Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

                                                                    Référence : 2015 COMC 39

Date de la décision: 2015-02-22

DANS L’AFFAIRE DES OPPOSITIONS produites par Kruger Products L.P. à l’encontre des demandes d’enregistrement nos 1,576,815 et 1,576,816 pour les marques de commerce SMALL OVALS (Dessin) et BIG OVALS (Dessin) au nom de Cascades Canada ULC.

 

 

Introduction

 

[1]               Cascades Canada ULC (la Requérante) a produit le 8 mai 2012 des demandes pour l’enregistrement des marques de commerce SMALL OVALS (Dessin) portant le numéro no 1,576,815 telle que ci-après illustrée :

SMALL OVALS (DESIGN) (la Marque 1)

et BIG OVALS DESIGN portant le numéro no 1,576,816 telle que ci-après illustrée :

BIG OVALS (DESIGN) (la Marque 2)

Les Marque 1 et Marque 2 seront collectivement nommées la Marque pour les fins de cette décision.

[2]               Les deux demandes sont fondées sur un emploi au Canada, soit depuis juin 2007 pour la Marque 1 et depuis mars 2011 pour ce qui est de la Marque 2. Ces demandes couvrent les produits suivants : papier hygiénique (Produits). Elles comportent également la mention suivante :

La marque est bidimensionnelle et la représentation des marchandises montrées en pointillés ne fait pas partie de la marque.

 

[3]               Ces demandes furent annoncées le 12 septembre 2012 dans le Journal des marques de commerce pour fins d’opposition.

[4]               Kruger Products L.P. (l’Opposante) a produit le 11 février  2013 une déclaration d’opposition dans chacun de ces dossiers. Les motifs d’opposition soulevés dans les deux oppositions sont fondés sur les articles 30 b), 30 i) et 2 (caractère distinctif) de la Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), ch T-13 (la Loi). Ils sont plus amplement décrits à l’annexe A de la présente décision.

[5]               La Requérante a produit dans chacun des dossiers une contre-déclaration identique niant tous et chacun des motifs d’opposition.

 

[6]               Dans chacun des dossiers :

  • l’Opposante a produit les affidavits de Wendy Mommersteeg, Kristen Kilroy et Mary P. Noonan;
  • la Requérante n’a pas produit de preuve;
  • les parties ont produit un plaidoyer écrit; et
  • une audience a été tenue où chaque partie était représentée.

 

[7]               Je devrai d’abord déterminer si l’Opposante a produit suffisamment de preuve pour se décharger de son fardeau initial de preuve relativement à chacun de ses motifs d’opposition. Les motifs d’opposition reposent sur les allégations suivantes :

         la Marque est un dessin gravé sur plusieurs feuilles de tissu de papier qui sert d’ornement ou de décoration uniquement;

         la Marque n’est pas visible au consommateur lors du transfert de propriété des Produits; et

         la Marque viole les droits de l’Opposante qu’elle détient sur des dessins industriels et donc son emploi est contraire aux dispositions des articles 9 et 11 de la Loi sur les dessins industriels, LRC 1985, c I-9.

[8]               Pour les raisons plus amplement décrites ci-après, j’estime que la preuve démontre que la Marque 1 n’est pas visible lors du transfert de propriété au consommateur et par conséquent la demande d’enregistrement n’est pas conforme aux dispositions de l’article 30 b) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13 (Loi). De plus, la Marque 1 n’est pas employée à titre de marque de commerce pour distinguer les Produits de la Requérante.

[9]               Quant à la demande d’enregistrement no1,576,816 pour la Marque 2, j’estime que l’Opposante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve initial pour chacun des motifs d’opposition qu’elle soulève.

Fardeau de preuve

[10]           Dans le cadre de la procédure en matière d’opposition à l’enregistrement d’une marque de commerce, c’est à la Requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer que la demande d'enregistrement ne contrevient pas aux dispositions de la Loi. Cela signifie que, si une conclusion déterminante ne peut être tirée une fois que toute la preuve a été présentée, la question doit être tranchée en sa défaveur. Toutefois, l’Opposante doit, pour sa part, s'acquitter du fardeau initial de prouver les faits sur lesquels elle appuie ses allégations. Le fait qu'un fardeau de preuve initial soit imposé à l'Opposante signifie qu'un motif d'opposition ne sera pris en considération que s’il existe une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l'existence des faits allégués à l'appui de ce motif d'opposition [voir John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst); Dion Neckwear Ltd c Christian Dior, SA et al (2002), 20 CPR (4th) 155 (CAF); et Wrangler Apparel Corp c The Timberland Company (2005), 41 CPR (4th) 223 (CF 1re inst)].

Remarques préliminaires

[11]           L’Opposante prétend que ce dossier sort de l’ordinaire parce que la Requérante n’a pas présenté de preuve d’emploi de la Marque bien que sa demande d’enregistrement soit basée sur un emploi de la Marque. Il n’y a rien de particulier à ce sujet. Il faut se rappeler que c’est l’Opposante qui a un fardeau initial de preuve et si la Requérante est d’opinion que l’Opposante ne s’en est pas déchargée, elle n’a pas l’obligation de présenter une preuve d’emploi de la Marque.

[12]           L’Opposante prétend qu’il est peu commun que ce soit l’Opposante qui produise la preuve d’emploi de la Marque plutôt que la Requérante. Compte tenu des motifs d’opposition plaidés, et que l’Opposante a le fardeau initial de preuve, dans les circonstances, il n’y a rien d’exceptionnel à ce que cette preuve ait été produite par l’Opposante.

[13]           Je ferai référence plus loin dans ma décision aux décisions rendues par le registraire et la Cour fédérale dans des cas similaires au nôtre concernant des dessins gaufrés sur papier hygiénique ou essuie-tout.

[14]           La Requérante a soulevé l’inadmissibilité de la preuve de l’Opposante principalement au motif que cette preuve est postérieure aux différentes dates pertinentes associées aux motifs d’opposition plaidés par l’Opposante. Je traiterai de cette question lors de l’analyse des différents motifs d’opposition et de la preuve produite par l’Opposante pour se décharger de son fardeau de preuve initial.


 

Les dates pertinentes

[15]           Il n’y a aucune controverse quant aux dates pertinentes associées à chacun des motifs d’opposition soulevés par l’Opposante :

         article 30 b) et 30 i) de la Loi : date de production des demandes d’enregistrement (8 mai 2012) [voir John Labatt Ltd cité plus haut et Tower Conference Management Co c Canadian Exhibition Management Inc (1989), 28 CPR (3d) 428 (COMC)];

         article 2 de la Loi (caractère distinctif de la Marque) : date de production de la déclaration d’opposition (11 février 2013 pour chacune des demandes d’enregistrement) [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc c Stargate Connections Inc (2004), 34 CPR (4th) 317 (CF)].

 

Motif d’opposition fondé sur l’article 30 i) de la Loi

[16]           L’article 30 i) de la Loi exige seulement que la Requérante se déclare convaincue d’avoir droit d’employer la Marque. Cette déclaration est comprise dans chacune des demandes d’enregistrement sous étude. La présumée connaissance des dessins industriels de l’Opposante no 110116 et no 110154 et de leur usage au cours des années n’est pas suffisante en soi pour soutenir un motif d’opposition fondé sur l’article 30 i) de la Loi.

[17]           Je tiens à souligner que Mme Noonan, une employée des agents de l’Opposante a produit des copies certifiées des dessins industriels 110154 et 110116, enregistrés au nom de l’Opposante. Je reproduis ci-après lesdits dessins industriels :


 

 

No. d'enregistrement de dessin industriel

dessin industriel

110116

110116 PAPER TOWEL

110154

110154 PAPER TOWEL

 

 

[18]           L’Opposante plaide que l’emploi de la Marque violerait les dispositions des articles 9 et 11 de la Loi sur les dessins industriels. Il a été reconnu dans le passé qu’un opposant peut fonder son opposition en combinant l’article 30 i) de la Loi avec une ou des dispositions d’une loi fédérale [voir Interprovincial Lottery Corp c Monetary Capital Corp (2006), 51 CPR (4th) 447 (COMC)].

[19]           Je crois nécessaire de reproduire le texte des articles 9 et 11 de la Loi sur les dessins industriels :

9. Le droit exclusif à la propriété d’un dessin industriel peut être acquis par l’enregistrement de ce dessin conformément à la présente partie.

11. (1) Pendant l’existence du droit exclusif, il est interdit, sans l’autorisation du propriétaire du dessin :

de fabriquer, d’importer à des fins commerciales, ou de vendre, de louer ou d’offrir ou d’exposer en vue de la vente ou la location un objet pour lequel un dessin a été enregistré et auquel est appliqué le dessin ou un dessin ne différant pas de façon importante de celui-ci;

d’effectuer l’une quelconque des opérations visées à l’alinéa a) dans la mesure où elle constituerait une violation si elle portait sur l’objet résultant de l’assemblage d’un prêt-à-monter.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), il peut être tenu compte, pour déterminer si les différences sont importantes, de la mesure dans laquelle le dessin enregistré est différent de dessins publiés auparavant.

[20]           Il n’y a aucune preuve au dossier des dessins industriels publiés antérieurement. La question de savoir s’il y a violation des droits exclusifs conférés par l’enregistrement de dessins industriels ne se limite pas à une simple comparaison du dessin protégé par la Loi sur les dessins industriels à la Marque [voir Bodum USA c Trudeau Corp (1989) Inc 2012 CF 1128].

[21]           Je rejette donc ce motif d’opposition considérant qu’il me manque des éléments importants de preuve pour statuer sur celui-ci.


 

Motif d’opposition fondé sur l’article 30 b) de la Loi

[22]           L’Opposante plaide trois volets sous ce motif d’opposition, à savoir :

a)       La Requérante n’a jamais employé la Marque à titre de marque de commerce et par conséquent la date de premier emploi alléguée dans chacune des demandes d’enregistrement est erronée;

b)      La Requérante n’a jamais employé la Marque à titre de marque de commerce mais plutôt employé ces dessins à titre ornemental ou décoratif;

c)      La Marque est un motif gaufré qui n’est pas visible lors du transfert de propriété des Produits. Ainsi la Requérante n’a jamais employé la Marque à titre de marque de commerce et par conséquent la date de premier emploi alléguée dans chacune des demandes d’enregistrement est erronée.

[23]           Tel que mentionné plus haut, c’est l’Opposante qui a le fardeau initial de preuve. L’Opposante considère s’être déchargée de son fardeau de preuve en produisant les affidavits de Mme Kilroy et Mme Mommersteeg. Je reviendrai plus en détails sur le contenu de ces affidavits.

[24]           La Requérante plaide que ces affidavits sont postérieurs à la date pertinente associée à ce motif d’opposition (8 mai 2012). Il est vrai que celui de Mme Kilroy est daté du 17 Juillet 2013 alors que celui de Mme Mommersteeg est daté du 18 juillet 2013. Ainsi selon la Requérante leurs contenus seraient irrecevables. Par conséquent, selon la Requérante, le motif d’opposition fondé sur l’article 30 b) de la Loi devrait être rejeté dans son entièreté, faute de l’Opposante de s’être déchargée de son fardeau initial de preuve.

[25]           Il faut distinguer la date de l’affidavit de la période de temps où les faits décrits dans l’affidavit se sont produits. Ainsi si un affidavit a été signé à une date postérieure à la date pertinente mais décrits des faits qui se sont déroulés avant la date pertinente, le contenu de l’affidavit se rapportant à ces faits pourrait être admissible en preuve.

[26]           Je suis d’accord avec l’Opposante lorsqu’elle prétend que dans la présente situation c’est la Requérante qui était la mieux placée pour faire la preuve d’emploi de la Marque. Toutefois c’est l’Opposante qui allègue que la Marque n’a jamais été employée comme marque de commerce et ainsi les dates de premier emploi alléguées par la Requérante dans ses demandes d’enregistrement seraient erronées. L’Opposante avait donc le fardeau initial de prouver des faits pouvant mener à une telle conclusion.

[27]           Pour les fins de ce motif d’opposition il n’est pas nécessaire de passer en revue la totalité du contenu de l’affidavit de Mme Mommersteeg. Elle est la Directrice, Paper Towel Category, de l’Opposante et ce depuis le 2 février 2009. Elle est à l’emploi de l’Opposante depuis 2003. Elle explique que l’Opposante est le principal manufacturier et distributeur de papier hygiénique et d’essuie-tout pour l’usage domestique.

[28]           Mme Mommersteeg explique que le procédé de gaufrage consiste à créer un dessin surélevé et répétitif sur un produit de papier en utilisant la chaleur et la pression lors de sa fabrication. Ce processus est employé dans l’industrie pour donner une apparence ornementale et décorative à un produit de papier pour consommation sans être obligé d’employer des teintures ou colorants. Puisqu’il fait partie du produit lui-même, le dessin gaufré n’est pas visible au consommateur lors de son achat en raison de l’emballage du produit. Elle explique que le dessin gaufré appliqué sur le produit de papier ne sera visible dans sa totalité par le consommateur qu’après son achat et lorsqu’il sera retiré de son emballage.

[29]           Mme Mommersteeg donnera par la suite des précisions sur l’emploi par l’Opposante de différents dessins gaufrés sur des produits de papier pour consommation soit : les ventes annuelles de tels produits depuis 2005; les sommes dépensées annuellement par l’Opposante pour la promotion de tels produits; ainsi que les types de publicité et de campagnes de promotion pour ses produits.

[30]           Mme Mommersteeg, aux paragraphes 8 à 12 inclusivement, explique la pratique dans l’industrie d’employer des motifs gaufrés sur des produits de papier destinés aux consommateurs. Toutefois elle ne parle pas des activités spécifiques de la Requérante remontant au 8 mai 2012 (la date pertinente). Ainsi le contenu de l’affidavit de Mme Mommersteeg ne peut servir directement les intérêts de l’Opposante quant aux différents volets de ce motif d’opposition.

[31]           Je vais maintenant passer en revue la preuve soumise par l’Opposante, et plus particulièrement le contenu de l’affidavit de Mme Kilroy concernant chacune des présentes demandes d’enregistrement.

Demande n 1,576,815

[32]           Mme Kilroy occupait un poste d’emploi étudiant au sein du cabinet des agents de l’Opposante au moment de la signature de son affidavit. Le 17 juillet 2013 elle s’est présentée à un magasin Metro à Toronto, Ontario pour acheter du papier hygiénique et du papier essuie-tout. Elle a photographié les produits achetés dans leur emballage, ainsi qu’un rouleau d’essuie-tout et un rouleau de papier hygiénique. Elle a produit une copie de la facture. Également, elle mentionne dans son affidavit que les produits achetés sont disponibles pour fins d’inspection et qu’ils seront également disponibles lors de l’audience. Effectivement, lors de l’audience l’agent de l’Opposante a remis un des produits achetés par Mme Kilroy à savoir un paquet de 12 rouleaux de papier hygiénique dans son emballage original portant la marque de commerce CASCADES qui a été ouvert partiellement afin d’en retirer un rouleau pour permettre la prise de photographies d’un tel rouleau. Le nom de la Requérante apparaît sur l’emballage. La Requérante n’a produit aucune preuve pour contredire le fait que le produit acheté par Mme Kilroy proviendrait de la Requérante. J’estime donc que ce produit acheté origine de la Requérante.

[33]           J’ai examiné non seulement les photos prises par Mme Kilroy d’un rouleau mais également le paquet de 12 rouleaux de papier hygiénique portant la marque CASCADES et un rouleau contenu dans l’emballage. J’arrive à la conclusion que la Marque 1 apparaît sur le papier hygiénique lui-même.

[34]           Quant à l’autre produit acheté, je n’ai pas pu l’examiner lors de l’audience, l’Opposante ne l’ayant pas en sa possession. J’ai donc demandé après l’audience à l’Opposante de le produire pour que je puisse en faire l’inspection. Il s’agit de papier essuie-tout de l’Opposante vendu sous la marque de commerce SPONGE TOWELS.

[35]           Il est indéniable que ces achats ont eu lieu après la date pertinente. Toutefois peut-on conclure de cette preuve qu’il y avait emploi de la Marque 1 avant la date pertinente en liaison avec les Produits se trouvant à l’intérieur de cet emballage? Mme Mommersteeg n’a pas allégué dans son affidavit que le produit acheté par Mme Kilroy correspondait aux produits vendus par la Requérante au moment de la production des présentes demandes d’enregistrement. Il va de soi que Mme Kilroy ne pouvait faire une telle affirmation.

[36]           Je note cependant que l’emballage porte la mention suivante : © Cascades Canada ULC, 2011. Cet avis de droit d’auteur sur le contenu de l’emballage remonte donc au plus tard au 31 décembre 2011, soit antérieurement à la date pertinente. J’estime donc que la production de cette pièce est admissible en preuve. Il était parfaitement loisible à la Requérante de présenter une preuve si elle considérait qu’elle n’avait pas fabriqué le produit acheté ou que celui-ci n’était pas représentatif de ce qui était sur le marché au 31 décembre 2011.

[37]           Je rappelle que le fardeau initial de preuve de l’Opposante sous l’article 30(b) est léger puisqu’il concerne les activités de la Requérante, qui est mieux placée que l’Opposante pour en faire la preuve [voir Tune Masters c Mr P’s Mastertune Ignition Services Ltd (1986), 10 CPR (3d) 84 (COMC)].

[38]           Il me reste donc à décider si cette preuve est suffisante pour conclure que l’Opposante s’est déchargée de son fardeau de preuve initial relativement à ce motif d’opposition pour ce qui est de la Marque 1.

[39]           Je constate que l’emballage comporte plusieurs mentions (marques de commerce ou slogans) telles que :

a.       CASCADES

b.      I am Green

c.       Je suis vert

d.      Soft on everything it touches

e.       Doux partout

Il n’y a aucune référence à la Marque 1 sur l’emballage lui-même. Le devant de l’emballage est sur fond gris ce qui a pour effet de masquer la Marque 1 sur les rouleaux eux-mêmes. Le derrière de l’emballage est sur fond vert ce qui masque la Marque 1 également.

[40]           Dans l’arrêt Scott Paper Ltd c Georgia Pacific Consumer Products LP, 2010 FC 478, la Cour fédérale discuta de l’emploi d’un dessin à titre de marque de commerce sur du papier hygiénique. M. le juge O’Keefe s’exprima ainsi sur la question de la visibilité d’une marque de commerce lors du transfert de propriété d’un produit:

[60]            Les marques qui ne sont pas vues par l’acheteur ou ne sont pas portées à sa connaissance au moment critique de la vente ne sont pas réputées être des marques employées au sens du paragraphe 4(1). Les deux marques en question entreraient dans cette catégorie parce qu’elles ne sont pas en général vues par l’acheteur au point d’achat.

[61]           Comme le fait observer la demanderesse, la marque que voient les acheteurs du papier de toilette de la défenderesse est la marque KIRKLAND SIGNATURE de Costco.

[41]           Il en a été de même dans la décision du registraire dans Kimberly-Clark Tissue Co c Fort James Operating Co (2004), 37 CPR (4th) 559 (COMC).

[42]           Dans notre cas la marque que voit le consommateur lors de l’achat des Produits est CASCADES.

[43]           Je conclus donc que l’Opposante s’est déchargée de son fardeau initial de preuve en démontrant que la Marque 1 n’était pas visible au moment du transfert de propriété des Produits et par conséquent il n’y a jamais eu d’emploi de la Marque 1 à titre de marque de commerce au sens de l’article 4(1) de la Loi. À titre de corolaire à cette conclusion j’estime que la Requérante n’a jamais employée la Marque 1 depuis la date de premier emploi alléguée dans sa demande d’enregistrement.

[44]           Tel que mentionné précédemment, la Requérante n’a présenté aucune preuve. Puisque l’Opposante s’est déchargée de son fardeau de preuve initiale, il incombait à la Requérante de prouver que sa demande d’enregistrement no 1,576,815 était conforme aux exigences de l’article 30 b) de la Loi. Comme elle ne s’est pas déchargée de son fardeau ultime sous ce motif d’opposition, ce dernier est maintenu et plus particulièrement les volets a) et c) décrits ci-haut au paragraphe 22.

Demande no 1,576,816

[45]           J’estime que l’Opposante ne s’est pas déchargée de son fardeau initial de preuve sous ce motif d’opposition (article 30 b) de la Loi) pour ce qui est de la Marque 2. En effet contrairement à la Marque 1, je n’ai pas en ma possession un Produit fabriqué et vendu avant la date pertinente par la Requérante, dans son emballage, sur lesquels rouleaux apparaîtrait la Marque 2.

[46]           Dans les circonstances je rejette le motif d’opposition fondé sur l’article 30 b) de la loi en ce qui concerne la demande d’enregistrement no 1,576,816 puisque l’Opposante ne s’est pas déchargée de son fardeau initial de preuve.

Motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif de la Marque

[47]           Ce motif d’opposition comporte également trois volets :

a)      Le plus traditionnel, à savoir que la Marque n’est pas distinctive et ne peut être employée à titre de marque de commerce pour distinguer les Produits de la Requérante des produits de tiers, et plus particulièrement ceux de l’Opposante qui contiennent également des dessins gravés en relief;

b)      la Marque n’est pas distinctive et ne peut être employée à titre de marque de commerce pour distinguer les Produits de la Requérante des produits de tiers, pas plus qu’elle est apte à les distinguer, puisque la Marque est un dessin gravé en relief sur plusieurs couches de tissu qui sert d’ornement ou de décoration uniquement;

c)      la Marque n’est pas distinctive et ne peut être employée à titre de marque de commerce pour distinguer les Produits de la Requérante des produits de tiers, pas plus qu’elle est apte à les distinguer, puisque la Marque est un dessin gravé en relief sur plusieurs couches de tissu qui est recouvert de papier d’emballage et n’est donc pas visible au consommateur au moment du transfert de propriété des Produits.

[48]           Dans un cas similaire au nôtre, mon collègue Myer Herzig s’exprima ainsi dans Kimberley-Clark Tissue Co, citée plus haut, page 565, concernant le motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif de la Marque :

[traduction] Comme l’a noté l’opposante, les essuie-tout incorporant un gaufrage sont ordinairement vendus dans un emballage sur lesquels on trouve bien en vue une ou plusieurs marques verbales. Le motif de gaufrage n’est pas facilement visible aux consommateurs parce que l’emballage, quoique transparent de façon générale, masque souvent le gaufrage sur les essuie-tout par des couleurs non transparentes ou du texte sur le devant de l’emballage. Par exemple, les marchandises de la requérante sont vendues sous les marques verbales KIRKLAND, SIGNATURE et CHELSEA.  Je conviens avec l’opposante que le devant de l’emballage de la requérante masque le motif de gaufrage en arabesque sur les marchandises. J’ai noté que le MOTIF EN ARABESQUE est représenté sur le devant de l’emballage des produits de la requérante et dans la publicité. Toutefois, le MOTIF EN ARABESQUE tel qu’il est représenté n’est pas facilement discernable et, de toute façon, on peut discuter sur le point de savoir si la représentation du motif est utilisée comme marque de commerce pour identifier la source des marchandises ou simplement pour indiquer aux consommateurs la caractéristique ornementale des marchandises. En outre, les études de marché citées par M. Miller dans sa réponse aux questions écrites portent sur le point de savoir si les consommateurs ont des préférences de motif pour le gaufrage des essuie-tout. Il semble que les motifs complexes sont préférés. Les études de marché ne traitent pas de la question de savoir si les motifs de gaufrage sont perçus par les consommateurs comme ayant valeur de marque de commerce.

 

Je conviens avec la requérante que son MOTIF EN ARABESQUE est nettement différent des motifs de gaufrage qu’on trouve sur les marchandises de ses concurrents. Je conviens également que la présente affaire n’est pas régie par le principe établi dans l’affaire Corn Flower, précitée, ou dans d’autres affaires invoquées par l’opposante dans lesquelles il s’agissait d’un motif couramment utilisé par d’autres entreprises. Néanmoins, l’opposante a présenté une argumentation crédible selon laquelle le gaufrage des essuie-tout de la requérante n’a pas valeur de marque de commerce pour les consommateurs ordinaires. Malgré les arguments convaincants et persuasifs présentés par l’avocat de la requérante, je conclus que la requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir, suivant la prépondérance de la preuve, que le MOTIF DE GAUFRAGE EN ARABESQUE avait valeur de marque de commerce, à une date pertinente. Par conséquent, je conclus que la demande doit être refusée.

 

                        Demande d’enregistrement no 1,576,815

[49]           Il va de soi que ces commentaires sont applicables à notre situation. En effet il a été mis en preuve que la Marque 1 ne distingue pas les Produits des produits de tiers, pas plus qu’elle n’est apte à le faire puisque la Marque 1 n’est pas visible aux consommateurs lors du transfert de propriété des Produits.

[50]           Pour les mêmes raisons mentionnées sous le motif d’opposition précédent, j’estime que la preuve de l’Opposante sur ce point et plus amplement décrite à l’affidavit de Mme Kilroy est admissible même si cet affidavit a été signé après la date pertinente (11 février 2013) et que l’achat effectuée remonte à une date postérieure à la date pertinente.

[51]           La Requérante n’a présenté aucune preuve pour établir que la Marque 1 était distinctive à la date pertinente ou était apte à distinguer les Produits des produits de tiers. Puisqu’elle avait le fardeau ultime de démontrer ces faits, je maintiens ce motif d’opposition, pour ce qui est de la Marque 1, et plus particulièrement le volet c) décrit ci-haut au paragraphe 47.

[52]           L’Opposante ayant obtenu un résultat favorable sous deux motifs d’opposition distincts, il n’est pas nécessaire d’analyser les volets a) et b) de ce motif d’opposition en ce qui concerne cette demande d’enregistrement.

Demande d’enregistrement no 1,576,816

[53]           Comme je l’ai souligné auparavant, je n’ai pas de preuve d’emploi de la Marque 2 au dossier. Ainsi contrairement à la demande d’enregistrement no 1,576,815 l’Opposante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve initial dans ce dossier pour ce qui est des volets b) et c) de ce motif d’opposition. En effet, je n’ai aucune preuve que la Marque 2 sert d’ornement ou de décoration uniquement et qu’elle est un dessin gravé en relief sur plusieurs couches de tissus qui est recouvert de papier d’emballage et qu’elle n’est donc pas visible au consommateur au moment du transfert de propriété des Produits.

[54]           Quant à savoir si la Marque 2 n’était pas distinctive au sens de l’article 2 de la loi car elle ne pouvait pas servir à distinguer les Produits de la Requérante des produits des tiers, et plus particulièrement ceux de l’Opposante qui contiennent également des dessins gravés en relief, il convient de passer en revue la preuve produite par l’Opposante à ce sujet.

[55]           Mme Kilroy a procédé également le 17 juillet 2013 à l’achat d’un paquet de 6 rouleaux de papier essuie-tout de marque SPONGE TOWELS, fabriqué par l’Opposante tel qu’il appert de l’emballage dudit produit. Toutefois l’emballage de ce produit obstrue la vue complète du dessin gaufré sur le papier essuie-tout. Bien que cet achat ait été fait après la date pertinente associé au présent motif d’opposition, Mme Mommersteeg allègue aux paragraphes 14 et suivants de son affidavit que ce produit est vendu par l’Opposante ou ses prédécesseurs en titre depuis juillet 2005. Elle a reproduit au paragraphe 14 de son affidavit le dessin qui apparaît sur le produit acheté par Mme Kilroy et ci-après illustré :

110116 PAPER TOWEL

(dessin de l’Opposante)

[56]           Mme Mommersteeg a fourni dans son affidavit les chiffres des ventes annuelles de produits de papier sur lesquels un motif est gravé. Les ventes annuelles de 2005 à 2012 varient entre plus de 23 millions de dollars et près de 75 millions de dollars. Toutefois Mme Mommersteeg réfère dans son affidavit non seulement aux dessins industriels ci-haut identifiés mais également au dessin reproduit au paragraphe précédent ainsi qu’à d’autres dessins similaires à ce dernier. Or il n’y a aucune ventilation des ventes par dessin gaufré employé par l’Opposante.

[57]           Mme Mommersteeg a également fourni des exemples de publicité pour ses produits SPONGE TOWELS où le dessin de l’Opposante est mis en évidence. À titre d’exemple nous pouvons voir ce dessin:

         à la pièce 4 de son affidavit à savoir des images d’une publicité télédiffusée au Canada en 2010 et 2011 où ledit motif est mis en évidence par l’absorption d’un liquide jaune sur une feuille blanche de papier essuie-tout SPONGE TOWELS;

         à la pièce 6 de son affidavit à savoir des images d’une publicité télédiffusée au Canada en 2006 où ledit motif est mis en évidence par l’absorption d’un liquide verdâtre sur une feuille blanche de papier essuie-tout SPONGE TOWELS;

         à la pièce 13 de son affidavit où l’on peut apercevoir le motif de l’Opposante à l’intérieur d’une publicité publié en 2008.

[58]           Je note que sur plusieurs des pièces produites par Mme Mommersteeg il est impossible de voir l’intégralité du motif de l’Opposante en raison de la superposition d’images ou de texte sur la représentation d’une feuille de papier essuie-tout. Également je rappelle que l’emballage des essuie-tout portant la marque SPONGE TOWELS obstrue la visibilité du motif gaufré.

[59]           Appliquant les principes énoncés dans l’arrêt Scott Paper citée plus haut, je ne suis pas convaincu que le dessin de l’Opposante est employé à titre de marque de commerce c’est-à-dire pouvant servir à identifier la source des produits. Tel que mentionné par Mme Momersteeg elle-même dans son affidavit, les motifs gravés sur du papier sont employés dans l’industrie à titre décoratif ou ornemental.

[60]           Dans les circonstances je conclus que l’Opposante ne s’est pas déchargé de son fardeau initial de preuve de démontrer que le dessin de l’Opposante apparaissant sur son papier essuie-tout de marque SPONGE TOWELS était non seulement employé à titre de marque de commerce mais était également connu des consommateurs canadiens à la date pertinente de telle sorte que la Marque 2 ne pouvait pas servir à distinguer les Produits des produits de l’Opposante.

[61]           Le motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif de la Marque 2 est donc rejeté dans son entièreté en ce qui concerne la demande d’enregistrement no 1,576,816.

Remarques supplémentaires

[62]           Dans son argumentation écrite, la Requérante soulève le fait que le contenu de l’affidavit de Mme Kilroy ne devrait pas être admissible en preuve puisqu’il a été souscrit par un employé des agents de l’Opposante. Je tiens à souligner que Mme Kilroy a simplement acheté des produits de la Requérante chez un commerçant de Toronto. S’il y avait controverse au sujet de l’origine des produits achetés ou de leur emballage, la Requérante aurait pu contre-interroger Mme Kilroy ou même produire sa propre preuve.

[63]           Le Requérante a également plaidé que l’Opposante, dans ses déclarations d’opposition, allègue que le dessin constituant la Marque est employé uniquement à titre décoratif ou ornemental. Or, Mme Mommersteeg allègue dans son affidavit que le motif est employé principalement à titre décoratif ou ornemental. Ainsi selon la Requérante, l’Opposante ne se serait pas déchargée de son fardeau initial de preuve puisque la preuve au dossier ne supporte pas le motif d’opposition tel qu’il est libellé dans les déclarations d’opposition.

[64]           Je n’ai pas à me prononcer sur le bien-fondé de cet argument car j’ai maintenu les motifs d’opposition fondés les articles 30 b) et 2 de la Loi en ce qui concerne la Marque 1 sous d’autres volets que ceux faisant état du caractère ornemental de la Marque.

Disposition

[65]           En raison des pouvoirs qui m’ont été délégués par le registraire des marques de commerce en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la Loi, je repousse la demande d’enregistrement no 1,576,815 pour la marque de commerce SMALL OVALS (DESIGN).

[66]           Je rejette cependant l’opposition en ce qui concerne la demande d’enregistrement no 1,576,816 pour la marque de commerce BIG OVALS (DESIGN),

[67]           Le tout selon les dispositions de l’article 38(8) de la Loi.

 

 

_________________________

Jean Carrière

Membre de la commission des oppositions

Office de la propriété intellectuelle du Canada


 

Annexe A

 

Les motifs d’opposition peuvent se résumer ainsi :

  1. La demande d’enregistrement n’est pas conforme aux dispositions de l’article 30 b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (Loi) en ce que la Marque 1 n’a pas été employée en liaison avec les Produits depuis juin 2007 pas plus que continuellement depuis juin 2007 et la Marque 2 n’a pas été employée en liaison avec les Produits depuis mars 2011 pas plus que continuellement depuis mars 2011; pas plus que la Marque a été employée comme marque de commerce au sens de l’article 4 de la Loi. La demande d’enregistrement contrevient à l’article 30 b) de la Loi puisque la Marque est un dessin gravé en relief sur plusieurs feuilles de tissu qui sert d’ornement ou de décoration uniquement. Le dessin gravé en relief n’est pas employé pour distinguer les Produits de la Requérante de ceux des autres, et donc n’a pas été employé à titre de marque de commerce au sens de la Loi;

pas plus que la Requérante a employé une marque de commerce au sens de l’article 4 de la Loi, qui correspond au dessin produit au soutien des demandes d’enregistrement. La Marque est un dessin gravé en relief sur plusieurs feuilles de tissu qui est recouvert de papier d’emballage et n’est donc pas visible au consommateur au moment du transfert de propriété. Donc aucun avis d’association du dessin gravé en relief avec les Produits ne peut être donné à la personne à qui les Produits ont été transférés. Par conséquent la Requérante n’a pas employé une marque de commerce au moment du transfert de propriété ou de la possession des Produits;

  1. La demande d’enregistrement n’est pas conforme aux dispositions de l’article 30 i) de la Loi en ce que la Requérante est de mauvaise foi en produisant cette demande d’enregistrement. En effet les parties sont des compétiteurs dans le domaine du papier et sont donc généralement familiers avec les produits, services et publicité de chacun d’eux. Ainsi la Requérante ne pouvait pas ne pas savoir que l’Opposante détenait des droits sur les dessins industriels 110116 et 110154 pour ses produits de papier. Par conséquent la Requérante ne pouvait pas se déclarer satisfaite d’avoir droit d’employer la Marque au Canada en ce que son emploi est contraire aux dispositions des articles 9 et 11 de la Loi sur les dessins industriels, LRC 1985, c I-9;
  2. La Marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi et ne peut être employée comme marque de commerce afin de distinguer les Produits de la Requérante des produits des tiers, et plus particulièrement ceux de l’Opposante qui contiennent des dessins gravés en relief et reproduits ci-après :

De plus la Marque n’est pas distinctive de la Requérante et ne peut être employée à titre de marque de commerce pour distinguer les Produits de la Requérante des produits de tiers, pas plus qu’elle est apte à les distinguer, puisque la Marque est un dessin gravé en relief sur plusieurs couches de tissu qui sert d’ornement ou de décoration uniquement;

De plus la Marque n’est pas distinctive de la Requérante et ne peut être employée à titre de marque de commerce pour distinguer les Produits de la Requérante des produits de tiers, pas plus qu’elle est apte à les distinguer, puisque la Marque est un dessin gravé en relief sur plusieurs couches de tissu qui est recouvert de papier d’emballage et n’est donc pas visible au consommateur au moment du transfert de propriété.

 

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