Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT LES OPPOSITIONS de Alpa Wood Mouldings Inc. et de Central Lumber Limited aux demandes nos 1134448 et 1134460 produites par Craftmaster Manufacturing Inc. en vue de l’enregistrement des marques de commerce CLASSIQUE SERRANA et CLASSIQUE RODIA

 

Le 15 mars 2002, Craftmaster Manufacturing Inc. (la requérante) a produit des demandes en vue de l’enregistrement des marques de commerce CLASSIQUE SERRANA et CLASSIQUE RODIA (les marques), qu’elle se proposait d’employer au Canada en liaison avec des « matériaux de construction, nommément portes, revêtements de porte, cadres de porte et parements de porte; panneaux de fibres, panneaux composites et panneaux d’aggloméré de bois » (les marchandises).

 

Les demandes ont été publiées aux fins de la procédure d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 10 décembre 2003.

 

Le 10 février 2004, Alpa Wood Mouldings Inc. (l’opposante) a demandé une prorogation du délai pour produire une déclaration d’opposition à l’égard de chacune des demandes concernant les marques CLASSIQUE SERRANA et CLASSIQUE RODIA. Le 27 avril 2004, Alpa Wood Mouldings Inc. ainsi que sa société affiliée et licenciée, Central Lumber Limited, ont produit des déclarations d’opposition à chacune des demandes. Les motifs d’opposition exposés dans les deux déclarations sont les suivants :

 

  1. les marques ne sont pas enregistrables, compte tenu de l’alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), parce qu’elles créent de la confusion avec la marque de commerce CLASSIC, enregistrée au Canada par l’opposante sous le numéro 321504 en liaison avec des « portes »;

 

  1. la requérante n’a pas droit à l’enregistrement des marques, du fait que, comme le précise l’alinéa 16(3)a) de la Loi, à la date de production des demandes, les marques créaient de la confusion avec la marque de commerce CLASSIC, antérieurement employée et révélée au Canada par l’opposante et ses prédécesseurs en titre en liaison avec des portes et qui n’avait pas été abandonnée par l’opposante à la date de l’annonce des demandes de la requérante;

 

  1. les marques ne sont pas distinctives de la requérante au sens de l’article 2 de la Loi, parce qu’elles ne distinguent pas ni ne sont adaptées à distinguer les marchandises de la requérante de celles de l’opposante, étant donné que l’opposante et ses prédécesseurs en titre avaient antérieurement employé et fait connaître la marque de commerce CLASSIC en liaison avec des portes;

 

  1. les demandes d’enregistrement des marques ne satisfont pas aux exigences de l’alinéa 30i) de la Loi, puisque la requérante, qui connaissait l’existence de la marque de commerce CLASSIC de l’opposante et avait engagé sans succès une instance fondée sur l’article 45 en vue d’obtenir la radiation de l’enregistrement de cette marque de commerce, ne pouvait être convaincue qu’elle avait le droit d’employer les marques au Canada. 

 

La requérante a produit et signifié des contre-déclarations dans lesquelles elle nie tous les motifs d’opposition.

 

La preuve de l’opposante relativement à chacune des deux demandes comprend l’affidavit de Mark Di Poce et une copie certifiée conforme de la demande no 1072970 pour la marque de commerce CLASSIQUE. La preuve de la requérante dans l’un et l’autre cas comprend les affidavits de Julien Brazeau et de Lisa Parliament. Les parties n’ont procédé à aucun contre‑interrogatoire.

 

Seule l’opposante a produit des observations écrites. Ni l’une ni l’autre partie n’a sollicité la tenue d’une audience.

 

 

Résumé de la preuve de l’opposante

 

Mark Di Poce se désigne comme le directeur de la division Central Fairbank Lumber de l’entreprise Central Lumber Limited (sa société). Sa société, qui existe depuis 1912, est un important fournisseur de bois d’œuvre, contreplaqué, portes et moulures auprès des constructeurs, des entrepreneurs, des rénovateurs ainsi que du grand public. M. Di Poce indique que sa société est une filiale de l’opposante. Cette dernière est spécialisée dans la fourniture et l’installation de portes et moulures dans le marché de la construction de maisons neuves. 

 

M. Di Poce déclare que l’opposante a acquis la marque de commerce CLASSIC le 24 octobre 1995 des séquestres du propriétaire initial de l’enregistrement, Oakwood Lumber & Millwork Co. Limited. L’opposante a concédé à la société de M. Di Poce une licence qui lui permet d’employer la marque de commerce CLASSIC au Canada en liaison avec des portes, ce depuis que l’opposante a fait l’acquisition de cette marque de commerce. M. Di Poce assure que l’opposante conserve le contrôle direct de la nature et de la qualité des portes fabriquées et vendues par sa société sous la marque CLASSIC, et que l’opposante exerce ce contrôle en inspectant régulièrement les locaux de sa société ainsi que la qualité des portes CLASSIC fabriquées et vendues par sa société. M. Di Poce a joint comme pièce A à son affidavit, une copie du contrat de licence intervenu entre l’opposante et sa société et qui énonce les modalités de la licence.

 

Différents modèles de portes CLASSIC sont fabriqués et vendus sous le nom de CLASSIC I, CLASSIC II, et ainsi de suite. Puisque ces portes sont destinées à un usage résidentiel, la marque de commerce CLASSIC n’y est pas imprimée ni inscrite en relief. M. Di Poce explique que les portes sont plutôt installées dans la salle d’exposition de sa société et présentées au moyen d’une affiche qui arbore la marque de commerce CLASSIC et le numéro du modèle, comme on peut le voir sur les copies de photographies produites comme pièce B de son affidavit. Les consommateurs qui désirent acheter des portes de sa société font connaître leur choix en précisant la marque et le numéro du modèle de leur choix. M. Di Poce indique que sa société a commencé à exposer et à vendre les portes en suivant cette méthode peu de temps après que l’opposante eut acquis la marque de commerce CLASSIC, en octobre 1995, et qu’elle continue à ce jour de le faire.

 

M. Di Poce affirme qu’au cours de chacune des cinq années comprises entre 1999 et 2003, sa société a vendu quelque 200 portes de marque CLASSIC. Il a annexé, comme pièce C de son affidavit, des échantillons de factures démontrant la vente de portes CLASSIC par sa société durant cette période. Les factures font état de portes CLASSIC ou les désignent au moyen des abréviations CLS ou CLSC.

 

M. Di Poce explique en outre que, l’opposante ayant acquis la marque de commerce CLASSIC par suite d’une mise sous séquestre, elle ne dispose que d’une preuve limitée de l’emploi de la marque avant octobre 1995. Il joint toutefois à son affidavit la pièce D, une liste de prix établie par le prédécesseur en titre de l’opposante en date du 3 janvier 1995. Cette liste de prix concerne les portes CLASSIC et se trouvait dans les pièces commerciales de l’opposante. 

 

M. Di Poce a aussi produit comme pièce E de son affidavit, copie d’une attestation d’authenticité du Bureau des marques de commerce intitulée : [traduction] « […] extrait du dossier no 557 281 concernant une demande en vue de l’enregistrement de la marque de commerce CLASSIC, qui a donné lieu à l’enregistrement no 321 504 le 5 décembre 1986 : Lettre de Sim & McBurney en date du 14 juin 1993 et pièces jointes ». L’extrait comprend un affidavit souscrit le 11 juin 1993 par un certain Wayne Vaters, dans lequel celui-ci se décrit comme le directeur du crédit du prédécesseur en titre de l’opposante, Oakwood Lumber Millwork Co. Ltd. Cet affidavit a été présenté pour étayer la défense du prédécesseur dans le cadre d’une instance en radiation aux termes de l’article 45 introduite le 15 décembre 1992 contre l’enregistrement de la marque de commerce CLASSIC. M. Vaters y déclare que la marque CLASSIC a été employée sans interruption au moins depuis octobre 1985 jusqu’à la date de son affidavit. L’emploi allégué est corroboré par des catalogues de produits, des étiquettes, des factures ainsi que du matériel promotionnel qui remontent, selon le cas, à 1990, 1991, 1992 et 1993. 

 

L’opposante a aussi produit une copie certifiée conforme de la demande connexe pendante no 1072970 présentée par la requérante relativement à la marque de commerce CLASSIQUE.

 

Je traiterai de la pertinence et de l’admissibilité de la preuve de l’opposante plus loin dans ma décision.

 

Résumé de la preuve de la requérante

 

Julien Brazeau atteste être un étudiant en droit qui travaille durant les mois d’été au cabinet d’avocats qui représente la requérante dans la présente instance d’opposition.

 

M. Brazeau déclare qu’il a effectué des recherches en ligne dans la banque de données sur les marques de commerce; en entrant les mots SERRANA et RODIA dans le champ de recherche « Repérage de MC », les seuls résultats obtenus ont été les demandes d’enregistrement de la requérante qui sont contestées dans la présente instance. 

 

Lisa Parliament indique être une associée au sein du même cabinet d’avocats. Au paragraphe 2 de son affidavit, Me Parliament rend compte des faits suivants :

 

[traduction]

Julie Beeton, une autre associée du cabinet McMillan Binch Mendelsohn s.r.l., qui se trouve actuellement à l’étranger, m’a informée que le lundi 16 juin 2003, elle s’est personnellement rendue aux établissements de Central Fairbank Lumber, sis au 2296, rue Gerrard Est et au 1900, avenue Steeles Ouest, afin d’y observer certains produits en montre. Me Beeton m’a aussi informée de ce qui suit :

 

a)      Dans les locaux de la rue Gerrard, environ 10 portes étaient exposées, et Me Beeton a vérifié auprès d’un employé qu’il s’agissait bien des seuls modèles en montre. Aucun d’entre eux n’était désigné comme une porte « Classic ».

b)      (…)

c)      Parmi les portes exposées se trouvait la porte « Classique » fabriquée par Premdor et conçue par Craftmaster.

d)      Le local de l’avenue Steeles comportait deux aires d’exposition. La plus grande comptait environ 20 portes. La porte « CLASSIC II » était étiquetée comme telle et exposée visiblement au premier plan de l’aire d’exposition. 

e)      Parmi les autres portes, on trouvait notamment la porte « CLASSIQUE » fabriquée par Premdor et conçue par Craftmaster.

f)        L’autre aire d’exposition présentait environ 25 portes, dont 3 étaient placées bien en vue sur le mur. À côté de chacune de ces 3 portes, un écriteau indiquait que la porte était offerte dans le modèle « Colonial » ou dans le modèle « Classique ».

g)      (…)

 

Comme pièce A de son affidavit, Me Parliament dépose des copies des [traduction] « documents publicitaires et promotionnels obtenus par Me Beeton relativement aux portes fabriquées par Premidor [sic], Royal Door LTD. et Madawaska Doors Inc. ».

 

Comme pour la preuve de l’opposante, je traiterai de la pertinence et de l’admissibilité de la preuve de la requérante plus loin dans la décision.

 

Fardeau de la preuve et dates pertinentes

 

Il incombe à la requérante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que ses demandes satisfont aux exigences de la Loi. Cependant, l’opposante a le fardeau initial de présenter une preuve admissible à partir de laquelle on puisse raisonnablement conclure à l’existence des faits allégués au soutien de chaque motif d’opposition [voir John Labatt Ltée c. Les Compagnies Molson Ltée (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.); Dion Neckwear Ltd. c. Christian Dior, S.A. et al. (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.)].

 

Les dates pertinentes pour l’examen des circonstances afférentes à chacun des motifs d’opposition soulevés en l’espèce sont respectivement les suivantes :

 

  • motif fondé sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi : la date de ma décision [voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.)];
  • motif fondé sur l’alinéa 16(3)a) de la Loi : la date de production des demandes;
  • motif fondé sur l’absence de caractère distinctif des marques : il est généralement reconnu que la date applicable est celle de la production des déclarations d’opposition [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc. c. Stargate Connections Inc. (2004), 34 C.P.R. (4th) 317 (C.F.)];
  • motif fondé sur l’alinéa 30i) de la Loi : la date de production des demandes [voir Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 469 (C.O.M.C.)].

 

J’analyserai maintenant tour à tour chacun des motifs d’opposition au regard de la preuve au dossier.

 

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d)

 

L’opposante n’a pas produit une copie certifiée conforme de l’enregistrement no  321504 concernant la marque de commerce CLASSIC. Dans ses observations écrites, elle a demandé que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de consulter le Registre et de vérifier les données de l’enregistrement, ce que j’ai fait. En conséquence, l’opposante a satisfait à son fardeau initial par rapport à ce premier motif d’opposition.

 

Compte tenu de cette preuve de l’opposante, la requérante doit démontrer suivant la prépondérance des probabilités qu’il n’existe pas de risque de confusion entre les marques en cause et celle de l’opposante.

 

Le critère applicable pour apprécier la question de la confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. Le paragraphe 6(2) de la Loi prévoit que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

 

En appliquant le critère relatif à la confusion, le registraire doit tenir compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi, à savoir : a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Cette liste n’est pas exhaustive, et un poids différent sera attribué à différents facteurs en fonction du contexte [voir Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc. (2006), 49 C.P.R. (4th) 321 (C.S.C.); Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée et al. (2006), 49 C.P.R. (4th) 401, [2006] 1 R.C.S. 824 (C.S.C.) pour un exposé détaillé sur les principes généraux régissant le critère relatif à la confusion].

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

 

Ainsi que le fait valoir l’opposante dans ses observations écrites, l’élément formé par les mots CLASSIC et CLASSIQUE, dans les marques en question, présente un certain caractère distinctif inhérent, mais il suggère néanmoins, jusqu’à un certain point, qu’il s’agit de produits de caractère traditionnel ou dont le modèle est accepté au regard du produit.

 

Les marques de la requérante contiennent en outre les éléments SERRANA et RODIA, qui semblent n’avoir aucune signification particulière en anglais ou en français, et qui leur confèrent dès lors un caractère distinctif inhérent un peu plus marqué que celui de la marque de l’opposante. Sans doute l’affidavit de M. Brazeau visait-il à démontrer le caractère distinctif inhérent de ces éléments. 

 

La force d’une marque de commerce peut s’accroître si la marque devient connue à la suite de sa promotion ou de son emploi.

 

Or, les demandes en cause sont fondées sur l’emploi proposé des marques. De plus, la requérante n’a fourni aucun élément de preuve fiable de l’emploi ou de la promotion subséquents, au Canada, des marques CLASSIC SERRANA et CLASSIC RODIA. La seule preuve à cet égard consiste en l’affidavit Parliament, lequel atteste vaguement de l’emploi de [traduction] « la porte CLASSIQUE fabriquée par Premdor et conçue par Craftmaster », probablement la requérante, et lequel, surtout, ne répond pas aux conditions de nécessité et de fiabilité requises pour permettre de passer outre à la règle du ouï-dire [voir Brasserie Labatt Ltée c. Brasseries Molson, Société en nom collectif (1996), 68 C.P.R. (3d) 216 (C.F. 1re inst.)].

 

En effet, il appert du passage cité ci-dessus que Me Parliament n’a pas elle-même visité les établissements commerciaux de la licenciée de l’opposante. Me Parliament rapporte plutôt ce que Me Beeton lui a relaté des constatations qu’elle, Me Beeton, a faites lorsqu’elle s’y est rendue. Comme le souligne l’opposante dans ses observations écrites, la requérante a disposé de sept mois pour préparer sa preuve aux termes de l’article 42 du Règlement, et aucune situation de nécessité ne justifie qu’elle fonde cette preuve sur le compte rendu que fait une avocate (Me Parliament) d’une conversation qu’elle a eue avec une autre avocate (Me Beeton) au sujet d’une visite effectuée par cette dernière à deux établissements situés dans la ville même où se trouvent le cabinet des avocats et de l’agent de la requérante. De plus, les renseignements sont peu fiables, puisque Me Beeton n’a pas été assermentée et qu’il n’existe aucun moyen de vérifier comment elle est arrivée aux conclusions énoncées par Me Parliament, ni comment ou de quelle manière Me Beeton a obtenu les documents annexés comme pièce A à l’affidavit de Me Parliament. 

 

Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus que l’affidavit Parliament est inadmissible.

 

En ce qui concerne la marque de l’opposante, celle-ci affirme que la marque de commerce CLASSIC est enregistrée et a été employée sur des portes par l’opposante et ses prédécesseurs depuis plus de vingt ans – au moins depuis octobre 1985 – bien avant, donc, toutes les dates pertinentes pour juger de la confusion en l’espèce.

 

Il ressort de l’affidavit de M. Di Poce que l’opposante, par l’intermédiaire de sa licenciée, a commencé à apposer la marque de commerce CLASSIC sur des portes peu après que l’opposante eut fait l’acquisition de la marque CLASSIC en octobre 1995. Comme il a été mentionné, une copie du contrat de licence et des copies de photographies et de factures dont la date varie entre 1999 et 2003, ont été produites pour étayer l’emploi allégué.

 

L’opposante a aussi déposé des éléments de preuve qui montrent l’emploi de la marque de commerce CLASSIC par son prédécesseur. L’affidavit Di Poce, rappelons-le, présente en preuve une liste de prix en date du 3 janvier 1995 utilisée par le prédécesseur ainsi qu’une copie certifiée conforme de l’affidavit d’un certain Wayne Vaters, qui porte la date du 11 juin 1993 et qui a été déposé pour soutenir la défense du prédécesseur dans le cadre d’une instance en radiation aux termes de l’article 45 introduite contre l’enregistrement de la marque de commerce CLASSIC. L’affidavit de M. Vaters, l’opposante le reconnaît, constitue du ouï-dire par rapport à M. Di Poce. L’opposante soutient néanmoins que cet affidavit satisfait aux conditions de nécessité et de fiabilité requises pour justifier une exemption à la règle du ouï-dire. 

Dans ses observations écrites, l’opposante affirme en effet qu’il lui est nécessaire de s’appuyer sur l’affidavit de M. Vaters pour prouver l’emploi de la marque de commerce CLASSIC par son prédécesseur, étant donné que l’opposante a acquis la marque CLASSIC et son enregistrement du séquestre de son prédécesseur. Or, celui-ci n’existe plus, et l’opposante ne dispose d’aucun moyen pour rejoindre l’ancienne société ou les personnes qui y ont travaillé. L’opposante ajoute que l’affidavit constitue une preuve fiable, en ce que le document produit consiste en une copie conforme, extraite des dossiers du Bureau des marques de commerce, d’un affidavit dûment assermenté souscrit pour servir de preuve devant le Bureau des marques de commerce.

 

J’hésite à conclure que cet affidavit antérieur répond aux conditions de nécessité et de fiabilité requises pour passer outre à la règle du ouï-dire. Aucun élément de preuve n’indique que l’opposante a tenté de retrouver le souscripteur de cet affidavit. Je ne suis pas convaincue, à la lecture de l’affidavit Di Poce, que l’opposante n’avait d’autre choix que d’adopter l’approche retenue.

 

Quoi qu’il en soit, indépendamment de ma conclusion quant à l’admissibilité de l’affidavit de M. Vaters, j’estime que l’opposante a démontré qu’elle emploie sa marque CLASSIC au moins depuis 1995. Vu ce qui précède, je conclus que la marque de l’opposante a acquis une certaine notoriété au Canada. La requérante n’ayant fourni aucune preuve d’emploi de l’une ou l’autre de ses marques de commerce CLASSIC SERRANA et CLASSIC RODIA, l’examen global du facteur énoncé à l’alinéa 6(5)a) favorise l’opposante.

 

            b) la période pendant laquelle chaque marque de commerce a été en usage

 

Pour les motifs énoncés ci-dessus, ce facteur favorise aussi l’opposante.

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce

 

Pour l’examen du genre de marchandises et de la nature du commerce, je dois comparer l’état déclaratif des marchandises de la requérante avec celui consigné dans l’enregistrement invoqué par l’opposante [voir Henkel Kommanditgesellschaft auf Aktien c. Super Dragon Import Export Inc. (1986), 12 C.P.R. (3d) 110 (C.A.F.); Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 3 (C.A.F.)]. Il importe cependant d’interpréter les états déclaratifs des marchandises en s’attachant à identifier le genre probable d’entreprise ou de commerce que les parties envisageaient plutôt qu’en tentant de découvrir tous les genres de commerce que pourrait englober le libellé des états déclaratifs. La preuve relative aux commerces que les parties exploitent dans les faits est utile à cet égard [voir McDonald’s Corp. c. Coffee Hut Stores Ltd. (1996), 68 C.P.R. (3d) 168 (C.A.F.); Procter & Gamble Inc. c. Hunter Packaging Ltd. (1999), 2 C.P.R. (4th) 266 (C.O.M.C); American Optional Corp. c. Alcon Pharmaceuticals Ltd. (2000), 5 C.P.R. (4th) 110 (C.O.M.C.)].

 

Les marques de commerce en cause dans la présente instance se rapportent aux mêmes marchandises, des « portes ». Les demandes contestées ont trait aussi à des marchandises étroitement liées aux portes, à savoir des « revêtements de porte, cadres de porte et parements de porte » ainsi que des « panneaux de fibres, panneaux composites et panneaux d’aggloméré de bois », matériaux qui, fait remarquer l’opposante, servent à fabriquer des portes. Je suis d’accord. Le fait que l’on puisse fabriquer des portes à partir de « panneaux de fibres, panneaux composites et panneaux d’aggloméré de bois » et le fait que la requérante se propose de fabriquer des portes avec ces matériaux trouvent appui dans la demande connexe pendante n1072970 présentée par la requérante pour la marque de commerce CLASSIQUE. Les marchandises comprises dans cette demande sont décrites comme suit : [traduction] « Portes moulées et parements de porte fabriqués de divers matériaux substrats, notamment panneaux de fibres durs, panneaux de particules, panneaux de fibres et panneaux composites, pour emploi dans la fabrication de portes conçues pour l’intérieur ».

 

L’affidavit Di Poce établit la manière dont les portes CLASSIC de l’opposante sont vendues et exposées dans les établissements de sa licenciée. M. Di Poce affirme aussi que sa société est un important fournisseur de bois d’œuvre, contreplaqué, portes et moulures auprès des constructeurs, des entrepreneurs, des rénovateurs ainsi que du grand public. On peut raisonnablement penser que les marchandises de la requérante et celles de l’opposante pourraient emprunter les mêmes circuits commerciaux. Par conséquent, les troisième et quatrième facteurs favorisent l’opposante.

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent

 

Ainsi qu’il a été mentionné, le critère applicable pour décider de la confusion est celui de la première impression. Comme l’explique le juge Deneault dans Pernod Ricard c. Brasseries Molson (1992), 44 C.P.R. (3d) 359 (C.F. 1re inst.), à la page 369, la première partie d’une marque de commerce est la plus pertinente pour les fins de la distinction :

Le critère de la confusion tient de la première impression. Les marques de commerce devraient être examinées dans l’optique du consommateur moyen qui a un souvenir non pas précis mais général de la marque précédente. En conséquence, les marques ne devraient pas être disséquées ni soumises à une analyse microscopique en vue d’apprécier leurs ressemblances et leurs différences. Au contraire, elles devraient être regardées globalement et évaluées selon leur effet sur l’ensemble des consommateurs moyens (Ultravite Laboratories Ltd. c. Whitehall Laboratories Ltd. (1965), 44 C.P.R. 189 aux p. 191‑192, 53 D.L.R. (2d) 1, [1965] R.C.S. 734; Oshawa Group Ltd. c. Creative Resources Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 29, à la p. 35, 46 N.R. 426 sub nomine Oshawa Group Ltd. c. Registraire des marques de commerce (C.A.F.); Cantine Torresella S.r.l. c. Carbo (1987), 16 C.P.R. (3d) 137, à la p. 146; 14 C.I.P.R. 234 (C.F. 1re inst.).

 

Bien qu’on ne doive pas disséquer les marques pour trancher la question de la confusion, on a jugé que la première partie d’une marque de commerce était la plus pertinente pour les fins de la distinction (Molson Companies Ltd. c. John Labatt Ltd. (1990), 28 C.P.R. (3d) 457, à la p. 461, 32 F.T.R. 152, 19 A.C.W.S. (3d) 1369 (C.F. 1re inst.); Conde Nast Publications Inc. c. Union des Éditions Modernes (1979), 46 C.P.R. (2d) 183, à la p. 188 (C.F. 1re inst.)). Je trouve les propos suivants du président Thorson dans l’arrêt British Drug Houses Ltd. v. Battle Pharmaceuticals (1944), 4 C.P.R. 48, aux pp. 57 et 58 [1944] 4 D.L.R. 577, [1944] Ex. C.R. 239 (C. de l’Éch.) particulièrement utiles pour expliquer la raison pour laquelle on devrait attirer l’attention sur la première partie de la marque de l’appelante en l’espèce :

 

[traduction] […] la Cour devrait plutôt chercher à se placer dans la position d’une personne qui ne possède qu’un souvenir général et non précis de la marque précédente et qui voit ensuite la marque récente seule; si cette personne est susceptible de penser que les marchandises sur lesquelles la marque récente est apposée sont produites par les mêmes personnes que les marchandises vendues sous la marque dont il n’a que le souvenir, la Cour peut à bon droit conclure que les marques sont semblables.

 

Les marques en cause sont formées de deux mots dont le premier est le mot CLASSIQUE rédigé en français, alors que la marque de l’opposante comporte le seul mot anglais CLASSIC.

 

Comme l’a décidé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Pierre Fabre Médicament c. SmithKline Beecham Corp., (2001) 11 C.P.R. (4th) 1, lorsque des marques en langues française et anglaise sont en cause, la perception des consommateurs francophones mérite tout autant d’attention que celle des consommateurs anglophones, et l’on conclura que les marques prêtent à confusion si l’un ou l’autre des deux groupes, consommateurs francophones ou consommateurs anglophones, est susceptible de trouver qu’elles prêtent à confusion. Il faut aussi examiner la perception qu’aurait un consommateur bilingue, dans les cas où un consommateur unilingue francophone ou anglophone pourrait ne pas être perplexe devant les marques.  

 

J’estime que les marques respectives des parties présentent un degré assez élevé de ressemblance. La première partie de chacune est presque identique. De fait, la signification des mots CLASSIQUE et CLASSIC est la même, ces mots étant des traductions directes l’un de l’autre, et leur prononciation diffère peu, surtout lorsqu’une personne francophone ou un anglophone unilingue prononce les deux marques.

 

Comme je l’ai souligné dans l’analyse du caractère distinctif inhérent des marques en cause dans la présente instance, l’ajout des éléments SERRANA et RODIA aux marques de la requérante en rehausse le caractère distinctif. Cela dit, je ne pense pas que ces ajouts suffisent, dans les circonstances, à distinguer les marques de la requérante de celle de l’opposante. 

 

Il est utile de rappeler les remarques formulées par le juge Cattanach dans la décision Conde Nast Publications Inc. c. Union des Éditions Modernes (1976), 46 C.P.R. (2d) 183 (C.F. 1re inst) :

 

Dans l’affaire J. B. Stone & Co., Ltd. c. Steelace Mfg Co. Ltd. (1929), 46 R.P.C. 406, le juge Lawrence dit à la page 418 que ce n’est pas une façon de répondre que de dire :

Oui, nous faisons l’emploi de votre marque de commerce, mais de telle façon qu’à notre avis il n’est pas susceptible d’y avoir tromperie ni préjudice pour votre commerce.


Et le lord juge ajoute :

J’estime qu’une telle réponse ne constitue pas une défense, contre une action instituée par le titulaire enregistré d’une marque de commerce dont se sert un concurrent relativement à ses propres marchandises, à quelque fin que ce soit.


À mon avis, c’est précisément ce qu’a fait l’intimée. Elle a utilisé la totalité de la marque de commerce de l’appelante et y a ajouté les mots « ÂGE TENDRE ». Il est évident que le premier mot ou la première syllabe d’une marque de commerce est celui ou celle qui sert le plus à établir son caractère distinctif. En l’espèce, le premier mot et l’élément le plus important de la marque dont l’intimée veut obtenir l’enregistrement est identique à la marque que l’appelante a fait enregistrer.


Si l’on craint que l’enregistrement d’une marque de commerce puisse créer la confusion entre elle et une marque plus ancienne, cette dernière doit tirer le bénéfice de ce doute. En l’instance, le doute doit servir à l’appelante.


L’affidavit de M. Di Poce établit que l’opposante vend différents modèles de portes sous la marque de commerce CLASSIC. Ces modèles, qui ont été désignés sous différents noms dans le passé, sont actuellement identifiés comme les modèles CLASSIC I, CLASSIC II, et ainsi de suite. Je suis d’accord avec l’opposante pour dire que, dans les circonstances particulières de la présente instance, les consommateurs qui connaissent l’existence de la série de modèles CLASSIC de l’opposante pourraient penser que des portes mises en marché sous le nom
CLASSIQUE SERRANA et CLASSIQUE RODIA sont de nouveaux modèles des portes CLASSIC vendues par l’opposante.

 

Autres circonstances de l’espèce

 

J’ai tranché, plus tôt dans les présents motifs, que l’affidavit de Me Parliament et les pièces qui l’accompagnent ne sont pas admissibles. Comme je dois rendre décision en fonction des éléments de preuve admissibles au dossier, et puisque aucune preuve admissible ne montre que le mot « CLASSIC » constitue un élément commun de marques de commerce employées en liaison avec différents types de fournitures dans le domaine de la construction, je conclus qu’aucune autre circonstance particulière pertinente en l’espèce n’a été mise en preuve.

 

À la lumière de ce qui précède, je conclus que la requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est improbable que survienne une confusion entre les marques examinées en l’instance. En conséquence, il est fait droit, à l’égard de chaque demande, au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d).

 

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(3)a)

 

L’opposante a aussi fait valoir que la requérante n’a pas droit à l’enregistrement parce que, aux termes de l’alinéa 16(3)a) de la Loi, les marques proposées créent de la confusion avec la marque de commerce CLASSIC, antérieurement employée et révélée au Canada par l’opposante et son prédécesseur en titre en liaison avec des portes et qui n’avait pas été abandonnée par l’opposante à la date de l’annonce des demandes de la requérante.

 

En ce qui concerne ce motif d’opposition, l’opposante a le fardeau initial de prouver qu’elle a employé sa marque de commerce avant que la requérante produise les demandes en cause et qu’elle n’avait pas abandonné sa marque à la date de l’annonce des demandes de la requérante [article 16]. Comme je l’ai indiqué, l’opposante s’est aussi acquittée de ce fardeau de preuve. La décision relative à ce motif d’opposition dépend donc de la question de la confusion entre les marques de la requérante et la marque de l’opposante en date du 15 mars 2002.

 

Puisque la différence dans les dates applicables à l’examen du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) et celui fondé sur l’alinéa 16(3)a) est sans incidence sur l’analyse à la suite de laquelle j’ai conclu qu’il existe une probabilité de confusion entre les marques des parties, il est aussi fait droit au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(3)a) relativement à chacune des demandes.

 

Motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif

 

Il est généralement reconnu, comme il a été mentionné, que la date pertinente pour l’examen de ce motif d’opposition, qui dépend lui aussi de la question de la confusion entre les marques de la requérante et celle de l’opposante, est la date de production des déclarations d’opposition.

 

L’opposante peut satisfaire à son fardeau initial relativement à l’absence de caractère distinctif des marques en cause en démontrant que sa propre marque de commerce avait acquis au Canada, à la date de production des déclarations d’opposition, une notoriété suffisante pour faire obstacle au caractère distinctif des marques de la requérante [voir Motel 6, Inc. c. No.6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44 (C.F.)].

 

Ayant conclu, d’après la preuve au dossier, que les marques CLASSIC SERRANA et CLASSIC RODIA créent de la confusion avec la marque de l’opposante, et considérant que la différence dans les dates pertinentes ne change en rien mon analyse, je fais droit, relativement à chacune des demandes, au motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif.

 

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i)

 

Comme j’ai déjà refusé les demandes pour trois motifs, il est inutile que j’examine ce motif d’opposition additionnel.

 

Décision

En vertu du pouvoir qui m’a été délégué par le registraire des marques de commerce aux termes du paragraphe 63(3) de la Loi, je refuse la demande no 1134448 pour l’enregistrement de la marque de commerce CLASSIC SERRANA ainsi que la demande no 1134460 pour l’enregistrement de la marque de commerce CLASSIC RODIA, conformément aux dispositions du paragraphe 38(8).

 

FAIT À Montréal (Québec), le 15 novembre 2007

 

 

Annie Robitaille

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 

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