Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

 

Référence : 2010 COMC 83

Date de la décision : 2010-06-04

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION produite par Societe Anonyme des Eaux Minerales d’Evian, S.A. à l’encontre de la demande d’enregistrement no1188155 pour la marque de commerce EVIAN au nom de Robert Marcon

[1]          Le 2 septembre 2003, Robert Marcon (le Requérant) a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce EVIAN (la Marque), fondée sur l’emploi projeté de la Marque au Canada. L’état déclaratif des marchandises indique ce qui suit : « (1) Eaux-de-vie distillées, nommément vodka, gin et tequila. (2) Crème glacée. » (les Marchandises).

 

[2]          La demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 8 mars 2006. Le 8 mai 2006, Société Anonyme des Eaux Minerales d’Evian, S.A. (l’Opposante) a produit une déclaration d’opposition. La déclaration d’opposition a été modifiée le 29 janvier 2007 et le 9 juin 2008. L’Opposante a plaidé des motifs d’opposition fondés sur les alinéas 38(2)a), b), c) et d) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi). Le Requérant a produit et signifié une contre-déclaration rejetant les allégations de l’Opposante.

 

[3]          L’Opposante a produit les affidavits de Thelma Thibodeau et de Jérôme Buscail en preuve principale; en réplique, l’Opposante a produit un autre affidavit de Thelma Thibodeau ainsi que l’affidavit de Stéphane Rolland. Le Requérant a produit l’affidavit de Robert Victor Marcon en appui à sa demande.

 

[4]          Les deux parties ont produit des arguments écrits; seule l’Opposante était représentée à l’audience.

 

Motifs d’opposition

[5]          Les motifs d’opposition sont résumés ci-dessous :

1.    L’alinéa 38(2)a) de la Loi

a.  La demande ne satisfait pas aux exigences de l’alinéa 30e) parce que la Marque du Requérant était employée par ce dernier avant la date de production de la demande le 2 septembre 2003;

b. Subsidiairement, le Requérant n’a jamais eu l’intention d’employer la Marque au Canada; en vérité, le Requérant a adopté un modus operandi lui permettant de produire une multitude de demandes d’enregistrement pour des marques de commerce connues employées dans des domaines connexes;

c.  Le Requérant ne peut pas être convaincu en vertu de l’alinéa 30i) puisqu’il a adopté un modus operandi lui permettant de produire une multitude de demandes d’enregistrement pour des marques de commerce connues employées dans des domaines connexes dans le but de diminuer la valeur de l’achalandage attaché aux marques connues.

 

2.    Alinéa 38(2)b) de la Loi

a.     La demande n’est pas enregistrable aux termes de l’alinéa12(1)b) puisque sous sa forme écrite ou sonore la Marque donne une description fausse et trompeuse, en langue anglaise ou française; 1) de la nature ou de la qualité des marchandises, à savoir que les produits contiennent de l’eau de la ville d’Evian et/ou que les produits contiennent de l’eau vendue sous la Marque EVIAN de l’Opposante; 2) du lieu d’origine de ces marchandises, c’est-à-dire que les marchandises proviennent de la ville d’Evian.

b.    La Marque du Requérant n’est pas enregistrable aux termes de l’alinéa 12(1)d) parce qu’elle créé de la confusion avec les marques de commerce suivantes de l’Opposante :

                                                                   i. EVIAN enregistrée sous le no LMC306440 en liaison avec de l’eau minérale;

                                                            ii.      EVIAN & Dessin enregistrée sous le no LMC376331 en liaison avec (entre autres marchandises) de l’eau minérale;

                                                          iii.      EVIAN & Dessin enregistrée sous le no LMC593803 en liaison avec (entre autres marchandises) des cosmétiques;

                                                          iv.      EVIAN logo ellipse & Dessin enregistrée sous le no LMC586839 en liaison avec (entre autres marchandises) de la bière, de l’eau plate ou pétillante et des boissons non alcoolisées.

 

3.        Alinéa 38(2)c) de la Loi

a. Suivant l’alinéa 16(3)a), le Requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement puisqu’à la date de production de la demande, soit le 2 septembre 2003, la Marque créait de la confusion avec les marques de commerce figurant ci-dessus, qui étaient employées par l’Opposante ou ses prédécesseurs en titre en liaison avec, entre autres marchandises, de l’eau minérale, de la bière et des boissons non alcoolisées.

 

b. Suivant l’alinéa 16(3)c), le Requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement parce qu’à la date de production de la demande, soit le 2 septembre 2003, la Marque créait de la confusion avec les noms commerciaux : EVIAN et SOCIETY ANONYME DES EAUX MINERALES D’EVIAN.

 

4.    Alinéa 38(2)d) de la Loi

a. Suivant l’alinéa 38(2)d) de la Loi, la Marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 et ne distingue pas les Marchandises du Requérant – et n’est pas en mesure de le faire pour les raisons suivantes :

                                                              i.            La Marque ne distingue pas les marchandises à l’égard desquelles on projette de l’employer, ou en liaison avec lesquelles elle a été employée par le Requérant, de celles de l’Opposante;

                                                            ii.            Le Requérant a autorisé des tiers utilisateurs sans accord de licence, selon l’article 50 de la Loi;

                                                          iii.            À la suite du transfert, des droits concurrents existaient pour la Marque, qui étaient exercés simultanément, contrairement à ce que prévoit le paragraphe 48(2) de la Loi.

 

Les dessins-marques auxquels il est fait référence dans la déclaration d’opposition de l’Opposante sont reproduits ci-dessous :
EVIAN & DESSIN    EVIAN (& DESSIN)  EVIAN LOGO ELLIPSE & Dessin

LMC376331                     LMC593803                        LMC586839

 

Preuve de l’Opposante

[6]          Dans son affidavit, Jérôme Buscail explique qu’il est conseiller juridique et directeur de la propriété intellectuelle du groupe Danone, qui est composé de plusieurs sociétés liées, dont l’Opposante, la Société Anonyme Des Eaux Minerales D’Evian S.A. (SAEME). Le groupe Danone gère le portefeuille de marques de commerce de SAEME et M. Buscail est donc au fait des affaires concernant les présentes procédures.

 

[7]           M. Buscail explique que SAEME est une société française qui embouteille de l’eau minérale dans la ville d’Évian, qu’elle exporte sous la marque de commerce EVIAN dans plus de 125 pays dont le Canada; 1,5 milliard de bouteilles d’eau EVIAN sont vendues annuellement, c’est-à-dire six millions de bouteilles par jour. La première bouteille d’eau de marque EVIAN a été embouteillée en 1969. Les ventes mondiales annuelles pour 2003 à 2007 (projetées) sont de plus de 450 millions d’euros par année. Au Canada, la marque EVIAN est employée en liaison avec de l’eau depuis au moins 1978. Entre 2002 et 2006, les ventes totales au Canada seront d’environ 98 400 000 $ CAN, incluant les ventes projetées de 2007.

 

[8]          L’eau EVIAN est vendue partout au Canada, y compris dans les bars, les restaurants et les hôtels. Les dépenses de publicité et de promotion entre 1990 et 1997 représentent environ 12 665 000 $ US. L’eau EVIAN était l’eau officielle de Tennis Canada à l’Omnium Canadien entre au moins 1988 et 1995, de l’association de Volleyball de l’Alberta, des 15e Jeux du Commonwealth, du Cirque du Soleil et du Festival international du film de Toronto.

 

[9]          M. Buscail dit que la marque de commerce EVIAN est également employée au Canada par l’Opposante en liaison avec « un atomiseur » depuis au moins janvier 1996. La marque de commerce EVIAN est également employée sous licence pour des produits de soins du corps et de la peau; ces produits sont disponibles en pharmacies et dans d’autres commerces partout au Canada.

 

[10]      Au vu de ce qui précède, il est raisonnable de conclure que EVIAN est une marque de commerce bien connue au Canada pour l’eau.

 

[11]      Bien qu’il y ait pu y avoir emploi d’EVIAN pour d’autres produits au profit de l’Opposante, comme des produits de toilette, de soins pour la peau et des cosmétiques, et bien que les enregistrements de l’Opposante comprennent des vêtements, la preuve n’est pas suffisante pour que je puisse conclure que la marque de commerce de l’Opposante est bien connue en liaison avec ces produits.

 

[12]         L’affidavit de Mme Thelma Thibodeau, une agente de marque de commerce indépendante, donne des détails sur des demandes et les enregistrements de marques de commerce au Canada et aux États-Unis; l’affidavit inclut également quelques recherches sur le marché.

 

[13]         Plus précisément, Mme Thibodeau fournit des détails sur d’autres demandes d’enregistrement de marques de commerce produites par le Requérant au Canada et aux États-Unis. Il semble qu’à la date de production de la demande, le Requérant avait produit de nombreuses demandes pour des marques de commerce déjà enregistrées. En date de l’affidavit de Mme Thibodeau, 22 demandes de marques de commerce avaient déjà été produites par M. Marcon au Canada (et des demandes similaires avaient été produites aux États-Unis) pour des marques de commerce enregistrées au Canada depuis longtemps. Les demandes produites par Robert Marcon (Robert Victor Marcon; Robert V. Marcon) sont les suivantes, bien qu’un grand nombre d’entre elles aient été abandonnées à la suite de procédures en opposition :

Marque de commerce

no de demande

Date de production

BAYER

1201366

2003-12-11

BEEFEATER

1168023

2003-02-18

BUDWEISER

1168020

2003-02-18

COORS

1168021

2003-02-18

CORONA

1168019

2003-02-18

DOM PERIGNON

1168014

2003-02-18

EVIAN

1188155

2003-09-02

FINLANDIA

1168024

2003-02-18

HEINEKEN

1168025

2003-02-18

JACK DANIEL’S

1168016

2003-02-18

JACK DANIEL’S

1202335

2003-12-29

NESCAFÉ

1201480

2003-12-11

NESTLÉ

1201360

2003-12-11

SENSODYNE

1186813

2003-08-18

TIM HORTONS

1186804

2003-08-18

ABSOLUT

1168026

2003-02-18

CANADIAN CLUB

1168022

2003-02-18

SOUTHERN COMFORT

1168272

2003-02-24

CHANEL

1202435

2003-12-30

 

[14]      Mme Thibodeau a fourni des éléments de preuve concernant certains des enregistrements de marque de commerce existants pour les marques de commerce susmentionnées, au nom de différents propriétaires, par exemple :

Marque de commerce

Numéro d’enregistrement

Propriétaire inscrit

BAYER

LMCDF24895

Bayer Aktiengesellschaft

BEEFEATER

LMC 120981

Allied Domecq Spirits & Wine Limited

CHANEL

LCD18468

Chanel S. de R.L.

COORS

LMC 230978

Coors Global Properties, Inc.

CORONA

LMC 598045

Cerveceria Modelo, S.A. de C.V.

DOM PERIGNON

LCD38900

Champagne Moet & Chandon

FINLANDIA & DESIGN

LMC 259325

Finlandia Vodka Worldwide Ltd.

HEINEKEN

LMC 554,809

Heineken Brouwerijen B.V.

L’OREAL PARIS

LMC 655217

L’Oreal

NESTLE

LMCDF36039

Société des Produits Nestle S.A.

SENSODYNE

LMC 124139

GlaxoSmithKline Consumer Healthcare Inc.

TIM HORTONS & DESIGN

LMC226560

 

The TDL Marks Corporation

 

[15]      Des preuves similaires ont été fournies pour les demandes de M. Marcon aux États-Unis, ainsi que des détails concernant des enregistrements américains existants pour les mêmes marques de commerce au nom de propriétaires différents. Cette preuve est pratiquement identique à celle fournie ci-dessus pour le Canada et je ne l’ai pas reproduite.

 

[16]      Mme Thibodeau a également fourni des détails provenant du registre canadien des marques de commerce concernant les marques NESTLÉ employées en liaison avec de l’eau et de la crème glacée, ainsi que les marques SILHOUETTE employées en liaison avec de l’eau et des yogourts (pièce TT-41). L’auteur de l’affidavit explique qu’elle a visité un magasin Loblaws à Montréal et qu’elle a acheté de l’eau embouteillée de marque NESTLÉ, de la crème glacée de marque NESTLÉ, une bouteille d’eau aromatisée de marque SILHOUETTE et un pot de yogourt de marque SILHOUETTE. Des photographies des achats et une copie des factures sont jointes à l’affidavit en tant que pièces TT-42 à TT-48.

 

[17]      En contre-interrogatoire, Mme Thibodeau explique qu’on lui a demandé de visiter plusieurs supermarchés différents dans le but d’acheter des boissons alcoolisées et non alcoolisées, ainsi que de l’eau de marque EVIAN, et de dresser une liste des différents types de boissons alcoolisées vendues dans ces supermarchés. On a également demandé à Mme Thibodeau de visiter 2 dépanneurs différents pour les mêmes raisons.

 

[18]       Des photographies des achats effectués par l’auteur sont jointes à l’affidavit, ainsi que les factures y afférentes et des listes des différents types de boissons alcoolisées trouvées dans les magasins Loblaws, Provigo, Metro, IGA, Monoprix, Couche-Tard et Marche Bonichoix (pièces TT-1 à TT-5, TT-7 à TT-11, TT-13 à TT-16, TT-18 à TT-22, TT-33 à TT-38).

 

[19]      La preuve montre clairement que ces établissements québécois vendent de l’eau de marque EVIAN en plus de différentes boissons non alcoolisées et alcoolisées du type boisson mélangée ou panaché, dont certaines contiennent de la vodka, du gin ou de la tequila. À titre d’exemple, Mme Thibodeau énumère 19 types de boissons alcoolisées aromatisées (pièce TT-5), en plus de la bière et du vin, vendues dans les Loblaws du Québec.

 

[20]      L’affidavit en réplique de Stéphane Rolland fournit un menu des boissons (pièce SR-1) qu’il a consulté le 16 mai 2007 dans un restaurant de Laval, au Québec. Le menu des boissons énumère la liste des boissons alcoolisées et non alcoolisées en plus de l’eau de marque EVIAN et SAN PELLEGRINO.

 

Preuve du Requérant

[21]      La preuve du Requérant est constituée de l’affidavit de Robert Marcon. L’affidavit comprend des documents imprimés provenant de Wikipedia détaillant l’importance géographique d’EVIAN, comme la ville d’Évian, située en France, le « golfe Evian du Nord » et le « golfe Evian du Sud », situés en Grèce. De plus, des documents imprimés portant sur des organisations et des sociétés ayant le mot Evian dans leur nom ont été joints. Un document imprimé tiré de Peoplefinders.com comprenant une liste de 56 personnes résidant aux États-Unis ayant Evian comme nom de famille est joint en tant que pièce D à l’affidavit de M. Marcon.

 

[22]      M. Marcon joint également des copies de différents enregistrements de marques de commerce canadiennes produits par des tiers pour des marques de commerce comme/ou incluant CORONA, FINLANDIA, PERRIER, apparemment dans le but de démontrer l’existence de situations semblables où des marques de commerce identiques coexistent sur le marché canadien. Après consultation des pages comportant les copies des enregistrements jointes à l’affidavit, il semble que les deux seuls à être vraiment identiques sont FINLANDIA pour la vodka et FINLANDIA pour le fromage (les deux ayant des propriétaires différents). À mon avis, les renseignements fournis par le Requérant concernant les marques de commerce de tiers sont totalement non pertinents en l’espèce; on ne peut pas inférer l’état du marché ou l’opinion des consommateurs à partir de la preuve de deux enregistrements au nom de deux propriétaires différents pour FINLANDIA. De plus, en l’absence d’informations éliminant la possibilité d’une sorte d’entente de coexistence entre les deux, je ne peux faire d’analogie avec la présente situation. Enfin, pour apprécier toute analogie entre des marques de commerce identiques au registre et la situation en l’espèce, je devrais accepter que ces marques de commerce (c’est-à-dire FINLANDIA) sont bien connues au Canada, ce que je ne peux faire sans preuve.

 

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d)

 

[23]           La date pertinente pour apprécier la probabilité de confusion selon ce motif est la date de ma décision [Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. et Le registraire des marques de commerce, 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.)]. L’Opposante a plaidé que la Marque n’est pas enregistrable parce qu’elle créé de la confusion avec ses marques de commerce énumérées ci-dessus; l’Opposante a produit des copies certifiées des enregistrements de ces marques et elle s’est donc acquittée de son fardeau de preuve à l’égard de l’article 12(1)d) de la Loi.

 

[24]           Le Requérant doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y pas de probabilité raisonnable de confusion entre la Marque et la marque EVIAN de l’Opposante. Aux fins d’une analyse en matière de confusion, je me reporterai aux enregistrements sur lesquels se fonde l’Opposante en l’espèce, en parlant simplement d’EVIAN ou des marques EVIAN. Je ne considère pas que les éléments graphiques ont une force telle que l’emploi d’une des marque de commerce ne constituerait pas un emploi d’une des trois autres.

 

[25]           Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait du consommateur pressé. Selon le paragraphe 6(2) de la Loi, l’emploi d’une marque crée de la confusion avec une autre marque lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région ferait conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

[26]           Pour appliquer le test en matière de confusion, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles qui sont mentionnées au paragraphe 6(5) de la Loi : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce, et la mesure dans laquelle chacune est devenue connue; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son ou dans les idées qu’elles suggèrent. Cette liste n’est pas exhaustive; tous les facteurs pertinents doivent être pris en considération. Ces facteurs n’ont pas nécessairement le même poids. Le poids qu’il convient d’accorder à chacun varie en fonction des circonstances (voir, de façon générale, Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc. (2006), 49 C.P.R. (4th) 321 (C.S.C.); Kellogg Salada Canada Inc. c. Maximum Nutrition Ltd. (1992), 43 C.P.R. (3d) 349).

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce, et la mesure dans laquelle chacune est devenue connue

[27]      La preuve de M. Marcon semble vouloir démontrer qu’EVIAN est une marque faible n’ayant droit qu’à une protection limitée. Cependant, les documents imprimés tirés d’Internet ne suffisent pas en soi à établir la faiblesse de la marque EVIAN, ni à démontrer que la première impression du consommateur canadien serait qu’EVIAN est un lieu géographique, un nom de famille, ou un nom de société. Dans tous les cas, bien qu’EVIAN puisse avoir une signification géographique, j’estime qu’il a été démontré (affidavit de M. Buscail) que les marques de l’Opposante sont devenues bien connues au Canada par l’emploi et la promotion et qu’elles ont par conséquent acquis un haut degré de distinctivité. À l’opposé, la marque du Requérant n’est pas connue du tout. Par conséquent, j’estime que ce facteur est à l’avantage de l’Opposante.

 

b) la période pendant laquelle elles ont été en usage

[28]      La preuve démontre que l’Opposante a employé sa marque EVIAN au Canada depuis au moins 1978; il n’y a aucune preuve que le Requérant a commencé à employer sa marque.

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises

[29]           Le Requérant a présenté une demande à l’égard d’EVIAN pour l’emploi en liaison avec « (1) Eaux-de-vie distillées, nommément vodka, gin et tequila. (2) Crème glacée ». Concernant le recoupement entre les marchandises et le genre d’entreprise, les marchandises pertinentes de l’Opposante sont : « eau minérale, cosmétiques et bières, eau plate ou pétillante et boissons non alcoolisées ». Les enregistrements de l’Opposante incluent également des vêtements. La preuve fournie par l’Opposante, telle qu’exposée ci-dessus, est liée à la notoriété d’EVIAN en liaison avec l’eau.

 

[30]           De toute évidence, les états déclaratifs des marchandises se recoupent, puisque les deux incluent des boissons alcoolisées et non alcoolisées. Je remarque que l’enregistrement no LMC586839 de l’Opposante inclut « bière », bien qu’aucune preuve d’emploi en liaison avec de la bière ait été fournie.

 

[31]           Concernant la question de la nature des marchandises de chaque partie et de leur voie de commercialisation respective, je me réfère aux commentaires de ma collègue Jill Bradbury dans l’affaire Moosehead breweries Ltd. c. Stokely-Van Camp Inc. (2001), 20 C.P.R. (4th) 181, où elle a affirmé ce qui suit :

La bière lager de la requérante et les boissons non alcoolisées, non gazéifiées et aromatisées aux fruits de l'opposante appartiennent à la même catégorie générale de marchandises, soit les boissons. La requérante soutient que les marchandises des parties devraient être considérées comme appartenant à des catégories générales différentes, nommément les boissons alcoolisées et les boissons non alcoolisées. Quoi qu'il en soit, il convient de se rappeler que le paragraphe 6(2) de la Loi prévoit : « L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale » [L’italique est de moi].

 

[32]      Dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc. (2006), 49 C.P.R. (4th) 321 (C.S.C.), la Cour suprême a considéré la pertinence de la ressemblance ou du lien entre les marchandises pour apprécier la confusion et a noté que les marchandises ne doivent pas nécessairement appartenir à la même catégorie générale pour qu’on puisse conclure qu’il y a confusion. La Cour a affirmé que toutes les circonstances pertinentes doivent être considérées et a expliqué qu’une « différence entre les marchandises ou les services n’est pas fatale, mais que la notoriété de la marque de commerce n’est pas décisive non plus » (par. 72).

 

[33]      Compte tenu de la réputation des marques de l’Opposante et du fait que les ventes d’eau embouteillée, de crème glacée et de boissons alcoolisées se recoupent dans certains points de vente au détail (par ex. au Québec), et aussi dans les restaurants, je conclus que la réputation d’EVIAN pourrait transcender le marché des marchandises qui ne seraient pas « de la même catégorie générale ».

 

d) la nature du commerce

Le Requérant fait valoir que la nature du commerce est différente. Une lettre de LCBO, par exemple, indique qu’il n’y pas de boissons non alcoolisées sur les lieux (pièce P). Cette lettre constitue non seulement un ouï-dire, ce qui la rend inadmissible en preuve, mais elle est aussi non pertinente, puisqu’il est bien connu que les ventes de boissons alcoolisées ne sont pas restreintes aux magasins d’alcool et/ou de bières partout au Canada (par ex. au Québec).

 

[34]      Dans tous les cas, la consultation du menu des boissons joint à l’affidavit de M. Rolland, et la preuve de Mme Thibodeau provenant des épiceries et des dépanneurs du Québec, montre clairement que l’eau embouteillée, l’eau-de-vie distillée et la crème glacée sont vendues dans les mêmes points de vente. Plus précisément, il est clair que ces points de vente vendent des boissons alcoolisées préparées contenant de la vodka, du gin ou de la tequila.

 

[35]      Comme l’a affirmé le membre David Martin dans T.G. Bright & co. V Blake (1985), 4 C.P.R. (3d) 368 :

[traduction] Il semble qu’il y ait un recoupement possible entre les voies de commercialisation des parties partout au Canada, en ce que la marchandise des deux parties pourrait facilement être vendue dans les bars et les restaurants. La possibilité de confusion survenant dans ces circonstances semblerait plus grande puisqu’il est relativement facile d’imaginer qu’un client ayant commandé un verre de Spritzig reçoive un verre d’eau minérale de la requérante par erreur.

 

[36]           J’ajoute que je suis convaincue que l’Opposante a démontré que les marchandises seraient vendues dans les mêmes points de vente, y compris les restaurants qui vendent des boissons alcoolisées. J’accepte l’argument voulant que si un consommateur se trouvait dans un restaurant où il aurait la possibilité de commander de l’eau EVIAN, des boissons alcoolisées EVIAN ou de la crème glacée EVIAN, il y aurait une probabilité réelle de confusion concernant la source des marchandises.

 

[37]      Par conséquent, il n’est pas manifeste qu’il existerait des différences significatives entre les commerces associés à chaque marque.

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent

[38]      Les marques de commerce en cause sont identiques dans le son; les éléments graphiques présents dans les trois enregistrements de l’Opposante ne sont pas forts et par conséquent je conclus que la présentation des marques est à toutes fins identiques à la Marque en cause; la marque de commerce du Requérant et la marque nominale de l’Opposante LMC306440 sont identiques dans la présentation, le son et les idées qu’elles suggèrent.

 

[39]           Pour appliquer le test en matière de confusion, j’ai considéré le fait qu’il s’agit d’une question de première impression et de souvenir imparfait. L’acheteur éventuel est décrit comme étant le consommateur ordinaire plutôt pressé (Mattel, par. 58). La question est de savoir si le consommateur mythique ayant un vague souvenir de la première marque aura comme première impression, au vu de la marque postérieure, que les marchandises avec lesquelles la seconde marque est employée sont en quelque façon associées avec les marchandises affichant la marque antérieure (United States Polo Assn. c. Polo Ralph Lauren Corp., [2000] 9. C.P.R. (4th) 51 (C.A.F.), p. 58).

 

[40]           Ayant considéré toutes les circonstances pertinentes, je conclus que le Requérant ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y pas de probabilité raisonnable de confusion concernant la source des marchandises des parties. Je tire cette conclusion particulièrement eu égard à l’emploi répandu et à l’omniprésence des marques déposées EVIAN de l’Opposante, des similitudes ou du recoupement entre les marchandises et les voies de commercialisation des parties et du degré de ressemblance entre les marques des parties. Je tire cette conclusion au motif que la marque EVIAN de l’Opposante est distinctive, qu’elle est bien connue au Canada et qu’elle transcende le marché des boissons. Les marchandises respectives des parties pourraient être vendues dans les mêmes restaurants, bars et épiceries.

 

[41]           Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) est accueilli.

 

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(3)a)

[42]           La date pertinente pour l’examen du droit à l’enregistrement en vertu du paragraphe 16(3) est la date de production de la demande en cause (2 septembre 2003). L’Opposante a fait valoir que le Requérant n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque en vertu de l’alinéa 16(3)a) de la Loi au motif que la Marque crée de la confusion avec les marques déposées de l’Opposante, lesquelles avaient été employées antérieurement et révélées au Canada par l’Opposante et qui n’avaient pas été abandonnées par cette dernière à la date de l’annonce de demande d’enregistrement du Requérant pour la Marque.

 

[43]            Pour que ce motif d’opposition soit considéré, l’Opposante doit satisfaire au fardeau de preuve initial et démontrer que les marques sur lesquelles elle s’appuie ont été employées avant la date de production de la demande en question et elle doit prouver que sa marque n’avait pas été abandonnée à la date de l’annonce de la demande du Requérant [art. 16]. Comme cela a été expliqué ci-dessus, l’Opposante s’est également acquittée de ce fardeau de preuve.

 

[44]           Comme la différence entre les dates pertinentes pour les motifs d’opposition fondés sur les alinéas 12(1)d) et 16(3)a) ne modifie pas l’analyse que j’ai exposée ci-dessus et suivant laquelle j’ai conclu qu’il existe une probabilité de confusion entre les marques à l’examen, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(3)a) est également accueilli dans la mesure où il est fondé sur l’emploi antérieur des marques déposées EVIAN et EVIAN & Dessin de l’Opposante.

 

Absence de caractère distinctif

[45]           Un opposant s’acquitte de son fardeau de preuve concernant un motif d’opposition s’il démontre qu’à la date de production de la déclaration d’opposition, sa marque de commerce ou son nom commercial était devenu connu à un certain degré, au moins pour détruire le caractère distinctif de la marque visée par la demande [voir Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44 (C.F. 1re inst.)]. Comme il est expliqué ci-dessus, l’Opposante s’est bien acquittée de son fardeau de preuve. Vu la preuve déposée, la Marque crée de la confusion avec la marque de commerce de l’Opposante et comme la différence entre les dates pertinentes n’a pas d’incidence sur mon analyse, le motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif est accueilli.

 

[46]      Comme l’Opposante a obtenu gain de cause sur plus d’un motif d’opposition, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur les motifs d’opposition restants.

 

[47]           Par conséquent, en vertu des pouvoirs qui m’ont été délégués par le registraire des marques de commerce en application du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande conformément aux dispositions du paragraphe 38(8) de la Loi.

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P. Heidi Sprung

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

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