Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION DE

Apotex Inc. et Novopharm Limited

à la demande no 1001651 produite par Smithkline Beecham Corporation (Pennsylvania Corporation)

en vue de l’enregistrement de la marque de commerce TABLETS and Sun Design

                                                              

 

Le 11 janvier 1999, la requérante, Smithkline Beecham Corporation (Pennsylvania Corporation) (« Smithkline »), a produit une demande d’enregistrement de la marque de commerce TABLETS and Sun Design. La demande de la requérante est fondée sur l’emploi de la marque, par elle-même ou par l’entremise d’un licencié, en liaison avec les marchandises suivantes :

Préparations pharmaceutiques, nommément antidépresseurs et préparations pour le traitement des maladies du système nerveux central; publications imprimées, nommément dépliants, livrets, cahiers, bulletins, livres et guides.

 

et en liaison avec les services suivants :

Services éducatifs dans le domaine des soins de santé; services d’information en ligne ayant trait aux soins de santé. 

 

La demande a été publiée à des fins d’opposition le 24 mai 2000. Le dessin-marque est reproduit ci-dessous :

          

La demande contenait les revendications suivantes :            

 

1. La marque de commerce est bidimensionnelle. 2. La couleur est revendiquée comme caractéristique de la marque de commerce comme suit : le comprimé dans la première boîte à partir de la gauche est jaune; le comprimé dans la deuxième boîte à partir de la gauche est rose et le comprimé dans la troisième boîte à partir de la gauche est bleu pâle.  

 


Les opposantes, Apotex Inc. et Novapharm Limited, ont produit une déclaration d’opposition le 24 octobre 2000 et une copie de celle-ci a été envoyée à la requérante le 31 octobre 2000. La requérante a déposé et signifié une contre-déclaration le 28 février 2001. La preuve des opposantes est constituée des affidavits de MM. Benjamin Bundle et Jan Sahai. M. Sahai a été contre-interrogé sur son affidavit et la transcription de ce contre-interrogatoire fait partie du dossier. La requérante a produit les affidavits de MM. Andrew Yee Hon Hui et Maurice Siu. Les deux parties ont présenté des observations écrites. 

 

Le 13 mai 2004, après le dépôt des observations écrites, les opposantes ont sollicité l’autorisation de modifier leur déclaration d’opposition dans le but de préciser leurs motifs et clarifier les motifs déjà allégués. Le 21 mai 2004, la requérante a présenté des observations à l’encontre de l’octroi d’une telle autorisation. Les opposantes ont présenté des observations additionnelles à l’appui de leur demande le 16 juillet 2004. Enfin, le 7 décembre 2004, Lisa Power, présidente de la Commission des oppositions des marques de commerce, a rejeté la demande d’autorisation de modifier la déclaration d’opposition.

 

Une audience a été tenue et les deux parties y ont été représentées.

 

Motifs dopposition

Les motifs d’opposition sont les suivants :

 


Les opposantes ont fait valoir que la demande ne satisfait pas aux exigences de l’art. 30 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 («  la Loi »), à plusieurs égards. De plus, elles ont soutenu que la marque de commerce revendiquée par la requérante n’est pas enregistrable parce que : a) elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises avec lesquelles la requérante projette de l’employer parce que les trois couleurs sont utilisées pour indiquer la concentration, c’est-à-dire que jaune = 10 mg, rose = 20 mg et bleu  = 30 mg; b) il s’agit d’un signe distinctif qui ne satisfait pas aux exigences de l’art. 13; c) il s’agit d’une marque interdite au sens de l’art. 10 de la Loi. (Il est utile de mentionner à cette étape que le produit que la requérante vend à l'heure actuelle en liaison avec le dessin faisant l’objet de la demande est également lié à la marque nominale PAXIL.) Enfin, les opposantes font valoir que la marque n’est pas distinctive parce que : a) les comprimés jaune, rose et bleu sont prescrits par des médecins, préparés par des pharmaciens et consommés par des patients au Canada, de sorte que la marque de commerce alléguée ne peut distinguer les comprimés de la requérante;  b) compte tenu du fait que la requérante inscrit le mot PAXIL sur un côté et la concentration sur l'autre côté de chacun de ses comprimés, la couleur, la forme et la taille des comprimés ne distinguent pas et ne peuvent distinguer les marchandises de la requérante.

 

Dates pertinentes

Les dates pertinentes à l'égard de chaque motif dopposition sont les suivantes : art. 30 - la date de production de la demande [voir Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd., 3 C.P.R. (3d) 469, à la page 475]; al. 12(1)b) - la date de production de la demande (voir Shell Canada Limited c. P.T. Safari Incofood Corporation, 2005 CF 1040, et Fiesta Barbeques Limited c. General Housewares Corporation (2003), 28 C.P.R. (4th) 60 (C.F. 1re inst.); art. 13 - la date de production de la demande; art. 12(1)e) la date de la présente décision [voir Allied Corporation c. Association olympique canadienne (1989), 28 C.P.R. (3d) 161 (C.A.F.) et Olympus Optical Company Limited c. Association olympique canadienne  (1991), 38 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.)]; caractère non distinctif - la date de production de l'opposition [voir Re Andres Wines Ltd. and E. & J. Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126, à la page 130 (C.A.F.), et Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 412, à la page 424 (C.A.F.)].

 

Fardeau de preuve

Il incombe à la requérante de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande satisfait aux exigences de la Loi. Cependant, les opposantes ont le fardeau initial d'établir qu’il existe suffisamment d’éléments de preuve admissibles à partir desquels il est possible de conclure raisonnablement que les faits allégués à l’appui de chaque motif d’opposition sont vrais [voir John Labatt Limited c. Compagnies Molson Limitée (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), à la page 298].


Résumé de la preuve

Avant d’examiner chacun des motifs d’opposition, je ferai un résumé de la preuve.

 

M. Andrew Yee Hon Hui

M. Hui affirme pratiquer la profession de pharmacien en Ontario. Il indique être familier avec les différents dosages de Paxil. Il déclare que le comprimé de 10 mg est jaune, celui de 20 mg est rose et celui de 30 mg est bleu. Les comprimés de Paxil sont clairement identifiés comme tels par des inscriptions qui y sont gravées. Il est indiqué PAXIL d’un côté et « 10 », « 20 » ou « 30 » de l’autre côté, selon la dose. M. Hui déclare ne jamais avoir vu de comprimé PAXIL sur lequel ces inscriptions ne figuraient pas visiblement et clairement. En conséquence, il affirme que si on lui montrait un comprimé de couleur, forme et taille similaires à celles du PAXIL ne portant pas les inscriptions mentionnées, il ne pourrait conclure qu’il s’agit de PAXIL. Il ajoute que la couleur seule ou la couleur et la forme ou encore la couleur, la forme et la taille ne sont pas des caractéristiques suffisantes pour identifier un comprimé. Pour identifier des médicaments, il vérifie les inscriptions, la boîte ou la bouteille et le numéro DIN.

 

Le Paxil est utilisé pour le traitement de la dépression, le trouble panique, le trouble obsessivo‑compulsif et la phobie sociale ou trouble d’anxiété sociale. M. Hui soutient que la majorité des patients ne se soucient pas de l’apparence des comprimés, mais qu'ils sont plutôt préoccupés par l’effet thérapeutique de leur médicament. 

 


M. Hui affirme que de nombreux médicaments canadiens vendus sur prescription sont de couleur jaune, rose ou bleu. Il a joint à son affidavit, à titre de pièce A, une liste de médicaments qu’il a délivrés depuis au moins janvier 2000 et dont les comprimés sont jaune, rose ou bleu. Il a également joint à titre de pièce B les pages pertinentes du Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques 2000 (« CPS ») qui répertorient les comprimés délivrés. Il ajoute que certains des médicaments indiqués dans la pièce A peuvent être utilisés en même temps que le Paxil pour le traitement de troubles concomitants ou connexes. M. Hui fournit une liste de comprimés rose, jaune ou bleu qui sont utilisés pour le traitement de troubles similaires au Paxil. Enfin, il soutient connaître plusieurs comprimés de couleur rose, jaune ou bleu vendus sans ordonnance. Ces listes de comprimés rose, jaune ou bleu qu’il connaît et qui sont vendus à sa pharmacie depuis au moins janvier 2000 sont jointes à son affidavit à titre de pièce C ainsi que, à titre de pièce D, les pages pertinentes du CPS 200 et du CNP 1996 qui répertorient les comprimés énumérés à la pièce C de son affidavit.

 

À titre de pièce E, M. Hui fournit un tableau de médicaments dont la couleur des comprimés diffère selon la concentration. Deux médicaments autres que le Paxil sont commercialisés dans les couleurs jaune, rose et bleu selon la concentration, soit Eltroxin et Synthroid. Bien que M. Hui n’ait pas émis de commentaires sur d’autres médicaments, les opposantes ont fait valoir au moment de l’audience que la preuve démontrait également que trois autres médicaments offraient la même combinaison de couleurs que le PAXIL selon la concentration. Ces médicaments sont Sinemet, Prinzide et Ogen. Les opposantes ont indiqué que ces médicaments étaient répertoriés dans le CPS. Après examen des produits figurant dans le CPS, je me questionne sur la similarité entre les teintes de jaune, rose et bleu pâle de ces produits et celles des comprimés de la requérante. Par contre, les revendications relatives aux couleurs de la demande sont assez générales puisqu’aucune teinte précise de jaune ou de rose n’a été indiquée. De toute façon, je conviens avec la requérante que, si d’autres comprimés étaient commercialisés avec la même combinaison de couleur pour les concentrations que le PAXIL, M. Hui les auraient inclus dans son tableau.

 

M. Maurice Siu


Le Dr Siu déclare être un médecin ontarien. Il affirme bien connaître le Paxil et le prescrire depuis 1998. Il explique qu’il ne se fie jamais à la couleur, à la forme ou à la taille d’un médicament pour déterminer de quoi il s’agit et qui le fabrique. S’il n’est pas familier avec un médicament, il consulte la monographie de produit et/ou le CPS pour y trouver des renseignements. Lorsqu’il connaît bien le médicament, il l’identifie par son nom commercial ou son principe actif. Il sait que tous les comprimés pharmaceutiques ont une forme de marque gravée sur leur surface. Le marquage des comprimés de PAXIL est formé du mot PAXIL d’un côté et de la concentration de l’autre côté, soit « 10 », « 20 » ou « 30 ». 

 

Le Dr Siu explique que plusieurs de ses patients ont appris à identifier un type de médicament par son apparence générale. Ainsi, il arrive que le patient réfère à son médicament en disant [traduction] « ma petite pilule blanche pour le cœur »,  [traduction] « ma petite pilule jaune pour l’arthrite » ou [traduction] « mon antidépresseur rose ». 

 

À titre de pièce A, le Dr Siu joint à son affidavit une photo agrandie du dessin-marque en cause en l'espèce. Il affirme avoir vu cette photo dans des publicités parues dans diverses revues médicales, dans la brochure de renseignements sur le PAXIL distribuée aux médecins et dans les directives relatives au dosage. À titre de pièce B, des copies des échantillons de documents montrant le dessin‑marque TABLETS and Sun Design.

 

Aux paragraphes 18 et 19 de son affidavit, le Dr Siu affirme ce qui suit :

[traduction]

18.       Quand je regarde la photo de la pièce A, les trois comprimés me font penser à plusieurs stratégies de titrage que je pourrais employer avec mes patients, soit la concentration de départ de Paxil que je pourrais leur prescrire pour débuter.

 

19.       À mon avis, les trois couleurs différentes de comprimés illustrées constituent une indication de la concentration et du fait qu’il existe trois concentrations différentes de Paxil. (Par contre, je ne me souviendrais pas quelle couleur indique quelle concentration.) Cette combinaison ressemble à plusieurs autres utilisées dans le domaine pharmaceutique où des concentrations différentes sont commercialisées en différentes couleurs. Les médicaments antipsychotiques sont notamment commercialisés en différentes couleurs pour indiquer les différentes concentrations.

 

M. Jan Sahai


M. Sahai déclare être directeur du Marketing de Système nerveux central chez GlaxoSmithKline Inc. Il explique qu'il s'agit d'une société affiliée de la requérante et qu’elle détient une licence d’emploi de la marque de commerce au Canada. En vertu de cette licence, la requérante contrôle les caractéristiques et la qualité des marchandises en liaison avec lesquelles la marque est employée par sa société et ses prédécesseurs. Il désigne la requérante, ses prédécesseurs et sa société collectivement par « GSK ».

 

M. Sahai affirme que, depuis son dépôt en 1993, la marque de commerce PAXIL a été abondamment publicisée au Canada par le biais de visites promotionnelles de représentants de commerce chez les médecins. Au cours de ces visites, les représentants donnent aux médecins des renseignements sur le PAXIL et ses utilisations par des présentations orales et en leur remettant des documents promotionnels. Des échantillons représentatifs des documents promotionnels distribués aux médecins canadiens depuis environ février 1999 qui affichent la marque faisant l’objet de la demande sont joints à titre de pièces A à G de l’affidavit de M. Sahai. 

 

Il explique que la marque de commerce est employée au Canada par GSK depuis  environ février 1999 en liaison avec les dépliants et livrets d'information fournis aux médecins.               

 

En contre-interrogatoire, M. Sahai a reconnu que la couleur des comprimés de PAXIL indique leur concentration (p. 22 du contre-interrogatoire de M. Sahai). Il a également convenu que les inscriptions sur les comprimés sont nécessaires à leur identification. Il affirme que le dessin TABLETS and Sun Design n’est employé ni sur l’emballage du matériel promotionnel ni sur le site Web PAXIL.

 

M. Benjamin Bundle

M. Bundle est recherchiste en marque de commerce pour l’agent de la requérante. Il a effectué des recherches dans la base de données sur les marques de commerce canadiennes et dans la base de données CD - NameSearch afin de trouver des marques de commerce comportant un dessin ou logo de soleil comme celui dont la requérante est propriétaire. Des extraits du registre de l’OPIC démontrent que la requérante est la propriétaire inscrite des enregistrements no LMC 491,090, LMC 473,076 et de l’enregistrement no 1,001,651 faisant l’objet de la présente demande.


Motif dopposition fondé sur le caractère distinctif (alinéa 38(2)d))

Les opposantes ont, tant dans leurs observations écrites que dans leur plaidoirie, allégué quelques-uns des principes juridiques dégagés dans des décisions portant sur le caractère distinctif des marques en ce qui touche la couleur, la forme et la taille dans le domaine pharmaceutique. De son côté, la requérante a fait valoir que ces décisions ne s’appliquent pas en l’espèce puisque la marque qui fait l’objet de la présente demande est bidimensionnelle, s’agissant d’un dessin-marque composé d’un long rectangle mince divisé en quatre cases ombragées, dont les trois premières contiennent une représentation d’un comprimé jaune, rose, puis bleu pâle, et la quatrième contient le dessin distinctif de soleil (Sun Design) de la requérante. De plus, cette dernière allègue qu’elle ne sollicite pas un monopole uniquement sur des préparations pharmaceutiques, mais aussi sur des documents imprimés et divers services dans le domaine des soins de santé, notamment les services éducatifs, d’information et d’information en ligne. Enfin, la requérante soutient que, comme elle ne sollicite pas la présentation d'un comprimé, sa marque de commerce ne constitue pas un signe distinctif et qu'elle n’est en conséquence pas tenue de démontrer que la marque a acquis un caractère distinctif. 

 

Je conviens avec la requérante que la présente instance peut être distinguée d’autres espèces relatives à la couleur, la forme ou la taille pour plusieurs motifs, l’un d'eux étant que la demande actuelle ne porte pas sur l’enregistrement d’une présentation particulière de comprimés ou de capsules. Toutefois, plusieurs des décisions citées par les opposantes énoncent également des principes juridiques généraux applicables à une grande variété d’espèces. Je vais donc appliquer ces principes généraux selon qu'ils seront applicables.

 

Madame la juge Dawson a fait les observations suivantes sur la question du caractère distinctif dans Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB et al. (2003), 28 C.P.R. (4th) 129 (C.F. 1re inst.) [ci‑après « AstraZeneca (Dawson) »], aux pages 133 et 134 :

 


                                    Il s'ensuit que ce qu'il faut décider en l'espèce est la question de savoir si Astra s'est acquittée du fardeau qui lui incombait d'établir que les marques de commerce projetées étaient distinctives à la date de l'opposition. Il s'agit de répondre à la question factuelle de savoir si, à la date de l'opposition, des comprimés commercialisés sous une apparence similaire à celle des comprimés de 5 mg et de 10 mg d'Astra rendent non distinctives les marques d'Astra et empêchent par conséquent l'enregistrement de la marque de commerce.

              

 Le mot « distinctive » est défini comme suit à l'article 2 de la Loi :

 

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

 

"distinctive", in relation to a trade‑mark, means a trade‑mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them.

 

 

 

 

Comme la Cour dappel la affirmé dans AstraZeneca AB c. Novopharm Ltd., 2003 CAF 57, au paragraphe 16 :                                                                   

                                    [...] Une marque [se] distingue véritablement en acquérant le caractère distinctif par l'emploi, ce qui lui confère un caractère distinctif en fait. Une marque qui est « adaptée à les distinguer ainsi » est une marque qui ne dépend pas de l'emploi pour son caractère distinctif, parce qu'elle possède un caractère distinctif inhérent. Un marque se composant d'un mot forgé ou inventé entre dans cette catégorie : Standard Coil Products (Canada) Ltd. c. Standard Radio Corp., [1971] C.F. 106 (1re inst.), à la page 115; The Molson Companies Limited c. Les Brasseries Carling O'Keefe du Canada Limitée, [1982] 1 C.F. 175 (1re inst.), aux pages 278 et 279.


Il ressort de la jurisprudence actuelle que le marché pertinent à examiner en ce qui concerne le caractère distinctif dune demande de marque de commerce eu égard à la couleur, la forme ou la taille dun comprimé est lensemble du marché pharmaceutique [voir AstraZeneca AB c. Novopharm Ltd. et al. (2003), 24 C.P.R. (4th) 326 (C.A.F.); Novopharm Ltd. c. AstraZeneca AB et al. (2003), 28 C.P.R. (4th) 129 (C.F. 1re inst.); Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag (2004), 36 C.P.R. (4th) 158 (C.O.M.C.)]. Bien que la marque faisant lobjet de la demande ne porte pas sur la couleur, la forme ou la taille dun comprimé, et que les marchandises pharmaceutiques visées soient restreintes aux « antidépresseurs et préparations pour le traitement des maladies du système nerveux central », jestime tout de même que le marché pertinent en lespèce constitue lensemble du marché pharmaceutique puisque la preuve démontre que plusieurs patients consommant des antidépresseurs et des préparations pour le traitement des maladies du système nerveux central consomment également des médicaments pour divers autres troubles concomitants ou connexes [voir aussi Novopharm c. Bayer (1999), 3 C.P.R. (4th) 305 (C.F. 1re inst.)].

 

Il appartient donc aux opposantes de démontrer qu’il y a eu, sur le marché pharmaceutique, un emploi suffisant d’une marque similaire prêtant à confusion pour nier le caractère distinctif de la marque de la requérante [voir Motel 6 Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44, à la page 58]. 

 

Premier volet du motif fondé sur lalinéa 38(2)d)

Aux fins de l’audience et sur consentement de l’agent de la requérante, les opposantes ont aimablement fourni un tableau identifiant chacun des comprimés jaune, rose et bleu auxquels il est fait référence dans les plaidoiries et dans la preuve soumise avec des indications quant aux éléments de preuve relatifs à chacun. Le résumé de la preuve a été apprécié.  

 

Une grande partie de la preuve soumise par les opposantes tend à démontrer que les comprimés rose, jaune et bleu (sur ordonnance ou non) sont communs sur le marché depuis au moins janvier 2000. Sur cet aspect, la preuve des opposantes est constituée de copies d’extraits du CPS 2000 qui montrent des comprimés jaune, rose et bleu que M. Hui a personnellement prescrits depuis au moins janvier 2000 et des comprimés jaune, rose et bleu en vente libre dans sa pharmacie depuis au moins janvier 2000 (voir les paragraphes 9 et 13 de l’affidavit de M. Hui et les pièces A et C). 

 


La preuve des opposantes comprend également un tableau des médicaments comportant différentes couleurs selon les concentrations. Seuls trois médicaments répertoriés ont une palette de couleurs comportant le jaune, le rose et le bleu. Il s’agit de Eltroxin, Synthroid et le médicament de la requérante, PAXIL. Lors de l’audience, l’agent des opposantes a désigné trois autres médicaments mentionnés dans le CPS (soit Sinemet, Prinzide et Ogen) et qui seraient commercialisés dans la combinaison de couleurs jaune, rose et bleu, selon les concentrations. Comme je l’ai mentionné précédemment dans mon résumé du témoignage de M. Hui, je ne suis pas convaincu par l’argument des opposantes selon lequel ces autres médicaments sont également disponibles dans la même palette de couleur que le médicament de la requérante, le PAXIL.

 

Invoquant la décision Novopharm Limited c. Purdue Pharma (enregistrement no 804,387, marque de commerce PURPLE COLOURED CIRCULAR SHAPED TABLET Design; 6 mai 2005 (COMC)), les opposantes font valoir que, compte tenu de la preuve soumise en l’espèce, elles se sont acquittées de leur fardeau au regard de ce motif. En toute déférence, je ne suis pas d’accord. Dans l’affaire Novopharm c. Purdue Pharma, précitée, la marque faisant l’objet de la demande était le dessin d’un comprimé rond de couleur mauve. Le preuve des opposantes selon laquelle les comprimés mauves étaient communs sur le marché pharmaceutique canadien à la date pertinente était donc suffisante pour qu’elles s’acquittent de leur fardeau dans cette affaire.

 

La présente instance peut être distinguée parce que la marque ne porte pas sur la couleur, la forme ou la taille d’un, deux ou trois comprimés. Elle porte plutôt sur le dessin rectangulaire contenant quatre cases, dont trois montrent des comprimés de différentes couleurs et le quatrième montre un dessin de soleil. De plus, aucune revendication ne porte sur les couleurs du dessin de la marque. En fait, les couleurs constituent uniquement une caractéristique de la marque. Enfin, la marque, telle que commercialisée, indique clairement que le monopole revendiqué concerne une marque bidimensionnelle et non pas 1, 2 ou 3 comprimés tridimensionnels.

 


En conséquence, bien que les opposantes aient démontré que des comprimés rose, jaune ou bleu sont communs sur le marché depuis au moins janvier 2000 et que certains de ces produits pharmaceutiques sont offerts dans une palette de jaune, rose et bleu selon les concentrations, je ne suis pas convaincue que cette preuve soit suffisante pour réfuter le caractère distinctif de la marque demandée dans son ensemble. Comme la juge Dawson l’a affirmé dans la décision Astrazeneca (Dawson), précitée, la seule raison pour laquelle il incomberait au requérant de démontrer que la marque proposée est distinctive serait que, à la date de l’opposition, il a été démontré que des comprimés étaient commercialisés sous une apparence similaire à celle du requérant de sorte que sa marque est devenue non distinctive.  Comme l’a fait valoir la requérante, il importe peu de déterminer si l’une des composantes de sa marque est enregistrable ou non en elle-même. On doit examiner la marque dans son ensemble [Lake Ontario Cement Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1976) 31 C.P.R. (2d) 103; Toronto Montessori Schools c. Montessori Nursery and Day Care Center Inc., 58 C.P.R. (3d) 148; Canadian Schenley Distilleries Ltd. c. Registraire des marques de commerce et Bodegas Rjoja Santiago, S.A. 15 C.P.R. (2d) 1]. 

 

Comme les opposantes n’ont pas démontré l’existence de marques d’apparence similaire à la marque de la requérante dans son ensemble, elles n’ont pas réfuté le caractère distinctif de sa marque. Puisque le caractère distinctif de la marque de la requérante n’a pas été mis en doute, il n’est pas nécessaire d'examiner la façon dont elle a été employée sur le marché à ce jour. Contrairement aux décisions rendues dans les affaires relatives à la couleur, la forme ou la taille citées par les opposantes, le fardeau de démontrer que la marque avait acquis un caractère distinctif n’a pas été transféré à la requérante dans la présente instance. Ce volet du motif fondé sur l’alinéa 38(2)d) doit donc être rejeté. 

 

Deuxième volet du motif fondé sur lalinéa 38(2)d)


Le deuxième volet du motif des opposantes fondé sur l’alinéa 38(2)d) porte que, comme la requérante inscrit le mot PAXIL sur un côté de chacun des comprimés et la concentration de l’autre côté, la couleur, la forme et la taille des comprimés de la requérante ne distinguent pas ses marchandises. Comme la marque faisant l’objet de la demande ne concerne pas la couleur, la forme ou la taille des comprimés de la requérante, je rejette également ce volet du motif des opposantes fondé sur l’alinéa 38(2)d).

 

Lors de l’audience, les opposantes ont aussi contesté le caractère distinctif de la marque de la requérante en alléguant que cette dernière n’avait pas régulièrement octroyé, conformément à l’art. 50 de la Loi, des licences pour sa marque aux autres utilisateurs, dont GlaxoSmithKline, SmithKline Beecham, SmithKline Beecham Pharma et SmithKline Beecham Pharma Inc. Toutefois, puisque les opposantes n’ont pas soulevé l’argument relatif à l’octroi irrégulier de licences sous le motif relatif au caractère non distinctif dans leur déclaration d’opposition, je ne peux en tenir compte [voir Imperial Developments c. Imperial Oil Ltd. (1984), 79 C.P.R. (2d) 12 (C.F. 1re inst.), à la page 21].  

 

Motifs dopposition fondés sur larticle 30

À titre de premier motif fondé sur l’article 30, les opposantes ont d’abord fait valoir que la demande ne vise pas une marque de commerce parce que celle‑ci ne peut être employée pour distinguer les marchandises de la requérante. À mon avis, cet argument ne soulève pas une question de non‑conformité aux exigences de l’article 30. Il semble plutôt fondé sur l’allégation générale portant que la demande n’est pas conforme à l’article 2 de la Loi, la marque faisant l’objet de la demande ne constituant pas une marque de commerce puisqu’elle ne distingue pas les marchandises de la requérante de celles des autres sur le marché. Comme il ne s’agit pas à mon avis d’un motif d’opposition valable, je rejette cet argument.

 

Le deuxième argument fondé sur l’article 30 porte que la requérante ne pouvait être convaincue qu’elle avait le droit d’employer la marque conformément à l’alinéa 30i) parce que celle-ci créait de la confusion avec d’autres marques antérieurement employées ou révélées au Canada. Comme les opposantes n’ont pas plaidé que la requérante connaissait l’existence d’autres marques créant de la confusion en raison de leur apparence similaire, cet argument est rejeté [voir Novopharm Ltd. c. Astra Aktiebolag (2000), 6 C.P.R. (4th) 101 (C.O.M.C.), à la page 108].


Le dernier argument fondé sur l’article 30 porte que les dessins déposés avec la demande ne définissent pas adéquatement, pour plusieurs motifs, les limites du monopole sollicité aux termes de la demande. Comme certains de ces arguments chevauchent d’autres allégations, je n’examinerai pas chacun de ces arguments en détail. 

 

L’un des arguments des opposantes au regard de ce motif est qu’on ne sait pas si la marque faisant l’objet de la demande concerne uniquement la représentation bidimensionnelle des comprimés ou si elle concerne également les comprimés eux-mêmes. Elles avancent que cette ambiguïté ouvre la possibilité que la marque puisse créer de la confusion avec des comprimés tridimensionnels après la délivrance de la marque. 

 

Comme je l’ai mentionné précédemment, la marque faisant l’objet de la demande ne porte pas sur la pilule ou le comprimé en soi, mais plutôt sur le dessin rectangulaire divisé en quatre cases dont trois montrent un comprimé de couleur différente et dont la dernière contient un dessin de soleil. À mon avis, le dessin indique clairement la marque faisant l’objet de la demande. De plus, j’estime que l’emploi d’une photographie bidimensionnelle ne peut être considéré comme l’emploi d’une marque de comprimé tridimensionnel. En examinant cette question, j’ai tenu compte des commentaires du commissaire Bradbury dans la décision Novapharm Limited et Apotex Inc. c. Astra Aktiebolag (appartenant maintenant à AstraZeneca AB) (20 janvier 2004; demande no 815,154) :

 

[...] l’image figurant sur le devant de la boîte est bidimensionnelle, et la requérante cherche clairement à enregistrer une marque tridimensionnelle. Je ne pense pas que l’emploi de l’un est l’utilisation de l’autre, sinon quelqu’un qui a enregistré une image pourrait alors soutenir qu’il utilisait sa marque lorsqu’il a vendu un objet tridimensionnel ressemblant à l’image, ce qui n’a pas été autorisé dans N.V. Sumatra Tobacco Trading Co. c. Imperial Tobacco Ltd. (2001), 11 C.P.R. (4th) 501 (C.F. 1re inst.).

 


Toujours en vertu de l’article 30, les opposantes soutiennent de plus que, puisque les comprimés de la requérante portent des inscriptions des deux côtés (le mot PAXIL d’un côté et la concentration de l’autre), l’apparence du comprimé, soit la couleur, la forme et la taille, doit être montrée dans les dessins. Cet argument est également fondé sur la présomption que la marque de commerce donne droit à une marque tridimensionnelle. Comme j’ai précédemment déterminé que la marque faisant l’objet de la demande ne donnera pas droit à un comprimé tridimensionnel, je conclus qu’il n’est pas nécessaire d’indiquer l’apparence de chacun des comprimés dans les dessins. Ce motif d’opposition est en conséquence rejeté.

 

Motifs dopposition fondés sur lenregistrabilité

 

Lalinéa 12(1)b)

Les opposantes allèguent que la marque faisant l’objet de la demande donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises à l’égard desquelles on projette de l’employer en ce sens que les trois couleurs servent à indiquer la concentration, soit jaune = 10 mg, rose = 20 mg et bleu = 30 mg. 

 

La question de savoir si la marque de commerce TABLETS and Sun Design donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises de la requérante doit être examinée du point de vue du consommateur moyen de ces marchandises. De plus, pour déterminer si la marque donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, il ne faut pas la diviser en ses éléments constitutifs et l'examiner soigneusement, mais plutôt l'interpréter dans son ensemble en s’en tenant à la première impression [voir Wool Bureau of Canada Ltd. c. Registraire des marques de commerce, 40 C.P.R. (2d) 25, aux pages 27-28, et Atlantic Promotions Inc. c. Registraire des marques de commerce, 2 C.P.R. (3d) 183, à la page 86].

 


Les opposantes font valoir que la marque faisant l’objet de la demande donne une description claire de la nature ou de la qualité des préparations pharmaceutiques d’une concentration définie. Les comprimés individuels qui figurent dans le dessin-marque de la requérante portent bien l'indication de la concentration selon la couleur. Cependant, le critère de l’alinéa 12(1)b) consiste à savoir si la marque dans son ensemble donne une description claire ou donne une description fausse et  trompeuse des marchandises ou services faisant l’objet de la demande. En l’espèce, 1/4 de la marque de la requérante est constituée du dessin d’un soleil. De plus, l’état déclaratif des marchandises n’indique pas que la préparation pharmaceutique doit être vendue sous forme de trois comprimés de couleurs différentes. En conséquence, comme je ne vois pas en quoi la marque faisant l’objet de la demande donne une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises ou services revendiqués, ce motif d’opposition est rejeté. 

 

Larticle 13

Les opposantes ont soutenu que la marque de la requérante constitue un signe distinctif. Le terme « signe distinctif » est défini comme suit à l’article 2 de la Loi : a) façonnement de marchandises ou de leur contenant; b) mode d’envelopper ou empaqueter des marchandises. 

 

Tout au long de la présente instance, les opposantes ont allégué que la marque faisant l’objet de la présente demande est une marque tridimensionnelle et non bidimensionnelle. J’ai conclu précédemment que les termes employés par la requérante dans sa description de la marque et les dessins illustrés dans la demande établissent que le monopole sollicité concerne une marque bidimensionnelle. Même si j’étais arrivée à la conclusion que la marque de la requérante était une marque tridimensionnelle, la jurisprudence a précédemment établi qu'une marque de commerce composée seulement d'une ou de plusieurs couleurs appliquées à l'ensemble de la surface visible d'un objet tridimensionnel particulier est considérée comme une marque de commerce ordinaire et non un signe distinctif (voir Novopharm Limited c. Astra Aktiebolag, demande n815,154; 20 janvier 2004; Novopharm Limited c. Eli Lilly and Company, demande n783,742; 9 novembre 2004 (COMC)). Ce motif est donc rejeté.

 

Larticle 10

Les opposantes ont fait valoir que la marque revendiquée est une marque interdite suivant l’article 10 de la Loi en ce qu'elle est reconnue au Canada :

 


i) par les patients, comme désignant un genre de médicament, ainsi que son effet thérapeutique;

ii) par les pharmaciens et autres professionnels des soins de santé, comme désignant le genre et la qualité des marchandises, particulièrement les concentrations de 10, 20 et 30 mg selon l'usage dans l’industrie pharmaceutique, et non à titre d’indication du lieu d’origine des marchandises. 

 

Les opposantes n’ont pas soumis de témoignages directs de patients. De plus, comme je l’ai souligné plus haut, aucune preuve ne démontre que la marque de la requérante dans son ensemble est reconnue au Canada comme désignant la concentration des produits pharmaceutiques. La preuve des opposantes démontre tout au plus qu’une poignée de tiers sont au courant que les comprimés jaune, rose et bleu pâle indiquent la concentration de leur produit pharmaceutique et qu’un médecin reconnaît que la requérante emploie les couleurs comme indication de la concentration. 

 

À mon avis, cette preuve ne suffit pas à démontrer que la marque TABLETS and Sun Design de la requérante est, en raison d’une pratique commerciale ordinaire et authentique, devenue reconnue au Canada comme désignant le genre ou la qualité des marchandises et services de la requérante suivant l’article 10 de la Loi. Ce motif d’opposition doit donc être également rejeté.

 

Décision

Compte tenu de ce qui précède et par le pouvoir qui m'a été délégué au paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition conformément au paragraphe 38(8) de la Loi.

 

FAIT À GATINEAU (QUÉBEC), CE 16 DÉCEMBRE 2005.

 

C. R. Folz

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

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