Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2014 COMC 101

Date de la décision : 2014-05-14

TRADUCTION

DANS L'AFFAIRE DE L'OPPOSITION produite par Bedessee Imports Ltd. et Banks DIH Limited à l'encontre de la demande d'enregistrement no 1,172,524 pour la marque de commerce DEMERARA au nom de Demerara Distillers Limited

[1]               La présente décision concerne la procédure d'opposition engagée en vertu de l'article 38 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch. T-13 par Bedessee Imports Ltd. et Banks DIH Limited à l'encontre de la demande no 1,172,524 produite par Demerara Distillers Limited en vue de l'enregistrement de la marque de commerce DEMERARA en liaison avec du [traduction] « rhum ».

[2]               Pour les raisons exposées ci-dessous, la demande d'enregistrement est repoussée.

La demande

[3]               Demerara Distillers Limited (la Requérante) a produit une demande en vue de faire enregistrer la marque de commerce DEMERARA (la Marque) en liaison avec du « rhum » sur la base de l'emploi de la Marque au Canada depuis au moins 1939, ainsi que sur la base de l'emploi et de l'enregistrement de la Marque aux États-Unis.

[4]               La demande, qui a été produite le 27 mars 2003, a été modifiée à deux reprises au cours de son examen par l'Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC). La demande modifiée la plus récente est datée du 23 juillet 2009 et est fondée uniquement sur l'emploi de la Marque au Canada depuis au moins 1939. Dans cette demande, la Requérante revendique le bénéfice de l'article 12(2) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch. T-13 (la Loi).

[5]               Au cours de l'examen de la demande par l'OPIC, l'examinateur s'est objecté, en vertu de l'article 12(1)b) de la Loi, à l'enregistrement de la Marque. Plus particulièrement, l'examinateur a jugé que la Marque donnait [traduction] « une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature des marchandises auxquelles elle est associée, car ces dernières comprennent du rhum Demerara, un type de rhum brun produit en Guyane ».

[6]               Une période d'environ six ans s'est écoulée entre le moment où l'examinateur s'est opposé à l'enregistrement et le moment où la demande a été approuvée aux fins d'annonce. À cet égard, il suffit de mentionner qu'à la suite de l'objection de l'examinateur, la Requérante a revendiqué le droit de se prévaloir des dispositions de l'article 12(2) de la Loi. L'article 12(2) de la Loi prévoit qu'une marque de commerce qui n’est pas enregistrable en raison de l’article 12(1)b) peut être enregistrée si elle a été employée au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenue distinctive à la date de la production d’une demande d’enregistrement la concernant. Au soutien de sa revendication du bénéfice de l'article 12(2) de la Loi, la Requérante a produit une preuve constituée des affidavits de Ramona Vansluytman, souscrite le 8 juin 2004, et de Komal Samaroo, souscrit le 21 octobre 2008.

[7]               Au vu de la preuve de la Requérante, l'examinateur a jugé que la Marque était devenue distinctive seulement en Ontario et a retiré son objection fondée sur l'article 12(1)b) de la Loi. L'examinateur a informé la Requérante que l'enregistrement de la Marque serait restreint à la province de l'Ontario, et la Requérante a accepté qu'il en soit ainsi.

La procédure d'opposition

[8]               Bedessee Imports Ltd. (Bedessee) a produit une déclaration d'opposition le 5 mars 2010. La Requérante a produit une contre-déclaration le 17 mai 2010. Banks DIH Limited (Banks) a été ajoutée à titre d'opposante par la voie d'une déclaration d'opposition modifiée datée du 8 novembre 2010. L'autorisation de produire une déclaration d'opposition modifiée a été accordée par le registraire le 8 février 2011. Dans la présente décision, j'emploierai le terme « Opposantes » pour désigner collectivement Bedessee et Banks.

[9]               Les motifs d'opposition sont exposés en détail à l'Annexe « A » de ma décision. Ils reposent sur des allégations selon lesquelles :

         la Requérante n'emploie pas la Marque à titre de marque de commerce depuis la date revendiquée;

         la Requérante ne pouvait pas être convaincue d'avoir droit d'employer la Marque au Canada;

         la Marque donne une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises;

         la Marque est constituée du nom des marchandises;

         la Marque n'est pas distinctive des marchandises de la Requérante.

[10]           Comme preuve, les Opposantes ont produit les affidavits de Rayman Bedessee, vice-président de la co-opposante Bedessee, et de Terrence I. Bynoe, secrétaire général de la co-opposante Banks. Les déposants ont tous deux été contre-interrogés. Les transcriptions de chaque contre-interrogatoire, la pièce produite ainsi que les réponses aux engagements pris pendant le contre-interrogatoire de M. Bynoe ont été versées au dossier.

[11]           Comme preuve, la Requérante a produit les affidavits de Yesu Persaud, président de la Requérante, et de Komal Samaroo, directeur général de la Requérante. Les Opposantes ont obtenu une ordonnance de contre-interrogatoire pour les deux déposants, mais ont seulement contre-interrogé M. Samaroo. La transcription de son contre-interrogatoire a été versée au dossier. La Requérante a demandé l'autorisation de produire un affidavit de Jennifer Stecyk à titre de preuve supplémentaire, mais sa demande a été rejetée par le registraire [voir la décision interlocutoire du 5 mars 2013].

[12]           Les parties ont toutes deux produit un plaidoyer écrit, et toutes deux étaient représentées à l'audience qui a été tenue.

Fardeau ultime et fardeau initial

[13]           C'est à la Requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer que la demande d'enregistrement ne contrevient pas aux dispositions de la Loi qui sont invoquées dans la déclaration d'opposition au dossier. Cela signifie que s'il est impossible d'arriver à une conclusion déterminante une fois que toute la preuve a été présentée, la question doit être tranchée à l'encontre de la Requérante. L'Opposante doit, pour sa part, s'acquitter du fardeau de preuve initial de prouver les faits sur lesquels elle fonde ses allégations. Le fait qu'un fardeau de preuve initial soit imposé à l'Opposante signifie qu'un motif d'opposition ne sera pris en considération que s'il existe une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l'existence des faits allégués à l'appui de ce motif d'opposition [voir John Labatt Ltd c. Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst.); Dion Neckwear Ltd c. Christian Dior, SA et al. (2002), 20 CPR (4th) 155 (CAF); et Wrangler Apparel Corp c. The Timberland Company (2005), 41 CPR (4th) 223 (CF)].

Les questions

[14]           Les questions, que soulèvent les motifs d'opposition, sont exposées ci-dessous, quoique pas nécessairement dans le même ordre que dans la déclaration d'opposition :

         La Marque donnait-elle une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises de la Requérante à la date de production de la demande?

         La Marque est-elle constituée du nom des marchandises de la Requérante?

         La Requérante employait-elle la Marque à titre de marque de commerce au Canada à la date de production de la demande?

         La Requérante pouvait-elle être convaincue d'avoir droit d'employer la Marque au Canada à la date de production de la demande d'enregistrement?

         La Marque était-elle distinctive des marchandises de la Requérante à la date de production de la déclaration d'opposition?

Observations préliminaires

[15]           Compte tenu de la preuve qui a été produite par les parties, j'estime utile de formuler certaines remarques avant d'entreprendre l'analyse des questions. J'examinerai en même temps les observations présentées par les parties.

Les parties

[16]           Selon le témoignage de M. Samaroo, la Requérante est l'un des principaux distillateurs de rhum de qualité supérieure dans le monde et le plus important fournisseur de rhum et d'alcool en vrac des Caraïbes à des propriétaires de marques en Europe et en Amérique du Nord. La Marque et son nom commercial sont inspirés du nom du comté de Demerara, un comté de la Guyane où la Requérante a son siège social [affidavit de M. Samaroo, para. 2 et 4]. La Requérante [traduction] « est le seul producteur de rhum de marque DEMERARA, aussi bien en bouteille qu'en vrac, à être présent sur le marché canadien »; ce rhum est produit par la Requérante dans ses distilleries de Guyane [affidavit de M. Samaroo, para. 11].

[17]           La co-opposante Bedessee est une entreprise canadienne qui a son siège social dans la région de Toronto [contre-interrogatoire de M. Bedessee, Q10 à Q12]. Selon le témoignage de M. Bedessee, Bedessee vend un large éventail d'aliments et de boissons, mais ne vend pas de boissons alcoolisées [affidavit et contre-interrogatoire de M. Bedessee, para. 2 et Q18 à Q20].

[18]           Selon le témoignage de M. Bynoe, la co-opposante Banks exerce des activités dans l'industrie des aliments et boissons et dans le secteur bancaire, et exploite des hôtels et des restaurants. Le siège social de Banks est situé à Georgetown, dans le comté de Demerara, en Guyane [affidavit de M. Bynoe, para. 3]. Les boissons vendues par Banks incluent le rhum. M. Bynoe explique que Banks se spécialise dans l'assemblage de rhums, c.-à-d. qu'elle achète des rhums bruts auprès de producteurs de rhum qu'elle assemble, met en bouteille et vend sous des marques de commerce, telles que D’AGUAIR et XM [affidavit et contre-interrogatoire de M. Bynoe, para. 4 et Q55 à Q63].

[19]           Les parties ne sont pas étrangères l'une à l'autre. En effet, la preuve démontre ce qui suit :

         avant novembre 2007, Banks achetait son rhum brut auprès de la Requérante [affidavit et contre-interrogatoire de M. Bynoe, para. 4 et Q64; et affidavit de M. Samaroo, para. 13];

         en 2011, MM. Persaud et Samaroo ont assisté à deux réunions de la West Indies Rum & Spirits Producers’ Association Inc. (WIRSPA) auxquelles a également assisté M. Robert Sugdeo pour le compte de Banks [contre-interrogatoire de M. Bynoe, pièce 1; et affidavit de M. Persaud, pièces « A » et « B »];

         la Requérante s'est opposée à la demande no 1,206,738 produite par Bedessee en vue de l'enregistrement de la marque de commerce DEMERARA GOLD en liaison avec [traduction] « du sucre, du glucose, du riz, de l'huile de coco » [affidavit de M. Bedessee, para. 16 et pièces « F » et « G »].

L'affidavit de M. Persaud

[20]           L'affidavit vise à fournir une preuve des discussions qui ont eu lieu en 2011 lors des réunions de la WIRSPA, mentionnées précédemment.

[21]           Je ne commenterai pas l'argument présenté à l'audience par les Opposantes selon lequel la production de l'affidavit de M. Persaud était une tentative inconvenante de la part de la Requérante pour discréditer M. Sugdeo, ce que la Requérante a nié. Néanmoins, je conviens avec les Opposantes que l'affidavit n'est pas pertinent dans le contexte de l'affaire dont je suis saisie ici. J'ajouterai qu'à part que d'en résumer le contenu, la Requérante n'a formulé aucune observation quant à la pertinence de cet affidavit dans la présente procédure.

Opposition de la Requérante à la demande d'enregistrement no 1,206,738 produite par Bedessee

[22]           M. Bedessee a produit des copies certifiées de la déclaration d'opposition, datée du 22 février 2005, et du plaidoyer écrit, daté du 10 août 2009, que la Requérante a produits dans le contexte de son opposition à la demande no 1,206,738 produite par Bedessee en vue de faire enregistrer la marque de commerce DEMERARA GOLD [pièces « F » et « G »]. Les Opposantes ont attiré mon attention sur des déclarations faites par la Requérante dans ces documents et demandé que ces déclarations soient considérées comme des aveux contre intérêt. Je souligne que les déclarations auxquelles les Opposantes font référence sont incluses dans les arguments que les Opposantes ont présentés dans leur déclaration d'opposition à l'appui de leur motif d'opposition fondé sur l'article 30i) et sont reproduites à l'Annexe « A » de la présente décision.

[23]           La Requérante s'est opposée à la requête des Opposantes. Elle soutient que des actes de procédure déposés ou des déclarations faites dans le contexte d'une procédure impliquant des parties différentes et une marque différente ne devraient pas être considérés comme pertinents. Je conviens avec la Requérante qu'il y a des différences entre la procédure d'opposition visant la demande no 1,206,738 et la présente procédure.

[24]           En effet, les motifs d'opposition ne sont pas identiques. À titre d'exemple, la déclaration [traduction] « DEMERARA est une région de la Guyane réputée pour sa production de sucre et de produits dérivés du sucre, y compris le rhum » a été faite dans le contexte d'un motif d'opposition fondé sur les articles 12(1)e) et 10 de la Loi; aucun motif d'opposition de cette nature n'a été soulevé en l'espèce. En outre, la demande produite par Bedessee visait à faire enregistrer la marque de commerce DEMERARA GOLD en liaison avec « du sucre, du glucose, du riz et de l'huile de coco » sur la base d'un emploi au Canada depuis au moins janvier 1984, tandis que la demande de la Requérante vise à faire enregistrer la marque de commerce DEMERARA en liaison avec du « rhum » sur la base d'un emploi au Canada depuis au moins 1939. Enfin, j'estime que l'observation de la Requérante selon laquelle les parties à ces procédures sont différentes n'est pas dénuée de fondement en ce sens que la présente procédure d'opposition a été engagée conjointement par Bedessee et Bank, tandis que la demande d'enregistrement pour la marque de commerce DEMERARA GOLD a été produite uniquement par Bedessee.

[25]           En somme, je suis d'avis qu'il n'est pas nécessaire que je détermine si les déclarations que la Requérante a faites dans la déclaration d'opposition et dans le plaidoyer écrit qui ont été produits dans le contexte de son opposition à la demande no 1,206,738 devraient être considérées comme des aveux contre intérêt, car j'estime que la requête des Opposantes en ce sens est sans portée pratique. En effet, d'après ce que je comprends, les Opposantes soutiennent que les déclarations de la Requérante sont pertinentes aux fins de l'examen des deux motifs d'opposition fondés sur l'article 30i) de la Loi, parce que, selon elles, la date de production de la dernière demande d'enregistrement modifiée, c.-à-d. le 23 juillet 2009, est la date pertinente qui s'applique à l'examen de ces motifs d'opposition. Or, comme je l'expliquerai plus loin, je considère que la date pertinente pour l'analyse de la question découlant des motifs d'opposition fondés sur l'article 30i) de la Loi est la date de production de la demande, c.-à-d. le 27 mars 2003. La déclaration d'opposition et le plaidoyer écrit produits par la Requérante étant datés, respectivement, du 22 février 2005 et du 10 août 2009, je conclus que les déclarations auxquelles les Opposantes font référence sont contenues dans des documents postérieurs à la date pertinente.

[26]           Enfin, pour conclure en ce qui concerne l'opposition produite à l'encontre de la demande no 1,206,738, je souligne que, à part que de mentionner le numéro de l'enregistrement qui a été accordé relativement à cette demande, les parties sont restées muettes quant à l'issue de la procédure. Quoi qu'il en soit, je ne suis pas sans savoir que, dans Demerara Distillers Ltd c. Bedessee Imports Ltd, 2011 COMC 101, le registraire a rejeté l'opposition produite à l'encontre de cette demande.

Procédures d'opposition impliquant Bedessee et Guyana Sugar Corporation

[27]           M. Bedessee mentionne également l'opposition produite par Guyana Sugar Corporation (Guyana Sugar) à l'encontre de la demande d'enregistrement de Bedessee (no 1,206,738) pour la marque DEMERARA GOLD, et l'opposition produite par position Bedessee à l'encontre de la demande d'enregistrement de Guyana Sugar (no 1,265,099) pour la marque DEMERARA CRYSTALS et Dessin. Il fournit des copies de documents qui, allègue-t-il, ont été produits comme pièces lors du contre-interrogatoire d'un déposant de Guyana Sugar et/ou comme pièces jointes à son affidavit dans le contexte de ces procédures d'opposition [affidavit de M. Bedessee affidavit, para. 17 et 18, et pièces « H » et « I »].

[28]           Les Opposantes soutiennent à juste titre que la Requérante n'a pas contre-interrogé M. Bedessee relativement à cette preuve. Néanmoins, j'estime que l'absence d'un contre-interrogatoire ne m'empêche en rien d'évaluer la valeur ou le poids de la preuve présentée par un déposant.

[29]           En somme, je conviens avec la Requérante que cette preuve ne doit pas être prise en compte, car elle se rapporte à des procédures d'opposition qui impliquent des parties différentes et des marques de commerce différentes.

Preuve produite pendant le traitement de la demande d'enregistrement pour la Marque

[30]           Comme je l'ai mentionné précédemment, pendant le traitement de la demande, la Requérante a produit les affidavits de Ramona Vansluytman et de Komal Samaroo dans le but de démontrer que la Marque était devenue distinctive au sens de l'article 12(2) de la Loi.

[31]           Au paragraphe 55 de son plaidoyer écrit, la Requérante fait référence à une partie de [traduction] « la preuve admise par le registraire pendant le traitement de la présente demande d'enregistrement ». Or, si la Requérante entendait s'appuyer sur cette preuve, il lui fallait la présenter pendant l'opposition. À cet égard, je me reporte aux commentaires du juge Strayer dans Molson Breweries Partnership c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1992), 41 CPR (3d) 234 (CF 1re inst.), p. 241 :

[traduction]
Étant donné que la décision finale du registraire quant à la question de savoir si l'enregistrement peut être accordé, y compris la question de la validité de la revendication concernant le caractère distinctif acquis au sens de l'article 12(2), doit être rendue par le registraire dans le cadre de la procédure d'opposition, il s'ensuit que toute preuve que le requérant souhaite que le registraire prenne en considération relativement à sa revendication du bénéfice de l'article 12(2) doit être présentée dans le cadre de la procédure d'opposition et pouvoir être mise en doute par l'opposante dans le cadre de cette même procédure. Tout autre dénouement serait contraire à la règle de droit commun audi alteram partem.

[32]           En conséquence, je ne tiendrai pas compte de l'affidavit de M. Samaroo et de l'affidavit de Ramona Vansluytman produits pendant le traitement de la demande d'enregistrement de la Marque.

[33]           Je souligne que les Opposantes, par la voie de l'affidavit de M. Bedessee, ont produit une copie certifiée de l'affidavit de Ramona Vansluytman produit pendant le traitement de la demande ainsi que des pièces dont il s'accompagne [affidavit de M. Bedessee, para. 4 à 7 et pièce « A »]. Je reviendrai, au besoin, sur la valeur de cette preuve lors de l'analyse des questions.

[34]           Enfin, il convient de souligner que je ne suis pas liée par la décision de l'examinateur d'admettre la preuve concernant le caractère distinctif acquis de la Marque dans la province de l'Ontario. En effet, les décisions de la Section de l'examen de l'OPIC n'ont pas force exécutoire et n'ont pas valeur de précédent lorsqu'il s'agit de déterminer l'enregistrabilité d'une marque de commerce dans le cadre d'une procédure d'opposition [voir Thomas J. Lipton Inc c. Boyd Coffee Co (1991), 40 CPR (3d) 272 (COMC) et Procter & Gamble Inc c. Morlee Corp (1993), 48 CPR (3d) 377, p. 386 (COMC)]. En outre, le fardeau qui incombe au requérant pendant l'examen de sa demande est différent du fardeau dont il doit s'acquitter dans le cadre d'une procédure d'opposition.

Analyse des questions

[35]           J'analyserai maintenant les questions en gardant à l'esprit les observations préliminaires que j'ai formulées ci-dessus.

La Marque donnait-elle une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises de la Requérante à la date de production de la demande?

[36]           Cette question découle du motif d'opposition portant que la Marque n'est pas enregistrable suivant l'article 12(1)b) parce qu'elle donne une description claire ou une description fausse et trompeuse, en langue anglaise, de la nature ou de la qualité du rhum.

[37]           La date pertinente pour l'examen du motif d'opposition fondé sur l'article 12(1)b) de la Loi est la date de production de la demande, à savoir le 27 mars 2003 [voir Fiesta Barbeques Limited c. General Housewares Corporation (2003), 28 CPR (4th) 60 (CF)].

[38]           L’interdiction prévue à l’article 12(1)b) de la Loi vise à empêcher un commerçant unique de monopoliser un terme qui donne une description claire ou qui est usuel dans le commerce, et de placer ainsi des commerçants légitimes dans une position désavantageuse [Canadian Parking Equipment Ltd c. Canada (Registrar of Trade-marks) (1990), 34 CPR (3d) 154 (CF 1re inst.)].

[39]           J'amorcerai mon analyse de cette question en commentant la façon dont les Opposantes ont plaidé ce motif d'opposition.

[40]           Les Opposantes ont plaidé ce motif d'opposition essentiellement en reproduisant le libellé de l'article 12(1)b) de la Loi, c'est-à-dire qu'elles n'ont formulé aucune allégation à savoir pourquoi elles considèrent que la Marque donne une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité du rhum. Aucun détail n'a toutefois été exigé par la Requérante à cet égard avant le dépôt de la preuve. En outre, compte tenu des circonstances de la présente espèce et de la preuve des Opposantes, je conclus que la Requérante pouvait concevoir que les Opposantes alléguaient que la Marque donne une description claire de la qualité ou de la nature du rhum de la Requérante en ce qu'elle décrit clairement un type de rhum brun produit en Guyane. Je tiens à souligner, cependant, que je souscris à l'argument que la Requérante à présenté à l'audience selon lequel le motif d'opposition, tel qu'il est plaidé, ne contient aucune allégation à l'effet que la Marque donne une description claire du lieu d'origine du rhum de la Requérante.

[41]           J'examinerai maintenant l'observation de la Requérante selon laquelle sa revendication du bénéfice de l'article 12(2) de la Loi n'a pas été contestée dans la déclaration d'opposition. À cet égard, la Requérante, à l'audience, a attiré mon attention sur les commentaires formulés par David J. Martin, ancien membre de la Commission, dans Healthy, Happy, Holy Yoga Foundation c. Maharishi International Trade-marks Corp (1983), 74 CPR (2d) 186 (COMC), p. 192 :

[traduction]
À l'audience, l'opposant, faisant référence à l'art. 12(1)b) de la Loi, a contesté le bien-fondé de la preuve par affidavit produite par le requérant à l'appui de sa revendication du bénéfice de l'art. 12(2) de la Loi. Je soulignerai, en premier lieu, que l'opposant n'a pas invoqué l'art. 12(1)b) de la Loi à titre de motif d'opposition. Il appert également que l'opposant n'a pas indiqué dans sa déclaration d'opposition qu'il entendait contester la revendication du bénéfice de l'art. 12(2) présentée par le requérant. Ainsi, bien que rien ne m'empêche nécessairement de réexaminer une revendication du bénéfice de l'art. 12(2) dans tous les cas, l'une des conditions préalables à un tel réexamen est que l'opposant attaque la validité de cette revendication dans sa déclaration d'opposition… [non souligné dans l'original]

[42]           La présente procédure se distingue de l'affaire citée en ce que, dans cette affaire, l'opposant n'avait pas soulevé un motif d'opposition fondé sur l'article 12(1)b). Mais, quoi qu'il en soit, pour les raisons exposées ci-dessous, je ne souscris pas à l'argument de la Requérante selon lequel sa revendication du bénéfice de l'article 12(2) de la Loi ne peut pas être remise en question.

[43]           S'il est vrai que les Opposantes n'ont pas explicitement contesté la revendication du bénéfice de l'article 12(2) dans leur déclaration d'opposition, il est évident que la Requérante a toujours su que sa revendication était en cause. En effet, dans sa contre-déclaration, la Requérante a indiqué que l'allégation selon laquelle la Marque n'était pas enregistrable suivant l'article 12(1)b) de la Loi est dénuée de fondement, étant donné que la Requérante invoque l'article 12(2) de la Loi et a produit une preuve du caractère distinctif acquis. De même, dans son plaidoyer écrit, la Requérante fait référence à la preuve du caractère distinctif acquis produite pendant le traitement de la demande d'enregistrement. De toute évidence, le raisonnement suivi par le juge Strayer dans Molson Breweries Partnership, précité, aux pages 241 et 242, s'applique dans le contexte de la présente affaire :

[traduction]
… En l'espèce, il me semble évident que l'applicabilité du paragraphe 12(2) compte déjà parmi les questions soulevées dans la présente procédure d'opposition puisque, tel qu'il appert des passages reproduits précédemment, la déclaration d'opposition porte que la marque de commerce EXPORT donne soit une description claire soit une description fausse et trompeuse (et que, par conséquent, elle n'est pas enregistrable suivant l'alinéa 12(1)b) de la Loi), et la contre-déclaration porte que l'enregistrement de la marque de commerce n'est pas interdit, compte tenu des dispositions de l'article 12 et du fait que la marque de commerce est distinctive (ce qui équivaut, entre autres choses, à une revendication du bénéfice du paragraphe 12(2)).

[44]           Je reviens maintenant à l'analyse du motif d'opposition et reproduis ci-dessous les déclarations qu'a faites M. Samaroo au paragraphe 2 de son affidavit, lesquelles me semblent dignes de mention : [traduction]
« Demerara est également le nom du sucre blond de qualité supérieure bien connu qui est produit en Guyane. … le sucre Demerara de Guyane est l'un des principaux et des plus importants ingrédients des rhums de [la Requérante]. » M. Samaroo affirme également que le moût qui sert à la fabrication de tous les rhums caribéens, y compris celui de la Requérante, est constitué de mélasse diluée dans de l'eau [contre-interrogatoire de M. Samaroo, Q162 et Q163]. Je présume que cette affirmation de M. Samaroo explique la thèse que la Requérante a défendue à l'audience, à savoir que ce n'est pas parce que le terme Demerara décrit un type particulier de sucre présent dans le rhum que la Marque donne une description claire de la nature ou de la qualité du rhum de la Requérante.

[45]           Après lecture objective du plaidoyer écrit de la Requérante, il me semble évident que, dans ce dernier, la Requérante s'emploie essentiellement à contester le motif d'opposition fondé sur l'article 12(1)b) en invoquant sa revendication du bénéfice de l'article 12(2) et la preuve du caractère distinctif acquis de la Marque. À titre d'exemple, la Requérante fait valoir qu'au cours de la procédure d'opposition, elle [traduction] « a produit une preuve supplémentaire concernant la publicité et les ventes considérables dont le rhum de marque DEMERARA a fait l'objet au Canada, y compris en Ontario, pour établir le fait que la marque de commerce DEMERARA était distinctive en Ontario à la date pertinente » [voir para. 56 du plaidoyer écrit].

[46]           Pour déterminer si l'enregistrement de la Marque est interdit en vertu des dispositions de l'article 12(1)b) de la Loi, je dois considérer la Marque du point de vue de la première impression qu'elle produit dans l'esprit du consommateur moyen [voir Wool Bureau of Canada Ltd c. le Regitraire des marques de commerce (1978), 40 CPR (2d) 25 (CF 1re inst.)]. Le mot « claire » signifie « facile à comprendre, évident, simple », tandis que le mot « nature » désigne une particularité, un trait ou une caractéristique des marchandises [voir Drackett Co of Canada Ltd c. American Home Products Corp (1968), 55 CPR 29 (C. de l’Éch.), p. 34].

[47]           Aux fins de l'analyse de cette question, je n'ai pas tenu compte des parties de la preuve des Opposantes qui sont postérieures à la date de production de la demande. Néanmoins, je suis convaincue que les Opposantes se sont acquittées du fardeau de preuve initial qui leur incombait d'établir que l'enregistrement de la Marque en liaison avec du rhum était interdit par l'article 12(1)b) de la Loi à la date de production de la demande.

[48]           Plus particulièrement, j'estime que les extraits d'ouvrages de référence qui sont joints comme pièces « JS‑1 » à « JS‑7 » à l'affidavit de M. Bedessee établissent que le mot « Demerara » décrit un type de rhum. Par souci de concision, j'ai choisi de ne pas reproduire tous les extraits auxquels il est fait référence au paragraphe 19 de l'affidavit; les extraits reproduits ci-dessous donnent un aperçu de la teneur de cette preuve.

Pièce

Ouvrage de référence

Extrait

JS‑1

Alcohol, Its Production, Properties, Chemistry And Industrial Applications (1919) [L'alcool, sa production, ses propriétés, sa chimie, et ses applications industrielles]

 

[traduction]
« Il existe deux types [de rhum] distincts, l'un étant le rhum jamaïcain et l'autre le rhum Demerara. » (page 431)

« Rhum Demerara. En Guyane britannique, le moût utilisé pour la fabrication du rhum Demerara est préparé en diluant de la mélasse avec de l'eau… » (page 433)

JS2

The Carbohydrates and Alcohol (1920) [Les hydrates de carbone et l'alcool]

[traduction]
« Il existe deux types de rhum distincts dans le commerce, le rhum de Jamaïque et le rhum Demerara (de la Guyane britannique); la principale différence étant que le premier résulte d'une fermentation lente…, tandis que le second est le produit d'une fermentation rapide. » (page 179)

JS-3

The Dictionary of Drink and Drinking (1965) [Le dictionnaire de la boisson et du boire]

[traduction]
« … le rhum Demerara présente des arômes particulièrement riches et est, pour cette raison, très apprécié à des fins d'assemblage. » (page 113)

JS4

Grossman’s Guide to Wines, Beers, and Spirits (1983) [Le guide Grossman des vins, des bières et des spiritueux]

[traduction]
« Le RHUM est un alcool de bouche; … Le rhum jamaïcain et le rhum Demeraran en sont des exemples parmi d'autres. (page 304)

« Le rhum Demeraran est le produit de la distillation de la mélasse de la canne à sucre qui est cultivée aux abords du fleuve Demerara, en Guyane. … le rhum Demeraran est bien plus foncé que le rhum jamaïcain, par contre son arôme n'est pas aussi relevé. » (page 362)

JS-5

International Guide to Drinks Compiled by the United Kingdom Bartenders Guild (1987) [Guide international des cocktails et boissons, préparé par la United Kingdom Bartenders Guild]

[traduction]
« … Lorsqu'un rhum est étiqueté ‘Demeraran’, cela signifie généralement qu'il s'agit d'un rhum à la robe plus foncée et à l'arôme moins relevé que le rhum jamaïcain. » (page 204)

JS‑6

The Complete Beverage Dictionary (1996) [Le dictionnaire complet des boissons]

[traduction]
« RHUM… Il existe trois principaux types de rhum; …2) les rhums riches et charnus, dont les meilleurs exemples sont les rhums de la Jamaïque, de la Barbade, de la Martinique et de Trinité, et le rhum Demerara de la Guyane; … » (page 351)

JS7

Rum (2003) [Le rhum]

[traduction]
« Les différents rhums produits dans le monde pourraient être décrits comme appartenant à quatre grands styles : le rhum jamaïcain, le rhum français, le rhum Demerara et le rhum cubain. » (page 23)

« … Bacardi s'efforçait de produire un rhum distinct des rhums de style traditionnel, c.-à-d. les assemblages de rhums Demerara et jamaïcain fortement caramélisés et présentant une robe foncée… » (page 29)

[49]           En conséquence, je conclus qu'en date du 27 mars 2003, le consommateur moyen exposé au mot « Demerera » aurait probablement considéré que ce mot désignait un type de rhum à la robe foncée. Il s'ensuit que la Marque donnait une description claire de la nature du rhum à la date de production de la demande d'enregistrement.

[50]           Par conséquent, la question est maintenant de savoir si la Requérante s'est acquittée de son fardeau ultime d'établir l'enregistrabilité de la Marque en liaison avec du « rhum » et, plus particulièrement, si la preuve produite par la Requérante appuie sa revendication du bénéfice de l'article 12(2) de la Loi pour la province de l'Ontario. Pour les raisons exposées ci-dessous, je conclus, après examen de l'affidavit de M. Samaroo, que la preuve n'appuie pas la revendication de la Requérante. À mon sens, conclure autrement équivaudrait à accorder à la Requérante un monopole sur l'emploi du mot DEMERARA en liaison avec du rhum; monopole auquel la Requérante n'avait pas droit à la date du 27 mars 2003.

[51]           S'agissant de l'examen de l'affidavit de M. Samaroo, je souligne que je me reporterai au contre-interrogatoire de ce dernier chaque fois qu'il sera pertinent de le faire aux fins de mon examen de l'affidavit et de mon analyse de la question et des observations des parties.

Ventes et promotion du rhum de la Requérante en liaison avec la Marque

[52]           J'estime utile aux fins de mon examen du témoignage de M. Samaroo concernant les ventes du rhum de la Requérante de reproduire d'abord une partie du paragraphe 13 de son affidavit (dans lequel le terme DDL désigne la Requérante) :

[traduction]
Les ventes du rhum de marque DEMERARA peuvent être réparties dans deux catégories. D'une part, DDL produit et vend sa propre gamme de rhums en bouteille de qualité supérieure, laquelle comprend le rhum EL DORADO; un produit de DDL qui connaît un vif succès. D'autre part, DDL vend, depuis plus de 50 ans, du rhum en vrac à des tiers qui le revendent après l'avoir mis en bouteille. Tout emploi de la marque de commerce DEMERARA par des tiers qui achètent du rhum en vrac de DDL dans le but de le mettre en bouteille et de le revendre est effectué avec le consentement de DDL. De plus, étant donné que le rhum est produit par DDL elle-même, l'emploi de la marque de commerce DEMERARA par des tiers embouteilleurs est effectué dans des circonstances où la nature et/ou la qualité du rhum vendu en liaison avec la marque de commerce DEMERARA sont entièrement contrôlées par DDL. […]

[53]           M. Samaroo affirme que la Requérante emploie la Marque au Canada de façon continue depuis au moins 1939. Il explique que la Marque a toujours été employée au Canada et à l'étranger de différentes façons, notamment en étant apposée bien en vue sur les bouteilles et les emballages de rhum, et en figurant sur des factures, des connaissements et des documents promotionnels [affidavit de M. Samaroo, para. 6 et 10].

[54]           Au chapitre de la promotion, M. Samaroo affirme que [traduction] « pendant plusieurs années, [la Requérante] a, par elle-même et en collaboration avec ses filiales et distributeurs, annoncé le rhum DEMERARA partout au Canada au moyen, par exemple, de publicités imprimées, de brochures et de documents promotionnels affichés dans les magasins et dans les points de vente, ainsi qu'en participant à des salons commerciaux ». Il mentionne également la participation de la Requérante à [traduction] « des initiatives publicitaires menées de concert avec plusieurs régies des alcools provinciales visant à promouvoir et faire connaître le rhum de marque DEMERARA au Canada » [affidavit de M. Samaroo, para. 18]. M. Samaroo n'a toutefois fourni aucune information quant à la valeur ou à l'ampleur de cette publicité sous quelque forme que ce soit ou à quelque moment que ce soit. Par conséquent, la preuve ne me permet pas de déterminer si la Marque était devenue connue dans une quelconque mesure au Canada, et encore moins en Ontario, à la date du 27 mars 2003 par suite de ces activités promotionnelles, et n'est donc pas utile à la cause de la Requérante.

[55]           En ce qui concerne les ventes, M. Samaroo a fourni une répartition des revenus annuels tirés [traduction] « des ventes au Canada du rhum de marque DEMERARA de [la Requérante] » pendant la période allant de 1999 à 2010 [affidavit de M. Samaroo, para. 14]. Compte tenu de la date pertinente qui s'applique, j'ai tenu compte uniquement des revenus des années 1999 à 2003; lesquels totalisent plus 7,39 millions de dollars US. Or, bien que les revenus aient été répartis par année, ils n'ont pas été répartis par catégorie de rhum, c.-à-d. les rhums en bouteille et le rhum en vrac. Enfin, et plus important encore, les revenus n'ont pas été répartis par province, ce qui, en soi, pourrait être préjudiciable à la cause de la Requérante.

[56]           Cela dit, après lecture objective de l'affidavit, je conclus que les revenus dont fait état M. Samaroo proviennent aussi bien de la vente de rhums en bouteille que de rhum en vrac. De même, j'estime raisonnable d'inférer du dossier que ces revenus ont été générés essentiellement par les ventes des rhums en bouteille et du rhum en vrac de la Requérante qui ont eu lieu en Ontario. D'une part, la Requérante a accepté que l'enregistrement de la Marque, dans la mesure où il est accordé, soit restreint à la province de l'Ontario. Qui plus est, comme je l'ai mentionné précédemment, au paragraphe 56 de son plaidoyer écrit, la Requérante soutient que l'affidavit de M. Samaroo corrobore le fait que la Marque [traduction] « était distinctive en Ontario à la date pertinente ». Enfin, les quelques factures, connaissements et autres documents pertinents joints comme pièce « D » à l'affidavit de M. Samaroo concernent du rhum en vrac que la Requérante a vendu à Hiram Walker & Sons Limited, en Ontario. Je reviendrai un peu plus loin sur la pièce « D » de l'affidavit de M. Samaroo.

[57]           M. Samaroo a également fourni une preuve concernant la quantité totale, en bouteilles, de [traduction] « rhum de marque DEMERARA vendu au Canada, aux États-Unis et dans le monde de 1997 à 2010 » répartie par année [affidavit de M. Samaroo, para. 16]. Compte tenu de la date pertinente qui s'applique, la preuve pertinente indique que, de 1997 à 2003, 170 242 bouteilles de rhum ont été vendues au total dans le monde. Toutefois, étant donné que ces chiffres ne sont pas répartis par pays, il m'est impossible de savoir combien de bouteilles ont été vendues au Canada et à quel moment.

[58]           Je passe maintenant à l'examen de la preuve documentaire qu'a fournie M. Samaroo pour appuyer ses allégations selon lesquelles la Marque a été employée et annoncée au Canada par la Requérante en liaison avec du rhum. Cette preuve documentaire est jointe à son affidavit comme pièces « C » à « G ». Comme je l'explique ci-dessous, mon examen de ces pièces m'amène à conclure qu'aucune d'elles n'est utile à la cause de la Requérante.

Pièce « C » de l'affidavit de M. Samaroo

[59]           La pièce « C » est constituée d'un spécimen d'emballage et de plusieurs spécimens d'étiquettes arborant la Marque. M. Samaroo affirme que ces spécimens sont représentatifs de la façon dont la Marque [traduction] « a été employée au Canada et ailleurs sur une période de plusieurs décennies »; les étiquettes étaient apposées sur les rhums vendus en bouteille [affidavit et contre-interrogatoire de M. Samaroo, para. 10, et Q31 et Q32].

[60]           Je souligne qu'une part importante du contre-interrogatoire de M. Samaroo a été consacrée aux mots figurant sur les étiquettes qui sont utilisés pour décrire la couleur, l'arôme ou la qualité supérieure des rhums vendus en bouteille [contre-interrogatoire de M. Samaroo, Q28 à Q60]. Il est évident que la série de questions qui ont été posées visait à appuyer la prétention des Opposantes selon laquelle le mot DEMERARA qui figure sur les étiquettes et l'emballage est employé à des fins descriptives et non en tant que marque de commerce, ce que la Requérante conteste. En effet, cette dernière soutient que la présence du mot DEMERARA sur les étiquettes et l'emballage constitue un emploi à titre de marque de commerce.

[61]           J'examinerai en détail la question de savoir si l'emploi du mot DEMERARA sur les étiquettes et l'emballage constitue ou non un emploi à titre de marque de commerce lorsque j'analyserai le motif d'opposition fondé sur l'article 30b). Pour le moment, il suffit de rappeler que le débat qui oppose les parties quant à la signification du mot DEMERARA qui figure sur les étiquettes et l'emballage des rhums en bouteille de la Requérante est sans portée pratique du point de vue du motif d'opposition fondé sur l'article 12(1)b). Comme je l'ai souligné ci-dessus, la Requérante n'a pas précisé quelle part de ses ventes au Canada concerne des ventes de rhum en bouteille, par opposition à des ventes de rhum en vrac. Il m'est, par conséquent, impossible d'évaluer le caractère distinctif que la Marque aurait acquis par suite de son affichage sur les étiquettes et l'emballage des rhums en bouteille qui ont été vendus au Canada par la Requérante.

Pièce « D » de l'affidavit de M. Samaroo

[62]           La pièce « D » est constituée d'un échantillon de factures et de connaissements, ainsi que de documents d'expédition et d'importation connexes, se rapportant à [traduction] « l'expédition et/ou la vente de rhum de marque DEMERARA en vrac à des clients au Canada ». M. Samaroo explique que certaines factures concernent des ventes effectuées par Demerara Rum Company Inc., le distributeur du rhum de la Requérante au Canada [affidavit et contre-interrogatoire de M. Samaroo, para. 15, pièce « D » et Q91]. Je reviendrai plus loin sur les observations des Opposantes concernant la relation entre la Requérante et Demerara Rum Company Inc.

[63]           Les documents joints comme pièce « D » datent de la période allant de 2001 à 2011. Une fois de plus, je souligne qu'une part considérable du contre-interrogatoire de M. Samaroo a été consacrée à la présence du mot DEMERARA sur ces documents [contre-interrogatoire de M. Samaroo, Q67 à Q90]. Je n'ai pas tenu compte des documents portant une date postérieure au 27 novembre 2003 et les quelques factures, connaissements et documents connexes pertinents restants concernent des cargaisons que la Requérante a expédiées à Hiram Walker & Sons Limited, en Ontario, de 2001 à 2003.

[64]           En contre-interrogatoire, M. Samaroo a expliqué que le rhum en vrac de la Requérante est expédié au Canada par navire-citerne. Le rhum est transvidé à l'aide d'une pompe dans des citernes à bord du navire. Aucune étiquette n'est apposée sur les citernes qui se trouvent à bord du navire [contre-interrogatoire de M. Samaroo, Q69 à ‑Q72]. Ainsi, la question qui se pose maintenant est celle de savoir si les diverses mentions du rhum Demerara dans les documents joints comme pièce « D » équivalent à un emploi de la Marque en liaison avec du rhum au sens de l'article 4(1) de la Loi, et plus particulièrement au sens du passage suivant de l'article 4(1) : « ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée ». J'ajouterai que bien que la présence d'une marque de commerce sur une facture puisse être considérée comme un « emploi » de cette marque, il est essentiel que la facture soit liée aux marchandises lors du transfert de la propriété ou de la possession [voir Riches, McKenzie & Herbert c. Pepper King Ltd (2000), 8 CPR (4th) 471 (CF 1re inst.)].

[65]           J'admets que les connaissements, le certificat d'entrepôt, le certificat d'origine et les formulaires des douanes canadiennes datant de l'année 2001 établissent que le rhum en vrac vendu par la Requérante a été transporté du port de Georgetown, en Guyane, au port d'Hamilton, au Canada, par Alenkal Tank AS, dont le nom figure dans le coin droit des connaissements. J'arrive à la même conclusion en ce qui concerne les connaissements des années 2002 et 2003.

[66]           Toutefois, j'estime que les connaissements ne sont pas des documents qui permettent d'établir une liaison entre une marque de commerce et des marchandises lors du transfert de la propriété ou de la possession comme l'exige l'article 4(1) de la Loi. Par définition, un connaissement est [traduction] « une liste des marchandises remises à un transporteur par un expéditeur et, par extension, un contrat d'expédition » [voir le Canadian Oxford Dictionary]. Au mieux, on pourrait conclure que la présence du mot DEMERARA sur les connaissements sert à décrire les produits qui sont expédiés au Canada. De même, le certificat d'entrepôt, le certificat d'origine et les formulaires des douanes canadiennes ne sont pas des documents qui permettent d'établir la liaison exigée par l'article 4(1) de la Loi.

[67]           En ce qui concerne les factures, je souligne que la preuve comprend trois factures qui ont été émises par la Division de l'expédition de la Requérante pendant la période pertinente, à savoir deux factures datant de 2001 et une facture datant de 2002. Ces factures font état de rhum Demerara contenu dans des citernes. Compte tenu de l'information qu'elles contiennent, je peux inférer que ces factures concernent les ventes de rhum en vrac relativement auxquelles la Requérante a fourni une preuve d'expédition, c.-à-d. les connaissements susmentionnés. Cependant, rien n'indique de façon claire que ces factures accompagnaient le rhum en vrac au moment du transfert de la possession ou de la propriété à Hiram Walker & Sons Limited au Canada, et rien ne me permet d'inférer que c'était le cas. Si j'avais disposé d'une preuve que les factures accompagnaient le rhum en vrac, j'aurais probablement conclu que la présence du mot DEMERARA sur ces factures aurait été perçue comme une description du type de rhum contenu dans les citernes de rhum en vrac, et non comme la marque de commerce de la Requérante.

Pièce « E » de l'affidavit de M. Samaroo

[68]           La pièce « E » est constituée de [traduction] « renseignements » concernant le rhum de marque DEMERARA de la Requérante tirés du site Web de la Régie des alcools de l'Ontario [affidavit de M. Samaroo, para. 18]. On peut voir clairement que les pages Web en question ont été imprimées le 22 septembre 2011, c'est-à-dire après la date pertinente.

Pièce « F » de l'affidavit de M. Samaroo

[69]           La pièce « F » est constituée d'un échantillon de brochures, d'affiches, de bulletins d'information et d'autres documents promotionnels qui, selon le déposant, est représentatif des documents de même nature qui ont été distribués [traduction] « au fil des ans » au Canada, aux États-Unis et ailleurs par la Requérante et/ou son distributeur [affidavit de M. Samaroo affidavit, para. 18].

[70]           Même si j'admettais que ces documents sont représentatifs des documents qui ont été distribués au Canada, je ne dispose d'aucune information me permettant de déterminer l'importance de la distribution dont ces documents avaient fait l'objet au Canada à la date de production de la demande, ni d'ailleurs à quelque autre date que ce soit.

Pièce « G » de l'affidavit de M. Samaroo

[71]           La pièce « G » est constituée de [traduction] « renseignements concernant le rhum DEMERARA de [la Requérante] extraits d'Internet » [affidavit de M. Samaroo, para. 19]. Il est évident que les « renseignements » en question consistent en des pages extraites de sites Web de tiers.

[72]           Tous les articles de presse, qui ont apparemment été imprimés à partir des sites Web www.thestar.com, www.canada.com et www.theglobeandmail.com, sont postérieurs à la date pertinente. De toute façon, ces articles de presse ne constituent pas des publicités pour la Marque [voir Williams Companies Inc et al c. William Tel Ltd (2000), 4 CPR (4th) 253 (COMC)].

[73]           Enfin, les pages extraites des sites Web www.thebeerguy.ca et www.theliquorguy.ca, qui ont apparemment été imprimées le 22 septembre 2011, établissent tout au plus que les rhums de la Requérante étaient offerts en vente sur ces sites Web à cette date, laquelle est postérieure à la date pertinente.

Demerara Rum Company Inc.

[74]           Pour faire suite à mon examen de la pièce « D », je reviens aux observations des Opposantes concernant la relation qui unit la Requérante et Demerara Rum Company Inc., que M. Samaroo a identifiée comme le distributeur canadien du rhum de la Requérante.

[75]           En un mot, les Opposantes soutiennent que Demerara Rum Company Inc. est une licenciée de la Requérante et qu'elle a employé la Marque au Canada d'une façon qui va au-delà de la portée de l'article 50 de la Loi, lequel exige que le propriétaire d'une marque de commerce contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises ou services pour que l'emploi de sa marque de commerce par un licencié puisse lui être attribué. À l'audience, les Opposantes ont, en outre, demandé que je tire une inférence négative du défaut de la Requérante de produire une copie de son accord avec Demerara Rum Company Inc.

[76]           Afin de replacer les observations des Opposantes dans leur contexte, je reproduis les passages du contre-interrogatoire de M. Samaroo qui m'apparaissent comme les plus pertinents [pages 16 à 19 de la transcription] :

[traduction]
91.     Q. Et, environ à mi-chemin dans les documents qui composent la [pièce « D »…]. Il y a une facture ou un document ayant l'apparence d'une facture sur lequel est inscrit « Demerara Rum Company Inc. ». Ce document est daté du 30 avril 2007. Alors, quelle est cette entreprise, la Demerara Rum Company Inc.?

R. Demerara Company est le distributeur au Canada du rhum Demerara vendu en vrac.

[…]

97.     Q. Depuis combien de temps [la Requérante] emploie-t-elle les services de Demerara Rum Company Inc. comme distributeur de rhum en vrac?

R. Depuis au moins 30 ans.

98.     Q. Cette entreprise assurait-elle et assure-t-elle présentement la distribution uniquement au Canada?

R. Oui

99.     Q. Maintenant, je vous ai demandé d'apporter tout accord de licence intervenu entre [la Requérante] et cette entreprise. L'avez-vous fait?

          R. Non.

100.   Q. […] y a-t-il déjà eu un ou plusieurs accords de licence entre [la Requérante] et Demerara Rum Company?

       R. Pardon, quels types de licences?

101.   Q. Impliquant le mot « Demerara », indépendamment de la façon dont nous le caractérisons?

          R. Un accord de distribution désignant l'entreprise comme distributeur a été conclu.

102.   Q. Cet accord portait-il sur le mot « Demerara » et la façon _ _ _

          R. Oui.

[…]

104.   Q. En avez-vous apporté une copie?

R. Non.

105.   Q. Pourquoi?

          [procureur de la Requérante] : Vous me regardez; attendez-vous une réponse de ma part?

          [procureur de l'Opposante] : J'ai effectivement demandé une réponse.

          [procureur de la Requérante] : Je pense que vous lui avez demandé d'apporter des copies de tout accord de licence conclu avec toute partie, et pas précisément - - J'entends par là que M. Samaroo vous a dit qu'il existe un accord de distribution; personnellement, je ne qualifierais pas cela d'accord de licence, et donc il n'y aurait pas d'obligation de produire cet accord.

106.   Q. Adoptez-vous la réponse de votre procureur? Êtes-vous d'accord avec votre procureur?

          A. Oui, oui. Oui, je suis d'accord.

[77]           Je reconnais que les questions concernant la relation qui unit la Requérante à Demerara Rum Company Inc. ont été soulevées dans le contexte d'une facture datant de 2007, une époque qui est bien postérieure à la date pertinente. Mais, M. Samaroo n'en a pas moins affirmé que Demerara Rum Company Inc. est le distributeur du rhum en vrac de la Requérante depuis plus de 30 ans. Par conséquent, je conviens avec les Opposantes que les activités de Demerara Rum Company Inc. sont pertinentes du point de vue de la date pertinente qui s'applique. Toutefois, je ne souscris pas à la prétention des Opposantes selon laquelle la relation qui unit la Requérante et Demerara Rum Company Inc. est celle d'un concédant et d'un licencié. Dans le même ordre d'idées, je suis en désaccord avec les Opposantes lorsqu'elles affirment que la Requérante a refusé de produire une copie de son « accord de licence » avec Demerara Rum Company Inc.

[78]           En effet, j'estime plutôt, comme le fait valoir la Requérante, que le témoignage de M. Samaroo est sans équivoque : Demerara Rum Company Inc. est le distributeur de la Requérante au Canada. Il est bien établi en droit que l'emploi d'une marque de commerce au Canada par un distributeur équivaut à un emploi par le propriétaire de la marque de commerce [voir Manhattan Industries Inc c. Princeton Manufacturing Ltd (1971), 4 CPR (2d) 6 (CF 1re inst.)].

[79]           En outre, une lecture objective de la transcription du contre-interrogatoire m'amène à conclure que la production de l'accord intervenu entre les deux entreprises n'était pas un engagement pris pendant le contre-interrogatoire. Ma conclusion est plutôt que le procureur des Opposantes a demandé au procureur de la Requérante d'apporter des copies de « tout accord de licence » pour le contre-interrogatoire; la demande a donc été faite avant le contre-interrogatoire. Ainsi, j'estime que la présente espèce n'est pas un cas où une partie a refusé de fournir un document en réponse à un engagement pris pendant le contre-interrogatoire.

[80]           En fin de compte, ce qui a été demandé, c'est que M. Samaroo apporte des copies de tout accord de licence; or, selon son témoignage, l'accord existant est un accord de distribution, et non un accord de licence. À l'audience, la Requérante a fait valoir que le fait qu'elle n'ait pas apporté de copie de son accord de distribution lors du contre-interrogatoire ne devrait pas porter à conséquence; j'estime que cette observation n'était pas dénuée de fondement. Dans tous les cas, si les Opposantes voulaient obtenir une copie de l'accord, il aurait fallu que leur procureur demande officiellement qu'un engagement soit pris à cet égard pendant le contre-interrogatoire.

[81]           J'ajouterai que même si j'avais tort de refuser de tirer une inférence négative du fait que la Requérante n'a pas fourni de copie de son accord avec Demerara Rum Company Inc, cela serait sans conséquence sur l'issue générale de la présente affaire.

Conclusion quant à la revendication du bénéfice de l'article 12(2) de la Loi

[82]           Après examen de la preuve que la Requérante a produite par la voie de l'affidavit de M. Samaroo, je conclus que cette preuve n'établit pas que la Marque a été employée au Canada et, plus particulièrement en Ontario, par la Requérante de façon à être devenue distinctive à la date de production de la demande d'enregistrement. En résumé, et pour récapituler mes constatations exposées ci-dessus, j'arrive à cette conclusion pour les raisons qui suivent.

[83]           Je reconnais que les revenus que la Requérante a tirés des ventes de rhums en bouteille et de rhum en vrac qui ont eu lieu en Ontario de 1999 à 2003 étaient considérables. Par contre, il n'est, nulle part, précisé dans la preuve quelle part de ces revenus provient des ventes de rhum en bouteille et quelle part provient des ventes de rhum en vrac. Le fait que M. Samaroo précise le nombre de bouteilles de rhum qui ont été vendues dans le monde de 1997 à 2003 ne m'éclaire pas quant à la valeur ou au volume des ventes de rhums en bouteille qui ont eu lieu au Canada. En somme, la preuve, telle qu'elle a été présentée par M. Samaroo, ne permet pas de tirer de conclusion quant à l'ampleur des ventes de rhum en bouteille qui ont eu lieu au Canada en liaison avec la Marque. C'est la raison pour laquelle la question de savoir si la présence de DEMERARA sur les étiquettes et l'emballage des rhums en bouteille de la Requérante équivaut à un emploi de la marque de commerce est sans portée pratique du point de vue de la preuve qui a été produite à l'appui de la revendication du bénéfice de l'article 12(2) de la Loi formulée par la Requérante.

[84]           J'admets que les connaissements et les documents d'expédition et d'importation connexes démontrent que des cargaisons de rhum en vrac ont été expédiées au Canada pendant la période allant de 2001 à 2003. Toutefois, ces documents n'établissent pas l'emploi de la Marque en liaison avec du rhum en vrac au sens de l'article 4(1) de la Loi. De même, j'admets que les factures émises en 2001 et en 2002 démontrent que des ventes de rhum en vrac ont eu lieu en Ontario. Cependant, il n'y a au dossier aucun élément de preuve me permettant de conclure que ces factures accompagnaient le rhum en vrac lors du transfert de la possession ou de la propriété.

[85]           En fin de compte, la preuve concernant la promotion au Canada du rhum associé à la Marque, telle qu'elle a été présentée par M. Samaroo, n'est d'aucune aide pour la Requérante.

[86]           Compte tenu de ce qui précède, j'estime que la Requérante ne s'est pas acquittée de son fardeau ultime d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque était enregistrable aux termes de l'article 12(2) de la Loi à la date de production de la demande. En conséquence, le motif d'opposition fondé sur l'article 12(1)b) de la Loi est accueilli.

La Marque est-elle constituée du nom des marchandises de la Requérante?

[87]           Cette question découle du motif d'opposition portant que la Marque n'est pas enregistrable suivant l'article 12(1)c) de la Loi parce qu'elle est constituée du nom des marchandises, c.-à-d. du rhum.

[88]           La date pertinente pour l'examen du motif d'opposition fondé sur l'article 12(1)c) de la Loi est la date de ma décision [voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd et le Registraire des marques de commerce (1991), 37 CPR (3d) 413 (CAF)].

[89]           L'article 12(1)c) de la Loi interdit l'enregistrement d'une marque de commerce qui est constituée du nom, dans quelque langue que ce soit, de l'une quelconque des marchandises ou de l'un quelconque des services auxquels elle est associée. Le test qui s'applique relativement à l'article 12(1)c) de la Loi est plus strict que le test qui s'applique relativement à l'article 12(1)b) de la Loi.

[90]           Pour les raisons exposées ci-dessous, j'estime que les Opposantes ne se sont pas acquittées du fardeau de preuve initial qui leur incombait à l'égard de ce motif d'opposition.

[91]           Je conviens avec les Opposantes qu'il a été déterminé qu'un opposant peut s'acquitter de son fardeau de preuve à l'égard de l'article 12(1)c) de la Loi en produisant des copies d'ouvrages de référence démontrant qu'il existe une définition pour la marque de commerce [voir David Oppenheimer Co., LLC c. Imagine IP, LLC (2011), 96 CPR (4th) 438 (COMC)]. Cependant, je ne souscris pas à la prétention des Opposantes selon laquelle les extraits d'ouvrages de référence produits par M. Bedesse, y compris l'extrait issu du Grossman’s Guide to Wines, Beers, and Spirits dont il est expressément fait mention dans leur plaidoyer écrit, démontrent que « Demerara » est un autre nom utilisé pour désigner le « rhum ».

[92]           De plus, contrairement à ce que prétendent les Opposantes, j'estime que les copies certifiées des deux enregistrements de marque de commerce dont les états déclaratifs comprennent respectivement les marchandises « Demerara rum » [rhum Demerara] et « Dark Demerara rum » [rhum Demerara brun] qu'elles ont produites ne sont pas utiles à leur cause [affidavit de M. Bedessee, pièces « N » et « O »]. Même si j'accordais du poids à ces enregistrements, il me faudrait tenir compte du fait que, dans ni l'un ni l'autre des états déclaratifs des marchandises, le mot « Demerara » n'est employé séparément du mot « rhum ». Autrement dit, dans ces états déclaratifs, le mot « Demerara » n'est pas employé seul. En somme, j'estime que le mot « Demerara » qui employé dans chacun de ces états déclaratifs est un terme descriptif; il ne s'agit pas du nom des marchandises.

[93]           De même, si j'accordais du poids, dans le cadre de la présente procédure, à la copie certifiée de l'affidavit de Mme Vansluytman et des pièces qui l'accompagnent, il n'en resterait pas moins que les Opposantes ne m'ont pas convaincue que cette copie établit que le mot « Demerara » est un autre nom utilisé pour désigner le « rhum ». J'insiste sur le fait que je n'entends pas par là que la copie certifiée de l'affidavit de Mme Vansluytman et des pièces qui l'accompagnent présentée par la voie de l'affidavit de M. Bedessee constitue une preuve admissible ou digne de foi. Ce que je dis, c'est que même si j'accordais du poids à cette copie, elle n'aiderait pas la cause des Opposantes.

[94]           Enfin, je n'accorde aucun poids à l'affirmation non étayée de M. Bynoe selon laquelle [traduction] « Demerara est un nom générique désignant un type de rhum » [affidavit de M. Bynoe, para. 5].

[95]           En conséquence, le motif d'opposition fondé sur l'article 12(1)c) de la Loi est rejeté.

La Requérante employait-elle la Marque à titre de marque de commerce au Canada à la date de production de la demande?

[96]           Cette question découle du motif d'opposition portant que la demande n'est pas conforme aux exigences de l'article 30b) parce que la Marque n'est pas employée au Canada en liaison avec du rhum à titre de marque de commerce depuis 1939.

[97]           Les Opposantes prétendent que la date pertinente pour l'examen du motif d'opposition fondé sur l'article 30b) de la Loi est la date de production de la dernière demande modifiée, soit le 23 juillet 2009, plutôt que la date de production de la demande, soit le 27 mars 2003. À l'audience, la Requérante n'a pas contesté la prétention des Opposantes; elle a simplement fait valoir que ce motif d'opposition devait être rejeté, peu importe que l'on considère que la date pertinente qui s'applique est le 23 juillet 2009 ou le 27 mars 2003.

[98]           Pour les raisons exposées ci-dessous, je ne souscris pas à la prétention des Opposantes en ce qui concerne la date pertinente qui doit être utilisée en l'espèce pour l'examen du motif d'opposition fondé sur l'article 30b) de la Loi. Je considère que la date pertinente est la date de production de la demande [voir Georgia-Pacific Corp c. Scott Paper Ltd (1984), 3 CPR (3d) 469 (COMC)].

[99]           Les Opposantes appuient leur prétention sur un passage de Georgia-Pacific Corp, précitée, dans lequel il est fait référence à une demande modifiée, à la page 475 :

[traduction]
Aux fins de l'évaluation de la question découlant de l'article 29b) [aujourd'hui l'article 30b)] de la Loi, je considère que la date pertinente pour l'examen des circonstances entourant cette question est la date de production de la demande du requérant (bien que cette date puisse changer si la demande a été modifiée). (non souligné dans l'original)

[100]       Je conviens qu'il peut y avoir lieu de tenir compte d'une demande modifiée aux fins de l'examen d'un motif d'opposition fondé sur l'article 30b) de la Loi. Cependant, j'estime qu'il est pertinent de le faire uniquement si la modification apportée à la demande concerne les exigences de l'article 30b) de la Loi. À titre d'exemple, une modification consistant à changer la date de premier emploi revendiquée dans la demande originale serait considérée comme se rapportant aux exigences de cet article. En l'espèce, aucune des modifications apportées à la demande ne concerne les exigences de l'article 30b) de la Loi.

[101]       Le fardeau de preuve initial qui incombe à un opposant à l'égard d'un motif d'opposition fondé sur l'article 30b) est moins exigeant, car l'opposant n'est pas aussi à même que le requérant d'avoir accès aux faits pertinents [Tune Masters c. Mr P's Mastertune Ignition Services Ltd (1986) 10 CPR (3d) 84 (COMC), p. 89]. Pour s'acquitter de ce fardeau, l'opposant peut s'appuyer aussi bien sur sa propre preuve que sur la preuve du requérant [voir Labatt Brewing Company Limited c. Molson Breweries, a Partnership (1996), 68 CPR (3d) (CF 1re inst.) 216, p. 230]. Toutefois, s'il choisit d'invoquer la preuve du requérant pour s'acquitter de son fardeau de preuve à l'égard de ce motif, l'opposant doit démontrer que la preuve du requérant est clairement incompatible avec les revendications que le requérant a formulées dans sa demande [voir Ivy Lea Shirt Co c. 1227624 Ontario Ltd (1999), 2 CPR (4th) 562, pp. 565-6 (COMC), conf. par 11 CPR (4th) 489 (CF 1re inst.)]. L'action 30b) de la Loi exige, en outre, que la marque de commerce visée par la demande ait été employée de façon continue, dans la pratique normale du commerce, depuis la date revendiquée [voir Labatt Brewing Co c. Benson & Hedges (Canada) Ltd (1996), 67 CPR (3d) 258 CF 1re inst.)].

[102]       En l'espèce, les Opposantes n'ont produit aucune preuve à l'appui de ce motif d'opposition; elles s'appuient uniquement sur la preuve de la Requérante pour s'acquitter de leur fardeau de preuve. Plus particulièrement, elles invoquent les étiquettes et l'emballage joints comme pièce « C » à l'affidavit de M. Samaroo. À l'audience, les Opposantes ont confirmé qu'elles ne contestaient pas la date de premier emploi revendiquée par la Requérante. Elles contestent plutôt que la Marque est employée à titre de marque de commerce depuis cette date.

[103]       Les Opposantes ont présenté des observations détaillées sur cette question, aussi bien par écrit qu'à l'audience. La Requérante a répondu à ces observations à l'audience.

[104]       En un mot, les Opposantes soutiennent que la marque de commerce qui figure sur les étiquettes et sur l'emballage est EL DORADO et que, dans tous les cas, le mot DEMERARA désigne le type de rhum. En d'autres termes, la preuve établit l'emploi, à titre de marque de commerce, de EL DORADO, et non de DEMERARA. La Requérante ne conteste pas que les étiquettes et l'emballage établissent l'emploi de la marque de commerce EL DORADO. Elle soutient que ces derniers établissent également l'emploi de DEMERARA à titre de marque de commerce. En d'autres termes, la Requérante soutient que sa preuve établit aussi bien l'emploi de la marque de commerce EL DORADO que l'emploi de la Marque en liaison avec ses rhums en bouteille.

[105]       Bien entendu, rien n'aurait empêché la Requérante d'apposer à la fois la marque de commerce EL DORADO et la marque de commerce DEMERARA sur les étiquettes et sur l'emballage de ses rhums en bouteille. Cela dit, pour les raisons exposées ci-dessous, je conclus que les Opposantes se sont acquittées du fardeau de preuve qui leur incombait d'établir que la demande n'est pas conforme aux exigences de l'article 30b) de la Loi. De plus, les observations de la Requérante ne m'ont pas convaincue que cette dernière s'est acquittée de son fardeau ultime d'établir l'emploi de DEMERARA à titre de marque de commerce en liaison avec du rhum.

[106]       Je reproduirai dans les paragraphes qui suivent certaines des étiquettes de face et de dos qui sont jointes, comme pièce « C », à l'affidavit de M. Samaroo. Je souligne que ces étiquettes ont été produites dans leur version originale en couleur. Toutefois, comme elles sont reproduites ici en noir et blanc, certains des détails auxquels je ferai référence pourraient ne pas être visibles ou discernables. Je souligne également que j'ai choisi de ne pas reproduire toutes les étiquettes; en effet, les étiquettes reproduites ci-dessus sont, à mon sens, suffisantes pour permettre une compréhension adéquate des observations des parties et de mes constatations. Cela dit, j'insiste sur le fait que j'ai examiné toutes les étiquettes contenues dans la pièce « C ».

[107]       Je commenterai, en premier lieu, le fait que les Opposantes ont cité la décision Osmose-Pentox Inc c. Société Laurentide Inc, 2013 CF 626 pour appuyer la conclusion que le mot DEMERARA qui figure sur l'emballage et sur les étiquettes n'est pas employé à titre de marque de commerce, mais comme une description du type de rhum. Dans cette affaire, la Cour a conclu que les mots « CONSERVATEUR pour bois » et « wood CONSERVATOR », tels qu'ils figurent sur l'étiquette reproduite ci-dessous, n'étaient pas employés à titre de marque de commerce, mais une simple description du produit de la défenderesse, un apprêt-scelleur.

[108]       J'estime que la décision citée présente un intérêt dans la mesure où la conclusion de la Cour découle de [traduction] « un simple examen visuel de l’étiquette de face des produits de la défenderesse » [Osmose-Pentox Inc, précitée, para. 95]. La décision citée se distingue néanmoins de la présente espèce, ne serait-ce que parce qu'elle concerne une action en contrefaçon, et non une procédure d'opposition. De plus, chaque affaire devant être jugée en fonction des faits qui lui sont propres, j'axerai mon analyse sur les étiquettes et l'emballage en cause dans la présente procédure d'opposition.

[109]       J'estime que les étiquettes reproduites ci-dessous, ainsi que toutes les étiquettes similaires, établissent l'emploi de la marque de commerce EL DORADO; elles n'établissent pas l'emploi de DEMERARA à titre de marque de commerce.

[110]       À mon avis, un consommateur ordinaire percevrait le mot DEMERA comme décrivant le type de rhum, en particulier parce qu'il figure parmi d'autres mots descriptifs. À cet égard, M. Samaroo a affirmé sous serment que le mot SUPERIOR [supérieur] décrit un produit de qualité supérieure et que les mots DARK [brun] et WHITE [blanc] décrivent la couleur du rhum [contre-interrogatoire de M. Samaroo, Q37 à Q40]. À mon sens, le fait que l'abréviation™ [MC] soit présente uniquement à côté de la marque de commerce EL DORADO et qu'elle ne figure pas à côté du mot DEMERARA appuie la conclusion que DEMERARA n'est pas employé à titre de marque de commerce. En effet, si le mot DEMERARA était employé à titre de marque de commerce, comme le prétend la Requérante, pourquoi l'abréviation ™ [MC] ne figurait-elle pas à côté du mot DEMERARA comme c'est le cas pour la marque de commerce EL DORADO?

[111]       De même, j'estime que les étiquettes reproduites ci-dessous, ainsi que toutes les étiquettes similaires, établissent l'emploi de la marque de commerce EL DORADO, et non l'emploi de DEMERARA à titre de marque de commerce.

[112]       Là encore, j'estime qu'un consommateur ordinaire percevrait le mot DEMERARA qui figure sur l'étiquette de face de chaque produit comme décrivant le type de rhum, en particulier parce qu'il est entouré d'autres mots descriptifs. À cet égard, M. Samaroo a affirmé sous serment que le mot SPICED [épicé] décrit l'arôme du rhum et que les mots CLASSIC CHOCOLATE CREAM [crème au chocolat classique] décrivent une crème au rhum à saveur de chocolat [contre-interrogatoire de M. Samaro, Q41 et Q43 à Q45]. À mon sens, la présence de l'abréviation ™ [MC] à côté de EL DORADO, mais pas de DEMERARA, appuie ma conclusion. Le fait qu'aucune des étiquettes de dos n'arbore le mot DEMERARA avec la marque de commerce EL DORADO, comme c'est le cas sur les étiquettes de face, tend également à confirmer ma conclusion. La phrase suivante, qu'on retrouve sur l'étiquette de dos du rhum épicé, appuie, elle aussi, la conclusion que le mot DEMERARA qui figure sur l'étiquette de face est employé comme terme descriptif : [traduction]
« Découvrez le goût réellement supérieur du Rhum épicé El Dorado, un mélange unique de rhums Demerara vieillis et d'épices naturelles – cannelle et vanille aux accents d'agrumes. »

[113]       Sur les étiquettes reproduites ci-dessous, le mot DEMERARA figure uniquement sur ce qui semble être une étiquette destinée à être apposée sur le col d'une bouteille.

[114]       À mon avis, un consommateur ordinaire percevrait le mot DEMERARA comme décrivant le type de rhum, en particulier parce qu'il figure parmi d'autres mots descriptifs. À cet égard, M. Samaroo a affirmé sous serment que le terme GOLDEN [blond] renvoie à la couleur du rhum [contre-interrogatoire de M. Samaroo, Q36]. Cette conclusion est renforcée par le fait que seul le mot EL DORADO figure sur les étiquettes de face et de dos.

[115]       Pour des raisons similaires, j'estime que les étiquettes reproduites ci-dessous établissent l'emploi de la marque de commerce EL DORADO, mais pas de DEMERARA.

[116]       J'ajouterai que sur ces étiquettes, c'est le symbole ® qui figure à côté de la marque de commerce EL DORADO. Là encore, ce symbole ne figure pas à côté du mot DEMERARA. Enfin, je reconnais que les ORIGINAL et PREMIUM ne figurent pas de chaque côté du mot DEMERARA sur l'étiquette de dos. Néanmoins, j'estime raisonnable de conclure que le mot DEMERARA aurait été plus susceptible d'être perçu comme un mot descriptif étant donné la présence de la phrase suivante sur l'étiquette de dos : [traduction]
« L'EL DORADO EST UN ASSEMBLAGE EXQUIS QUI CONJUGUE DES RHUMS DEMARARA VIEILLIS SOIGNEUSEMENT SÉLECTIONNÉS, DE LA CRÈME FRAÎCHE ET UN MÉLANGE D'ARÔMES ET D'ÉPICES NATURELS. »

[117]       Pour conclure mon examen de la pièce « C » de l'affidavit de M. Samaroo, j'estime que l'étiquette qui est reproduite ci-dessous, au même titre que les étiquettes similaires et que l'emballage, lequel, par souci de commodité, est également reproduit en partie, n'est pas utile à la cause de la Requérante, car j'estime qu'un consommateur ordinaire percevrait le mot DEMERARA comme décrivant le type de rhum.

(étiquette)

(emballage)

[118]       En somme, dans l'ensemble, mon examen des étiquettes et de l'emballage des rhums en bouteille de la Requérante m'amène à souscrire à la thèse des Opposantes selon laquelle le mot DEMERARA n'a pas été employé à titre de marque de commerce, mais comme terme décrivant le type de rhum.

[119]       Même si je convenais avec la Requérante que le mot DEMERARA figure sur certaines étiquettes d'une manière telle qu'on peut le distinguer des mots servant à décrire la qualité supérieure, la couleur ou l'arôme du rhum, pour les raisons exposées ci-dessus, je ne suis pas convaincue qu'un consommateur ordinaire percevrait le mot DEMERARA comme une marque de commerce. Dans le meilleur des cas, je pourrais conclure que la prépondérance des probabilités est également partagée entre la conclusion que DEMERARA serait perçu comme un terme descriptif et la conclusion qu'il serait perçu comme une marque de commerce. Toutefois, étant donné que le fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la demande ne contrevient pas à l'article 30b) incombe à la Requérante, je trancherais tout de même à l’encontre de la Requérante.

[120]       Compte tenu de ce qui précède, j'estime que la Requérante ne s'est pas acquittée de son fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la demande est conforme aux exigences de l'article 30b) de la Loi.

[121]       En conséquence, le motif d'opposition fondé sur la non-conformité à l'article 30b) de la Loi est accueilli.

La Requérante pouvait-elle être convaincue d'avoir droit d'employer la Marque au Canada à la date de production de la demande?

[122]       Cette question découle des deux motifs d'opposition portant que la demande n'est pas conforme aux exigences de l'article 30i) de la Loi.

[123]       Je considère que la date pertinente pour l'examen des motifs d'opposition fondés sur l'article 30i) de la Loi est la date de production de la demande [voir Georgia-Pacific Corp, précitée]. Je ne vois aucune raison de conclure que l'existence d'une demande modifiée justifie de changer la date pertinente à considérer pour l'examen d'un motif fondé sur l'article 30i), contrairement à ce que prétendent les Opposantes. J'ajouterai que, pour les raisons exposées ci-dessous, les Opposantes ne m'ont pas convaincue que les décisions qu'elles ont citées dans leur plaidoyer écrit et à l'audience appuient leur prétention selon laquelle la date pertinente est la date de production de la dernière demande modifiée.

[124]       D'une part, le commentaire dans Georgia-Pacific Corp, précitée, selon lequel la date pertinente peut changer si la demande a été modifiée, a été formulé dans le contexte d'un motif d'opposition fondé sur l'article 30b), alors l'article 29b), de la Loi, et non sur l'article 30i). De même, dans Delectable Publications c. Famous Events Ltd (1989), 24 CPR (3d) 274 (COMC), la pertinence de tenir compte d'une demande modifiée a été envisagée dans le contexte d'un motif d'opposition fondé sur l'article 30a) de la Loi, et non sur l'article 30i).

[125]       Enfin, je reconnais que, dans Kellogg Co c. Granovita UK Ltd (2011), 99 CPR (4th) 1 (COMC), Andrea Flewelling, membre de la Commission, a cité la décision Georgia-Pacific Corp en lien avec la date pertinente à considérer pour l'examen pour l'examen de motifs d'opposition fondés sur les articles 30e) et 30i) de la Loi. Toutefois, j'interprète ce commentaire comme signifiant, tout au plus, que ma collègue Flewelling admettait qu'il puisse être pertinent de tenir compte de l'existence d'une demande modifiée aux fins de l'examen d'un motif d'opposition fondé sur l'article 30, lorsqu'il y a lieu. En effet, d'une part, ma collègue Flewelling a mentionné que la date de production de la demande était la date pertinente pour l'examen des motifs d'opposition fondés sur l'article 30 qui étaient soulevés dans l'affaire dont elle était saisie. D'autre part, ma collègue Flewelling a cité la décision Tower Conference Management Co c. Canadian Exhibition Management Inc. (1989), 28 CPR (3d) 428 (COMC) dans laquelle le motif d'opposition fondé sur l'article 30i) a été examiné en fonction de la date de production de la demande.

[126]       L’article 30i) de la Loi exige que le requérant inclue dans sa demande une déclaration portant qu’il est convaincu d’avoir droit d’employer la marque de commerce au Canada. D’après la jurisprudence, lorsque le requérant a fourni la déclaration exigée, on ne peut conclure à la non-conformité à l'article 30i) qu’en présence de circonstances exceptionnelles qui rendent la déclaration du requérant invraisemblable, telle une preuve de mauvaise foi ou de non-conformité à une loi fédérale [voir Sapodilla Co Ltd c. Bristol-Myers Co (1974), 15 CPR (2d) 152 (COMC), p. 155; et Canada Post Corporation c. le Registraire des marques de commerce (1991), 40 CPR (3d) 221 (CF 1re inst.)]. Il n'existe aucune circonstance exceptionnelle de ce genre en l'espèce.

[127]       En l'espèce, les motifs d'opposition fondés sur l'article 30i) reposent tous deux essentiellement sur des allégations voulant que la Requérante ne soit pas autorisée d'affirmer qu'elle était convaincue d'avoir droit d'employer la Marque au Canada et que, par conséquent, la déclaration exigée par l'article 30i) de la Loi a été faite de mauvaise foi. Au vu des observations qu'ont présentées les Opposantes, il est évident que les allégations de mauvaise foi découlent de leur théorie selon laquelle la date pertinente était la date de production de la dernière demande modifiée, plutôt que la production de la demande.

[128]       En somme, on peut, à juste titre, conclure que la question qui découle des motifs d'opposition, tels qu'ils ont été plaidés, est sans portée pratique.

La Marque était-elle distinctive des marchandises de la Requérante à la date de production de la déclaration d'opposition?

[129]       Comme j'ai déjà donné gain de cause aux Opposantes relativement à deux motifs, je n'examinerai pas cette dernière question, si ce n'est de dire qu'elle découle du motif d'opposition portant que la Marque ne distingue pas véritablement et n'est pas adaptée à distinguer le rhum de la Requérante du rhum des tiers nommés dans la déclaration d'opposition.


Décision

[130]       Dans l'exercice des pouvoirs qui m'ont été délégués en vertu des dispositions de l'article 63(3) de la Loi, je repousse la demande d'enregistrement en application des dispositions de l'article 38(8) de la Loi.

______________________________

Céline Tremblay

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada


 

 

 

 


Traduction certifiée conforme
Judith Lemire


Annexe « A »

Résumé détaillé des motifs d'opposition

         Article 38(2)a) de la Loi : la demande n'est pas conforme aux exigences de l'article 30b) de la Loi en ce que la Requérante n'emploie pas la Marque en liaison avec du rhum au Canada et, en particulier, en Ontario, à titre de marque de commerce depuis 1939.

         Article 38(2)a) de la Loi : la demande n'est pas conforme aux exigences de l'article 30i) de la Loi en ce que, à la date de production de la demande ainsi qu'à toute autre date, la Requérante ne pouvait pas être convaincue d'avoir droit d'employer la Marque au Canada en liaison avec du rhum, car la Requérante a affirmé que l'adoption de Marque était interdite en vertu de l'article 10 de la Loi. Plus particulièrement, dans le cadre de la procédure d'opposition que la Requérante a engagée à l'encontre de la demande no 1,206,738 pour la marque de commerce DEMERARA GOLD produite par Bedessee, la Requérante a affirmé ce qui suit dans sa déclaration d'opposition et dans son plaidoyer écrit :

[traduction]
DEMERARA est une région de la Guyane réputée pour sa production de sucre et de produits dérivés du sucre, y compris le rhum.

et :

[traduction]
… le mot DEMERARA, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, est devenu reconnu au Canada comme désignant le genre et la qualité de certaines marchandises provenant de la Guyane ou d'une région particulière de la Guyane. Il s'ensuit que l'adoption et l'emploi de la Marque de commerce DEMERARA GOLD en liaison avec des marchandises qui ne proviennent pas de la Guyane est interdit par l'article 10 de la Loi et qu'en conséquence, la Marque de commerce n'est pas enregistrable.

Par conséquent, la production de la demande d'enregistrement pour la Marque et sa poursuite continue relèvent de l'abus de procédure et de la mauvaise foi; compte tenu de ses déclarations antérieures, la Requérante n'est pas autorisée d'affirmer qu'elle était convaincue d'avoir droit d'employer la Marque au Canada en liaison avec du rhum. Qui plus est, la demande d'enregistrement pour la Marque a été modifiée après la décision rendue dans Glenora Distillers International Ltd c. The Scotch Whisky Association, 2009 CAF 16 selon laquelle les dispositions de l'article 10 s'appliquent à tous indépendamment de l'endroit où les produits concernés sont fabriqués.

         Article 38(2)a) de la Loi : la demande n'est pas conforme aux exigences de l'article 30i) de la Loi en ce que, à la date de production de la demande ainsi qu'à toute autre date, la Requérante ne pouvait pas être convaincue d'avoir droit d'employer la Marque au Canada en liaison avec du rhum, car elle a affirmé ce qui suit dans le cadre de la procédure d'opposition qu'elle a engagée à l'encontre de la demande no 1,206,738 visant du sucre :

[traduction]
… la Marque de commerce [DEMERARA GOLD] créait de la confusion avec une ou plusieurs des marques de commerce DEMERARA, DEMERARA GOLD et DEMERARA GOLD RUM ayant été antérieurement employées et/ou révélées au Canada en liaison avec du rhum…

et :

[traduction]
La Marque de commerce n'est pas distinctive de la requérante en ce qu'elle ne distingue pas et n'est pas adaptée à distinguer les marchandises de la requérante des marchandises ou services de tiers, y compris celles et ceux de l'Opposante, compte tenu de : (i) l'emploi et/ou la révélation antérieurs des marques de commerce… employées en liaison avec du rhum mentionnées ci-dessus par l'Opposante…

La Requérante savait que de nombreuses entreprises emploient au Canada du sucre de type Demerara. Par conséquent, la production de la demande d'enregistrement pour la Marque et sa poursuite continue relèvent de l'abus de procédure et de la mauvaise foi; compte tenu de ses déclarations antérieures et du fait qu'elle avait connaissance de l'emploi au Canada de sucre de type Demerara par de nombreuses entreprises, la Requérante n'est pas autorisée d'affirmer qu'elle était convaincue d'avoir droit d'employer la Marque au Canada en liaison avec du rhum.

         Article 38(2)b) de la Loi : la Marque n'est pas enregistrable suivant l'article 12(1)b) de la Loi, car elle donne une description claire ou une description fausse et trompeuse, en langue anglaise, de la nature ou de la qualité du rhum.

         Article 38(2)b) de la Loi : la Marque n'est pas enregistrable suivant l'article 12(1)c) de la Loi, car elle est constituée du nom des marchandises.

         Article 38(2)d) de la Loi : la Marque ne distingue pas véritablement et n'est pas adaptée à distinguer le rhum de la Requérante du rhum de tiers, nommément le rhum « Cabot Tower Demerara Rum » (enregistrement no LMC273,027 au nom de Newfoundland and Labrador Liquor Corporation); le rhum « Bristol Classic Rum Versailles Still Old Rum 1985 » vendu par Bristol Sprits Limited; et le rhum « Classic Rum Port Morant Demerara Rum 1990 » vendu par Bristol Sprits Limited.

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