Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de Hunter Douglas Inc. et Hunter Douglas Canada Inc. aux demandes nos 1055205 et 1055207 pour les marques de commerce CLAUDETTE et ANTOINETTE  déposées par Blinds To Go Inc._________________________

 

 

 

I Les actes de procédure

 

Le 14 avril 2000, Blinds To Go Inc. (la « requérante ») a déposé des demandes d’enregistrement des marques de commerce CLAUDETTE, numéro de demande 1055205, et ANTOINETTE, numéro de demande 1055207 (collectivement appelées les « marques »), sur le fondement d’un emploi proposé au Canada en liaison avec des stores et des toiles pour fenêtres (les « marchandises »). Les demandes ont été publiées le 3 octobre 2001 dans le Journal des marques de commerce aux fins d’opposition.

 

Le 4 mars 2002, Hunter Douglas Inc. et Hunter Douglas Canada Inc. (sauf indication contraire, je renverrai à l’« opposante » pour parler soit de l’une ou l’autre, soit des deux à la fois, selon le cas) ont déposé des déclarations d’opposition identiques relativement à chacune de ces demandes, et le registraire les a transmises à la requérante le 12 mars 2002.

 

La requérante a nié tous les motifs d’opposition dans des contre‑déclarations qu’elle a déposées le 25 juin 2002, et a ajouté que le suffixe ETTE est couramment utilisé dans le domaine des couvre‑fenêtres.

 

L’opposante a déposé les affidavits de Sue Allison Rainville, Robert W. White et David Sloan, tandis que la requérante a déposé l’affidavit de Claire Gordon. L’opposante a obtenu la permission de déposer, à titre de preuve supplémentaire, l’affidavit de Sharon Elliot. Seule Sue Allison Rainville a été contre‑interrogée. Je dois ajouter que la preuve est la même dans les deux dossiers.

 

Les deux parties ont déposé des observations écrites, et une audience a été tenue sur ces deux dossiers ainsi que sur la demande numéro 1055204 pour la marque de commerce SHADETTE, et sur la demande numéro 1055206 pour la marque de commerce VIEWETTE, qui font l’objet d’une décision distincte.

 

II Les déclarations d’opposition

 

L’opposante a modifié ses déclarations d’opposition, de sorte que les motifs d’opposition invoqués peuvent être résumés aujourd’hui dans les termes suivants :

 

(1)   les demandes ne satisfont pas aux exigences de l’alinéa 30e) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985) ch. T-13 (la « Loi »), au motif que la requérante n’a pas précisé si elle projette ou non d’employer les marques au Canada elle‑même ou par l’intermédiaire d’un titulaire de licence;

(2)   les demandes ne satisfont pas aux exigences de l’alinéa 30i) de la Loi, au motif que la requérante ne pouvait être convaincue qu’elle avait le droit d’employer les marques au Canada compte tenu des demandes déposées antérieurement par l’opposante au Canada, notamment des demandes d’enregistrement des marques de commerce INTIMETTE et ALLOUETTE, les enregistrements de l’opposante, et compte tenu de l’emploi par l’opposante et de la réputation de sa famille de marques de commerce ETTE;

(3)   les marques ne sont pas enregistrables en raison des dispositions de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, au motif qu’on peut les confondre avec les marques de commerce déposées suivantes de l’opposante :

TMA138666               SILHOUETTE

TMA316135               DUETTE

TMA401528               DUETTE & Design

TMA424758               DUETTE & Design

TMA427209               DUETTE CHINOISE

TMA396060               DUETTE CLASSIC

TMA396056               DUETTE DUOLITE

TMA396062               DUETTE EASY RISE

TMA396058               DUETTE ELITE

TMA402087               DUETTE EXPRESSIONS

TMA415307               DUETTE IMPRINTS

TMA396064               DUETTE MAJESTIC

TMA400874               DUETTE SHEER VISUALE

TMA396059               DUETTE SIMPLICITY

TMA396063               DUETTE SKYRISE

TMA396057               DUETTE SPLENDOR

TMA396061               DUETTE VERTIGLIDE

TMA359556               FABRETTE

TMA440170               VIGNETTE

TMA465445               LUMINETTE

TMA548828               SERENETTE

 

(4)   la requérante n’est pas une personne qui a droit d’obtenir l’enregistrement des marques en raison de l’alinéa 16(3)a) de la Loi, car à la date du dépôt des demandes, les marques créaient de la confusion avec les marques de commerce de l’opposante qui figurent dans la liste reproduite dans le paragraphe précédent, qu’elle a déjà employées et fait connaître au Canada;

(5)   la requérante n’est pas la personne qui a droit d’obtenir l’enregistrement des marques en raison de l’alinéa 16(3)b) de la Loi, car à la date du dépôt des demandes, les marques créaient de la confusion avec la famille de marques de commerce ETTE de l’opposante, pour lesquelles des demandes d’enregistrement avaient été déposées antérieurement par l’opposante, de même qu’avec la demande numéro 866812 pour la marque de commerce INTIMETTE, la demande numéro 1019701 pour la marque de commerce ALLOUETTE, et la demande numéro 1102215 pour la marque de commerce SONETTE;

 

(6)    les marques ne sont pas distinctives au sens de l’article 2 de la Loi, car elles ne peuvent distinguer ni ne sont adaptées de manière à distinguer les marchandises de la requérante de celles des autres.

 

III Questions préliminaires

 

i)                    Admissibilité d’une cession de deux marques de commerce mentionnées dans la preuve relative à l’état du registre

 

Sans entrer à ce stade‑ci dans le détail de la preuve de la requérante, il suffit de dire que les allégations énoncées dans l’affidavit de Claire Gordon visent principalement à introduire l’état du registre en preuve pour établir que le suffixe ETTE est couramment employé dans le domaine des rideaux et des stores. Cette preuve consiste en l’enregistrement TMA517263 pour la marque de commerce PRIVETTE, et la demande numéro 1092455 pour la marque de commerce ILLUSIONNETTE, tous deux au nom de George N. Jackson Limited. Au cours de l’audience, l’opposante a demandé l’autorisation de déposer un document délivré par le registraire, attestant l’inscription au registre d’une cession de ces marques de commerce par George N. Jackson Limited en faveur de l’opposante Hunter Douglas Inc., laquelle cession a apparemment été consignée au registre le matin de l’audience. La requérante ayant été prise de court par la tournure des événements, j’ai demandé aux deux parties de présenter des observations écrites sur l’admissibilité de cette preuve, à ce stade très tardif de l’instance en opposition. Les deux parties se sont pliées à cette demande.

 

L’opposante fait valoir que la preuve en question est admissible, car la date pertinente pour trancher la question du caractère enregistrable des marques est la date de ma décision. [Voir Park Avenue Furniture Corp. c. Wickes/Simmons Bedding Ltd et al (1991), 37 C.P.R. 413.] En outre, l’opposante invoque la jurisprudence selon laquelle le registraire exercera son pouvoir discrétionnaire pour vérifier le registre dans les cas où le caractère enregistrable d’une marque est en jeu. Dans la décision Quaker Oats Co. of Canada Ltd. c. Menu Foods Ltd. (1986), 11 C.P.R. (3d) 410, on a déterminé que le registraire a le pouvoir discrétionnaire de vérifier le registre pour déterminer si les marques invoquées par l’opposant à l’appui d’un motif d’opposition en application de l’alinéa 12(1)d) figurent encore au registre en l’absence d’une telle preuve de la part d’un opposant. Je ne crois pas que cette décision signifie que le registraire est habilité à vérifier l’exactitude de la preuve relative à l’état du registre déposée par une partie ou l’autre. S’il y a des inexactitudes, il appartient à la partie qui souhaite soulever la question de déposer la preuve requise à l’appui de sa prétention.

 

L’opposante essaie de porter à l’attention du registraire le fait que deux citations contenues dans la preuve de la requérante relative à l’état du registre se rapportent à des marques de commerce qui appartiennent maintenant à l’opposante.

 

Les critères qui permettent de déterminer si le registraire devrait accorder à une partie la permission de déposer une preuve supplémentaire sont les suivants :

a)      l’étape à laquelle se trouve l’instance en opposition;

b)      la question de savoir pourquoi la modification n’a pas été effectuée ou la preuve n’a pas été produite plus tôt;

c)      l’importance de la modification ou de la preuve;

d)     le préjudice qui sera causé à l’autre partie.

 

Il semblerait que l’opposante n’ait pas été en mesure d’agir plus tôt, puisque la cession a été consignée le jour de l’audience. L’instance en est au stade de l’audience. L’opposante essaie de limiter la portée de la preuve relative à l’état du registre produite par la requérante. Toutefois, même si je refusais à l’opposante l’autorisation de produire la cession en preuve, ainsi qu’il en sera question ci‑après, au moment d’apprécier la pertinence de la preuve relative à l’état du registre, la pièce A jointe à l’affidavit de Mme Gordon permettrait d’établir simplement l’existence dans le registre de deux marques de commerce (PRIVETTE et ILLUSIONNETTE) ayant le suffixe « ETTE » en liaison avec des stores et des toiles. Ces chiffres ne permettent manifestement pas d’inférer un emploi répandu sur le marché canadien des marques composées du suffixe « ETTE ». Ainsi qu’on pourra le constater plus loin, la majorité des citations invoquées par la requérante ne permettent pas d’étayer l’argument selon lequel le consommateur moyen est habitué de voir les marques de commerce formées du suffixe « ETTE » en liaison avec des stores et des toiles. Par conséquent, les premier et troisième critères énumérés précédemment jouent en faveur de la requérante et l’emportent sur les autres. J’accueille donc l’objection soulevée par la requérante à l’encontre de la production tardive de la preuve attestant la cession des marques de commerce PRIVETTE et ILLUSIONETTE.

 

ii)                  Documents mentionnés au cours du contre‑interrogatoire de Mme Rainville

 

La requérante a tenté de se fonder sur des enregistrements obtenus aux États‑Unis en produisant cette preuve pendant le contre‑interrogatoire de Mme Rainville tenu le 21 avril 2005. Dans une décision rendue le 15 septembre 2004 à la suite d’une demande d’autorisation de déposer un affidavit supplémentaire, le registraire avait déjà déterminé que ces documents n’étaient pas pertinents relativement aux questions soulevées dans l’instance. J’accueille par conséquent l’objection de l’opposante formulée pendant ce contre‑interrogatoire.

 

La requérante a tenté de déposer une copie de l’affidavit de M. D. Jackson au cours du contre‑interrogatoire mentionné précédemment. Cet affidavit consiste en la preuve déposée dans le cadre d’une instance fondée sur l’article 45 concernant la marque de commerce PRIVETTE, certificat d’enregistrement TMA517263. En renvoyant à ce document, la requérante essaie d’établir l’emploi d’une marque de commerce ayant le suffixe « ETTE » par un tiers sur le marché canadien. Le contenu de ce document est une preuve inadmissible dans le cadre de la présente instance. Il s’agit d’une photocopie d’un affidavit déposé par un tiers dans le cadre d’une autre instance mettant en cause des parties différentes de la présente opposition.

 

III Analyse des divers motifs d’opposition

 

C’est au requérante qu’il incombe d’établir en droit que ses demandes satisfont aux exigences de la Loi. L’opposant a cependant la charge initiale d’établir les faits invoqués à l’appui de chaque motif d’opposition. Si l’opposant s’acquitte de cette charge initiale, le requérant doit encore prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les motifs d’opposition en question ne devraient pas faire obstacle à l’enregistrement des marques. [Voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al c. Seagram Real Estate Ltd., 3 C.P.R. (3d) 325, pp. 329-330; John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd., 30 C.P.R. (3d) 293, Wrangler Apparel Corp. c. The Timberland Company, [2005] C.F. 722.]

 

Lors de l’audience, l’opposante a indiqué au registraire qu’elle n’invoquait plus les deux premiers motifs d’opposition, dont il ne sera donc pas question dans la présente décision. En ce qui concerne le cinquième motif d’opposition, l’opposante ne renvoie plus à ses demandes numéro  866812, pour la marque de commerce INTIMETTE, et numéro 1019701, pour la marque de commerce ALLOUETTE. Quant à la demande numéro 1102215, qui se rapporte à la marque de commerce SONETTE, la date de dépôt de celle‑ci est ultérieure à la présente demande; elle ne peut donc être prise en considération aux fins de la présente décision. [Voir l’alinéa 16(3)b) de la Loi.]

 

i)                    Enregistrabilité

 

La date pertinente pour ce qui est d’examiner la question de l’enregistrabilité des marques est la date de la décision du registraire. [Voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413, p. 424 (C.A.F.).]

 

Mme Sue Alison Rainville occupe depuis 1990 le poste de directrice du marketing chez Hunter Douglas Canada Inc. (« Hunter Canada »). Hunter Canada est une société affiliée et titulaire d’une licence de Hunter Douglas Inc., la propriétaire des marques déposées qui figurent dans la liste reproduite sous la rubrique du troisième motif d’opposition. Elle a déposé des copies certifiées conformes de ces enregistrements à l’appui de son allégation. L’opposante s’est donc acquittée de la charge de preuve initiale qui lui incombait.

 

Le critère de la confusion est énoncé au paragraphe 6(2) de la Loi, et je dois prendre en considération toutes les circonstances de l’espèce, notamment celles qui sont énumérées au paragraphe 6(5) : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce; le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent. Ces critères ne forment pas une liste exhaustive, et il n’y a pas lieu de leur donner à chacun le même poids. [Voir Clorox Co. c. Sears Canada Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 483 (C.F. 1re inst.) et Gainers Inc. c. Marchildon (1996), 66 C.P.R. (3d) 308 (C.F. 1re inst.).]

 

Monsieur le juge Binnie, de la Cour suprême du Canada, a décrit dans les termes suivants le critère de la confusion dans l’affaire Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., (2006) 49 C.P.R. (4th) 321 :

Quel point de vue faut-il alors adopter pour apprécier la probabilité d'une « conclusion erronée »? Ce n'est pas celui de l'acheteur prudent et diligent. Ni, par ailleurs, celui du « crétin pressé », si cher à certains avocats qui plaident en matière de commercialisation trompeuse : Morning Star Co-Operative Society Ltd. c. Express Newspapers Ltd., [1979] F.S.R. 113 (Ch. D.), p. 117. C'est plutôt celui du consommateur mythique se situant quelque part entre ces deux extrêmes, surnommé [TRADUCTION] « l'acheteur ordinaire pressé » par le juge en chef Meredith dans une décision ontarienne de 1927 : Klotz c. Corson (1927), 33 O.W.N. 12 (C.S.), p. 13. Voir aussi Barsalou c. Darling (1882), 9 R.C.S. 677, p. 693. Dans Aliments Delisle Ltée c. Anna Beth Holdings Ltd., [1992] C.O.M.C. no 466 (QL), le registraire a dit :

Pour évaluer la question de la confusion, il faut examiner les marques de commerce du point de vue du consommateur moyen pressé, ayant une réminiscence imparfaite de la marque de l'opposante, qui pourrait tomber sur la marque de commerce de la requérante utilisée sur le marché en liaison avec ses marchandises.

 […]

Dans une procédure d'opposition, le droit des marques de commerce offre une protection qui transcende les gammes de produits traditionnels, sauf si le requérant démontre que l'enregistrement [page 782] de sa marque n'est pas susceptible de créer de la confusion dans le marché au sens de l'art. 6 de la Loi sur les marques de commerce. La confusion est un terme défini et le par. 6(2) impose à la Commission des oppositions des marques de commerce (et ultimement, à la cour) de déterminer si l'emploi des deux marques de commerce dans la même région est susceptible de faire conclure (à tort) aux acheteurs éventuels que les marchandises et services -- même s'ils n'appartiennent pas à la même catégorie générale -- sont néanmoins offerts par la même personne. Une telle conclusion n'est évidemment possible en l'espèce que si un lien ou une association est susceptible de s'établir dans l'esprit du consommateur entre la source des produits BARBIE, qui sont notoires, et la source des restaurants de l'intimée, qui sont moins connus. Si aucun lien n'est susceptible d'être établi, il ne peut exister de probabilité de conclusion erronée et, par conséquent, aucune confusion au sens de la Loi.

 

C’est en gardant ces principes généraux à l’esprit que j’examinerai la preuve pertinente et évaluerai chacun des facteurs pertinents qui ont été mentionnés précédemment. Je comparerai les marques avec les mots‑symboles DUETTE, SILHOUETTE, LUMINETTE, VIGNETTE et SERENETTE de l’opposante (les « marques de commerce de l’opposante »), car je suis d’avis qu’elles représentent le scénario le plus favorable pour l’opposante. J’omets volontairement la marque de commerce FABRETTE de l’opposante, car il n’y a aucune preuve de son emploi au sens du paragraphe 4(1) de la Loi. Donc, l’opposante ne serait pas en meilleure position relativement à cette marque qu’elle ne l’est relativement à sa marque SILHOUETTE, par exemple, lorsqu’il s’agit d’appliquer le critère de confusion entre les marques et l’une ou l’autre des marques de commerce de l’opposante. J’ai décidé de comparer les marques de commerce de l’opposante avec les marques, car on renvoie dans une certaine mesure à ces marques de commerce dans la preuve de l’opposante; je ne conclus pas cependant à ce stade‑ci que cette preuve constitue une preuve régulière de l’emploi des marques de commerce de l’opposante.

 

Au cours de l’audience, la requérante a admis que les facteurs suivants jouent en faveur de l’opposante : le genre de marchandises, la nature du commerce et la période pendant laquelle les marques de commerce en cause ont été en usage. Je concentrerai par conséquent mon analyse sur le caractère distinctif inhérent, le degré de ressemblance des marques en cause ainsi que la preuve relative à l’état du registre, et enfin la question de savoir si une preuve régulière vient établir l’existence d’une famille de marques de commerce « ETTE » dont l’opposante est propriétaire et qui lui permet d’élargir la portée de la protection dont jouissent ces marques de commerce.

 

Les marques consistant en des prénoms, elles ont un caractère distinctif assez faible, puisque les noms de famille et les prénoms sont des marques de commerce faibles au chapitre du caractère distinctif. Les marques de commerce SILHOUETTE et VIGNETTE de l’opposante sont des mots qui appartiennent à la langue anglaise et à la langue française, mais la marque de commerce VIGNETTE n’a absolument rien à voir avec les stores. La marque de commerce SILHOUETTE pourrait donner à penser que l’on ne verra qu’une « silhouette » derrière les stores. Les marques de commerce DUETTE, SERENETTE et LUMINETTE sont des mots inventés. La marque de commerce DUETTE pourrait donner à penser à un « duo » (« duet » en anglais), mais elle n’a aucun lien avec les stores. Le même raisonnement vaut pour SERENETTE, car le terme pourrait faire penser à une « sérénade ». La seule autre marque de commerce suggestive serait « LUMINETTE », car elle donne à penser qu’une faible quantité seulement de lumière pourrait filtrer à travers les stores. Dans l’ensemble, les marques de commerce DUETTE, VIGNETTE et SERENETTE de l’opposante ont un caractère distinctif inhérent, de sorte qu’en ce qui concerne ces marques de commerce, le premier facteur pertinent décrit au paragraphe 6(5) de la Loi joue en faveur de l’opposante. Toutefois, dans le cas des marques de commerce SILHOUETTE et LUMINETTE, ce facteur ne favorise ni l’une ni l’autre partie.

 

L’on a souvent dit du degré de ressemblance qu’il est le facteur le plus important aux fins d’apprécier la probabilité de confusion entre deux marques de commerce, surtout comme en l’espèce où les marchandises sont semblables. M. le juge Cattanach, dans l’affaire Beverley Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Upholstering Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145, a expliqué la question dans les termes suivants :

 

À toutes fins pratiques, le facteur le plus important dans la plupart des cas, et celui qui est décisif, est le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent, les autres facteurs jouant un rôle secondaire.

 

Ainsi que l’a écrit le juge Denault, de la Cour fédérale, dans la décision Pernod Ricard c. Molson Breweries (1992), 44 C.P.R. (3d) 359, la première portion d’une marque de commerce est la partie qui est la plus pertinente au chapitre de la distinction.

 

L’opposante fait valoir que les marques sont formées d’au moins six lettres et deux syllabes, comme c’est le cas des marques de commerce de l’opposante. Les marques consistent en des prénoms; les idées qu’elles suggèrent diffèrent donc de celles qui sont associées aux marques de commerce de l’opposante. Les marques en litige ne se ressemblent pas dans le son ou dans la présentation, sauf pour la présence du suffixe ETTE dans toutes ces marques de commerce. Le fait que les marques sont des prénoms féminins n’ayant pas un sens semblable aux marques de commerce de l’opposante constitue un facteur qui l’emporte sur la présence du suffixe « ETTE » dans les marques et le fait que les marques pourraient être de la même longueur. Cette circonstance joue en faveur de la requérante.

 

L’opposante a beaucoup insisté sur l’existence d’une famille de marques de commerce désignées sous le nom des marques de commerce « ETTE ». Elle a cité l’affaire MacDonald’s Corporation c. Yogi Yogurt Ltd. (1982), 66 C.P.R. (2d) 101, à l’appui de sa prétention. Après avoir expliqué les conséquences de l’existence d’une famille de marques de commerce qui appartiennent à un requérant au moment où ce dernier dépose une demande subséquente d’enregistrement d’une marque de commerce qui possède les caractéristiques se retrouvant dans sa famille de marques de commerce, le juge Cattanach a fait le commentaire suivant :

[traduction] Je suis tout à fait d’accord avec la conclusion du président, selon laquelle une simple comparaison de la marque de commerce MCYOGURT avec les marques de commerce EGG MCMUFFIN, MACSUNDAE, MCCHEESE et MCTREATS mène séparément à la conclusion que les marques de commerce ne créent aucune confusion. Manifestement, le yogourt ne crée aucune confusion avec le muffins, le fromage, les coupes glacées ou les gâteries, pas plus que l’un des mots « muffin », « fromage », « coupe glacée » ou « gâterie » ne crée de confusion avec l’un ou l’autre des trois autres mots.

Cependant, là n’est pas l’essence du principal argument que m’a présenté l’avocat des appelants pour le compte de ses clients. Il fait valoir que les appelants ont créé une « famille de marques de commerce », et que l’existence de cette famille découle logiquement de l’emploi initial des marques de commerce MCDONALDS et MCDONALD's HAMBURGERS, puis de BIG MAC, jusqu’à l’utilisation du préfixe « Mc », à l’exception dans un cas seulement de l’utilisation de « Mac », suivi du nom d’un produit alimentaire.

[…]

Donc, lorsque les marques de commerce qui possèdent des caractéristiques communes sont enregistrées au nom d’un propriétaire comme c’est le cas des marques EGG MCMUFFIN, MACSUNDAE, MCCHEESE et MCFEAST, cette situation crée une présomption que ces marques forment une série de marques utilisées par le propriétaire, et l’enregistrement de ces marques équivaut à un enregistrement unique combiné de toutes ces marques.

[…]

Bien que la présomption de l’existence d’une série de marques de commerce puisse naître à la date d’une demande d’enregistrement d’une marque de commerce, avec pour résultat la conséquence indiquée, cette même présomption ne naît pas dans le cadre d’une instance en opposition. Avant que l’inférence qui découle de la présomption puisse naître dans le cadre de l’instance en opposition sur le fondement de l’utilisation d’autres marques, cette utilisation, le cas échéant, doit être établie par la preuve.

La question est donc celle de savoir si les appelants se sont acquittés de la charge qui leur incombe d’établir l’existence d’une série de marques dont l’entreprise appelante est propriétaire, avec lesquelles la demande d’enregistrement de la marque de commerce MCYOGURT de l’entreprise intimée peut entrer en conflit. Il faut, pour s’acquitter de cette charge, faire la preuve d’un emploi des marques de commerce suffisant pour former une famille.

(Je souligne)

 

Il faut donc qu’il y ait une preuve de l’emploi de ses marques de commerce qui font partie de la famille alléguée de marques de commerce. Ainsi que la requérante l’a souligné, en dépit de la preuve volumineuse produite par l’opposante, cette dernière ne s’est pas acquittée de cette charge. Nous n’avons devant nous aucune preuve d’un emploi des marques de commerce LUMINETTE, FABRETTE et SERENETTE au Canada au sens du paragraphe 4(1) de la Loi. L’emballage de produits portant les marques de commerce SILHOUETTE, VIGNETTE et DUETTE a été déposé en preuve. Mme Rainville précise le total des ventes d’articles au Canada pour les années 1995 à 2002 pour ce qu’elle appelle les produits « ETTE », à savoir les produits qui portent l’une ou l’autre des marques de commerce de l’opposante. À supposer que cet emballage ait été utilisé depuis la date du premier emploi allégué dans l’affidavit de Mme Rainville (1964 pour la marque de commerce SILHOUETTE et 1985-1986 pour la marque de commerce DUETTE), nous ne disposons d’aucun renseignement sur les quantités d’articles vendus sous chacune de ces marques de commerce. Nous ne disposons d’aucun renseignement non plus sur la date du premier emploi de la marque de commerce VIGNETTE. Le matériel publicitaire et promotionnel (affidavit de David Sloan et Robert White), en soi, ne constitue pas une preuve suffisante de l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des marchandises au sens où on l’entend au paragraphe 4(1) de la Loi.

 

Compte tenu de ces deux importantes lacunes dans sa preuve, je ne peux conclure que l’opposante a établi l’existence d’une famille de marques de commerce « ETTE » à l’appui de ses oppositions, qui permettrait de traiter ses marques de commerce comme une marque de commerce unique jouissant d’une protection accrue.

 

Au chapitre des circonstances supplémentaires, la requérante a produit en preuve l’état du registre au moyen de l’affidavit de Claire Gordon, qui travaille pour le cabinet qui représente la requérante. Elle a déposé des extraits du registre, consistant en dix‑sept demandes ou enregistrements de marques de commerce. Tous ces extraits ont le même suffixe « ETTE ». L’opposante fait valoir que trois citations été radiées ou qu’une demande a été abandonnée depuis la date de la signature de son affidavit (25 février 2004), ainsi qu’il ressort des extraits du registre qui sont joints à son argumentation écrite. Cette preuve n’a pas été produite régulièrement. Même si je devais prendre ces trois citations en considération, je peux aisément établir une distinction à l’égard de deux d’entre eux, à savoir PARADIS-MILLETTE TAPIS-DÉCOR & design, et MARIETTE CLAIRMONT & design. Quant à UNE VIE DOUILLETTE, elle est très suggestive.

 

Il n’y a que deux citations pertinents, à savoir l’enregistrement numéro TMA517263 pour la marque de commerce PRIVETTE, et la demande numéro 1092455 pour la marque de commerce ILLUSIONNETTE, dont les listes de marchandises incluent toutes deux des stores. Je suis d’accord avec l’opposante qu’aucune des citations qui restent ne couvrent la catégorie pertinente de marchandises, à savoir des stores et toiles pour fenêtres. La requérante a tenté de classer les marchandises visées par les autres citations et celles qui sont vendues par l’opposante en liaison avec ses marques de commerce dans la catégorie des accessoires décoratifs. Or, une telle catégorisation est trop générale et elle ne représente pas la catégorie générale appropriée des marchandises. [Voir Park Avenue, op. cit.]

 

Enfin, la requérante a été en mesure de produire une preuve régulière de l’emploi d’une marque de commerce d’un seul tiers ayant le suffixe « ETTE », à savoir SOFETTE, par la voie d’une admission de Mme Rainville au cours de son contre‑interrogatoire. Deux citations dans le registre et la preuve de l’emploi d’une marque de commerce ne sont certainement pas suffisants pour conclure que l’emploi sur le marché canadien des marques de commerce ayant le suffixe « ETTE » en liaison avec des stores ou des toiles est à ce point répandu que le consommateur moyen a été habitué à distinguer ces marques de commerce.

 

En appliquant les principes énoncés dans les affaires Beverley Bedding et Mattel, op. cit., j’arrive à la conclusion que, selon la prépondérance des probabilités, le consommateur moyen ayant un souvenir imparfait de l’une ou l’autre des marques de commerce SILHOUETTE, DUETTE, SERENETTE, LUMINETTE ou VIGNETTE de l’opposante ne se poserait probablement aucune question sur la source des marchandises si on lui présentait les marques. Il s’agit de prénoms féminins qui n’ont absolument aucun lien avec l’une ou l’autre des marques de commerce susmentionnées de l’opposante. Les marques ne ressemblent à aucune des marques de commerce de l’opposante, ni n’ont le même sens. L’omission d’établir l’existence d’une famille de marques de commerce ayant le suffixe « ETTE » m’empêche d’élargir la portée de leur protection. Je rejette par conséquent le troisième motif d’opposition.

 

ii)                  Droit d’obtenir l’enregistrement

 

Ainsi que je l’ai déjà mentionné, l’opposante a déposé des emballages qui font état de l’emploi des marques de commerce SILHOUETTE, VIGNETTE et DUETTE. Au paragraphe 6 de son affidavit, Mme Rainville allègue qu’Hunter Canada a commencé fin 1985, début 1986 à vendre au Canada des stores vénitiens et des toiles sous la marque de commerce DUETTE. Elle allègue également qu’Hunter Canada et son prédécesseur en titre vendent des stores au Canada depuis 1964 en liaison avec la marque de commerce SILHOUETTE. Elle ne précise pas la date du premier emploi au Canada de la marque de commerce VIGNETTE. Quant aux marques de commerce DUETTE et SILHOUETTE, le paragraphe 16(5) de la Loi impose à l’opposante la charge d’établir qu’elle n’avait pas abandonné l’emploi de ces marques de commerce au Canada à la date de publication des présentes demandes.

 

L’opposante, ainsi qu’il a été mentionné précédemment, a renvoyé à de nombreuses marques de commerce que Mme Rainville a définies comme étant les « marques de commerce ETTE », et les produits vendus sous ces marques de commerce comme étant des « produits ETTE ». L’auteure de l’affidavit a fourni les chiffres des ventes, entre 1995 et 2002, des produits ETTE sous les marques de commerce ETTE. En revanche, elle n’a pas ventilé les chiffres pour chaque marque de commerce figurant dans la déclaration d’opposition. Par conséquent, il est impossible de conclure que ces chiffres des ventes pour l’année 2000 renvoient aux ventes de produits ETTE portant les marques de commerce DUETTE, VIGNETTE et SILHOUETTE. Il se peut que, pendant ces années‑là, l’opposante n’ait pas vendu de stores en liaison avec les marques de commerce DUETTE, VIGNETTE ou SILHOUETTE, et qu’elle ait plutôt vendu ce que l’on a appelé des produits ETTE en liaison avec l’une ou l’autre de ses autres marques de commerce, énumérées dans la définition des marques de commerce ETTE. Une telle ambiguïté doit être résolue à l’encontre de l’opposante.

 

Si j’avais tort de conclure que l’opposante ne s’est pas acquittée de la charge de preuve initiale relativement au quatrième motif d’opposition, je devrais quand même appliquer le même critère de confusion dont il a été question précédemment dans le cadre du motif d’opposition portant sur le caractère enregistrable, et j’arriverais à la même conclusion. La différence au niveau des dates pertinentes ne serait pas un facteur déterminant. En conséquence, le quatrième motif d’opposition est lui aussi rejeté.

 

Quant au cinquième motif d’opposition, l’opposante n’a pas établi qu’une demande d’enregistrement d’au moins une de ses marques de commerce était en instance à la date de publication des présentes demandes. Par conséquent, ce motif d’opposition est rejeté. [Par. 16(4) de la Loi, et Governor and Co. of Adventurers of England trading into Hudson's Bay c. Kmart Canada Ltd. (1997), 76 C.P.R. (3d) 526.]

 

iii)                Caractère distinct

 

Il est généralement reconnu que la date pertinente aux fins d’examen de ce motif est la date de dépôt de la déclaration d’opposition [voir Metro-Goldwyn-Meyer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F. 1re inst.), p. 324].

 

Il incombe au requérant d’établir en droit que ses marques sont adaptées de manière à distinguer ou qu’elles distinguent effectivement ses marchandises des marchandises des autres partout au Canada [voir Muffin Houses Incorporated c. The Muffin House Bakery Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 272 (C.O.M.C.)]. Toutefois, l’opposant est tenu de prouver les allégations de fait invoquées à l’appui de son motif fondé sur l’absence de caractère distinctif. Il n’est pas dans mon intention d’entreprendre une analyse détaillée de la preuve produite, mais même si je devais conclure que l’opposante s’est acquittée de sa charge initiale, je devrais déterminer s’il existe une probabilité de confusion entre les marques et les marques de commerce de l’opposante. Ainsi qu’il en a déjà été fait mention sous la rubrique portant sur le motif de l’enregistrabilité, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les marques ne causeraient probablement aucune confusion avec les marques de commerce de l’opposante. La différence au chapitre des dates pertinentes ne serait pas un facteur important dans le cadre de mon analyse de la probabilité de confusion entre les marques et les marques de commerce de l’opposante. En conséquence, les marques sont distinctives, et je rejette le dernier motif d’opposition.

 

IV Conclusion

 

En vertu des pouvoirs qui m’ont été délégués par le registraire des marques de commerce en application du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette les oppositions de l’opposante à l’enregistrement des marques de commerce CLAUDETTE et ANTOINETTE, numéros de demande 1055205 et 1055207 respectivement, le tout en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

FAIT À BOUCHERVILLE (QUÉBEC), LE 8 MARS 2007.

 

 

 

Jean Carrière,

Commissaire,

Commission d’opposition des marques de commerce

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