Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2015 COMC 216

Date de la décision: 2015-11-30

DANS L'AFFAIRE DES OPPOSITIONS

 

 

Weston Foods (Canada) Inc.

Opposante

et

 

Canada Bread Company, Limited

Requérante

 

 

 

 



1,193,901 pour la marque de commerce NO-HOLE

1,193,902 pour la marque de commerce SANS-TROU

Demandes

Introduction

[1]               Weston Foods (Canada) Inc. (l’Opposante) s’oppose à l’enregistrement des marques de commerce NO-HOLE et SANS-TROU (ci-après parfois référées collectivement les Marques) faisant respectivement l’objet des demandes nos 1,193,901 et 1,193,902 au nom de Canada Bread Company, Limited (la Requérante).

[2]               Chacune de ces demandes, produites le 24 octobre 2003, est basée sur l’emploi projeté de la marque de commerce NO-HOLE ou SANS-TROU, selon le cas, en liaison avec les produits suivants : « produits de boulangerie, nommément pain et bagel » (ci-après parfois référés les Produits).

[3]               Tel qu’il ressortira de mon analyse ci-après, j’estime que la question principale à trancher est de déterminer si chacune des Marques donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des Produits qui y sont associés, contrairement à la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13 (la Loi).

[4]               Pour les raisons qui suivent, j’estime que tel est le cas et qu’il y a lieu de repousser chacune des demandes d’enregistrement.

Les dossiers

[5]               Chacune des déclarations d’opposition, essentiellement identiques, fut produite le 19 décembre 2012. La Requérante a produit, dans chaque dossier, une contre-déclaration déniant chacun des motifs d’opposition plaidés.

[6]               Au soutien de chacune de ses oppositions, l’Opposante a produit, à titre de preuve principale, un affidavit de Susanne Reis, parajuriste au sein du département légal de George Weston Limited et de ses filiales, incluant l’Opposante, assermentée le 26 juin 2013. J’emploierai le singulier pour référer collectivement à ces deux affidavits puisqu’ils sont essentiellement identiques. L’affidavit de Mme Reis vise à mettre en preuve diverses définitions de dictionnaires de même que le résultat de recherches internet effectuées en regard de produits contenant les mots « no », « hole », et « bagel ». L’Opposante a également produit une copie certifiée du dossier d’examen de chacune des présentes demandes.

[7]               Au soutien de chacune de ses demandes, la Requérante a produit un affidavit de son vice-président principal transformation, Jean-Luc Breton, assermenté le 15 novembre 2013, de même qu’un affidavit de Stéphanie La, adjointe juridique au sein de la firme représentant la Requérante dans chacun des présents dossiers, assermentée le 19 novembre 2013. J’emploierai le singulier pour référer collectivement aux deux affidavits de M. Breton puisqu’ils sont essentiellement identiques. Je ferai de même pour les deux affidavits de Mme La. L’affidavit de M. Breton traite du développement des Produits associés aux Marques de même que de l’emploi et de la publicité de celles-ci au Canada. L’affidavit de Mme La vise à mettre en preuve diverses définitions de dictionnaires.

[8]               L’Opposante a par la suite produit dans chaque dossier, à titre de preuve en réplique, un affidavit de Biserka Horvat, parajuriste au sein de la firme représentant l’Opposante dans chacun des présents dossiers, assermentée le 19 décembre 2013. J’emploierai le singulier pour référer collectivement aux deux affidavits de Mme Horvat puisqu’ils sont essentiellement identiques. L’affidavit de Mme Horvat introduit en preuve une copie certifiée du dossier concernant l’enregistrement de la marque de commerce NO-HOLE BAGEL SANS-TROU & Dessin ayant été enregistrée sous le no LMC711,407, à laquelle il est fait référence dans l’affidavit de M. Breton. Je note à ce stade-ci que je suis satisfaite que pareille preuve se qualifie de preuve en réplique selon l’article 43 du Règlement sur les marques de commerce, CRC, ch 1559 (le Règlement). Toutefois, cet enregistrement n’est pas pertinent en l’espèce pour les raisons qui suivent.

[9]               Aucun des déposants ne fut contre-interrogé.

[10]           Chacune des parties a produit un plaidoyer écrit dans chaque dossier et participé à une audience.

Le fardeau qui repose sur les parties

[11]           C’est à l’Opposante qu’il appartient au départ d’établir le bien-fondé de chacune de ses oppositions. Le fardeau ultime de démontrer que chacune des Marques est enregistrable repose toutefois sur la Requérante, selon la prépondérance de preuve [voir John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst); et Dion Neckwear Ltd c Christian Dior, SA et al 2002 FCA 29, 20 CPR (4th) 155 (CAF)].

Analyse

Motif d’opposition basé sur l’article 12(1)(b) de la Loi

[12]           Chacune des déclarations d’opposition allègue que la marque NO-HOLE ou SANS-TROU, selon le cas, est non enregistrable au motif qu’elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des Produits à l’égard desquels la Requérante projette de l’employer, en vertu des dispositions de l’article 12(1)(b) de la Loi, en ce que chacune des Marques indique au consommateur une caractéristique intrinsèque des Produits, à savoir que ceux-ci sont « sans trou » (ou « have no hole(s)»).

[13]           L’Opposante soutient que le sens ordinaire des mots qui composent les Marques suffit pour lui permettre de s’acquitter de son fardeau de preuve initial. Elle me renvoie à cet égard aux définitions de dictionnaires produites au soutien de l’affidavit de Mme Reis. Elle soutient de plus que je peux m’en remettre au sens commun (common sense approach) pour conclure qu’elle a satisfait son fardeau de preuve initial dans les présents dossiers.

[14]           Je suis d’accord.

[15]           La question de savoir si une marque donne une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des produits au sens de l’article 12(1)(b) doit être étudiée du point de vue du consommateur moyen des produits. En outre, il ne faut pas scruter séparément chacun des éléments constitutifs de la marque. Celle-ci doit plutôt être considérée dans son ensemble, sous l’angle de la première impression [voir Wool Bureau of Canada Ltd c Registrar of Trade Marks (1978), 40 CPR (2d) 25 (CF 1re inst); et Atlantic Promotions Inc c Registrar of Trade Marks (1984), 2 CPR (3d) 183 (CF 1re inst)]. Le mot « nature » s’entend d’une particularité, d’un trait ou d’une caractéristique du produit, et le mot « claire » signifie [traduction] « facile à comprendre, évident ou simple », tel que rappelé en ces termes par le juge Blanchard dans l’affaire Tradition Fine Foods Ltd c Groupe Tradition’L Inc 2006 CF 858 :

[20] `[traduction] L’alinéa 12(1)b) prévoit qu’une marque de commerce qui donne « une description claire » ou une description « trompeuse » ne peut être enregistrée. Pour qu’une marque de commerce soit considérée donner une « description claire », elle doit faire plus que suggérer simplement la nature ou la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée ou à l’égard desquels on projette de l’employer. Comme l’a indiqué la juge Danielle Tremblay‑Lamer dans la décision ITV Technologies c. WIC Television Ltd., 2003 CF 1056 au paragraphe 67, le caractère descriptif doit plutôt s’appliquer à « la composition matérielle » des marchandises ou services qui forment l’objet de la marque de commerce, ou se rapporter à « une de leurs qualités intrinsèques évidentes », par exemple une caractéristique, une particularité ou un trait inhérents au produit même. La juge Tremblay‑Lamer a ajouté, au paragraphe 71, qu’il s’agit d’une question de première impression.

Le critère applicable au point de savoir si une marque de commerce enfreint l’alinéa 12(1)b) est celui de la première impression ou de l’impression immédiate. La décision ne doit pas être fondée sur les résultats d’une recherche ou d’une analyse critique touchant la signification des mots (Oshawa Group Ltd. c. Registraire des marques de commerce, [1981] 2 C.F. 18). Le terme « claire » de l’alinéa 12(1)b) n’est pas synonyme d’exacte, mais signifie plutôt facile à comprendre, évident ou simple (Drackett Co. of Canada c. American Home Products Corp. (1968), 55 C.P.R. 29). En outre, l’impression doit être appréciée du point de vue de l’acheteur ou de l’utilisateur ordinaire des marchandises ou services (Wool Bureau of Canada Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1978), 40 C.P.R. (2d) 25). Le point de vue des experts ou des personnes possédant des connaissances spéciales n’est pas représentatif de celui du consommateur moyen (Consorzio del Prosciutto de Parma c. Maple Leaf Meats Inc., 2001 CanLII 22030 (CF), [2001] 2 C.F. 536).

[16]           L’interdiction en ce qui a trait aux marques donnant une description claire vise à empêcher un commerçant de monopoliser un mot qui donne une description claire ou qui est habituellement employé dans le commerce, et de placer ainsi des commerçants légitimes dans une position désavantageuse [voir Canadian Parking Equipment Ltd c Canada (Registrar of Trade-marks) (1990), 34 CPR (3d) 154 (CF 1re inst)].

[17]           L’interdiction en ce qui a trait aux marques de commerce fausses et trompeuses vise à empêcher le public d’être trompé [voir Atlantic Promotions, supra; et Provenzano c Canada (Registrar of Trade-marks) (1977), 37 CPR (2d) 189 (CF 1re inst)].

[18]           En outre, comme le mentionne le juge Martineau dans Neptune SA c Canada (Attorney General) 2003 FCT 715, 29 CPR (4th) 497 (CF), au paragraphe 11 :

Afin de déterminer si une marque de commerce tombe sous cette exclusion [alinéa 12(1)b)], le registraire doit non seulement tenir compte des éléments de preuve dont il dispose, mais également appliquer son sens commun à l’évaluation des faits. La décision concluant au caractère de description claire, ou encore de description fausse et trompeuse, est fondée sur sa première impression. Il ne doit pas considérer celle-ci isolément, mais à la lumière du produit ou service visé.

[Voir également Ontario Teachers’ Pension Plan Board c Canada (Attorney General) 2011 CF 58, 89 CPR (4th) 301 au paragraphe 48; conf. dans 2012 FCA 60, 99 CPR (4th) 213].

[19]           La date pertinente pour l’analyse d’un motif d’opposition basé sur l’article 12(1)(b) de la Loi est la date de production de la demande, soit en l’occurrence, le 24 octobre 2003 [voir Fiesta Barbecues Ltd c General Housewares Corp 2003 FC 1021, 28 CPR (4th) 60 (CF)].

[20]           Ceci m’amène à discuter plus en détail la preuve pertinente soumise par les parties en regard du présent motif d’opposition à la lumière des représentations faites par celles-ci.

[21]           Tel qu’indiqué plus haut, l’Opposante a mis en preuve diverses définitions de dictionnaires de langue courante. Plus particulièrement, l’affidavit de Mme Reis introduit en preuve des définitions de dictionnaires de langue anglaise (publiés en 1990) pour les mots suivants : « no », « hole », « bagel », et « bread », et des définitions de dictionnaires de langue française (publiés en 2002) pour les mots « sans » et « trou ».

[22]           Je ne m’attarderai pas sur chacune de ces définitions de mots courants, si ce n’est que pour souligner que le mot « bagel », tant en anglais qu’en français (puisque je peux prendre connaissance d’office de définitions de dictionnaires), s’entend d’un petit pain en forme d’anneau. En d’autres mots, un petit pain de forme circulaire avec un trou (« hole ») en son centre.

[23]           D’ailleurs, à ce sujet, la preuve de la Requérante, produite par le biais de l’affidavit de Mme La, va dans le même sens [voir à titre d’exemple la définition produite sous la pièce SL-3 définissant le mot « bagel » comme « a soft chewy, circular piece of bread with a hole in the center »]. Il en est de même de l’affidavit de M. Breton lorsqu’il affirme au paragraphe 8 de celui-ci qu’« un bagel est toujours, selon la définition, avec un trou, soit en forme d’anneau. »

[24]           À la lumière de ces définitions, l’Opposante soumet que chacune des Marques ne peut que décrire clairement une particularité, un trait ou une caractéristique des Produits, à savoir qu’il s’agit de pain et bagel sans trou. Elle soumet de plus que si les Produits comportent au contraire un trou, les Marques sont alors faussement et trompeusement descriptives de la nature ou de la qualité de ceux-ci.

[25]           L’Opposante trace un parallèle entre les présents dossiers et notamment les décisions suivantes concernant également des produits alimentaires, dans lesquelles les marques en cause furent considérées comme clairement descriptives ou faussement et trompeusement descriptives des produits leur étant associés, à savoir :

-        Canada Dry Ltd v McCain Foods Ltd (1988) 21 CPR (3d) 99 (COMC)

Concernant les marques BOITE A BOIRE et DRINKIN’ BOX en liaison avec des jus de fruits :

Not only are the applicant's two trade marks suggestive, they are also, in my view, clearly descriptive of the character of the applicant's wares, be they described as "beverages namely fruit juices" or as "aseptic packed fruit juices and refreshment-type drinks". As a matter of first impression, the everyday user of the applicant's wares upon seeing or hearing the applicant's trade mark DRINKIN' BOX would consider that reference is being made to a box-like container from which he could directly drink the contained beverage. The applicant's own activities serve to underscore this conclusion. […]

The terms "drinkin box" and "boite a boire" are, in my view, appropriate terms that other traders in the beverage industry should be free to use in association with their aseptically packaged products. It may be that it was not common in the industry as of the filing date of the applicant's first application to use the box-like aseptic packaging (although it certainly is now). But that is irrelevant. The test is what would be the everyday consumer's immediate reaction to the trade marks DRINKIN' BOX and BOITE A BOIRE when used in association with beverages packaged in that fashion. And that reaction would be that one would drink the beverage from the box. The trade marks are clearly descriptive of the product, the product in this case comprising the juice and the container.

-        Standard Brands Inc v General Foods Ltd (1981) 63 CPR (2d) 272 (COMC)

Concernant la marque MELLOW ROAST en liaison avec du café :

As part of its evidence, the opponent has adduced photocopies of pages from dictionaries which include definitions for the words "coffee", "mellow", and "roast".

[…]

Having regard to the above dictionary meanings of the two words "mellow" and "roast", and bearing in mind that coffee is the roasted seeds obtained from the fruit of various plants of the genus coffee, the combination "mellow roast", in which the noun "roast" is modified by the adjective "mellow", is susceptible of meaning a variety of roasted coffee made from fully matured coffee beans which is free of harshness. However, in my opinion, as a matter of immediate impression to the average consumer or retailer of the applicant's coffee, the applicant's trade mark MELLOW ROAST would convey to such a person that the applicant's coffee has been so roasted as to have a mellow or mild and pleasing flavour. As such, the words "mellow roast" when applied to coffee are clearly descriptive of the intrinsic characteristic or quality of the coffee, that is, that the coffee has been roasted so as to have a mellow flavour.

[26]           La Requérante soumet quant à elle que les présents dossiers ne comportent aucune preuve quant à la signification de la combinaison des mots « NO » et « HOLE » / « SANS » et « TROU », selon le cas. Elle ajoute à ce sujet que pareilles combinaisons de mots ne se retrouvent pas dans les dictionnaires. Lors de l’audience, la Requérante a en outre fait valoir qu’un consommateur à qui l’on aurait demandé le 24 octobre 2003 « d’acheter un ‘SANS TROU’ » n’aurait pas su quoi acheter alors que tel n’aurait pas été le cas, selon elle, si on lui avait demandé « d’acheter une ‘CARAMILK’ [devant s’entendre d’une tablette de chocolat] ». Afin d’expliquer davantage sa position, elle a distingué deux scénarios. Elle a fait valoir que le fait qu’un bagel a un trou, cela constitue évidemment une caractéristique de celui-ci. Par contre, le fait qu’il soit sans trou ne constitue pas une caractéristique de celui-ci, puisqu’un bagel a, par définition, un trou. Elle a d’ailleurs à ce sujet insisté tant dans son plaidoyer écrit qu’à l’audience, sur le caractère « innovateur » et « unique » des Produits de la Requérante, faisant notamment valoir qu’à la date de production des présentes demandes, « a bagel product without a whole did not exist on the Canadian market ».

[27]           Je ne suis pas d’accord avec la position de la Requérante.

[28]           Le fait qu’une combinaison particulière de mots ne se retrouve pas telle quelle dans le dictionnaire n’est pas en soi pertinent puisque cela n’implique pas nécessairement que cette combinaison n’a aucun sens et ne donne aucune description [voir notamment Kelly Gill & R. Scott Joliffe, Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 4th ed, (Toronto : Carswell, 2003) à la page 5-30.3 : « […] the fact that a particular combination of words is not present in any dictionary does not necessarily mean that it is not descriptive or deceptively misdescriptive. If each portion of a mark has a well-known meaning, the combination could be contrary to s. 12(1)(b) [of the Act] » . Voir également Mitel Corp c Canada (Registraire des marques de commerce) (1984), 79 CPR (2d) 202 (CF 1re inst), à la page 206].

[29]           De plus, le test n’est pas de savoir si le consommateur moyen canadien aurait su, le 24 octobre 2003, quoi acheter si on lui avait demandé « d’acheter un ‘SANS TROU’ », mais plutôt de déterminer, selon la balance des probabilités, quelle aurait été la réaction immédiate de ce consommateur en présence des Produits arborant la marque SANS TROU ou NO-HOLE, selon le cas.

[30]           À cet égard, le fait que le « bagel product » élaboré par la Requérante représentait une innovation en soi à l’époque de la date pertinente pour l’appréciation du présent motif d’opposition n’est pas pertinent. La question n’est pas de déterminer l’originalité ou le caractère ingénieux des Produits de la Requérante mais plutôt de déterminer si chacune des Marques était, à la date pertinente et sur la base de la base de la première impression, clairement descriptive ou faussement et trompeusement descriptive dans le contexte des Produits lui étant associés.

[31]           Il est à ce sujet particulièrement frappant que la Requérante elle-même décrive les Produits associés à chacune des Marques comme « un bagel sous forme de pain trancher [sic] qu’[elle a] appelé SANS TROU® puisqu’en effet, un bagel est toujours, selon la définition, avec un trou, soit en forme d’anneau. » [paragraphe 8 de l’affidavit de M. Breton].

[32]           Tel qu’expliqué entre autres aux paragraphes 5 et 6 de l’affidavit de M. Breton concernant l’historique du développement des Produits associés aux Marques et à la marque de commerce NO-HOLE BAGEL SANS-TROU & Dessin, le bagel sous forme de pain tranché (ou pain bagel) de la Requérante est le résultat d’un projet de recherche entrepris en 2003 qui avait consisté à développer :

[…] un pain tranché (de forme ronde) pour le petit déjeuner, […] pour offrir un substitut au bagel au consommateur.

Ce nouveau produit […] devait être un pain trancher [sic] fait à base d’une pâte de bagel qui dégage des arômes typiques lorsque grillés, sans s’émietter, le tout comme un bagel.

[33]           Aussi, ai-je peine à réconcilier la position de la Requérante selon laquelle il va de soi qu’une des caractéristiques d’un bagel est le fait qu’il a un trou en son centre, avec sa position selon laquelle le fait qu’il n’en ait pas, (et soit décrit comme tel par chacune des Marques), ne soit pas considéré comme donnant une description claire de la nature ou des caractéristiques intrinsèques des Produits de la Requérante.

[34]           Compte tenu de la signification évidente des mots composant chacune des Marques dans le contexte des Produits de la Requérante, je ne peux souscrire à l’argument de la Requérante à l’effet que chacune de celles-ci doit s’entendre d’une marque « fantaisiste ». La seule idée suggérée par chacune des Marques est celle d’un pain ou d’un bagel (en l’occurrence, un pain bagel) sans trou.

[35]           Bien que postérieurs à la date pertinente, je note au surplus que les exemplaires de matériel promotionnel et publicitaire produits en liasse par M. Breton sous la pièce JLB-6 supportent pareille conclusion, allant jusqu’à employer les mots « SANS » et « TROU » de manière générique comme lorsqu’il est écrit : « Sans trou… plein de saveurs! Tout le bon goût d’un bagel, offert sous la forme pratique d’un pain tranché. […] Depuis son lancement en novembre 2004, le Pain bagel Sans-Trou POM connaît tout un succès en magasin!»

[36]           Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les marques « SANS-TROU » et « NO-HOLE » ne peuvent être considérées comme n’ayant clairement rien à voir avec la nature ou les caractéristiques intrinsèques des Produits.

[37]           Par conséquent, j’estime que la Requérante ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’à la date de production des demandes, les Marques ne donnaient pas une description claire de la nature ou des caractéristiques intrinsèques des Produits. Alternativement, si les Produits contiennent un ou des trous, les Marques seraient alors faussement et trompeusement descriptives.

[38]           Par conséquent, le motif d’opposition sous l’article 12(1)(b) de la Loi est accueilli dans chaque dossier.

Motif d’opposition basé sur l’article 12(1)(e) de la Loi

[39]           Chacune des déclarations d’opposition allègue que la marque NO-HOLE ou SANS-TROU, selon le cas, est non enregistrable au motif qu’elle est une marque dont l’article 10 de la Loi interdit l’adoption en ce que l’expression « NO-HOLE » ou « SANS-TROU », selon le cas, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, est devenue reconnue au Canada comme désignant le genre et la qualité d’un produit de boulangerie, de sorte que nul ne peut l’adopter comme marque de commerce.

[40]           La date pertinente pour l’analyse d’un motif d’opposition basé sur les articles 10 et 12(1)(e) de la Loi est la date de ma décision [voir Canadian Council of Professional Engineers c Groupegénie Inc 2009 TMOB 127, 78 CPR (4th) 126 (COMC); et Canadian Olympic Assn c Olympus Optical Co (1991), 38 CPR (3d) 1 (CAF)].

[41]           En l’occurrence, l’Opposante s’appuie plus particulièrement sur le résultat de recherches internet effectuées par Mme Reis en regard de produits contenant les mots « no », « hole », et « bagel » joint à son affidavit sous les pièces « G », « I » et « J », à savoir :

-        Pièce « G » : copie d’un article publié le 1er septembre 2006 sur le site internet http://baking-management.com intitulé « Thomas’ makes SQUARE play with bagel hy-bread » rapportant l’introduction sur le marché par « Canada-based George Weston Bakeries under its venerable Thomas’ brand » d’un bagel de forme carrée dont le diamètre du trou au centre a été réduit de sorte que « The small hole in Thomas Squares Bagelbread helps keep condiments like butter, mustard or mayonnaise on the bagel, not in your lap. » Je note toutefois que le marché en question n’est pas précisé;

-        Pièce « I » : copie d’un article publié le 14 mars 1987 sur le site internet du New York Times, http://www.nytimes.com, intitulé « NO-HOLE BAGEL AND OTHER KOSHER TREATS » faisant état de la première exposition « Kosher Foods and Jewish Life Expo » tenue en la ville de New York au cours de laquelle un pain hot-dog fait à partir d’une pâte de pain bagel a été présenté au public; et

-        Pièce « J » : copie d’un article publié le 3 mars 1997 sur le site internet du South Florida Business Journal, http://www.bizjournals.com, intitulé « Retail and Restaurants – No hole in the bagel? That’s the Unholey Bagel » faisant état de l’introduction sur le marché de l’état de la Floride d’un « frozen bagel with the creamcheese already inside, but without a hole so the contents won’t leak out and make a mess in your microwave or toaster oven. »

[42]           Je conviens avec la Requérante que pareille preuve n’est pas suffisante en soi pour satisfaire le fardeau de preuve initial de l’Opposante sous le présent motif d’opposition. En effet, il n’est pas possible à partir de ces articles de conclure que l’expression « NO-HOLE » ou « SANS-TROU », selon le cas, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, est devenue reconnue au Canada comme désignant le genre et la qualité d’un produit de boulangerie.

[43]           Par conséquent, le motif d’opposition sous l’article 12(1)(e) de la Loi est rejeté dans chaque dossier.

Motif d’opposition basé sur l’article 2 de la Loi (absence de caractère distinctif)

[44]           Chacune des déclarations d’opposition allègue que la marque NO-HOLE ou SANS-TROU, selon le cas, est non enregistrable au motif qu’elle est non distinctive au sens de l’article 2 de la Loi et non adaptée à distinguer les Produits de la Requérante de ceux d’autres commerçants et fabricants de produits alimentaires, incluant des boulangeries et d’autres personnes impliquées dans le domaine de la boulangerie et des produits alimentaires.

[45]           Bien que ce motif d’opposition n’énonce pas en soi avec détails suffisants les raisons pour lesquelles chacune des Marques n’est pas distinctive, ce motif d’opposition doit être lu considérant chacune des déclarations d’opposition dans son ensemble et concurremment aux éléments de preuve aux dossiers [voir Novopharm Limited c AstraZeneca AB 2002 CAF 387 (CanLII), 21 CPR (4th) 289 (CAF)]. Ainsi, il est évident que ce motif d’opposition doit être interprété comme englobant l’allégation que chacune des Marques est non distinctive en raison du fait qu’elle donne une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des Produits lui étant associés. Position d’ailleurs entendue comme telle par chacune des parties, tant dans leurs plaidoyers écrits respectifs que lors de l’audience.

[46]           La date pertinente pour analyser un motif d’opposition basé sur l’absence de caractère distinctif est généralement considérée comme étant la date de production de la déclaration d’opposition [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc c Stargate Connections Inc 2004 CF 1185, 34 CPR (4th) 317 (CF 1re inst.)]. Toutefois, en présence de marques considérées comme étant clairement descriptives ou faussement et trompeusement descriptives en vertu de l’article 12(1)(b) de la Loi, la date pertinente a été considérée comme étant la date de production de la demande par le jeu de l’article 12(2) de la Loi [voir Molson Breweries, a partnership c Johan Labatt Ltd (2000) 5 CPR 180 (CAF); et A Lassonde Inc c Citrus World, Inc 2004 CanLII 71710 (TMOB)].

[47]           Quoiqu’il en soit, je ne crois pas que le sort des présentes oppositions soit lié à la question de savoir si le caractère distinctif des Marques doit être examiné à la date de production des déclarations d’opposition (soit le 19 décembre 2012), ou à la date de production des demandes (soit le 24 octobre 2003).

[48]           Mes commentaires précédents en regard du motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)(b) de la Loi s’appliquent en effet au présent motif. Même si je devais considérer aussi l’étendue de la preuve d’emploi des Marques produite par la Requérante par le biais de l’affidavit de M. Breton, j’estime cette preuve nettement insuffisante pour conclure que chacune des Marques était devenue distinctive au 19 décembre 2012.

[49]           Qu’il suffise de mentionner ici que bien que l’affidavit de M. Breton fasse état de ventes substantielles par la Requérante de pain bagel arborant prétendument les Marques entre le 28 octobre 2004 (date de lancement) et l’année 2006, soit 572 351 unités ayant une valeur totale de 1, 361,890$, cet affidavit est totalement silencieux en ce qui concerne les années subséquentes s’échelonnant jusqu’au 19 décembre 2012. L’ensemble des affirmations de M. Breton et des pièces jointes au soutien de celles-ci concernent seulement la phase de développement des Produits de la Requérante et les deux premières années de leur introduction sur le marché canadien.

[50]           Par conséquent, le motif d’opposition basé sur l’absence de caractère distinctif est accueilli dans chaque dossier.

Motif d’opposition basé sur l’article 30(i) de la Loi

[51]           Chacune des déclarations d’opposition allègue que la Requérante ne pouvait être convaincue d’avoir droit d’employer la marque NO-HOLE ou SANS-TROU, selon le cas, au motif qu’elle devait savoir que celle-ci contrevenait aux articles 12(1)(b) et/ou 12(1)(e) de la Loi.

[52]           Lorsqu’un requérant a produit la déclaration exigée par l’article 30(i) de la Loi, pareil motif ne doit être accueilli que lorsque la preuve démontre que le requérant était de mauvaise foi au moment de la production de sa demande d’enregistrement [voir Sapodilla Co Ltd c Bristol-Myers Co (1974),15 CPR (2d) 152 (COMC)]. Rien ne démontre que la Requérante était de mauvaise foi en l’espèce.

[53]           Par conséquent, le motif d’opposition sous l’article 30(i) de la Loi est rejeté dans chaque dossier.

Motif d’opposition basé sur l’article 30(e) de la Loi

[54]           Chacune des déclarations d’opposition allègue que la demande d’enregistrement pour la marque NO-HOLE ou SANS-TROU, selon le cas, ne rencontre pas les exigences de l’article 30(e) de la Loi en ce que, à la date de production de chacune des demandes, la Requérante n’avait pas l’intention d’employer chacune des Marques comme marques de commerce, mais plutôt de manière clairement descriptive pour décrire ses Produits.

[55]           La date pertinente pour l'appréciation de ce motif d'opposition est la date de production de chacune des demandes [voir Canadian National Railway Co c Schwauss (1991), 35 CPR (3d) 90 (COMC)].

[56]           Or, rien ne démontre que la Requérante n’avait pas l’intention d’employer chacune des Marques en tant que telle à la date pertinente.

[57]           Par conséquent, le motif d’opposition sous l’article 30(e) de la Loi est rejeté dans chaque dossier.

Décision

[58]           En vertu des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu de l’article 63(3) de la Loi, je repousse chacune des demandes en application de l’article 38(8) de la Loi.

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Annie Robitaille

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 


 

Date de l'audience: 2015-11-03

 

Comparutions

 

 

Michelle Nelles                                                                                    Pour l’Opposante

 

Bruno Barrette                                                                                     Pour la Requérante

 

Agents au dossier

 

Torys LLP                                                                                            Pour l’Opposante

 

Barrette Legal Inc.                                                                               Pour la Requérante

 

 

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