Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE‑MARKS

Référence : 2012 COMC 117

Date de la décision : 2012‑05‑31

TRADUCTION

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION produite par JTI‑Macdonald TM Corp. à l’encontre de la demande d’enregistrement nº 1 317 128 pour la marque de commerce PAQUET ORANGE DESSIN au nom d’Imperial Tobacco Products Limited

[1]               Le 19 septembre 2006, Imperial Tobacco Products Limited (la Requérante) a produit une demande concernant la marque de commerce PAQUET ORANGE DESSIN (reproduite ci‑dessous) sur le fondement de son emploi au Canada depuis le 10 avril 2006. Les produits visés, après modification, sont des produits de tabac fabriqués, nommément des cigarettes. La demande a été annoncée aux fins d’opposition dans l’édition du 14  mars 2007 du Journal des marques de commerce. La marque annoncée est décrite comme suit :

ORANGE PACKAGE DESIGN

 

La marque de commerce est constituée de la couleur orange appliquée à la surface visible de l’emballage, comme le montre le dessin ci‑joint. La partie hachurée représente la couleur.

[2]               JTI‑Macdonald TM Corp. (l’Opposante) a produit une déclaration d’opposition à l’encontre de la demande d’enregistrement le 14 août 2007. Les motifs d’opposition avancés sont reproduits ci‑dessous :

3. a) Aux termes de l’alinéa 38(2)a), la demande d’enregistrement ne satisfait pas aux exigences de l’article 30 pour les raisons suivantes :

(i) la Requérante n’a pas employé le Dessin (la Marque) au Canada depuis la date revendiquée dans la demande;

(ii) la Requérante n’a pas employé le Dessin au Canada comme marque de commerce au sens de l’article 2 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13 (la Loi);

b)                  Aux termes de l’alinéa 38(2)b), le Dessin n’est pas enregistrable aux motifs que :

(i)         le dessin est sous la forme d’un « signe distinctif » au sens de l’article 2 de la Loi et n’a pas été employé par la Requérante de façon à devenir distinctif à la date de production de la demande, comme l’exige l’alinéa 13(1)a) de la Loi comme condition préalable à l’enregistrabilité;

(ii)        tout droit à l’exclusivité octroyé à la Requérante en ce qui concerne l’emploi du Dessin aurait probablement pour résultat de limiter de façon déraisonnable le développement de l’industrie, plus particulièrement la production, la mise en marché et la vente de produits fabriqués au Canada.

c)                  Aux termes de l’alinéa 38(2)d), le Dessin n’est pas distinctif au sens de l’article 2, en raison du fait que le modèle n’est pas adapté à distinguer et ne distingue pas une marchandise en liaison avec laquelle la marque est employée par la Requérante de marchandises ou de services d’autres entreprises.

[3]               La Requérante a produit et signifié, à l’égard de chaque opposition, une contre‑déclaration dans laquelle elle rejette les allégations de l’Opposante.

[4]               Pour soutenir son opposition, l’Opposante a produit les affidavits de Richard Sue (gestionnaire de la planification et des projections de l’Opposante), de Michael Bower (gestionnaire administratif et de l’analyse des ventes pour l’Ouest du pays de l’Opposante), de Kevin Tanton (directeur des activités sur le terrain pour le centre du pays de l’Opposante), de Pierre Fortin (gestionnaire administratif et de l’analyse des ventes pour l’Est du pays de l’Opposante) et de Chantal Dyal (Gestionnaire de la gamme de marques et de la stratégie sur le marché – Prestige, Premium et sous‑Premium de l’Opposante). La Requérante a produit les affidavits de David Bussey (Directeur, stratégie de mise en marché d’Imperial Tobacco Products Limited), de Jayson B. Dinelle (stagiaire en droit à l’emploi de l’agent de la Requérante) et de Gay Owens (chercheure de marques de commerce à l’emploi des agents de l’Opposante). La Requérante a obtenu une ordonnance l’autorisant à contre‑interroger M. Bussey, et une copie de la transcription du contre‑interrogatoire a été produite.

[5]               Par une lettre datée du 16 avril 2011, l’Opposante a produit la réponse de M. Bussey à l’engagement donné à la page 11 de la transcription. L’Opposante a expliqué que c’est par inadvertance qu’elle n’avait pas produit plus tôt cette réponse. Je confirme que cette réponse écrite à l’engagement est maintenant au dossier. Il est aussi à noter, étant donné la nature de la réponse fournie par M. Bussey, que l’Opposante a déclaré dans sa lettre datée du 16 avril 2011, qu’elle ne maintiendrait pas son plaidoyer selon lequel la Marque n’est pas distinctive parce qu’elle est employée sans autorisation par un tiers.

[6]               Les deux parties ont produit un plaidoyer par écrit.

[7]               Une audience a été tenue à laquelle les deux parties ont été représentées de manière compétente.

Résumé de la preuve

La preuve de l’Opposante

[8]               L’Opposante est le fabricant et le distributeur de cigarettes, de cigares et d’autres produits du tabac. M. Sue, en tant que gestionnaire de la planification et des projections de l’Opposante, déclare qu’il a la responsabilité de préparer les projections de ventes, de réaliser les analyses de marché, d’administrer les données de vente de l’Opposante, de préparer des projections de ventes détaillées pour la planification stratégique et de recueillir et d’analyser les données de vente provenant des détaillants, des grossistes et des fournisseurs de services indépendants.

[9]               M. Sue explique que certains grossistes et détaillants fournissent volontairement à l’Opposante des données relatives aux volumes de vente des produits de tabac qu’ils vendent, ce qui comprend les produits de tiers. Les données de vente sont fournies à l’Opposante directement par les grossistes et les détaillants et chaque semaine, des employés de l’Opposante les ajoutent à une base de données interne. Cette base de données constitue un livre comptable de l’Opposante.

[10]           M. Sue fournit des renseignements concernant l’utilisation de la couleur par l’Opposante et par d’autres intervenants dans le domaine d’activités des parties. À cet effet, M. Sue fournit des données de vente sur les produits suivants :

         Tabac Amphora Mellow Blend

         Bullseye Cigarillos (Peach)

         Hav‑A‑Tampa Jewels Cigars

         Honey Time (Peach)

         Mini by Colts (Peach) – (seules les données des neuf dernières semaines de 2007 ou après ont été fournies)

         Twinkle Kwiki Cigarillos (Peach)

Des impressions de photos numériques de chacun des produits mentionnés ci‑dessus sont jointes à cet affidavit en tant que pièces A à F.

[11]           M. Sue explique que les données sur les ventes des produits mentionnés dans cet affidavit proviennent de renseignements concernant le volume de vente fournis par 131 grossistes et détaillants canadiens de chaque province, à l’exception de l’Île‑du‑Prince‑Édouard. Il mentionne avoir exclu le volume de vente des détaillants qui ont acheté leurs produits de grossistes. Il explique que ces grossistes et détaillants particuliers représentent environ 50 p. cent des points de vente au Canada.

[12]           Il a été demandé à MM. Bower et Tanton de fournir des renseignements sur la prévalence du tabac et des produits liés au tabac pour lesquels M. Sue a fourni des données de vente, ainsi que pour les produits qui suivent, dans leur région respective (soit l’Ouest du Canada et le Centre du Canada) :

         Brown Sugar Tobacco Wrapper

         Juicy Jay Cigarette Paper (Orange)

         Manta Cigarette Paper (Peach)

         Juicy Blunts Orange Overload

         Roll‑N‑Save Cigarette Tobacco Pouch

         Smoking Rolling Paper (Orange)

[13]           En plus des produits mentionnés ci‑dessus, il a été demandé à M. Fortin de fournir des renseignements concernant les produits suivants vendus dans la région de l’Est du Canada :

         Mini par Colts (Peach)

         Number 7 Brand Cigarettes

         Peter Jackson Brand Cigarettes

[14]           MM. Bower, Tanton et Fortin ont chacun demandé aux spécialistes de mise en marché de leur région de déterminer si le produit était vendu dans leur territoire et, dans l’affirmative, depuis combien de temps environ il l’était.

[15]           Bien que je sois en accord avec la Requérante pour dire qu’une grande partie de la preuve de l’Opposante relève du ouï‑dire, je suis prêt à accorder un certain poids à cette preuve parce qu’elle est en grande partie conforme au critère de nécessité et de fiabilité. Je suis d’avis que la preuve présentée par MM. Bower, Tanton et Fortin étaye les données de vente fournies par M. Sue. En outre, à la lumière du grand nombre de grossistes et de détaillants de produits de tabac et de produits liés au tabac au Canada, je suis d’avis qu’il était aussi nécessaire pour MM. Bower, Tanton et Fortin d’obtenir des renseignements sur les produits de tabac et les produits liés au tabac vendus dans leur région en faisant appel à leur spécialiste en mise en marché. Enfin, bien que les données de vente fournies à l’Opposante par les grossistes et les détaillants peuvent ne pas constituer la meilleure des preuves, je suis prêt à leur accorder un certain poids à la lumière des explications de M. Sue, selon qui la base de données, mise à jour chaque semaine, est l’un des livres comptables de l’Opposante.

[16]           La preuve présentée par Mme Dyal est que, en octobre 2007, l’Opposante a lancé les cigarettes MORE dans un emballage de couleur orange. Depuis son lancement, le produit MORE est vendu dans des points de vente en Colombie‑Britannique, en Alberta, en Ontario, au Québec et au Nouveau‑Brunswick. Plus de 2,8 millions de cigarettes MORE orange (soit 140 000 paquets) ont été vendues au Canada. Au dernier trimestre de 2007, l’Opposante a lancé une campagne de publicité écrite pour ses cigarettes MORE. La campagne s’est déroulée du mois de décembre 2007 au mois de janvier 2008. Au total, 510 035 impressions (un terme utilisé en publicité pour signifier le nombre de personnes qui ont été exposées à la publicité) étaient prévues. Les publicités sont apparues dans les publications Summum (en français), Nightlife, Voir, Hour, Mirror et Ici. Les données de diffusion pour ces publications n’ont pas été fournies.

La preuve de la Requérante

[17]           M. Bussey explique que, conformément à un contrat de licence entre la Requérante et Imperial Tobacco Canada Limited (ITCan), ITCan est autorisée à employer toutes les marques de commerce de la Requérante en liaison avec la fabrication et la vente de produits du tabac. Conformément à cette licence, ITCan fabrique la gamme de cigarettes Peter Jackson, notamment les cigarettes Peter Jackson « Saveur veloutée », au Canada depuis au moins avril 2006. La gamme de cigarettes Peter Jackson est mise en marché et vendue au Canada par ITCan aux détaillants de cigarettes, par exemple les épiceries, les dépanneurs, les débits de boissons et les stations‑services, quelquefois par l’entremise de grossistes et de distributeurs, notamment Imperial Tobacco Company Limited, qui vendent ensuite les cigarettes aux fumeurs adultes.

[18]           En avril 2006, ITCan a lancé les nouvelles cigarettes Peter Jackson « Saveur veloutée ». Ces cigarettes sont vendues aux détaillants et aux fumeurs adultes dans un paquet orange. Des photographies des paquets et d’un emballage de cartouche de cigarettes Peter Jackson « Saveur veloutée » (des exemples représentatifs de l’emploi de la Marque au Canada par ITCan) sont jointes à l’affidavit de M. Bussey en tant que pièce A.

[19]           M. Bussey déclare au paragraphe 7 de son affidavit que la couleur orange utilisée sur l’emballage de cigarettes Peter Jackson « Saveur veloutée » et comme couleur primaire pour promouvoir les cigarettes de la famille Peter Jackson a été spécialement choisie par la Requérante et par ITCan parce que cette couleur était considérée comme hautement distinctive, marquante et accrocheuse, et parce que cette couleur orange n’était pas utilisée à ce moment sur un emballage de cigarettes par un autre fabricant, importateur ou distributeur de cigarettes.

[20]           Depuis le lancement des cigarettes Peter Jackson « Saveur veloutée » en avril 2006 en liaison avec la Marque et le lancement d’une campagne de mise en marché mettant l’accent sur la couleur orange, ITCan a vendu environ 25 à 30 millions de paquets des cigarettes Peter Jackson « Saveur veloutée » en liaison avec la Marque aux détaillants, distributeurs et grossistes de cigarettes au Canada, ce qui représente des ventes de plus de 90 millions de dollars canadiens. Entre le mois d’avril 2006 et le 14 août 2007, ITCan a vendu de 9 à 11 millions de cigarettes Peter Jackson « Saveur veloutée » en liaison avec la marque aux détaillants, distributeurs et grossistes de cigarettes au Canada, ce qui représente des ventes de plus de 34 millions de dollars canadiens. Des copies de factures représentatives de ventes de cigarettes Peter Jackson « Saveur veloutée » vendues en liaison avec la Marque à des détaillants de cigarettes au Canada sont jointes à l’affidavit de M. Bussey en tant que pièce B.

[21]           Du mois d’avril 2006 au 14 août 2007, ITCan a dépensé plus de 3,5 millions de dollars en activités de promotion et de publicité pour sa nouvelle marque. Des exemples de plusieurs types de publicités et de matériel promotionnel, notamment du matériel de communication, des photographies d’un cendrier, d’une pochette d’allumettes, d’un feuillet gratter et gagner et de matériel de marchandisage distribué chez un détaillant ont été joints à l’affidavit de M. Bussey. Des chiffres sur la distribution de ces articles ont aussi été fournis.

[22]           Dans son plaidoyer écrit, l’Opposante a mis l’accent sur les admissions suivantes faites par M. Bussey lors du contre‑interrogatoire :

         Les cigarettes MORE sont vendues dans un [traduction] « emballage orangé ».

         Un autre tiers, Philip Morris, vend ou met en vente au Canada des cigarettes présentées dans un paquet dont la couleur dominante est l’orange. Ce produit a été lancé sur le marché en mars 2008 et la Requérante n’a pris aucune mesure pour interdire l’utilisation d’un paquet de couleur orange par Philip Morris.

         Un autre tiers, Lanwest, offrait des cigarettes Smooth Flavour PODIUM dans un paquet de couleur orange au Canada à partir de juillet 2007.

[23]           M. Dinelle a joint à son affidavit une copie de l’avis de pratique du 6 décembre 2000 intitulé « Marques à trois dimensions » qu’il a trouvé sur le site Web de l’OPIC.

[24]           Mme Owens a joint à son affidavit environ dix enregistrements relatifs à des marques de commerce de différentes couleurs pour différents produits, qu’elle a imprimés à partir du système du CDName Search Corp le 29 juillet 2009.

Fardeau de preuve

[25]           C’est à la Requérante qu’incombe le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Il incombe toutefois à l’Opposante de s’acquitter du fardeau initial de présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de chacun des motifs d’opposition : [voir John Labatt Limited c The Molson Companies Limited (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst), à la page 298].

Motifs d’opposition fondés sur l’article 30 

[26]           Dans sa déclaration, l’Opposante a soulevé deux motifs d’opposition fondés sur l’article 30 de la Loi. La date pertinente pour voir si la demande satisfait aux exigences de l’article 30 est la date de production de la demande : voir Georgia‑Pacific Corp c Scott Paper Ltd (1984), 3 CPR (3d) 469 (COMC), à la page 475.

[27]           En ce qui concerne le motif d’opposition énoncé au point 3 a)(i) ci‑dessous, le fardeau de preuve de l’Opposante pour la question de l’inobservation de l’alinéa 30b) de la Loi par la Requérante n’est pas très lourd : [voir Tune Masters c Mr. P’s Mastertune Ignition Services Ltd (1986), 10 CPR (3d) 84 (COMC) à la page 89]. De plus, l’Opposante peut se servir de la preuve de la Requérante pour s’acquitter de son fardeau de preuve à l’égard de ce motif. Dans ce cas, cependant, l’Opposante doit établir que la preuve de la Requérante est « nettement » incompatible avec les déclarations énoncées dans sa demande.

[28]           Dans la présente affaire, l’Opposante se sert de la preuve de la Requérante pour s’acquitter de son fardeau initial. À cet effet, l’Opposante déclare que la preuve présentée dans l’affidavit de M. Bussey n’établit pas que la Marque a été employée au Canada en liaison avec les marchandises. L’Opposante soutient qu’il est revendiqué dans la demande que la Marque consiste en la couleur orange appliquée sur la surface visible d’une boîte d’emballage en particulier et qu’elle ne comprend pas de mots, d’éléments graphiques ou d’ornements quels qu’ils soient. L’Opposante soutient par conséquent que la preuve fournie ne démontre pas l’emploi de la Marque parce que l’emballage joint à l’affidavit de M. Bussey comprend la marque Peter Jackson et une licorne en filigrane. L’Opposante soutient de plus que la preuve démontre que la Marque n’est pas d’un orange uniforme, mais plutôt de nuances d’un orange foncé qui s’estompe.

[29]           J’estime que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau à l’égard de ce motif. En effet, rien dans la preuve de la Requérante n’est nettement incompatible avec la date revendiquée pour le premier emploi. La demande telle qu’elle est produite définit clairement par une ligne pointillée la surface d’un paquet en particulier où la couleur orange doit être appliquée. La preuve soumise par la Requérante montre la couleur orange à l’avant, l’arrière et sur les côtés de ses paquets de cigarettes. Bien que la preuve de la Requérante montre aussi l’emploi des marques Peter Jackson et du dessin de la licorne sur ses paquets de cigarettes, il est bien établi que de multiples marques de commerce peuvent être employées sur le même produit, ce qui comprend les combinaisons de mots et de dessins de marques de commerce : [voir AW Allen Ltd c Warner‑Lambert Canada Inc (1985), 6 CPR (3d) 270 (COMC), à la page 272 (CF 1re inst)]. Enfin, l’article 28 du Règlement sur les marques de commerce n’exige pas que la requérante indique la nuance de la couleur faisant l’objet de la couleur. Il n’y a donc rien d’incompatible avec le fait que la Requérante puisse employer la Marque en liaison avec différentes nuances d’orange. Je rejette donc ce motif d’opposition.

[30]           À l’égard du motif d’opposition énoncé au point 3 (a)(ii) ci‑dessus, je note que l’Opposante n’a pas fourni de faits pour expliquer pourquoi la Marque n’est pas une marque de commerce. Dans son plaidoyer écrit, l’Opposante prétend que la Marque n’est pas employée sur l’emballage des marchandises ou d’une autre façon qui associerait la Marque aux marchandises aux yeux des consommateurs au moment du transfert de possession des marchandises. L’Opposante soutient de plus que la couleur orange du paquet de cigarettes est par nature une marque de commerce extrêmement faible et qu’il n’existe pas de preuve, sur l’emballage du produit fourni par la Requérante ou sur le matériel de mise en marché joint à l’affidavit de M. Bussey, que la Requérante a fourni ou a tenté de fournir un avis au public de sa revendication selon laquelle la couleur orange est sa marque de commerce. En l’absence d’un tel avis, particulièrement dans le contexte des autres éléments sur l’emballage, la couleur orange n’est pas utilisée comme une marque de commerce, mais comme un ornement ou un dessin et, par conséquent, il n’y a pas matière à un enregistrement d’une marque de commerce.

[31]           Je suis d’avis que les arguments exposés par l’Opposante contreviennent à l’alinéa 38(3)a) de la Loi parce que ce motif, de façon dont il a été plaidé, n’est pas suffisamment détaillé pour permettre à la Requérante d’y répondre. En outre, je ne considère pas que la preuve produite par l’Opposante corrige les lacunes à cet égard : [voir Novopharm Ltd c AstraZeneca AB et al (2002), 21 CPR (4th) 289 (CAF)].

[32]           Si j’ai tort sur ce point, cette partie du motif n’aurait pas été recevable parce que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial. Il n’y a pas de preuve ici que la Requérante emploiera la Marque à des fins ornementales ou de décoration, encore moins seulement à de telles fins. La preuve montre que la Requérante s’est engagée dans une campagne de mise en marché d’envergure pour faire connaître l’existence des cigarettes Peter Jackson Saveur veloutée aux détaillants de cigarettes et aux fumeurs adultes au Canada en mettant l’accent sur la couleur orange et sur le dessin de l’emballage orange. Je suis d’accord avec la Requérante que sa preuve montre que la Marque a été employée en tant que marque de commerce au Canada dans le but ultime de distinguer ses marchandises de celles de ses concurrents. Par conséquent, ce motif d’opposition est rejeté.

Motifs d’enregistrabilité

[33]           L’Opposante a plaidé au point 3 (b)(i) de sa déclaration d’opposition que la Marque n’est pas enregistrable parce qu’elle est un signe distinctif. En ce qui concerne cette question, j’ai examiné les observations de l’ancien membre Martin dans la décision Simpson Strong‑Tie Co. c Peak Innovations Inc. (2007), 62 CPR (4th) 390, confirmée par 79 CPR (4th) 79 (CF) et 90 CPR (4th) 399 (CAF).

Si l’opposante affirme également que la marque de la requérante n’est pas enregistrable parce qu’en fait, elle est un signe distinctif et que la requérante n’a pas satisfait aux exigences des articles 13 et 32 de la Loi, ce motif doit lui aussi être rejeté pour la même raison. Ainsi qu’il a été indiqué, la décision Smith, Kline & French permet d’établir que la marque de la requérante constitue une marque de commerce ordinaire.

 

Nonobstant ce qui précède, je peux comprendre le point de vue de l’opposante. Étant donné la faiblesse inhérente d’une marque de commerce consistant uniquement en une couleur appliquée à l’ensemble de la surface visible d’un objet, soit cette marque devrait être considérée comme étant un façonnement des marchandises, donc comme un signe distinctif, soit la Loi devrait contenir une disposition qui s’apparente au paragraphe 12(2) ou 13(1) de manière que le caractère distinctif soit établi dans les faits avant que l’enregistrement ne soit accordé. En outre, ainsi qu’il en est question dans la décision d’opposition non publiée Novopharm Limited c. Hoffman‑La Roche Limited (S. N. 1,006,334; 5 mai 2006) [publié à 55 C.P.R. (4th) 226], il serait préférable qu’une marque composée d’une couleur possède davantage d’éléments caractéristiques, de manière à restreindre les droits exclusifs qui pourraient être conférés par un enregistrement éventuel.

[34]           Dans la présente affaire, je suis d’accord avec l’Opposante en ce qui concerne sa position à ce sujet pour des raisons semblables à celles susmentionnées. Cependant, la jurisprudence va à l’encontre de ce que veut l’Opposante. De façon générale, la décision in Smith, Kline & French Canada Ltd c Canada (Registraire des marques de commerce), [1987] 2 CF 633 (CF 1re inst) constitue le fondement de la position de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada selon laquelle une marque de commerce consistant en une ou en plusieurs couleurs appliquées à l’ensemble de la surface visible d’un objet tridimensionnel en particulier est considérée comme étant une marque de commerce ordinaire, et non pas un signe distinctif. Par conséquent, ce motif d’opposition est rejeté.

[35]           À l’égard du motif d’opposition exposé au point 3(b)(ii), l’Opposante a plaidé que, conformément à l’alinéa 38(2)b), la Marque n’est pas enregistrable parce que tout droit à l’exclusivité octroyé à la Requérante en ce qui concerne l’emploi de la Marque aurait pour résultat probable de limiter de façon déraisonnable le développement de l’industrie, plus particulièrement de la production, de la mise en marché et de la vente de produits du tabac fabriqués au Canada.

[36]           J’ai interprété cette partie de ce motif comme une prétention selon laquelle la Marque n’est pas enregistrable parce qu’elle contrevient au paragraphe 13(3) de la Loi. Dans Ipex Inc c Royal Group Technologies Limited dba Royal Pipe Company (2009), 77 CPR (4th) 297 (COMC), la membre Bradbury a statué que le paragraphe 13(3) ne peut être invoqué au soutien d’un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 38(2)b) parce qu’il concerne les enregistrements et non les demandes et qu’il ne renvoie pas à l’enregistrabilité. Je suis d’accord. Si j’ai tort sur ce point, alors le motif d’opposition exposé au point 3(b)(ii) serait rejeté au motif que l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau initial sur ce point.

Motif relatif au caractère distinctif

[37]           Pour ce qui est du motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif, la période pertinente pour l’examen des circonstances relatives à cette question est la date de production de l’opposition (c’est‑à‑dire le 14 août 2007) : voir Andres Wines Ltd c E & J Gallo Winery (1975), 25 CPR (2d) 126 (CAF), à la page 130, et Park Avenue Furniture Corp c Wickes/Simmons Bedding Ltd (1991), 37 CPR (3d) 413 (CAF), à la page 424. La Requérante a le fardeau ultime de démontrer que sa Marque est adaptée à distinguer ou qu’elle distingue réellement ses marchandises de celles d’autres entreprises partout au Canada : [voir Muffin Houses Inc c The Muffin House Bakery Ltd. (1985), 4 CPR (3d) 272 (COMC)]. Enfin, il incombe à l’Opposante de prouver les allégations de fait au soutien de son motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif.

[38]           Dans la présente affaire, l’Opposante doit établir que la couleur orange a été utilisée sur l’emballage de produits de tabac par des tiers dans une telle mesure et d’une telle façon que cet emploi est devenu suffisamment connu pour que le caractère distinctif de la Marque n’existe plus [Motel 6, Inc c No 6 Motel Ltd (1981), 56 CPR (2d) 44 (CF 1re inst), à la page 58]. En d’autres termes, l’Opposante a seulement besoin de démontrer que les paquets orange étaient fréquemment utilisés dans l’industrie du tabac à la période pertinente [Novopharm c Astra Aktiebolag (2004), 36 CPR (4th) 158 à 174 (COMC)]. L’Opposante n’a pas l’obligation de démontrer que les acheteurs reconnaissent la couleur orange sur les emballages de produits du tabac comme étant une marque de commerce [3M Co. c Tape Specialities Ltd (2008), 70 CPR (4th) 138 (COMC)].

[39]           La preuve de l’Opposante selon laquelle les deux produits de cigarettes étaient vendus au Canada avec sans doute la couleur orange sur leur emballage (c’est‑à‑dire les cigarettes MORE de l’Opposante et les cigarettes NUMBER 7 de Philip Morris) est postérieure à la période pertinente pour ce motif d’opposition. À cet effet, l’affidavit de Mme Dyal mentionne que l’Opposante n’a pas commencé à vendre des cigarettes MORE au Canada avant octobre 2007. La seule information disponible sur les cigarettes NUMBER 7, c’est que leur vente a commencé au Canada en mars 2008 (contre‑interrogatoire de M. Bussey, questions 62 et 63). À la lumière de cette information, à savoir que la preuve est postérieure à la date de la déclaration de l’opposition, je considère cette preuve comme étant non pertinente en ce qui touche le caractère distinctif de la Marque. De plus, je n’ai pas considéré la déclaration de M. Bussey selon laquelle un tiers, Lanwest, offrait des cigarettes Smooth Flavour PODIUM dans un emballage orange à partir de juillet 2007 comme étant pertinente à l’égard de ce motif. En effet, en l’absence de chiffres de vente ou de dépenses de publicité, il n’est pas possible de déterminer à quel point cette marque était connue avant la date pertinente.

[40]           À l’égard du reste de la preuve de l’Opposante, comme nous l’avons vu, la Requérante s’est opposée à la preuve de l’Opposante en ce qui touche la vente de produits autres que des cigarettes au motif qu’elle ne reposait que sur du ouï‑dire et du ouï‑dire double. Bien que je reconnaisse que les affidavits de MM. Fortin, Tanton, Bower et Sue comportent du ouï‑dire, je leur accorde un certain poids, puisque je considère que cette preuve répond aux exigences de nécessité et de fiabilité.

[41]           La Requérante soutient aussi que la preuve de l’Opposante n’est pas pertinente parce qu’elle ne concerne pas spécialement les cigarettes. À mon avis, étant donné que les cigarettes, les cigares, les cigarillos et le tabac brut font tous partie de l’industrie du tabac, je considère la preuve relative aux marchandises autres que les cigarettes comme étant pertinente en ce qui concerne ce motif d’opposition. À cet égard, je crois qu’une analogie peut être faite entre l’industrie du tabac et l’industrie des boissons alcoolisées. Il a été statué que le vin, les spiritueux et les autres boissons alcoolisées, comme la bière ou les ales font tous partie d’une industrie, soit l’industrie des boissons alcoolisées [Carling Breweries Ltd c Registraire des marques de commerce (1972), 8 CPR (2d), à la page 251]. Je crois que la même conclusion peut être faite pour les produits du tabac. Il existe aussi une preuve dans le cas présent que les marchandises des parties pourraient être vendues dans les mêmes points de vente et qu’elles pourraient même l’être côte à côte.

[42]           Des cinq produits de tabac de tiers pour lesquels M. Sue a fourni des données de vente conclues avant la date pertinente, quatre d’entre eux comportent le mot [traduction] « pêche » sur leur emballage. Cela me laisse croire que c’est l’arôme que les consommateurs associeraient avec la marchandise. Je suis d’avis que les consommateurs considéreraient la couleur utilisée sur l’emballage comme étant la couleur pêche par opposition à la couleur orange.

[43]           Les deux autres produits pour lesquels M. Sue a fourni des données de vente pour la période antérieure à la date pertinente sont le tabac Amphora Mellow Blend et les cigares Hav‑A‑Tampa. Le paquet de tabac Amphora Mellow Blend est orange foncé et brun et celui des cigares Hav‑A‑Tampa est blanc et orange, avec d’autres éléments graphiques. Les données de vente de tabac Amphora Mellow Blend montrent que 7 084 paquets ont été vendus en 2006 et 19 535, en 2007. Les données de vente des cigares Hav‑A‑Tampa montrent que 38 675 paquets ont été vendus en 2006 et 40 864, en 2007.

[44]           Bien que les affidavits de MM. Fortin, Tanton et Bower font mention de plusieurs autres paquets de produits du tabac, la majorité de ceux‑ci contiennent aussi le mot [traduction] « pêche », les exceptions étant le papier à cigarettes Juicy Jay (défini sur son emballage comme étant à l’arôme orange), le tabac Juicy Blunts Orange Overload et le papier à rouler Smoking (défini comme étant à l’arôme orange sur l’emballage). Dans tous les cas, bien que chaque déposant ait été en mesure de confirmer que ces produits de tabac étaient vendus dans leur région avant la date pertinente, il n’existe pas de données de vente pour ces produits.

[45]           Je suis d’avis que malgré le fait que l’Opposante n’avait pas à montrer que l’emploi sur les produits de tabac de la couleur orange telle qu’elle est appliquée sur les emballages était bien connue au Canada avant la date pertinente, elle devait démontrer que les tiers étaient au courant de l’emploi de la couleur orange à cette fin, de telle manière que cet emploi était suffisamment connu pour que le caractère distinctif de la Marque n’existe plus. La jurisprudence n’est pas claire en ce qui concerne l’importance des ventes et de la publicité que l’Opposante doit prouver pour s’acquitter de son fardeau dans des situations comme le cas présent. La preuve fait état de ventes de 7 000 à 40 000 emballages de couleur orange pour le tabac Amphora Mellow Blend et les cigares Have‑A‑Tampa entre 2006 et 2007. J’estime que ces ventes sont relativement faibles, particulièrement quand on les compare aux 9 à 11 millions de paquets de la Requérante vendus pendant la même période. Comme je ne crois pas que l’Opposante ait établi que les paquets orange étaient courants sur le marché du tabac à la date pertinente, l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve à l’égard de ce motif. Ce motif d’opposition est par conséquent rejeté.

Dispositif

[46]           En vertu des pouvoirs qui m’ont été délégués en application du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition conformément aux dispositions du paragraphe 38(8) de la Loi.

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Cindy R. Folz

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo

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