi par la requérante de la marque ROTHENBUHLER ENGINEERING depuis 1958, (ii) que l’argument de l’opposant qui est fondé sur les marques officielles est sans effet juridique, parce que l’opposant n’est pas une autorité publique et qu’il n’a jamais adopté ni employé ses marques à titre de marques officielles, (iii) que l’opposant ne se livre pas à des activités de fabrication, de vente ou de location de marchandises ou encore d’octroi de licences s’y rapportant ni à des activités de location ou d’exécution de services.

 

La preuve de l’opposant se compose des affidavits de Wendy Ryan-Bacon, Barry E. Hutsel, Lisa J. Reynolds et D. Jill Roberts, tandis que celle de la requérante se compose des affidavits de Kelly L. Miranda, Timothy R. Kirkconnell, Robert A. Patone Jr, Carl Gauthier et Neal Rothenbuhler.

 


Les déposants Roberts, Ryan-Bacon, Rothenbuhler et Miranda ont été contre-interrogés au sujet de leurs affidavits. Les transcriptions de ces contre-interrogatoires, les pièces qui y sont jointes et les réponses aux engagements font partie de la preuve au dossier. La contre-preuve de l’opposant se compose de l’affidavit de John Kizas et d’un second affidavit de Jill Roberts. Les déposants Roberts et Kizas ont été contre-interrogés au sujet de leur contre-preuve.

 

La requérante a soutenu que, à l’exception des paragraphes 1 à 4 de l’affidavit de Roberts, la contre-preuve de l’opposant n’est pas admissible, parce qu’elle ne constitue pas une réponse à la preuve qu’elle a présentée. Je suis d’accord. Il s’agit d’une preuve qui aurait dû être présentée dans le cadre de la preuve principale de l’opposant. En conséquence, je n’ai pas tenu compte de la contre-preuve inadmissible, ni du contre-interrogatoire s’y rapportant.

 

Le 5 février 2004, dans le cadre des plaidoiries écrites, la requérante a informé la Commission qu’elle invoquerait l’article 14 de la Loi sur les marques de commerce au sujet du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b) de la Loi. L’opposant a contesté l’introduction d’une nouvelle question à débattre à un stade avancé des procédures. Le 20 avril 2004, la Commission a répondu aux parties en formulant notamment les remarques suivantes :

[TRADUCTION] En tout état de cause, la requérante n’a présenté aucune demande à la Commission dans sa lettre du 5 février et, par conséquent, il n’est pas nécessaire que la Commission prenne une décision à ce moment‑ci.

 

 

Le 27 avril 2004, après que les deux parties eurent déposé leurs plaidoyers écrits, la requérante a formellement demandé l’autorisation de modifier sa contre-déclaration afin d’ajouter une allégation relative à l’application de l’article 14 en ce qui concerne le motif (iii) de la déclaration d’opposition. Dans une décision datée du 6 juillet 2004, la Commission a refusé d’accorder cette autorisation, pour les raisons suivantes :


[TRADUCTION] En ce qui concerne le préjudice que l’opposant pourrait subir, la requérante soutient que la question du caractère distinctif se pose depuis que la procédure d’opposition a été engagée et l’opposant a été pleinement contre‑interrogé à ce sujet. Je conviens avec l’opposant qu’il n’appartenait pas à la requérante de décider s’il a été pleinement contre-interrogé au sujet de la question du caractère distinctif, étant donné, surtout, que le paragraphe 14(1) n’était pas en litige lors du contre-interrogatoire et que des différences existent entre l’alinéa 38(2)d) et le paragraphe 14(1). En conséquence, le préjudice que l’opposant subirait si la modification demandée était autorisée serait assez important, car ce changement pourrait l’obliger à modifier sa déclaration d’opposition, à contre-interroger à nouveau les souscripteurs d’affidavits de la requérante et à déposer d’autres éléments en contre-preuve ainsi qu’un plaidoyer écrit modifié.

 

Compte tenu de ce qui précède, notamment du stade avancé de l’instance, du caractère insuffisant des explications que la requérante a données au sujet de l’omission de sa part de présenter plus tôt la modification ainsi que du préjudice que l’opposant pourrait subir, je ne suis pas convaincu qu’il convient, dans l’intérêt de la justice, de permettre à la requérante de modifier sa contre-déclaration... Examinés ensemble, ces facteurs l’emportent sur l’importance possible de la modification recherchée.

 

Il incombe à la requérante de prouver que sa demande est conforme aux dispositions de la Loi sur les marques de commerce invoquées contre elle dans la déclaration d’opposition. Cependant, l’opposant doit s’acquitter du fardeau de preuve initial au sujet de chacun des motifs d’opposition : voir, par exemple, Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al c. Seagram Real Estate Ltd., 3 C.P.R. (3d) 325, aux pages 329 et 330. Pour s’acquitter du fardeau de la preuve qui lui incombe à l’égard d’un motif donné, c’est-à-dire pour faire d’un motif d’opposition une question en litige, l’opposant doit présenter des éléments de preuve admissibles ou se fonder par ailleurs sur des éléments de preuve au dossier qui seraient suffisants pour permettre de conclure à l’existence des faits invoqués au soutien de ce motif.

 


En ce qui a trait au premier motif d’opposition, il appert de la preuve par affidavit de M. Rothenbuhler que la requérante fabrique des produits ouvrés et fournit des services d’ingénierie depuis 1946 aux États-Unis et depuis le début des années 1950 au Canada. D’après les pièces produites, il semble que le siège social de la requérante se trouve à Sedro Woolley, dans l’État de Washington. L’opposant se spécialise dans les produits électroniques et a eu à son emploi au moins un ingénieur depuis 1948.

 

Pour sa part, l’opposant se fonde également sur l’affidavit de M. Rothenbuhler ainsi que sur la transcription du contre-interrogatoire de celui-ci. Dans son affidavit et en contre-interrogatoire, M. Rothenbuhler a admis que l’opposant ne s’est lancé dans les produits de sécurité électronique qu’à la fin des années 1960 ou au début des années 1970. De plus, l’énumération des marchandises figurant dans la demande en cause, qui débute par les mots « security equipment » (équipements de sécurité) et se termine par les mots « door switches » (interrupteurs de portes), appartient à la catégorie des équipements de sécurité : voir la transcription du contre-interrogatoire de M. Rothenbuhler, de la question 126, à la page 26, à la question 135, à la page 27. En conséquence, je suis d’avis que l’opposant ne peut se fonder sur l’emploi au Canada depuis 1958 au soutien de la présente demande d’enregistrement de la marque de commerce en ce qui a trait à ces marchandises. De plus, compte tenu du témoignage que M. Rothenbuhler a présenté à l’audience, j’estime que celui-ci n’a pu prouver que la requérante a fourni des services d’ingénierie au Canada : voir la transcription du contre-interrogatoire de M. Rothenbuhler, de la question 47, à la page 11, à la question 66, à la page 12. En conséquence, l’opposant a partiellement gain de cause relativement au premier motif d’opposition quant à l’emploi antérieur au Canada comme premier fondement de l’enregistrement.


En ce qui a trait au deuxième motif d’opposition, la date pertinente pour évaluer le caractère enregistrable d’une marque de commerce conformément à l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce est la date du dépôt de la demande. Voir Shell Canada Ltée. c. P.T. Sari Incofood Corp. (2005) 41 C.P.R. (4th) 250 (C.F. 1re inst.). Dans la présente affaire, la date pertinente est la date de dépôt prioritaire du 7 avril 1997. Comme toujours, l’opposant doit d’abord présenter une preuve suffisante qui appuierait la véracité de ses allégations. La question de savoir si la marque ROTHENBUHLER ENGINEERING de la requérante donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse doit être envisagée du point de vue de l’acheteur moyen des marchandises et services de la requérante. De plus, il ne faut pas décomposer la marque de commerce en ses éléments constitutifs ni l’analyser avec soin, mais il faut plutôt la considérer dans son ensemble selon l’impression générale qui s’en dégage : voir Wool Bureau of Canada Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1978), 40 C.P.R. (2d) 25 (C.F. 1re inst.) aux pages 27 et 28, et Atlantic Promotions Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1984), 2 C.P.R. (3d) 183 (C.F. 1re inst.) à la page 186.

 


La Commission et la Cour fédérale ont eu l’occasion de se demander si une marque de commerce composée d’un patronyme, lequel est suivi du mot « engineers » ou « engineering », va à l’encontre de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce. Dans Canadian Council of Professional Engineers c. Krebs Engineers (1996), 69 C.P.R.(3d) 267, la Commission s’est demandé si la marque de commerce KREBS ENGINEERS & Design, destinée à être employée en liaison avec de l’équipement de traitement industriel, soit des hydrocyclones, donne une description claire ou une description fausse et trompeuse des personnes qui produisent lesdites marchandises. La Commission en est arrivée à la conclusion suivante, à la page 271 :

 

[TRADUCTION] . . . À mon avis, la personne qui utilise régulièrement les marchandises de la partie requérante présumerait, en voyant ou en entendant la marque de celle-ci, que la requérante emploie des ingénieurs qui participent à la conception, à la production et à la vente des marchandises visées par la demande. L’élément « KREBS » est un patronyme et, tel qu’il est mentionné plus haut, la marque de commerce serait perçue dans l’ensemble comme le nom d’un cabinet d’ingénieurs. L’impression première de la personne qui utilise régulièrement les marchandises de la requérante serait donc que les employés de celle-ci sont des ingénieurs. Par conséquent, la marque donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse des personnes qui produisent les marchandises visées par la demande. En conséquence, le deuxième motif est retenu.

 

 

Je souligne que, dans la décision Krebs, susmentionnée, la Commission ne s’est pas attardée à la question de savoir si des ingénieurs avaient effectivement participé à la fabrication des marchandises de la partie requérante.

 

Dans Conseil canadien des ingénieurs c. John Brooks Co. (2003), 35 C.P.R.(4th) 507, la Section de première instance de la Cour fédérale s’est demandé si l’emploi de la marque de commerce BROOKS BROOKS SPRAY ENGINEERING en liaison avec les services énumérés ci-après était interdit par l’alinéa 12(1)b) :

Exploitation d’une entreprise, nommément distribution de becs vaporisateurs et de collecteurs pour refroidissement, nettoyage, conditionnement et traitement à basse et haute pression, jauges, tuyaux souples, connecteurs et raccords, filtres et crépines, lubrificateurs et régularisateurs de débit, et assemblage et distribution des systèmes de manutention de fluides constitués des éléments susmentionnés.

 

 

La Cour a formulé les remarques suivantes à la page 513 :


. . . La marque de commerce proposée « Brooks Brooks Spray Engineering » donne une description fausse et trompeuse des services de JBCL et des personnes qui les fournissent. Cependant, la preuve n’indique pas que la marque de commerce proposée donne une description claire, parce que JBCL a relativement peu d’ingénieurs à son emploi.

. . . . .

 

 . . . Même si le « spray engineering » (technique de pulvérisation) n’est peut-être pas une spécialité reconnue dans l’exercice de la profession d’ingénieur, ces mots renvoient à une gamme de services techniques sophistiqués qui sont liés au traitement et à la distribution de fluides, soit des types de services que des ingénieurs pourraient offrir.

 

À mon avis, le fait que l’emploi du mot « engineering » soit réglementé a des incidences en l’espèce. La plupart des gens présumeraient que les entreprises utilisant ce mot dans leur nom offrent des services d’ingénierie et ont des ingénieurs à leur emploi, à moins que le contraire ne ressorte clairement du contexte.

 

Je précise que, dans la décision Brooks susmentionnée, la Cour a conclu que la partie requérante n’était pas un cabinet d’ingénieurs, même si elle avait à son emploi quelques personnes ayant une formation ou des compétences d’ingénieur.

 

Dans son plaidoyer écrit, la requérante en l’espèce soutient qu’il est possible de distinguer la situation de la présente affaire d’avec celle de la décision Krebs, parce que (i) l’élément ROTHENBUHLER n’est pas seulement ni même principalement un patronyme et (ii) l’élément ENGINEERING est différent du mot ENGINEERS, parce qu’il [TRADUCTION] « couvre bien davantage que les simples compétences de l’ingénieur ».

 


La requérante fait valoir que la situation de la présente affaire est comparable à celle de la décision Les Compagnies Molson Ltée c. John Labatt Ltée (1981), 58 C.P.R.(2d) 157 (C.F. 1re inst.), où la Cour s’est demandé si la marque LABATT EXTRA donnait une description claire des marchandises « boissons alcooliques brassées ». Dans cette décision, la Cour a conclu que la marque n’allait pas à l’encontre de l’alinéa 12(1)b), pour les raisons suivantes :

. . .  Je désire mentionner ici que j’en suis arrivé à cette conclusion en utilisant le raisonnement d’un ancien registraire des marques de commerce qui, lors d’une opposition formulée par une association de manufacturiers de vêtements dont le siège était situé à Hawick, en Écosse, à l’encontre d’une demande d’enregistrement de la marque de commerce HOWICK CONTOURS pour des vêtements dont l’un des motifs était que « Howick » était le nom de famille d’un particulier, a déclaré dans l’arrêt Hawick Knitwear Manufacturers Ass'n v. W. Howick Ltd. (1972), 9 C.P.R. (2d) 93 à la page 95:

 

[TRADUCTION] La marque de commerce de la requérante prise dans son ensemble n’est pas un nom de famille même si l’un des éléments de cette marque de commerce est un nom de famille et l’objet d’une clause de désistement dans la demande.

 

J’estime également que la marque de commerce LABATT EXTRA ne constitue pas une description claire de la nature ou de la qualité des boissons alcooliques brassées en général. Il est vrai que le mot « Extra » pris seul est descriptif, mais lorsqu’il est précédé du mot « Labatt » pour former la marque de commerce LABATT EXTRA, la marque de commerce qui en résulte ne l’est pas. Elle ne fait tout au plus qu’indiquer la qualité supérieure d’une boisson brassée par un brasseur particulier dont le nom de famille est « Labatt ».

 

 


L’avocat de la requérante fait une distinction entre la présente affaire et celle de la décision Brooks en soulignant que la Cour a conclu que le mot « Brooks » est un nom courant. Je conviens avec la requérante que la preuve dont j’ai été saisi ne montre pas que le mot « ROTHENBUHLER » est un patronyme courant au Canada. Cependant, la preuve montre qu’il arrive fréquemment que les cabinets d’ingénieurs utilisent un patronyme comme élément de leur dénomination sociale. Comme c’était le cas dans l’affaire Krebs, le mot ROTHENBUHLER est un patronyme et la marque de commerce ROTHENBUHLER ENGINEERING, dans son ensemble, serait considérée comme le nom d’un cabinet d’ingénieurs. Dans le contexte, ROTHENBUHLER serait perçu comme un patronyme. Dans les circonstances de la présente affaire, lorsqu’un acheteur acquiert les produits ou services électroniques sophistiqués de la requérante sous la marque de commerce ROTHENBUHLER ENGINEERING, il a certainement

l'impression, à mon sens, que les produits ou services en question proviennent d'un cabinet d'ingénieurs ayant à son emploi des ingénieurs compétents. L'ensemble de la marque donne le message, ne serait-ce que de façon elliptique, que des ingénieurs compétents produisent les marchandises et exécutent les services de la requérante. Bien entendu, dans l'affaire Labatt, la Cour était préoccupée par la question de savoir si la marque en cause donnait une description claire des marchandises et non une description claire des personnes qui les produisaient. Je souligne également que, dans l’affaire Labatt, la Cour a finalement rendu une décision défavorable à la requérante, en concluant que la marque LABATT EXTRA n'était pas distinctive à l'égard des marchandises de celle-ci.

 

Qui plus est, à l’instar de l’avocat de l’opposant, j’estime que le mot ENGINEERING constitue un élément important de la marque ROTHENBUHLER ENGINEERING qui est visée par la demande. Comme la Cour fédérale l’a souligné dans la décision Brooks, à la page 514, au paragraphe 21 :


Lorsqu’une partie d’une marque de commerce proposée est contestable, il convient de se demander s’il demeure possible d’enregistrer la totalité de la marque. Dans la présente affaire, étant donné que JBCL ne peut enregistrer les mots « Spray Engineering », peut-elle enregistrer « Brooks Brooks Spray Engineering »? La réponse dépend de la question de savoir si la partie contestable de la marque de commerce proposée constitue un élément important de lensemble et fait de celui-ci une marque qui donne une description fausse et trompeuse. Les parties ne s’entendaient pas sur la question de savoir si la partie contestable de la marque de commerce doit constituer l’élément dominant de celle-ci ou simplement l’une des caractéristiques dominantes. D’après la jurisprudence, le critère applicable est la question de savoir si les mots donnant une description fausse et trompeuse [traduction] « dominent la marque de commerce visée par la demande au point ... de faire obstacle à l’enregistrement de celle-ci... » : Chocosuisses Union des Fabricants - Suisses de Chocolate c. Hiram Walker & Sons Ltd. (1983), 77 C.P.R.  (2d) 246 (C.O.M.C.), citant Lake Ontario Cement Ltd. c. Registrar of Trade Marks (1976), 31 C.P.R. (2d) 103 (C.F. 1re inst.). (non souligné dans l’original)

 

Eu égard à ce qui précède, je conclus que la marque ROTHENBUHLER ENGINEERING qui est visée par la demande n’est pas enregistrable, parce qu’elle donne une description claire ou une description fausse et trompeuse des personnes qui produisent les marchandises et services de la requérante.

 

La requérante fait valoir que, même si sa marque ROTHENBUHLER ENGINEERING n’est pas enregistrable en vertu de l’alinéa 12(1)b), elle est enregistrable conformément au paragraphe 14(1) de la Loi sur les marques de commerce, dont le texte est reproduit ci-dessous. À cet égard, la requérante invoque sa marque de commerce correspondante enregistrée aux États-Unis sous le numéro 2,202,596 dont il est fait mention plus haut.

14(1) Nonobstant l'article 12, une marque de commerce que le requérant ou son prédécesseur en titre a fait dûment déposer dans son pays d'origine, ou pour son pays d'origine, est enregistrable si, au Canada, selon le cas :

 

a) elle ne crée pas de confusion avec une marque de commerce déposée;

b) elle n'est pas dépourvue de caractère distinctif, eu égard aux circonstances, y compris la durée de l'emploi qui en a été fait dans tout pays;

c) elle n'est pas contraire à la moralité ou à l'ordre public, ni de nature à tromper le public;

d) son adoption comme marque de commerce n'est pas interdite par l'article 9 ou 10.


 

La Commission a récemment examiné l’application de l’article 14 dans Zorti Investments Inc. c. Party City Corp. (2004), 36 C.P.R.(4th) 90, aux pages 95 et 96 :

 

L'article 14 établit un mécanisme analogue à celui du paragraphe 12(2), lequel permet l'enregistrement de marques non enregistrables aux termes de l'alinéa 12(1)b). Lorsque la requérante possède une marque de commerce correspondante déjà enregistrée dans un autre pays, le paragraphe 14(1) prévoit une exception à l'alinéa 12(1)b) comparable à l'exception établie par le paragraphe 12(2) (Les brasseries Molson, précitée). La date pertinente pour l'examen des circonstances se rapportant au paragraphe 14(1) devrait donc logiquement être la même que pour l'analyse exigée pour l'application des articles 12(1)b) et 12(2), c'est‑à‑dire, la date à laquelle la demande d'enregistrement a été produite, comme on l'a dit plus haut. De fait, avant la décision Lubrication Engineers, c'est la position que la Commission des oppositions avait prise (voir, par exemple, Holiday Juice Ltd. v. Sundor Brand Inc. (1990), 33 C.P.R. (3d) 509, p. 512-513 (C.O.M.C.). Non seulement le recours à une date pertinente ultérieure serait‑il irrationnel mais il favoriserait injustement les requérants étrangers par rapport aux requérants canadiens, lesquels doivent démontrer que leurs marques clairement descriptives étaient devenues distinctives à la date où ils ont produit leur demande.

 

La requérante doit donc prouver l'enregistrement étranger et démontrer que la marque dont elle demande l'enregistrement n'était pas dépourvue de caractère distinctif au Canada, ainsi que l'exige l'alinéa 14(1)b) de la Loi, et ce, à la date de la production de sa demande. Bien qu'il s'agisse là d'un fardeau de preuve moins lourd que celui‑ci qu'impose le paragraphe 12(2) de la Loi, il n'en demeure pas moins exigeant (Supershuttle International, Inc. c. Registraire des marques de commerce (2002), 19 C.P.R. (4th) 34, p. 42 (C.F. 1re inst.).

 


En l'espèce, la revendication de la requérante fondée sur l'article 14 ne peut être reçue pour deux raisons. Premièrement, l'enregistrement correspondant aux États‑Unis n'a été effectué qu'après la production de la présente demande. Deuxièmement, l'affidavit de M. Zepf montre que l'emploi de la marque et la publicité faite à son égard n'ont commencé que bien après la date pertinente.

 

Tel qu’il est mentionné plus haut, la requérante a attendu très tard dans la présente instance pour signaler son intention d’invoquer l’article 14 afin de répondre au troisième motif d’opposition de l’opposant. Étant donné que la question de l’article 14 a été soulevée à ce stade tardif de l’instance et que son introduction nuirait à un règlement en temps opportun des questions en litige, qui ont déjà fait l’objet d’une preuve et d’un contre-interrogatoire, la Commission n’a pas permis à la requérante d’invoquer l’article 14 comme moyen de défense dans sa contre-déclaration. Dans sa décision interlocutoire du 6 juillet 2004, dont il est fait mention plus haut, la Commission a interdit à la requérante d’invoquer l’article 14 au stade décisionnel de l’instance. Cependant, même si la requérante était autorisée à invoquer l’article 14, cette allégation ne pourrait être retenue, pour deux raisons. D’abord, la marque de commerce correspondante de la requérante n’a été enregistrée aux États-Unis que le 10 novembre 1998, c’est-à-dire bien après la date pertinente du 7 avril 1997 (la date de dépôt prioritaire) : voir la décision Zorti, susmentionnée. En second lieu, la preuve de la requérante est loin d’être suffisante pour établir que la marque ROTHENBUHLER ENGINEERING de celle-ci n’était pas « dépourvue de caractère distinctif » à la date pertinente du 7 avril 1997 ou même après.

 


Compte tenu de ce qui précède, le troisième motif d’opposition de l’opposant, qui est fondé sur le caractère non enregistrable de la marque de la requérante, est retenu. La demande en cause est donc refusée. En conséquence, il n’est pas nécessaire que j’examine les autres motifs d’opposition.

 

FAIT À GATINEAU (QUÉBEC), LE 28 NOVEMBRE 2005.

 

 

 

 

 

Myer Herzig,

Commissaire,

Commission dopposition des marques de commerce

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.