Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

DANS L'AFFAIRE DE L'OPPOSITION de Rothmans Benson & Hedges Inc. à la demande no 1122387 produite par la Compagnie Player's Inc. en vue de l'enregistrement de la marque de commerce RESERVE

 

 

[1].             Le 19 novembre 2001, la Compagnie Player's Inc. (la Requérante) a produit une demande d'enregistrement pour la marque de commerce RESERVE (la Marque), fondée sur son emploi projeté au Canada en liaison avec des « produits du tabac manufacturés » (les Marchandises).

 

[2].             Cette demande a été annoncée aux fins d'opposition dans le Journal des marques de commerce le 26 février 2003.

 

[3].             Le 24 juillet 2003, Rothmans Benson & Hedges Inc. (l'Opposante) a produit une déclaration d'opposition à l'égard de ladite demande. Les motifs de cette opposition, dans la version modifiée de leur exposé, peuvent se résumer comme suit :

a.       La demande n'est pas conforme à l'alinéa 30i) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T‑13, et ses modifications (la Loi), en ce que la Requérante ne pouvait être convaincue qu'elle avait le droit d'employer la Marque comme marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises décrites dans cette demande, étant donné qu'elle avait connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des marques déposées citées à l'alinéa c) ci‑dessous avant la date de production de ladite demande.

b.      La Marque n'est pas enregistrable au sens de l'alinéa 12(1)b) de la Loi, puisqu'elle donne une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises à l'égard desquelles on projette de les employer.

c.       La Marque n'est pas enregistrable au sens de l'alinéa 12(1)d) de la Loi parce que la demande produite en vue de son enregistrement crée de la confusion avec les marques de commerce déposées MACDONALD’S SPECIAL RESERVE (LMC191379) et DUNHILL SPECIAL RESERVE (LMC487953).

d.      La Marque n'est pas distinctive à l’égard de la Requérante, étant donné qu'elle ne distingue pas les marchandises de la Requérante de celles d'autres propriétaires ni n'est adaptée à les en distinguer.

 

[4].             La Requérante a produit et signifié une contre-déclaration niant la totalité des motifs d'opposition.

 

[5].             L'Opposante a présenté comme preuve un affidavit de Perry J. Lao. La Requérante a présenté un seul ensemble d'affidavits – souscrits par Edmond Ricard, Chantal Dorais, Adama Santoianni, Timothy Owen Stevenson, Eric Weaver, Iva Morina et Gay Owens – relativement à la présente opposition, ainsi qu'à sept autres formées contre elle par l'Opposante. Je n'examinerai ici que les aspects de la preuve pertinents pour la présente opposition.

 

[6].             Chacune des parties a produit un plaidoyer écrit, et il a été tenu une audience, où seule la Requérante était représentée.

 

Le fardeau de preuve et les dates pertinentes

 

[7].             Il incombe à la Requérante d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande est conforme aux exigences de la Loi. Cependant, l'Opposante a le fardeau initial de produire une preuve suffisante pour établir la véracité des faits sur lesquels s’appuie chacun de ses motifs d'opposition [voir : John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.); et Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.)].

 

[8].             Les dates pertinentes pour l'examen des circonstances afférentes à chacun des motifs d'opposition invoqués dans la présente espèce sont les suivantes :

 

         le motif fondé sur l'article 30 de la Loi : la date de production de la demande d'enregistrement [voir Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 469 (C.O.M.C.)];

         le motif fondé sur l'alinéa 12(1)b) de la Loi : la date de production de la demande d'enregistrement [voir General Housewares Corp. c. Fiesta Barbeques Limited (2003), 28 C.P.R. (4th) 60 (C.F. 1re inst.)];

         le motif fondé sur l'alinéa 12(1)d) de la Loi : la date de ma décision [voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.)];

         le motif fondé sur l'absence de caractère distinctif de la Marque : la date pertinente généralement admise est la date de production de la déclaration d'opposition [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F. 1re inst.)].

 

[9].             J'analyserai maintenant les motifs d'opposition en fonction de la preuve au dossier, sans nécessairement suivre l'ordre où ils sont exposés dans la déclaration d'opposition.

 

Le motif d'opposition fondé sur l'alinéa 12(1)b)

 

[10].         L'Opposante soutient que la Marque n'est pas enregistrable au sens de l'alinéa 12(1)b) de la Loi, pour les raisons suivantes :

 

[TRADUCTION] (…) la [M]arque, qu'elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, donne une description claire ou une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises à l'égard desquelles on projette de l'employer. Le mot RESERVE est laudatif, dans la mesure où il signifie quelque chose qu'on retient ou qu'on met de côté. Ce mot donne une description claire ou une description fausse et trompeuse des [M]archandises de la Requérante, en ce qu'il les présente comme étant retenues ou mises de côté du fait d'une nature ou d'une qualité différentes ou supérieures par rapport à d'autres produits du tabac manufacturés de la Requérante ou à ceux d'autres entreprises.

 

[11].         Le critère applicable sous le régime de l'alinéa 12(1)b) de la Loi consiste à se demander si la marque de commerce considérée dans son ensemble donne une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises ou des services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer. Il ne convient pas de diviser la marque de commerce en ses éléments et de l'analyser avec soin, mais plutôt de la considérer dans son ensemble pour voir quelle est l'impression immédiate qu'elle produit [voir à ce sujet : Wool Bureau of Canada Ltd. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1978), 40 C.P.R. (2d) 25 (C.F. 1re inst.), aux pages 27 et 28; et Atlantic Promotions Inc. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1984), 2 C.P.R. (3d) 183 (C.F. 1re inst.), à la page 186]. Le terme « nature » s'entend d'une caractéristique, d'un trait ou d'une particularité du produit, et l'adjectif « claire » veut dire évidente, qui va de soi, facile à comprendre [voir Drakett Co. of Canada c. American Home Products Corp. (1968), 55 C.P.R. 29 (C. Éch.), à la page 34].

 

[12].         Pour les raisons exposées ci‑dessous, l'application de ces principes à la présente espèce me convainc que, comme le soutient l'Opposante, le motif fondé sur l'alinéa 12(1)b) doit être accueilli.

 

[13].         L'Opposante a présenté, par l'intermédiaire de l'affidavit de Me Lao, des extraits de divers dictionnaires papier et en ligne disponibles au Canada où est défini le mot « RESERVE ». Selon ces extraits, le mot « RESERVE » peut revêtir diverses significations en anglais, par exemple : celle de lieu ou de contenant où l'on conserve, range ou entrepose quelque chose; celle de rare; celle de forces militaires qui s'ajoutent aux forces régulières d'un pays; et, dans un contexte littéraire ou artistique, celle d'absence d'exagération ou d'effets disproportionnés dans l'expression. Ce mot  peut aussi être employé comme synonyme de retenue, de réticence, d'impassibilité ou d'attitude distante. Il a aussi des significations particulières à certains secteurs d'activité tels que les industries pétrolière et gazière – où il désigne une quantité de pétrole, de gaz naturel, de métal, etc., dont on connaît l'existence et qu'on sait être disponible pour l'exploitation – ou les services financiers – où il s'applique à la portion des bénéfices d'une société que celle‑ci ajoute à son capital plutôt que de la distribuer aux actionnaires. Enfin, dans le contexte canadien, le mot « RESERVE » désigne un territoire réservé à l'usage exclusif d'un groupe amérindien du pays. Cependant, on voit mal comment un ensemble de significations aussi diverses pourrait s'appliquer intégralement aux Marchandises de la Requérante. 

 

[14].         La preuve au dossier étaye l'affirmation de l'Opposante selon laquelle le mot « RESERVE » donne une description claire des Marchandises ou possède un caractère laudatif, dans la mesure où il présente ces dernières comme étant retenues ou mises de côté du fait d'une nature ou d'une qualité différentes ou supérieures par rapport à d'autres produits du tabac manufacturés de la Requérante ou à ceux d'autres entreprises.

 

[15].         À en juger par les enregistrements de marques de commerce énumérés dans les affidavits de Mme Owens et de Me Lao, l'Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) a accordé à trois entités différentes au moins six enregistrements visant des marques de commerce où le mot « RESERVE » est employé en liaison avec des produits du tabac, soit les suivantes :

 

                     AMPHORA BLACK CAVENDISH & DESSIN (LMC602407),

                     AMPHORA GOLDEN BLEND & DESSIN (LMC602366),

                     AMPHORA MALT WHISKEY & DESSIN (LMC602388),

                     AMPHORA WILD CHERRY & DESSIN (LMC602211),

                     MACDONALD SPECIAL RESERVE (LMC191379),

                     DUNHILL SPECIAL RESERVE (LMC487953).

[16].         L'élément graphique de chacune des quatre marques « AMPHORA » comprend les mots « SPECIAL RESERVE ». Seul l'enregistrement de la marque de commerce DUNHILL SPECIAL RESERVE est subordonné au désistement du droit à l'usage exclusif des mots « SPECIAL » et « RESERVE » en dehors de la marque. S'il est vrai que le nombre susdit d'enregistrements est peut-être trop peu élevé pour qu'en puisse en tirer des conclusions sur l'état du marché, la Requérante reconnaît elle-même au paragraphe 55 de son plaidoyer écrit que le mot « RESERVE » [TRADUCTION] « se retrouve dans de nombreux autres enregistrements et demandes d'enregistrement de marques de commerce, y compris de marques destinées à être employées en liaison avec des produits du tabac ou assimilés. Par conséquent, ajoute‑t‑elle, si les marques de commerce invoquées possèdent un caractère distinctif inhérent, ce caractère distinctif est attribuable aux éléments autres que le mot "RESERVE". »

 

[17].         Les extraits de divers magazines relatifs au tabac achetés à Toronto le 9 février 2004, que l'Opposante a produits par l'intermédiaire de l'affidavit de Me Lao, viennent aussi étayer, dans une certaine mesure, l'affirmation de cette dernière comme quoi le mot « RESERVE » donne une description claire des Marchandises ou revêt un caractère laudatif. On trouve dans ces extraits des noms de cigares contenant le mot « RESERVE » (ou son équivalent espagnol), soit : « Savinelli Nicaragua Reserve Special Selection Toro », « Saint Luis Rey Reserva Espacial Toro », « Camacho Special Limited Reserve Toro », « Onyx Reserve Robusto » et « H. Upman Chairman’s Reserve Robusto ». S'il est vrai qu'aucun élément de la preuve ne tend à établir que l'une quelconque de ces marques de cigares était disponible à la vente au Canada à la date de production de la demande de la Requérante, ces extraits donnent à penser que le mot « RESERVE » présente un caractère descriptif dans le contexte des Marchandises de la Requérante.

 

[18].         La position de l'Opposante est en outre étayée par la jurisprudence, comme en témoignent les trois citations qui suivent, soit les propos tenus par le juge Pigeon dans l'arrêt Johnson (S.C.) & Son, Ltd. et autre c. Marketing International Ltd. (1979), 44 C.P.R. (2d) 16 (C.S.C.), ceux du juge Cattanach dans la décision Benson & Hedges (Canada) Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1983), 75 C.P.R. (2d) 115 (C.F. 1re inst.), ainsi qu'un extrait du Manuel d'examen des marques de commerce de l'OPIC, tous passages dont, malgré leur longueur, la reproduction se révèle nécessaire pour permettre au lecteur de bien saisir le raisonnement sous-tendant la série de précédents qui trouve son application dans la présente espèce :

 

Johnson (S.C.) & Son, Ltd. et autre c. Marketing International Ltd. :

 

20     Le juge de première instance a déclaré à la p. 24 de ses motifs [32 C.P.R. (2d)] :

… Il semble donc que le mot « off », associé le plus souvent avec d’autres mots, prenne un sens variable selon le contexte. Si on l’emploie elliptiquement, plusieurs sens sont possibles.

 

Cela étant, le mot « off » pris en lui-même, en l’absence de contexte, n’a pas de sens précis et en conséquence il ne peut-être « une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels (il) est employé », à moins qu’une explication ne soit fournie par d’autres mots, qui sont ici sous-entendus, donc laissés à l’imagination du lecteur.

 

Je conclus donc que le dépôt du mot « OFF! » a été régulièrement fait par la demanderesse du Wisconsin, que ce mot, suivi d’un point d’exclamation, a été « adapté » pour distinguer les produits du déposant et a atteint ce but.

 

21     Avec égards, j’estime que le savant juge de première instance a mal interprété l’emploi du mot « off » par la demanderesse. Il n’a pas tenu compte de l’élément essentiel suivant: le mot est employé elliptiquement à l’égard d’un insectifuge et, dans ce contexte, il décrit la marchandise ou son effet. Il a également omis de prendre en considération qu’en demandant l’enregistrement de la marque de commerce, Johnson É.-U. réclamait en fait le droit exclusif d’utiliser un mot commun, couramment employé à l’égard de diverses marchandises ayant toutes la propriété de repousser quelque chose ou d’en débarrasser. La diversité et le nombre des marques de commerce qui se terminent par « off » et figurent actuellement au registre montre à quel point cet emploi est répandu.

 

Benson & Hedges (Canada) Inc. c. Imperial Tobacco Ltd.

 

9     Dans les dictionnaires, le mot « Right » a un grand nombre de sens, mais lorsqu'il est utilisé comme marque de commerce en liaison avec des marchandises, les définitions les plus fréquentes sont notamment [TRADUCTION] « relatif à la qualité », « conforme à une norme ou à un principe », « convenable », « approprié », « satisfaisant aux exigences de la nécessité, de la justesse ou du caractère approprié », « possédant un caractère authentique », « très favorable, commode ou désiré », « avantageux », « de préférence ». Le thème commun à cette définition est [TRADUCTION] « convenable, approprié, désirable et satisfaisant ». On retrouve l'idée de satisfaire à une certaine norme.

 

10     Le Funk & Wagnalls Handbook of Synonyms and Antonyms donne les synonymes suivants du mot « Right » employé comme adjectif : [TRADUCTION] « convenable, approprié, juste, bon, approprié parmi d'autres » et les antonymes « mauvais, malhonnête, malveillant, faux, impropre et incorrect », qui mettent l'accent sur le sens contraire du mot « Right ».

 

11     Ainsi, le mot « Right », tout comme le mot « Extra » qui a fait l'objet d'observations semblables dans l'affaire Molson Companies Ltd. c. John Labatt Ltd. (1981), 58 C.P.R. (2d) 157 à la page 160, a une connotation louangeuse selon laquelle les marchandises modifiées satisfont à une norme précise et sont désirables et satisfaisantes.

 

12     Dans son commentaire à l'égard de cet extrait, le président de l'audience a dit qu'il a été jugé que le mot « Extra » pris isolément n'était pas enregistrable en liaison avec des marchandises, mais a omis d'ajouter que le mot « Extra » n'était pas enregistrable en liaison avec des marchandises parce qu'il mettait en valeur la nature ou la qualité des marchandises sous un aspect matériel.

 

13     Les mots qui par leur nature même ont une connotation louangeuse ont un caractère elliptique implicite qui décrit les marchandises avec lesquelles ils sont ou doivent être associés.

 

14     Dans l'affaire étudiée par le juge Pigeon dans l'arrêt S.C. Johnson & Son Ltd. c. Marketing Int'l. Ltd. (1980 R.C.S. 99), le mot « Off » n'avait ni connotation louangeuse en lui-même ni un caractère descriptif, mais plutôt, dans le contexte des marchandises avec lesquelles il était associé, il ne pouvait avoir qu'un seul caractère elliptique. On ne pouvait juger que le mot « Off » était descriptif sans cette ellipse particulière.

 

15     La remarque du juge Mahoney, dans l'affaire Thomson Research Associates Ltd. c. Registraire des marques de commerce ([1982] 67 C.P.R. (2d) 205), a porté sur ce sujet.

 

16     Comme dans l'affaire « Extra » ou Molson c. John Labatt, susmentionnée, le mot « Right » a une connotation louangeuse semblable relativement aux marchandises avec lesquelles on projette de l'associer et l'on ne peut distinguer le présent appel de cette affaire.

 

17     Il s'ensuit que le mot « Right » utilisé comme marque de commerce en liaison avec des cigarettes est une description claire ou fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité de ces marchandises et à ce titre ne peut être enregistrée.

 

Manuel d'examen des marques de commerce de l'OPIC

 

IV.4.8 Nature ou qualité

Une marque de commerce n'a pas droit à l'enregistrement si elle constitue une description claire ou une description fausse et trompeuse en anglais ou en français de la nature ou de la qualité des services ou marchandises en liaison avec lesquels elle est employée ou à l'égard desquels on projette de l'employer. En ce qui a trait à la nature des services et des marchandises, l'examinateur peut suivre la ligne de pensée du juge Cattanach qui, dans l'affaire Drackett Co. of Canada Ltd. v. American Home Products Corp. (1968), 55 C.P.R. 29, à la p. 34, déclarait : « ...le mot "nature", tel qu'il apparaît à l'alinéa 12(1)b), doit être pris dans le sens d'aspect, de trait ou de caractéristique du produit. »

[...]

Dans la décision Thomson Research Associates Ltd. c. Le registraire des marques de commerce (1982), 67 C.P.R. (2d) 205, concernant la marque Ultra Fresh, le juge a statué que la fonction des marchandises était clairement descriptive de leur nature. Le juge Mahoney énonce ce qui suit à la p. 208 :

« Je souscris à la prétention de l'intimé que la marque Ultra Fresh est clairement descriptive. Elle ne décrit pas les bactériostatiques et les fongistatiques en tant que tels, mais elle décrit clairement, ou décrit de façon fausse ou trompeuse, l'état du produit, par exemple l'état du sous-vêtement après qu'il a été traité aux bactériostatiques et aux fongistatiques. »

Et, plus loin :

« La marque de commerce Ultra Fresh ne suppose pas simplement une qualité des bactériostatiques ou des fongistatiques, mais plutôt, elle indique clairement l'effet principal, sinon le seul effet, de leur application à d'autres marchandises ou, en d'autres mots, leur fonction. »

Certains mots d'usage courant dans un domaine particulier tel que "Fashions" (mode) ou "Pack" (paquet), qui expriment des qualités distinctives de marchandises ou de services, sont considérés comme une description claire de leur nature et ne sont donc pas enregistrables. Mais une marque composée qui contient ces mots clairement descriptifs peut avoir droit à l'enregistrement si l'on ajoute une clause de désistement à la demande et si la marque, dans son ensemble, comporte d'autre matière enregistrable.

[…]

Des marques telles que Supérieur, Excellent, Qualité, Meilleur, Ultra, Super, Suprême ou Parfait, qui vantent les mérites ou la supériorité des marchandises, sont clairement descriptives de leur qualité et ne sont pas enregistrables, sauf si le requérant démontre le caractère distinctif ou le deuxième sens acquis de la marque conformément au paragraphe 12(2) ou encore prouve qu'elle n'est pas dépourvue de caractère distinctif au Canada aux termes de l'article 14. Voir les sections IV.10 et II.7.8 du présent manuel. Cependant, ces mots peuvent faire l'objet d'un désistement s'ils représentent une partie d'une marque de commerce composée et [traduction] « ...qu'il reste un élément distinctif, ou un dessin qui permettent de distinguer la marque dans son ensemble des autres marques... » Voir la décision Lake Ontario Cement Ltd. v. Registrar of Trade Marks (1976), 31 C.P.R. (2d) 103, à la p. 109.

 

[19].         La Requérante soutient que, si les marques de commerce susdites MACDONALD’S SPECIAL RESERVE et DUNHILL SPECIAL RESERVE peuvent effectivement évoquer l'idée que l'Opposante affirme être suscitée par la marque de commerce « RESERVE » prise en elle-même, à savoir que les produits visés sont retenus ou mis de côté du fait d'une nature ou d'une qualité différentes ou supérieures par rapport à celles d'autres produits du tabac manufacturés, on ne peut attribuer une telle signification à l'emploi de la marque de commerce RESERVE considérée isolément. La Requérante prétend plus précisément que les définitions lexicales produites en preuve par l'Opposante donnent à penser que la marque « RESERVE », employée en liaison avec des produits du tabac, peut suggérer n'importe laquelle des idées suivantes :

         que le produit en question confère au fumeur une apparence d'impassibilité ou de retenue;

         que ce produit provient d'une réserve autochtone canadienne, les autochtones jouant un rôle de plus en plus important dans l'offre de produits du tabac au Canada;

         que le produit en question n'est disponible qu'en faible quantité;

         que ce produit a été à un moment donné conservé dans un endroit ou un contenant pouvant être qualifié de réserve;

         que ce produit est fabriqué par des réservistes ou pour leur compte, ou est spécialement conçu pour le goût des réservistes.

 

[20].         La Requérante invoque aussi la preuve, produite par l'intermédiaire de l'affidavit de Mme Owens, concernant l'état du registre à l'appui de sa thèse que le mot « RESERVE » ne donne pas une description claire des Marchandises de la manière affirmée par l'Opposante. Les affirmations de la Requérante ne me convainquent pas dans la présente espèce. La preuve relative à l'état du registre montre que le mot « RESERVE » se retrouve dans de nombreuses autres marques de commerce faisant l'objet d'enregistrements et de demandes, y compris dans des marques destinés à l'emploi en liaison avec des produits du tabac ou assimilés, comme on l'a vu plus haut. Il est vrai que le registraire a accueilli la plupart de ces demandes d'enregistrement sans estimer qu'un désistement du droit à l'usage exclusif du mot « RESERVE » était nécessaire, mais il reste que, selon la preuve au dossier, il y a au moins six enregistrements de marques de commerce dans lesquelles ce mot est employé en liaison avec des produits du tabac, ce que la Requérante ne conteste pas. En outre, comme on l'a vu plus haut, la Requérante a elle-même admis, dans une certaine mesure, que le mot « RESERVE » revêt un caractère descriptif dans le contexte des Marchandises. Le fait que la Requérante demande l'enregistrement du mot « RESERVE » pris isolément plutôt que de l'expression « SPECIAL RESERVE », qu'on trouve dans les enregistrements susmentionnés de marques visant des produits du tabac de tierces entreprises, n'a pas pour effet de rendre la Marque simplement suggestive. Comme je le disais ci‑dessus, il ne s'agit pas ici d'analyser soigneusement la Marque, mais plutôt de voir quelle est l'impression immédiate qu'elle produit. Bien que la preuve de l'Opposante ne soit peut-être pas substantielle, je conclus qu'elle suffit néanmoins, étant donné les observations que j'ai déjà formulées, pour rendre improbable qu'on attribue à ladite Marque la diversité de significations invoquée par la Requérante.

 

[21].         Je conclus donc que l'Opposante s'est acquittée du fardeau initial dont elle devait s'acquitter pour mettre en litige les allégations selon lesquelles la Marque donne une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des Marchandises. Vu l'analyse qui précède, je conclus en outre que la Requérante n'a pas établi, suivant la prépondérance des probabilités, que la Marque visée par sa demande, considérée du point de vue de la première impression qu'elle produit, ne donne pas une description claire et facile à comprendre d'une caractéristique déterminée des Marchandises. En conséquence, j'accueille le motif d'opposition fondé sur l'alinéa 12(1)b).

 

Le motif d'opposition fondé sur l'alinéa 12(1)d)

 

[22].         L'Opposante a produit par l'intermédiaire de l'affidavit de Me Lao des copies conformes des deux enregistrements de marque de commerce qu'elle invoquait à l'appui de ce motif d'opposition. J'ai exercé mon pouvoir discrétionnaire d'examiner le registre des marques de commerce et de vérifier l'état actuel de ces enregistrements. Comme ils sont en règle, l'Opposante s'est acquittée du fardeau initial qui lui incombait relativement à ce motif d'opposition.

 

[23].         Étant donné ces éléments versés en preuve par l'Opposante, la Requérante doit établir suivant la prépondérance des probabilités qu'il n'y a pas de probabilité raisonnable de confusion entre la Marque et les enregistrements susdits.

 

[24].         Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. Le paragraphe 6(2) de la Loi dispose que l'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

[25].         Dans l'application du test en matière de confusion, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, notamment des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi, soit : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent. Cette liste n'est pas exhaustive, et l'on attribuera respectivement des poids différents aux facteurs suivant le contexte. Le lecteur trouvera un examen approfondi des principes généraux de l'application du test relatif à la confusion dans les deux arrêts suivants : Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc. (2006), 49 C.P.R. (4th) 321 (C.S.C.); et Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée (2006), 49 C.P.R. (4th) 401, [2006] 1 R.C.S. 824 (C.S.C.).

 

[26].         Il n'est pas nécessaire d'effectuer une analyse détaillée à partir des facteurs du paragraphe 6(5) dans la présente espèce. Qu'il me suffise de dire que, bien que les marchandises et les voies de commercialisation en question soient les mêmes, chacune des marques de tiers est suffisamment différente de la Marque pour rendre la confusion improbable.

 

[27].         En effet, s'il est vrai que l'intégralité de la Marque de la Requérante se retrouve comme élément des deux enregistrements invoqués, il n'y a pas de ressemblance entre les premiers éléments respectifs des marques en question, soit MACDONALD, DUNHILL et RESERVE. Il est de jurisprudence constante que le premier élément de la marque de commerce est celui qui sert le plus à établir son caractère distinctif [voir Conde Nast Publications Inc. c. Union des Éditions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F. 1re inst.), à la page 188]. Étant donné les différences considérables qui séparent la Marque de chacune des marques invoquées, ainsi que le caractère descriptif du mot « RESERVE », que j'ai établi plus haut, j'estime qu’il n’est pas nécessaire d'exposer ici en détail l'analyse que j'ai effectuée à propos de chacune desdites marques invoquées.

 

[28].         Vu les conclusions qui précèdent, je constate que la Requérante s'est acquittée du fardeau qui lui incombait d'établir suivant la prépondérance des probabilités qu'il n'y a pas de probabilité raisonnable de confusion entre les marques en question pour ce qui concerne la source des marchandises. Le motif d'opposition fondé sur l'alinéa 12(1)d) est en conséquence rejeté.

 

[29].         L'Opposante a formulé le moyen subsidiaire suivant dans son plaidoyer écrit :

 

[TRADUCTION] C.2 j) Pour le cas où l'agent d'audience conclurait que la marque en cause dans la présente espèce ne crée pas de confusion avec les marques de commerce déposées que nous citons, au motif que les autres éléments respectifs de l'une et des autres suffisent à distinguer chacune, nous soutenons subsidiairement que le mot RESERVE contenu dans ladite marque en cause constitue un élément non distinctif et faible, et un mot commun de la langue anglaise qui devrait être à la disposition de tous les commerçants du secteur.

 

[30].         Étant donné les observations que j'ai formulées ci‑dessus touchant le motif d'opposition fondé sur l'alinéa 12(1)b), j'estime qu’il n’est pas nécessaire d'ajouter d’autres commentaires à l’égard de ces dernières affirmations de l'Opposante.

 

Le motif d'opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif

 

[31].         L'Opposante soutient que la Marque n'est pas distinctive à l’égard de la Requérante en ce qu'elle ne distingue pas les Marchandises de la Requérante de celles d'autres propriétaires ni n'est adaptée à les en distinguer. La Requérante a fait valoir à l'audience que ce motif d'opposition n'était pas valablement invoqué. Je pense comme la Requérante que l'exposé de ce motif manque de précision. Cependant, vu la déclaration d'opposition considérée dans son ensemble, ainsi que la preuve au dossier, j'interprète ce moyen de l'Opposante comme signifiant que la Marque visée par la demande serait inapte à distinguer les Marchandises de la Requérante des marchandises d'autres personnes : a) parce qu'elle donne une description claire ou une description fausse et trompeuse desdites Marchandises, ou b) parce qu'elle crée de la confusion avec les marques de commerce déposées MACDONALD’S SPECIAL RESERVE et DUNHILL SPECIAL RESERVE [voir Novopharm Ltd. c AstraZeneca AB et al. (2002), 21 C.P.R. (4th) 289 (C.A.F.), à la page 293].

 

[32].         Ayant conclu que la Marque projetée de la Requérante n'est pas enregistrable au sens de l'alinéa 12(1)b), je dois nécessairement conclure aussi qu'elle n'est pas distinctive. En conséquence, j'accueille également le motif d'opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif.

 

Le motif d'opposition fondé sur l'alinéa 30i)

 

[33].         L'Opposante fait valoir que, étant donné l'existence au Canada des enregistrements nos LMC191379 et LMC487953 visant respectivement les marques de commerce MACDONALD'S SPECIAL RESERVE et DUNHILL SPECIAL RESERVE, dont elle soutient que la Requérante avait connaissance, cette dernière ne pouvait être convaincue qu'elle avait le droit de faire enregistrer sa marque de commerce RESERVE.

 

[34].         Ce motif est rejeté, parce que l'Opposante ne s'est pas acquittée du fardeau initial qui lui incombait à cet égard. Plus précisément, elle n'a présenté aucun élément tendant à établir que la Requérante avait connaissance des enregistrements en question, aucun élément expliquant pour quelles raisons elle aurait dû en avoir connaissance, ni aucun non plus tendant à prouver que la Requérante n’était pas en fait convaincue d'avoir le droit d'employer sa Marque au Canada. Un motif d'opposition fondé sur l'alinéa 30i) ne doit être accueilli que dans des cas exceptionnels, par exemple lorsque la preuve établit que le requérant est de mauvaise foi, ce qui n'est pas le cas en l’espèce.

 

Décision

 

[35].         Dans l’exercice des pouvoirs que m’a délégués le registraire des marques de commerce en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande de la Requérante conformément au paragraphe 38(8).

 

 

FAIT À MONTRÉAL (QUÉBEC), LE 16 JUILLET 2009.

 

 

 

Annie Robitaille

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 

 

Traduction certifiée conforme,

Linda Brisebois, LL.B

 

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