Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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DANS L'AFFAIRE DE L'OPPOSITION de Moulinsart S.A. à la demande no 1175101 appartenant à 9200-2880 Québec Inc., en vue de l'enregistrement de la marque de commerce LE PETIT MOULINSART et Dessin________________________________

I Les actes de procédure

Le 15 avril 2003 Le Petit Moulinsart Inc. a produit la demande numéro 1175101 visant l'enregistrement de la marque de commerce LE PETIT MOULINSART et Dessin telle que ci-après reproduite :

 

(la «Marque»).

Cette demande porte sur les services suivants:

(1) Services de restauration et services de bar nommément fine cuisine et bière de dégustation; services de traiteur. (2) Services de location de salle pour la tenue d'événements et de réunions. (3) Services de location de salle pour la tenue de spectacles. (Les « Services»)

Elle est fondée sur un emploi depuis le 5 septembre 1992 en liaison avec les services (1); depuis décembre 1992 en liaison avec les services (2) et depuis juillet 2000 en liaison avec les services (3).

La Marque fut annoncée le 18 février 2004 dans le Journal des marques de commerce pour fins d'opposition.

Moulinsart S.A. a produit une déclaration d'opposition le 29 juin 2004, signifiée par le registraire le 3 août 2004 à Le Petit Moulinsart Inc. Le 3 septembre 2004, cette dernière a produit une contre-déclaration niant tous les motifs d'opposition et demandant la radiation des motifs d’opposition 2, 4, 5 et 6 ci-après décrits car ils ne constitueraient pas des motifs d’opposition prévus à l’article 38(2) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la « Loi ») ou contenaient des allégations vagues et ambiguës. Aucune décision interlocutoire ne fut rendue par le registraire avant la production de la preuve de l’Opposante et ainsi en vertu des principes énoncés dans l’arrêt Novopharm Ltd v. AstraZeneca AB et al (2002), 21 C.P.R. (4th) 289 je devrai tenir compte de la preuve produite au dossier afin de déterminer, en autre, si ces motifs d’opposition étaient suffisamment détaillés pour permettre à la Requérante d’y faire face.

 

L’Opposante a produit en preuve les affidavits de Frédéric Beaulieu, Marylène Gendron, Kathleen Larone, Zeina Waked (deux (2) affidavits) Sylvie Hétu et Robert Vangeneberg alors que la Requérante produisait les affidavits d’Éric Lehousse et Jacques Roy. À titre de preuve en réponse, l’Opposante a produit l’affidavit de Mme Dethinne-Delplanche. Les parties ont produit chacun un plaidoyer écrit et une audience fut tenue où elles étaient représentées.

 

Le 16 octobre 2008 le registraire était informé que Le Petit Moulinsart Inc. avait cédé la présente demande d’enregistrement à 9200-2880 Québec Inc. par acte de cession daté du 8 octobre 2008. Je référerai indistinctement à Le Petit Moulinsart Inc. et/ou 9200-2880 Québec Inc. en utilisant le terme « Requérante ».

 

II La déclaration d’opposition

 

Les motifs d’opposition peuvent se résumer comme suit :

  1. En vertu des dispositions des articles 38(2)(a) et 30 de la Loi, la demande d’enregistrement ne satisfait pas aux exigences de la Loi car la Requérante n’a pas employé la Marque en liaison avec les Services et ce depuis les dates mentionnées dans la demande d’enregistrement;
  2. En vertu des dispositions des articles 38(2)(a) et 30 de la Loi, la demande d’enregistrement ne satisfait pas aux exigences de la Loi car la Requérante a faussement déclaré qu’elle était convaincue qu’elle avait droit d’employer la Marque au Canada en liaison avec les Services puisqu’elle ne pouvait ignorer que la Marque réfère aux aventures de Tintin, la Requérante exploitant dans son restaurant les thèmes, imageries et l’univers de Tintin par des illustrations et affiches et la décoration du restaurant, le menu et diverses références aux albums et personnages de Tintin, laissant ainsi faussement suggérer un rapport avec l’œuvre de Hergé dont les droits exclusifs sont détenus par l’Opposante;
  3. En vertu des dispositions des articles 38(2)(c) et 16(1)(c) de la Loi, la Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque car aux dates où la Requérante allègue avoir débuté l’emploi de la Marque, celle-ci créait de la confusion avec le nom commercial Moulinsart S.A. antérieurement employé au Canada par l’Opposante, société fiduciaire exclusive des droits d’exploitation de l’œuvre de Hergé dans le monde entier et notamment au Canada;
  4. L'Opposante fonde son opposition sur l'article 7(b) de la Loi en ce que par l'adoption, l'emploi et la sollicitation de la protection par enregistrement de la Marque, la Requérante appelle l’attention du public sur ses services ou son entreprise de manière à causer ou vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'elle a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses services, ou son entreprise et les marchandises, qui sont les produits dérivés à l'univers de Tintin, services et entreprise de l'Opposante;
  5. L'Opposante fonde également son opposition sur l'article 7(d) de la Loi en ce que la Requérante utilise en liaison avec des services la Marque qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde (i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition; (ii) soit leur origine géographique; (iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d'exécution;
  6. L'Opposante plaide le motif fondé sur l'article 38(2)(d) de la Loi à savoir que la Marque de la Requérante n'est pas distinctive car elle n'est pas adaptée à véritablement distinguer les services de la Requérante des activités, des produits susmentionnés et de l’entreprise de l'Opposante au sens de l'article 2 de la Loi en raison de la confusion qu'elle crée avec le nom commercial de l'Opposante et en raison de la contravention aux dispositions des articles 7(b) et (d) de la Loi.

Dans son plaidoyer écrit l'Opposante a retiré le premier motif d'opposition.

III La preuve de l'Opposante

Kathleen Larone est une secrétaire juridique au cabinet des agents de l'Opposante en charge des dépôts de marques de commerce au Canada. Elle s'est rendue à plusieurs reprises entre 2001 et 2004 à la boutique « Il était une fois ... » à St-Lambert, Québec afin de se procurer des articles arborant le personnage Tintin telles que de la literie, affiches, figurines, bandes dessinées, porte-clés et t-shirts. Elle a produit des extraits du site web de cette boutique.

Fréderic Beaulieu est programmeur-analyste à l'emploi du cabinet des agents de l'Opposante. Le 1er avril 2005, il a pris plusieurs photos d'une affiche située sur la rue St-Jacques dans le centre-ville de Montréal l’on y voit le personnage Tintin et la page couverture de certaines des bandes dessinées mettant en vedette ce personnage.

Marylène Gendron est une secrétaire également à l’emploi du cabinet des agents de l’Opposante. Elle est responsable du répertoire des marques au sein de ce cabinet. Le 11 mars 2005 elle a effectué une recherche sur la banque de données STRATEGIS afin d'y repérer toutes les marques de commerce au nom de l'Opposante.

 

Les cinq (5) marques suivantes apparaissent à son rapport :

 

TINTIN et dessin, certificat d'enregistrement LMC491337

TINTIN AVENTURES et dessin, certificat d'enregistrement LMC435412

TINTIN et dessin, certificat d'enregistrement LMC450050

TINTIN et dessin, certificat d'enregistrement LMC438307

MILLE SABORDS, certificat d'enregistrement LMC418213.

Je remarque qu'aucun de ces enregistrements n'est cité au soutien des motifs d’opposition ci-haut décrits.

Zeina Waked est une parajuriste au sein du cabinet des agents de l'Opposante. Le 20 mai 2004 elle a effectué une visite au restaurant Le Petit Moulinsart situé au 139 rue St-Paul Ouest à Montréal. Elle a pris une photo de l'enseigne extérieure et du menu exposé à l'entrée du restaurant. On y retrouve la Marque, un drapeau et un personnage de bande dessinée. Elle décrit les lieux visités. Il y a un bar « le Pharaon» et les murs sont tapissés de sarcophages. Il y a à l’intérieur d'un présentoir vitré une reproduction d'un des premiers contrats entre Casterman et Hergé. Elle a produit des objets pris sur les lieux soit: une boite d'allumettes avec le logo « Les cigares du Pharaon », une carte de visite et un pamphlet publicitaire. Quant au restaurant, on y retrouve sur les murs de nombreux tableaux reproduisant la page frontispice de multiples albums de Tintin. Elle a produit une photo du menu contenant quelques expressions qui invoqueraient les aventures de Tintin mais il y a également une référence à Hercule Poirot.

Une bibliothèque y est aménagée exposant divers livres de Tintin et un présentoir vitré contient des objets sur lesquels sont reproduits des personnages des bandes dessinées de Tintin. Elle a acheté sur les lieux un porte-clés sur lequel le personnage Tintin a été reproduit.

Dans son deuxième affidavit elle décrit diverses recherches qu’elle a effectuées durant le mois de mars 2005. Elle a d'abord répertorié les bandes dessinées de Tintin disponibles à la bibliothèque Nationale du Québec, la bibliothèque de Montréal et la bibliothèque publique de Toronto. Elle a également consulté des sites Internet tels que Google et Archambault.

Sylvie Hétu est bibliothécaire à l'emploi du cabinet des agents de l'Opposante. Elle a consulté deux banques de données : Informat et Eureka concernant des périodiques et journaux parus au Canada. Elle a consulté la banque de données Eureka afin de trouver des articles traitant de « Tintin » et de « Moulinsart ».

M. Vangeneberg est administrateur de l'Opposante et à son emploi depuis avril 1998. L’Opposante exploite sous licence l’œuvre de l’auteur Hergé soit la série de ses œuvres sur Tintin. L'Opposante est propriétaire de la marque de commerce TINTIN tant au Canada que dans plusieurs pays à travers le monde.

Il explique que le mot « Moulinsart » désigne une petite localité fictive d'Europe occidentale se trouve le fameux château habité par les héros des aventures de Tintin. Ce terme a été créé et est unique. Il allègue que quiconque connait les albums de Tintin sait ce que signifie «Moulinsart». Il explique que le château de Moulinsart fait sa première apparition dans «le secret de la Licorne » et est racheté par le Capitaine Haddock dans « le trésor de Rackham le rouge ». Depuis, le château de Moulinsart est devenu le port d'attache de Tintin et de ses compagnons de route. La quasi-totalité des aventures de Tintin se déroulerait en partie à Moulinsart qui est en quelque sorte le pied-à-terre des héros. Le château de Moulinsart aurait été dessiné à partir du château de Cheverny.

Selon M. Vangeneberg les albums de Tintin sont parmi les bandes dessinées les plus populaires et connues au monde et ont été traduits dans plus de cinquante (50) langues. Les vingt-quatre (24) albums de Tintin sont diffusés au Canada tant en français qu'en anglais. Entre 2002 et 2004 plus de 127,000 exemplaires de ces albums ont été vendus au Canada. M. Vangeneberg affirme que ces albums sont édités par Edition Casterman S.A. et diffusés au Canada par Edition Flamarion.

 

L'Opposante fabrique et commercialise également des produits dérivés des albums de Tintin, incluant : posters, affiches, vaisselle, agendas, calendrier, etc... Des factures prouvant la vente de ces marchandises par l’Opposante à son distributeur canadien ont été produites.

Des films d'animation ont été tirés des albums de Tintin et la série aurait été diffusée dans près de 50 pays, dont le Canada.

M. Vangeneberg affirme que l'utilisation du nom Moulinsart par la Requérante, la reproduction et l'adaptation d'éléments graphiques de l’œuvre de Hergé à titre d'éléments décoratifs, l'utilisation des noms de personnages et de symboles pour désigner des plats au menu tels que « steak beurre Nestor », « salades Alcasar », « crabe aux pinces d'or », constituent des atteintes aux droits de Moulinsart S.A. Je me limiterai à dire à ce stade-ci que la juridiction du registraire dans le cadre d'une procédure d'opposition à l'enregistrement d'une marque de commerce se limite à analyser les motifs d'opposition tels qu'énumérés à l'article 38(2) de la Loi.

 

IV Preuve de la Requérante

M. Roy est un technicien juridique à l'emploi des agents de la Requérante. Il a produit une copie certifiée du certificat d'enregistrement LMC149379 pour la marque de commerce TINTIN, propriété de Quaker Oats Company of Canada pour des céréales. Toutefois cette marque a été radiée du registre le 30 octobre 1997 en raison du défaut d'avoir procédé à son renouvellement. Cette preuve m'apparait non pertinente pour les fins de ce dossier.

M. Lehousse est le président de Le Petit Moulinsart Inc. depuis son incorporation le 28 avril 1992 et a produit le certificat d'enregistrement de la société émis par l'inspecteur général des institutions financières. Il a produit un extrait du fichier central des entreprises démontrant que la société 2952-3230 Québec Inc. exploitait son commerce sous le nom LE PETIT MOULINSART et ce dès le 1er mai 1992. Je tiens à rappeler que ce document ne constitue pas en soi une preuve d’usage d’une marque de commerce ou d’un nom commercial au sens de la Loi. Le 11 avril 2003 cette société a changé son nom pour celui de Le Petit Moulinsart Inc. et M. Lehousse a produit le certificat de modification.

La Marque a été adoptée dès les premiers mois d'exploitation du commerce. Il a produit un article publié dans le quotidien La Presse dans lequel on retrouve une photo de l'enseigne représentant la Marque. Le restaurant de la Requérante a également fait l'objet de reportages en Belgique, lieu du siège social de l'Opposante, dans Le Soir Illustré un journal bruxellois: un premier dans son édition du 26 juin 1992 et un deuxième publié dans son édition du 24 novembre 1993.

 

Le restaurant de la Requérante a été le site d'une conférence de presse le 24 novembre 1993 donnée par un représentant de la Fondation Hergé afin de mousser les ventes des vidéocassettes réalisées à  partir des aventures de Tintin. M. Goddin de la Fondation Hergé aurait alors écrit un petit mot, dans le livre des visiteurs de ce restaurant, en faisant référence à Tintin.

 

L'année suivante M. Lehousse a reçu une carte de souhaits de la Fondation Hergé et il attire l'attention au fait que l'adresse de sa place d'affaires est la même que celle de l'Opposante. Elle porterait la signature d'un M. Goddin ainsi que de la femme du président de l'Opposante. Il a reçu en 1996 une autre carte de souhaits de la Fondation Hergé portant la même adresse que celle de l’Opposante.

 

Il allègue que le restaurant a changé de décor depuis les visites effectuées par les représentants de la Fondation Hergé en 1993. En effet en 2000 le restaurant s'est agrandi suite à  la prise de possession d'espaces adjacents devenus vacants et ainsi le restaurant a presque doublé sa superficie. On y a aménagé un salon. Il ne reste que quelques pièces décoratives achetées personnellement par l'affiant de la Fondation Hergé ou de ses licenciés. Parmi ces objets achetés il y a une fusée et un ensemble d'assiettes décoratives. Il a produit la preuve d'achat de ces objets. Il s'agit d'objets assez couteux. Il a produit des photographies d'autres objets mis en évidence et tirés de personnages de bandes dessinées belges autres que Tintin telles que Spirou et Astérix.

 

Il allègue qu'aucun client qui a fréquenté le restaurant ne lui a demandé s'il existait un lien quelconque entre la Requérante et l'Opposante ou la Fondation Hergé. Il allègue que le restaurant tente de mettre en valeur la culture belge par la présence du drapeau belge, le menu, les bières et certains éléments décoratifs tirés de bandes dessinées belges incluant Tintin.

La Marque apparait sur les verres à vin, des cartes d'affaires, boites d'allumettes et épinglettes. Entre 1994 et 2004 la Requérante a dépensé plus de $70,000 pour la promotion de son commerce sous la Marque.

Il a produit des extraits du site web exploité par la Requérante l’on y retrouve le menu de la table d'hôte du soir offert en décembre 2005. Il explique que la page frontispice du menu n'est pas la page couverture de l'album «Coke en Stock», comme le prétend l'Opposante, mais plutôt la représentation intégrale d'une peinture de Godin dans laquelle est reproduite cette page couverture comme l'un des éléments de cette toile.

Il allègue que la Marque est devenue connue au Canada comme identifiant des services de restauration fournis par la Requérante et ce depuis 1992 à la connaissance de la Fondation Hergé. Toutefois nous n'avons aucun chiffre d'affaires et il semble que la Requérante n'exploite qu'un seul établissement sous la Marque et ce à Montréal. Il termine son affidavit en alléguant qu'à sa connaissance l'Opposante n'œuvre pas dans le domaine de la restauration tant au Canada qu'en Belgique.

V Preuve de l’Opposante en réponse

Mme Dethinne-Delplanche est à l'emploi de l'Opposante à titre de juriste d'entreprise. Elle explique que Fondation Hergé est une société qui s'occupe de l'organisation d'expositions dédiées à Hergé et que cette société n'a aucun droit d'accorder des autorisations pour exploiter les personnages créés par Hergé. C'est l'Opposante qui détiendrait ces droits.

 

Elle allègue que la Requérante a déposé sa demande d'enregistrement après avoir reçu une mise en demeure de cesser d'utiliser la Marque. C'est donc faussement que M. Lehousse aurait déclaré dans son affidavit qu'il ne connaissait pas les distinctions entre la Fondation Hergé et l’Opposante.

 

La Requérante s’est objectée à cette portion de la preuve à titre de réponse à l’affidavit de M. Lehousse en alléguant que cette pratique était contraire au principe qu’une partie ne peut scinder sa preuve (« split its case »). Je me réfère à ce sujet aux conclusions de M. le juge Pelletier dans Halford c. Seed Hawk Inc. (2003), 24 C.P.R. (4th) 220:

15     Consequently, I believe that the following principles govern the admissibility of reply evidence:

1 -- Evidence which is simply confirmatory of evidence already before the court is not be allowed.

2 -- Evidence which is directed to a matter raised for the first time in cross examination and which ought to have been part of the plaintiff's case in chief is not be allowed. Any other new matter relevant to a matter in issue, and not simply for the purpose of contradicting a defence witness, may be allowed.

3 -- Evidence which is simply a rebuttal of evidence led as part of the defence case and which could have been led in chief is not be admitted.

Cette partie de la preuve ne constitue pas une preuve en réplique au sens de la règle 43 du Règlement sur les marques de commerce 1996 en vigueur au moment de la production de cet affidavit. En effet, l'Opposante avait clairement indiqué dans sa déclaration d'opposition que c'est faussement que la Requérante a déclaré avoir droit d'employer la Marque au Canada car elle ne pouvait ignorer que la Marque réfère aux aventures de Tintin dont les droits exclusifs sont détenus par l'Opposante. La portion de la preuve concernant l'envoi d'une mise en demeure avant la production de la demande d'enregistrement aurait dû être produite à titre de preuve principale pour supporter son deuxième motif d'opposition. Ainsi je ne considérerai pas le contenu du paragraphe 9 de son affidavit pour les fins de ma décision. Finalement, le contenu des paragraphes 7 et 8 de son affidavit (concernant les activités de M. Godin et de Mme Chang) constitue une preuve par ouï-dire. (Je tiens à souligner que Mme Dethine-Delplanche réfère à M. Godin alors que M. Lehousse l’identifie sous le nom de Goddin et le peintre sous le nom de Godin. Il semble selon les pièces produites par M. Lehousse que l’épellation utilisée par ce dernier est exacte.)

Si j’étais dans l’erreur concernant l’admissibilité du paragraphe 9 de l’affidavit de Mme Delthinne-Delplanche, la lettre de mise en demeure n’a pas été produite. La déposante n’allègue pas être l’auteure de la lettre. Son contenu serait donc une preuve par ouï-dire  d’autant plus que sans sa production il m’est impossible de déterminer quels étaient les droits revendiqués par l’Opposante.

VI Le fardeau de preuve et les dates pertinentes

C'est à  la Requérante qu'il incombe de démontrer que la demande d'enregistrement est conforme à la Loi, mais l'Opposante a le fardeau initial d'établir les faits supportant chacun de ses motifs d'opposition. Si l'Opposante s'acquitte de cette charge, il revient alors à  la Requérante de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les motifs d'opposition invoqués n'empêchent pas l'enregistrement de la Marque [voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd et al c. Seagram Real Estate Ltd (1984), 3 C.P.R. (3d) 325, p. 329-330, John Labatt Ltd c. Molson Companies Ltd (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 et Wrangler Apparel Corp. c. The Timberland Company, 2005 CF 722].

La date pertinente à laquelle doit se faire l'examen de chacun des motifs d'opposition varie selon le motif plaidé. Ainsi pour:

  Défaut de conformité à l'une des dispositions de l'article 30 de la Loi : la date de production de la demande d'enregistrement (15 avril 2003) [voir Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd (1984) 3 C.P.R.(3d) 469 et John Labatt Ltd c. Molson Companies Ltd.(1990), 30 C.P.R.(3d) 293];

  Le droit à l’enregistrement de la Marque lorsque la demande est fondée sur un emploi antérieur: la date de premier emploi de la Marque identifiée dans la demande (le 5 septembre 1992 pour les services (1), le 31 décembre 1992 pour les services (2) et le 31 juillet 2000 pour les services (3)) [article 16(1) de la Loi];

  Le caractère distinctif de la Marque : il est généralement reconnu que c'est la date de production de la déclaration d'opposition (le 29 juin 2004) [voir E. & J Gallo Winery c. Andres Wines Ltd. (1975), 25 C.P.R. (2d) 126, p. 130; et Metro-Goldwyn-Mayer Inc c. Stargate Connections Inc., 2004 CF 1185].

VII Remarques préliminaires

Je n'ai aucun doute dans mon esprit que le personnage Tintin et les bandes dessinées portant le même nom sont très connues, à tout le moins, au Québec. Toutefois il ne s'agit pas de la marque dont fait l'objet la présente demande d'enregistrement mais bien LE PETIT MOULINSART et Dessin.

Il est clair que l'Opposante tente de bénéficier de la notoriété associée au personnage de Tintin et la transporter sur le mot «Moulinsart ». La preuve de cette association est-elle au dossier? Si oui, l’Opposante peut-elle bénéficier de la notoriété de ce personnage dans le cadre de la présente opposition? Les articles7(b) et (d) de la Loi peuvent-ils servir de fondement juridique à des motifs d'opposition distincts et si tel est le cas quel est le fardeau de preuve que doit rencontrer l'Opposante dans chacun de ces cas? Y-a-t-il eu preuve de l'emploi antérieur du nom commercial Moulinsart S.A. au Canada? Ce sont toutes des questions que soulèvent le présent dossier.

 

VIII Motif d'opposition fondé sur l’article 16(1)(c) de la Loi

L'Opposante a le fardeau de prouver qu'elle employait au Canada son nom commercial avant les dates de premier emploi alléguées par la Requérante dans sa demande d'enregistrement et qu'elle n'avait pas abandonné cet usage à la date de l'annonce de la présente demande d'enregistrement [article 16(5) de la Loi].

Or la preuve d'emploi du nom commercial Moulinsart S.A. se limite à la production de factures (pièce P-3 à l'affidavit de M. Vangeneberg) pour la vente d'objets dérivés de l'univers des albums de Tintin à des entreprises sises au Canada, la plus ancienne remontant au mois de mars 2002 et la plus récente en juillet 2004. Aucune de ces factures n'est antérieure aux dates de premier emploi revendiquées par la Requérante dans sa demande d’enregistrement. De plus les factures ont été émises en Belgique; alors il est loin d'être certain qu'elles puissent servir de preuve d'emploi du nom commercial de l'Opposante au Canada.

Dans son plaidoyer écrit l'Opposante se réfère également aux pièces suivantes :

  Photos d'un panneau publicitaire portant la mention © Hergé/Moulinsart (pièce FB-1)

  Articles de revues canadiennes faisant référence à l'Opposante (pièce SH-4)

Or la seule photo où l'on peut voir distinctement « © Hergé/Moulinsart » comporte également la mention «2005». D'ailleurs l'affidavit de M. Beaulieu porte la date du 4 avril 2005. Ainsi cette pièce, même en présumant qu'il s'agit d'une preuve d'emploi du nom commercial Moulinsart S.A. au Canada, ne peut servir à démontrer l'emploi de ce nom commercial avant les dates revendiquées dans la demande d'enregistrement de la Requérante. Quant à la présence du mot Moulinsart dans des articles de journaux canadiens, ceci ne peut constituer en soi l'emploi au Canada du nom commercial de l'Opposante au sens de l'article 16(1) (c) de la Loi [voir William Compagnies Inc. c. William Tel Ltd. (2000), 4 C.P.R. (4th) 253]. Le fait que ce nom commercial soit connu ou révélé au Canada n'est pas suffisant pour soutenir ce motif d'opposition. L’article 16(1)(c) de la Loi ne fait référence qu’à l’emploi antérieur d’un nom commercial au Canada alors que dans le cas d’une marque de commerce, l’article 16(1)(a) fait référence au fait qu’elle ait été révélée au Canada.

Dans ces circonstances je rejette le troisième motif d'opposition car l'Opposante ne s'est pas déchargée de son fardeau initial de preuve.

IX Les articles 7(b) et (d) de la Loi

La Requérante s'est objectée au libellé des motifs d'opposition quatre (4) et cinq (5) en prétextant qu'ils étaient vagues et ambigus. Or la preuve versée au dossier par l’Opposante et ci-haut décrite apporte les précisions nécessaires pour permettre à la Requérante de savoir exactement ce à quoi elle faisait face [voir AstraZeneca op. cit.].

Les articles 7(b) et (d) de la Loi ont maintes fois servi de fondement juridique à des recours judiciaires devant les tribunaux civils, de droit commun et la Cour fédérale du Canada. La constitutionnalité de ces articles a également été remise en question mais ils ont survécu à ces attaques. Il reste à déterminer s’ils peuvent constituer le fondement juridique à des motifs d'opposition valides. Le registraire a eu à se prononcer à quelques reprises sur cette question [voir Bojangles International LLC c. Bojangles Cafe Ltd (2004), 40 C.P.R. (4th) 553 et Institut National des Appellations d'origine c. Pepperridge Farm Inc. (1997), 84 C.P.R. (3d) 540]. Toutefois dans ces cas la référence à l'article 7(b) de la Loi était liée au motif d'opposition fondé sur l'article 30(i) de la Loi à savoir que la Requérante ne pouvait déclarer être convaincue d'avoir droit d'employer la marque de commerce car elle contrevenait aux dispositions de l'article 7(b) de la Loi. Or ce lien entre les articles 30(i) et 7(b) ou (d) de la Loi n'est pas allégué aux motifs d’opposition quatre (4) ou cinq (5) de la présente déclaration d'opposition.

Le registraire, en matière d'opposition à l'enregistrement d'une marque de commerce, a une juridiction qui se limite à analyser les motifs d'opposition énumérés à l'article 38(2) de la Loi. Les quatrième et cinquième motifs d'opposition tels que ci-haut reproduits et fondés uniquement sur les articles 7(b) et (d) de la Loi ne constituent pas des motifs d'opposition au sens de l'article 38(2) de la Loi.

Dans les circonstances, je rejette les motifs d'opposition quatre (4) et cinq (5). Toutefois l'Opposante a rattaché les articles 7(b) et (d) à son motif d'opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif de la Marque. Sans pour autant conclure catégoriquement que ces articles de la Loi peuvent être rattachés à l’absence de caractère distinctif de la Marque pour former un motif d’opposition valide, j’analyserai la preuve au dossier pour déterminer si l’Opposante a rencontré son fardeau de preuve à l'égard de ces articles de la Loi. J'ajouterai que si j'étais dans l'erreur en concluant que les articles 7(b) et (d) de la Loi ne peuvent constituer en soi des motifs d'Opposition, le résultat de mon analyse du fardeau initial de preuve de l'Opposante, concernant ces deux articles de la Loi dans le contexte du motif d'opposition basé sur l'absence de caractère distinctif, serait également applicable aux motifs d'opposition quatre (4) et cinq (5) ci-haut décrits.

 

XI Le caractère distinctif de la Marque

Le caractère distinctif de la Marque s'apprécie à la date de production de la déclaration d'opposition (le 29 juin 2004). Or je n'ai aucune preuve d'emploi au Canada du nom commercial de l'Opposante avant cette date. À ce sujet je réfère à l'analyse faite dans le cadre du motif d'opposition fondé sur l'article 16(1) de la Loi. Donc ce motif d'opposition ne peut être fondé sur lemploi au Canada du nom commercial de l’Opposante tel que libellé par l’Opposante dans la première partie de son sixième motif d’opposition.

Toutefois un motif d'opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif d'une marque de commerce a été maintes fois retenu en présence d'une preuve que le nom commercial ou la marque d’une opposante était connu au Canada à la date pertinente.

 

Il existe une distinction entre l'emploi d’un nom commercial au sens de la Loi et le fait qu'un nom soit connu au Canada. L'absence d'emploi d'un nom commercial n'exclut pas la possibilité que ce nom soit connu des Canadiens. À ce sujet je réfère Motel 6 Inc. v. No. 6 Motel Ltd où M. le juge Addy déclara :

A trade mark can neither distinguish nor be adapted to distinguish the services of a person if another person has used the mark in a foreign country and it has become known in Canada as the latter's mark in respect of similar services. On the issue of lack of distinctiveness of a mark, although it must be shown that rival or opposing mark must be known to some extent at least, it is not necessary to show that it is well known or that it has been made known solely by the restricted means provided for in s. 5, supra~ It is sufficient to establish that the other mark has become known sufficiently to negate the distinctiveness of the mark under attack. The attack based on non-distinctiveness is not restricted to actual performance of services in Canada as in the case of a claim of prior use pursuant to s. 4. It also may be founded on evidence of knowledge or reputation of the opposing mark spread by means of word of mouth and evidence of reputation and public acclaim and knowledge by means of newspaper or magazine articles as opposed to advertising. All relevant evidence may be considered which tends to establish non-distinctiveness.

                                          ,                                                                                             '

Même si ce passage réfère à une marque de commerce, je considère que le même raisonnement s'applique à un nom commercial. Il s’agit donc de déterminer si le nom commercial « Moulinsart Inc. » était connu au Canada à la date de production de la déclaration d’opposition (29 juin 2004).

Mme Hétu s'est servie de deux banques de données qu'elle emploie régulièrement soit Eureka et Infomart pour produire des extraits d'articles de journaux. Reste à savoir si je peux admettre cette preuve.

Le registraire accepte en preuve des extraits de la base de données sur les marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada. Dans ce cas il s’agit d’une base officielle de données émanant d’une organisation gouvernementale reconnue. Il est toujours loisible à la partie adverse de contester l’exactitude des informations contenues dans les extraits produits.

Mme Hétu a produit des notes explicatives sur les banques de données qu'elle a consultées [voir pièces SH-l et SH-2]. La Requérante n'a aucunement contesté la fiabilité de ces deux banques de données. Elle a plutôt fondé son objection sur la règle de la meilleure preuve. De plus les recherches de Mme Hétu se sont limitées aux publications canadiennes. Plusieurs des articles produits proviennent de publications connues au Québec soit La Presse, Le Devoir, Le Soleil, L'Actualité et dans la région de la capitale nationale pour ce qui est du quotidien Le Droit.

Finalement les tribunaux ont déjà référé dans leurs décisions à de l'information obtenue par l’Internet [voir Build-A-Vest Structures Inc c. Red Deer (City), (2006), 29 M.P.L.R. (4e) 210, Gauvin c. Vallée, QCCS 3363 et Gillet c. Arthur (2005), R.R.A. 1161]. Je me réfère également à la décision de ITV Technologies, Inc. c. WIC Television Ltd. (2003), 29 C.P.R. (4th) 182 (C.F.P.I.) où Mme la Juge Tremblay-Lamer déclara :

In my opinion, official web sites of well-known organizations can provide reliable information that would be admissible as evidence, the same way the Court can rely on Carswell or C.C.C. for the publication of Court decisions without asking for a certified copy of what is published by the editor. For example, it is evident that the official web site of the Supreme Court of Canada will provide an accurate version of the decisions of the Court.

Je ne vois pas comment cette décision ne pourrait s'appliquer à un répertoire électronique d'articles publiés dans des quotidiens ou revues connus au Canada, à moins que la partie adverse conteste la véracité du contenu produit en preuve.

J'ai revu en détails le contenu de la volumineuse preuve produite par Mme Hétu et j'en tire les conclusions qui suivent. Je constate que le texte intégral de tous ces articles n’est pas annexé (sauf pour cinq articles, la pièce SH-5) mais plutôt un extrait, une ligne ou deux, où le mot recherché y apparait. Il est donc impossible de tirer des conclusions sur le contexte de ces articles.

Les extraits d'articles où le mot « Tintin » y apparait ont été regroupés sous la pièce SH-3. J'ai déjà indiqué que j'acceptais le fait que le personnage Tintin soit connu au Québec. Or il s’agit de déterminer si le nom commercial Moulinsart S.A. était connu au Canada en date du 29 juin 2004.

La pièce SH-4 me semble la plus pertinente car il s'agit d'articles où nous retrouvons dans le même extrait les mots « Moulinsart » et « Tintin ». Ces extraits peuvent servir à démontrer à la fois que le nom commercial Moulinsart S.A. était connu au Canada et qu'il existe une association chez le consommateur canadien entre Moulinsart S.A. et Tintin. Je dois toutefois exclure de cette preuve les articles où le mot « Moulinsart » sert à désigner un château et non le nom commercial de l’Opposante car le motif d’opposition tel qu’allégué fait référence à un nom commercial.

Plusieurs des extraits font référence à une entité du nom de Éditions Moulinsart. Je n'ai aucune preuve que Éditions Moulinsart et Moulinsart S.A. désignent la même entité juridique. Je ne peux présumer ce fait d'autant plus, tel qu'il appert de mon résumé de la preuve, qu'il semble exister plusieurs sociétés qui gravitent autour de l'univers de Tintin (Fondation Hergé, Éditions Casterman S.A. et Éditions Flamarion). Serait-ce une autre entité qui détiendrait des droits quelconques? Cette ambigüité doit être résolue au bénéfice de la Requérante car nous sommes à examiner si l'Opposante a rencontré son fardeau initial de preuve.

En éliminant les extraits d'articles comportant les caractéristiques ci-haut mentionnées il ne reste que trente-cinq (35) extraits. Or il est intéressant de constater que dix-neuf (19) d'entre-eux font référence au PETIT MOULINSART, soit l'établissement exploité par la Requérante, et que nous retrouvons l'association entre l'Opposante et Tintin, que dans seize (16) de ces extraits et ce sur une période entre 1992 et 2005.

Je considère que cette preuve est nettement insuffisante pour me permettre de conclure, sur la base de la prépondérance des probabilités, que le nom commercial Moulinsart S.A. était suffisamment connu du consommateur canadien de telle sorte que la Marque ne possédait pas, à la date pertinente, un caractère distinctif. Je dois donc rejeter le motif d'opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif de la Marque en raison de la confusion qu'elle crée avec le nom commercial de l’Opposante.

Même si la preuve d’une association entre le nom commercial Moulinsart S.A. et Tintin n'était pas nécessaire pour les fins de la première partie du sixième motif d'opposition (confusion avec le nom commercial Moulinsart S.A.) il est clair de la preuve au dossier que le nom commercial Moulinsart S.A. ne peut bénéficier de la renommée de Tintin car la preuve de cette association (seize (16) articles de journaux sur une période de plus de douze (12) ans) est nettement insuffisante. Par conséquent le nom commercial Moulinsart S.A. ne pourrait bénéficier d'une protection qui irait au-delà de ses activités commerciales [voir Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc. (2006), 49 C.P.R. (4th) 321]. Ainsi la différence entre la nature des services des parties en présence (albums de bandes dessinées et services de restauration et de bar) ainsi que l'absence de confusion malgré une cohabitation de plus de seize (16) seraient suffisantes pour conclure, sur la base de la prépondérance des probabilités, qu'il n'y a pas de probabilité de confusion entre la Marque employée en liaison avec les Services et les activités commerciales de l'Opposante.

Il est clair qu'en se référant aux articles 7 (b) et (d) de la Loi dans la seconde partie de son motif d'opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif de la Marque, l'Opposante tente de bénéficier de la renommée de Tintin au Canada. Toutefois pour bénéficier de cette renommée, l'Opposante doit non seulement démontrer que le nom commercial Moulinsart S.A. est connu du consommateur canadien moyen mais également prouver qu'il existe chez ce consommateur une association entre ce nom et les aventures de Tintin. La preuve à ce sujet, déjà discutée ci-haut, est nettement insuffisante. Quant à l’allégation de M. Vangeneberg, un belge, sur ce point je suis loin d'être convaincu que ce dernier a l'expertise pour conclure qu'une telle association existe dans l'esprit du consommateur canadien.

 

Sans me prononcer sur la validité d’un motif d’opposition qui consiste à combiner les articles 7(b) et (d) à l’absence de caractère distinctif de la Marque, il serait retenu que si l’Opposante prouve, à tout le moins, l’existence des critères énoncés par la jurisprudence sous l’article 7(b). Sans cette preuve l’Opposante ne pourrait avoir gain de cause sous ce motif d’opposition car elle ne se serait pas déchargée de son fardeau initial de preuve. Au risque de me répéter l’analyse qui suit ne doit pas être interprétée comme un acquiescement implicite à la validité d’un tel motif d’opposition.

 

Il est reconnu que l'article 7(b) de la Loi est une codification du recours en «passing-off» de droit commun ou droit civil. Ainsi dans BMW Canada Inc. c. Nissan Canada Inc. (2007), 60 C.P.R. (4th) 181 (C.F.A.) le juge en chef Richard déclara:

L'alinéa 7b) de la Loi prévoit que nul ne peut appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion, lorsqu'il commence l'activité en cause, avec ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre. Comme la Cour l'a déclaré dans l'arrêt Kirkbi AG v. Ritvik Holdings Inc. / Gestions Ritvik Inc. (2003), [2004] 2 F.C.R. 241, 2003 FCA 297 (F.C.A.), à la page 245, confirmé par [2005] 3 S.C.R. 302 (S.C.C.), l'alinéa 7b) est l'expression légale correspondant au délit de commercialisation trompeuse existant en common law à une exception près: pour se prévaloir de cet alinéa, un plaignant doit prouver qu'il possède une marque de commerce valide opposable, déposée ou non. (mes soulignements)   .

J’ai déjà conclu que l’Opposante n’était pas propriétaire d’une marque de commerce déposée MOULINSART pas plus qu’elle n’a fait la preuve de l’existence d’une marque de commerce non déposée. Dans les circonstances l'Opposante ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 7(b) de la Loi.

Toutefois si une opposante pouvait s'opposer à l'enregistrement d'une marque de commerce sur la base d’une combinaison des articles 7(b) et 2 (définition du caractère distinctif d’une marque de commerce) de la Loi non pas en se fondant sur une marque de commerce déposée ou non, mais sur un droit de propriété quelconque sur un nom fictif, il faudrait déterminer si les conditions d’application de l’article 7(b) de la Loi ont été mis en preuve. Or ces conditions sont les suivantes:

  l'existence d'un achalandage;

  le fait de tromper le public par une présentation erronée; et

  des dommages réels ou éventuels pour le plaignant.

[voir: Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 S.C.R. 120]

L'Opposante, de manière très habile, a tenté de transposer vers le mot «Moulinsart» l'achalandage dont bénéficie le nom « Tintin ». Or j’ai déjà conclu que la preuve produite était insuffisante pour me permettre de conclure que le consommateur canadien moyen associe Moulinsart à l’univers des aventures de Tintin. Le présent dossier constitue un exemple d'un cas où la preuve par sondage aurait pu grandement contribuer à soutenir les prétentions de l'Opposante. L'absence de preuve d'un lien entre «Moulinsart» et Tintin chez le consommateur moyen rend l'exercice intellectuel proposé par l'Opposante impossible à réaliser.

Sans la preuve de cette association il est impossible de conclure que le public est trompé par l'usage de la Marque. D'ailleurs M. Lehousse dans son affidavit mentionne que personne ne lui a demandé si l'Opposante pouvait avoir un intérêt dans son commerce. Certes l'Opposante n'a pas à prouver un cas de confusion mais l'absence de cas de confusion pendant une période d'emploi de la Marque aussi longue, soit depuis plus de seize (16) ans, en dit long à ce sujet [voir Mattel supra].

Finalement l'article 7(d) de la Loi se lit comme suit:

7. Nul ne peut:

(…)

d) utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à  tromper le public en ce qui regarde :

(i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,

(ii) soit leur origine géographique,

(iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d' exécution.

Je ne vois pas comment l’emploi par la Requérante de la Marque en liaison avec les Services tromperait le public sur les caractéristiques, qualité, quantité, composition, origine géographique ou le mode d'exécution des Services.

 

Je rejette donc également le sixième motif d'opposition dans sa totalité.

 

XIII Le second motif d'Opposition

Le libellé de ce motif laisse présumer que l'Opposante se fonde plus particulièrement sur les exigences de l’article 30(i) de la Loi. Or il n'y a aucune preuve que la Requérante a agi de mauvaise foi. D'ailleurs M. Lehousse explique qu'il a eu des contacts avec la Fondation Hergé dès l’ouverture de son restaurant; que des représentants de cette société ont visité son établissement et que cet endroit a même été le théâtre d'événements reliés à la promotion de l'œuvre de Hergé. De plus, pour avoir du succès sous ce motif d'opposition, l'Opposante devait prouver l'existence, dans l’esprit du consommateur canadien, d'un lien entre le mot «Moulinsart» et l'univers de Tintin. Pour les raisons élaborées précédemment cette preuve est déficiente.

 

Je rejette donc le deuxième motif d'opposition.

 

Je remarque que dans son plaidoyer écrit l’Opposante utilise la description suivante pour identifier un chapitre de son exposé :

La Requérante ne pouvait déclarer être convaincue, au moment du dépôt de sa demande, qu’elle avait le droit d’employer la marque de commerce LEPETIT MOYULINSART  & dessin en vertu de l’article 30(i) de la Loi en raison de la confusion qu’elle crée avec le nom commercial de l’Opposante et de la contravention aux dispositions des articles 7(b) et (d) de la Loi.

 

Il ne s’agit pas d’un motif d’opposition qui se retrouve dans la déclaration d’opposition. De plus la combinaison de l’article 30(i) avec les articles 7(b) et (d) n’a pas été soulevé dans la déclaration d’opposition.

 

XIV Conclusion

 

En raison des pouvoirs qui m'ont été délégués par le registraire des marques de commerce en vertu des dispositions de l'article 63(3) de la Loi, je rejette l'opposition de l'Opposante le tout en application des dispositions de l’article 38(8) de la Loi.

 

 

FAIT À BOUCHERVILLE (QUÉBEC), LE 8 DÉCEMBRE 2008,

 

 

 

 

Jean Carrière,

Membre de la commission des oppositions

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