Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION

 

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

                                                               THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2012 COMC 225

Date de la décision : 21-11-2012

 

 

DANS L’AFFAIRE DES OPPOSITIONS d’Imperial Tobacco Canada Ltée et de Marlboro Canada Ltée aux demandes no 1 298 547 et no 1 299 494 produites par Philip Morris Products S.A. en vue de l’enregistrement des dessins-marques ROOF

 

[1]               Le 20 avril 2006, Philip Morris Products S.A. (la Requérante) a produit une demande en vue de faire enregistrer le dessin-marque ROOF (reproduit ci-dessous) sur le fondement d’un emploi projeté au Canada en liaison avec les marchandises suivantes, d’après les dernières modifications apportées à l’état déclaratif :

ROOF DESIGN

(1) Tabac, brut ou manufacturé, y compris les cigares, les cigarettes, les cigarillos, le tabac pour rouler ses cigarettes, le tabac à pipe, le tabac à chiquer, le tabac à priser, les substituts de tabac (à usage autre que médical); articles pour fumeurs, nommément papier et tubes à cigarettes, filtres à cigarettes, boîtes à tabac, étuis à cigarettes et cendriers non faits de métaux précieux, de leurs alliages ni plaqués de métaux précieux ou de leurs alliages; pipes, appareils de poche pour rouler des cigarettes, briquets; allumettes (les Marchandises).

[2]               La Requérante fonde également sa demande sur l’emploi et l’enregistrement dudit dessin-marque en Suisse et revendique une date de priorité de production fondée sur la demande suisse no 53533/2006 produite le 19 avril 2006.

[3]               Le 27 avril 2006, la Requérante a produit une autre demande en vue de faire enregistrer le dessin-marque ROOF (reproduit ci-dessous) sur le fondement d’un emploi projeté au Canada en liaison avec les mêmes Marchandises, ainsi que sur l’emploi et l’enregistrement dudit dessin-marque en Suisse. La Requérante revendique, dans ce cas également, une date de priorité de production fondée sur une demande suisse, à savoir la demande no 2005 59322 produite le 14 novembre 2005.

ROOF DESIGN

[4]               Sauf indication contraire, le dessin-marque ROOF visé par la demande no 1 298 547 produite le 20 avril et le dessin-marque ROOF visé par la demande no 1 299 494 produite le 27 avril seront collectivement appelés les Marques.

[5]               Les demandes ont été annoncées aux fins d’opposition dans deux numéros distincts du Journal des marques de commerce, soit le numéro du 20 juin 2007 dans le cas de la demande no 1 298 547, et le numéro du 18 juillet 2007 dans le cas de la demande no 1 299 494.

[6]               Imperial Tobacco Canada Ltée et Marlboro Canada Ltée (collectivement appelées l’Opposante) ont produit une déclaration d’opposition à l’encontre de chacune des demandes; le 11 novembre 2007 dans le cas de la demande no 1 298 547, et le 17 décembre 2007 dans le cas de la demande no 1 299 494. L’Opposante a subséquemment modifié ces déclarations d’opposition avec l’autorisation du registraire, accordée le 25 novembre 2008. La Requérante a produit et signifié, relativement à chacune des déclarations d’opposition, une contre-déclaration dans laquelle elle nie les allégations de l’Opposante.

[7]               Comme preuve au titre du paragraphe 41(1) du Règlement sur les marques de commerce, DORS/96-195 (le Règlement), l’Opposante a produit, dans chacun des dossiers, les éléments de preuve suivants :

         l’affidavit d’Ed Ricard, chef de section, Recherche et information commerciales à la Division du marketing chez l’opposante Imperial Tobacco Canada Limited, souscrit le 27 octobre 2008;

         l’affidavit de Chuck Chakrapani, Ph.D., mentor de recherche et conseiller en matière de relations avec l’industrie à la Ted Rogers School of Management et agrégé supérieur de recherche au Centre for the Study of Commercial Activity, deux établissements rattachés à l’Université Ryerson de Toronto, ainsi que gestionnaire principal du savoir pour BehaviorWorx à Toronto et pour Blackstone Group à Chicago, souscrit le 24 octobre 2008;

         l’affidavit de Corinne Matte, une assistante à l’emploi du cabinet représentant l’Opposante, souscrit le 25 août 2008;

         une copie certifiée de l’enregistrement no TMDA55 988 de la marque de commerce MARLBORO;

         une copie certifiée de la décision rendue le 1er novembre 1985 par le juge Rouleau de la Cour fédérale du Canada (Section de première instance) dans le dossier T-3387-81 de la Cour fédérale;

         une copie certifiée de la décision rendue le 29 septembre 1987 par le juge MacGuigan de la Cour d’appel fédérale du Canada dans le dossier A-906-85 de la Cour d’appel fédérale.

[8]               M. Ricard et M. Chakrapani ont tous deux été contre-interrogés relativement à leur affidavit. Les transcriptions des contre-interrogatoires et les réponses aux engagements ont été versées au dossier. L’Opposante a également produit, en vertu de l’article 44 du Règlement, les éléments de preuve suivants :

         une copie certifiée de l’acte de procédure intitulé [TRADUCTION] « Seconde défense nouvellement modifiée et demande reconventionnelle », daté du 10 mars 2010 et produit dans le dossier T-1784-06 de la Cour fédérale;

         des copies certifiées des motifs de jugement et du jugement rendu le 29 juin 2012 par la juge Gauthier de la Cour d’appel fédérale du Canada dans le dossier A-463-10.

[9]               Comme preuve au titre du paragraphe 42(1) du Règlement, la Requérante a produit, dans chacun des dossiers, l’affidavit d’Anna DiDomenico, commis juridique principale à l’emploi du cabinet représentant la Requérante, souscrit le 7 janvier 2010 (dans le cas de la demande no 1 298 547), et le 1er février 2010 (dans le cas de la demande no 1 299 494). J’emploierai le singulier pour désigner ces deux affidavits, car, exception faite de la date à laquelle ils ont été souscrits, ils sont identiques. La Requérante a également produit, en vertu de l’article 44 du Règlement, une copie du document intitulé [TRADUCTION] « Avis de demande d’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada (Dossier – 35001) » déposé le 28 septembre 2012 relativement à la décision rendue par la Cour d’appel fédérale le 29 juin 2012 dans le dossier A-463-10.

[10]           Les parties ont toutes deux présenté des observations écrites dans les deux dossiers. Une audience a eu lieu; les parties y étaient toutes deux représentées par un avocat. À l’audience, l’Opposante a abandonné certains des motifs d’opposition soulevés dans ses déclarations d’opposition modifiées, à savoir :

relativement à la demande no 1 298 547

  • le motif d’opposition soulevé au paragraphe19. a) (i) (1) et (2) de la déclaration d’opposition modifiée portant que la Requérante n’a pas l’intention d’employer la marque visée par la demande au Canada, contrairement aux dispositions de l’alinéa 30e) de la Loi;
  • le motif d’opposition soulevé au paragraphe 19. a) (ii) (2) de la déclaration d’opposition modifiée portant que la Requérante ne pouvait pas être convaincue d’avoir le droit d’employer la marque visée par la demande au Canada, contrairement aux dispositions de l’alinéa 30i) de la Loi; un tel emploi diminuant la valeur de l’achalandage attachée à la marque de commerce déposée MARLBORO de l’Opposante et contrevenant en cela à l’article 22 de la Loi;

relativement à la demande no 1 299 494

  • le motif d’opposition soulevé au paragraphe 20. a) (i) de la déclaration d’opposition modifiée portant que la demande est entachée de nullité parce qu’elle ne satisfait pas aux exigences de l’article 30 de Loi du fait que la Requérante demande l’enregistrement sur le fondement, entre autres, d’un emploi projeté alors que la marque visée par la demande a déjà été employée au Canada en liaison avec des produits de tabac, plus précisément des cigarettes, ce qui contrevient à l’alinéa 30b) de la Loi;
  • le motif d’opposition soulevé au paragraphe 20. a) (ii) (2) de la déclaration d’opposition modifiée portant que la Requérante ne pouvait pas être convaincue d’avoir le droit d’employer la marque visée par la demande au Canada, contrairement aux dispositions de l’alinéa 30i) de la Loi, un tel emploi diminuant la valeur de l’achalandage attachée à la marque de commerce déposée MARLBORO de l’Opposante et contrevenant en cela à l’article 22 de la Loi;

[11]           Les motifs d’opposition restants dans les deux dossiers peuvent être résumés comme suit :

  • la Requérante ne pouvait pas être convaincue d’avoir le droit d’employer les Marques au Canada en liaison avec les Marchandises, contrairement aux dispositions de l’alinéa 30i) de la Loi, car, ce faisant, elle exercerait une concurrence déloyale vis-à-vis de l’Opposante en créant intentionnellement et à dessein de la confusion avec la marque de commerce MARLBORO de l’Opposante, tel qu’il est exposé plus en détail dans les paragraphes d’introduction des déclarations d’opposition modifiées, le tout en contravention avec l’alinéa 7b) de la Loi et l’article 1457 du Code civil du Québec;
  • les Marques ne sont pas enregistrables suivant l’alinéa 12(1)d) de la Loi, car elles créent de la confusion avec la marque de commerce MARLBORO de l’Opposante enregistrée sous le no TMDA55 988;
  • la Requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement des Marques suivant les alinéas 16(2)a) et c) et 16(3)a) et c) de la Loi, car la marque de commerce MARLBORO et le nom commercial MARLBORO CANADA sont employés par l’Opposante depuis une date bien antérieure aux dates de priorité de production revendiquées dans les présentes demandes et parce que les Marques créent de la confusion avec cette marque de commerce et ce nom commercial, tel qu’il est exposé plus en détail dans les paragraphes d’introduction des déclarations d’opposition modifiées;
  • les Marques ne sont pas distinctives de la Requérante, car elles ne distinguent pas et ne sont pas adaptées à distinguer les Marchandises du fait qu’elles créent de la confusion avec la marque de commerce MARLBORO de l’Opposante ainsi qu’avec son nom commercial, tel qu’il est exposé plus en détail dans les paragraphes d’introduction des déclarations d’opposition modifiées.

Fardeau de preuve

[12]           La Requérante a le fardeau ultime de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que sa demande d’enregistrement est conforme aux exigences de la Loi. Il incombe toutefois à l’Opposante de s’acquitter du fardeau initial consistant à présenter une preuve admissible suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués au soutien de chacun des motifs d’opposition [voir John Labatt Ltd c. Molson Companies Ltd (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.); et Dion Neckwear Ltd c. Christian Dior, SA et al (2002), 20 C.P.R. (4th) 155 (C.A.F.)].

[13]           Avant d’examiner chacun des motifs d’opposition restants dans les présentes affaires, je résumerai brièvement l’historique et les faits en cause.

Résumé de l’historique et des faits

[14]           Les parties à la présente instance ne sont pas étrangères l’une à l’autre. Leurs démêlés relativement à l’emploi de la marque de commerce MARLBORO au Canada ne datent pas d’hier. En effet, elles ont été parties à un certain nombre d’affaires litigieuses, y compris celles mentionnées précédemment, qui ont été portées devant la Cour fédérale, notamment Philip Morris Incorporated c. Imperial Tobacco Ltd (1985), 7 C.P.R. (3d) 254 (C.F. 1re inst.) (juge Rouleau) (ci-après Philip Morris 1985), confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Philip Morris Inc c. Imperial Tobacco Ltd (No 1) (1987), 17 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.) (juge MacGuigan) (ci-après Philip Morris 1987), et Philip Morris Products SA and Rothmans, Benson & Hedges, Inc c. Marlboro Canada Limited and Imperial Tobacco Canada Limited (2010), 90 C.P.R. (4th) 1 (C.F.) (juge de Montigny) (ci-après Philip Morris 2010), infirmée en partie par la Cour d’appel fédérale dans Marlboro Canada Limited and Imperial Tobacco Canada Limited c. Philip Morris Products SA and Rothmans, Benson & Hedges Inc (2012), 103 C.P.R. (4th) 259 (C.A.F.) (juge Gauthier) (ci-après Philip Morris 2012).

[15]           L’historique d’emploi de la marque de commerce MARLBORO et les événements qui ont mené à l’enregistrement de cette dernière au nom de l’Opposante au Canada sont exposés dans la preuve de M. Ricard. Ils ont également été examinés et décrits en détail par le juge Rouleau dans Philip Morris 1985 et par le juge de Montigny dans Philip Morris 2010, et ne sont pas contestés par les parties dans le cadre des présentes procédures.

[16]           L’historique de l’emploi du dessin géométrique « roof » [toit] (décrit ci-dessous) par la Requérante et ses prédécesseurs, tel qu’il est exposé dans la preuve de M. Ricard, a aussi été examiné et décrit en détail par le juge de Montigny dans Philip Morris 2010 et n’est pas contesté par les parties.

[17]           Plus particulièrement, les parties se fondent toutes deux sur les conclusions de fait de la Cour dans ces affaires, ainsi que sur la preuve produite par M. Ricard, laquelle révèle ce qui suit :

  • Les prédécesseurs en titre et anciennes sociétés affiliées de la Requérante (ci-après parfois appelés collectivement Philip Morris) ont commencé à commercialiser et à vendre des cigarettes en liaison avec la marque de commerce MARLBORO au Royaume-Uni en 1883, puis ont étendu leur marché en commençant à distribuer ces produits au Canada aux alentours de 1905. [Philip Morris 2010, para. 12].
  • La marque de commerce MARLBORO au Canada a été vendue par un prédécesseur en titre de la Requérante à un prédécesseur en titre de l’Opposante au cours des années 1920, puis enregistrée au Canada en 1932 sous le no 55 988 en liaison avec [TRADUCTION] « tabac sous toutes ses formes et destiné plus particulièrement à être employé en liaison avec la vente de cigarettes, de papier à cigarettes, de tubes à cigarettes, de tabac, de tabac à priser et de cigares ». La marque a par la suite été employée de façon continue au Canada par les prédécesseurs en titre de l’Opposante, puis par l’Opposante, en liaison avec des cigarettes. Philip Morris, pour sa part, détient les droits relatifs à la marque de commerce MARLBORO partout dans le monde, excepté au Canada. [Philip Morris 2010, para. 14; affidavit de M. Ricard, para. 8 à 17].
  • Au début des années 1950, soit bien après que le prédécesseur de l’Opposante ait acquis des droits sur la marque nominale MARLBORO au Canada, Philip Morris a renouvelé l’apparence de ses paquets de cigarettes et l’image associée aux cigarettes qu’elle vendait sur les marchés internationaux (c.-à-d, à l’extérieur du Canada) en liaison avec sa marque de commerce MARLBORO. Ce paquet renouvelé arborait un dessin géométrique d’un rouge vif rappelant un toit [roof] (ci-après appelé le « dessin ROOFTOP »); dessin qui est essentiellement le même que le dessin de toit visé par les présentes demandes. Le nouveau paquet de cigarettes créé par Philip Morris dans les années 1950 est illustré ci-dessous :

[Philip Morris 2010, para. 20 et 21; affidavit de M. Ricard, para. 18].

  • Pour commercialiser son produit à l’image renouvelée, Philip Morris a lancé des campagnes publicitaires qui montraient de rudes cow-boys au travail dans la « Malboro country » [contrée Marlboro] et s’accompagnaient de divers messages, dont « Come to Where the Flavor Is ». Ces publicités ont fait l’objet d’une grande diffusion et sont devenues très connues sur les marchés internationaux. [Philip Morris 2010, para. 24; affidavit de M. Ricard, para. 18 et 24].
  • Le renouvellement de l’image du paquet et des cigarettes MALRBORO et les campagnes publicitaires internationales menées par Philip Morris ont connu un immense succès et sont reconnus aujourd’hui pour compter parmi les campagnes les plus efficaces de l’histoire de la publicité. Les cigarettes MARLBORO de Philip Morris sont devenues, en 1972, les cigarettes les plus vendues dans le monde et le sont toujours à ce jour. [Philip Morris 2010, para. 25; affidavit de M. Ricard, para. 19 à 21].
  • Deux autres produits ont été vendus au Canada en liaison avec le dessin ROOFTOP. En 1958, un prédécesseur de la Requérante a commencé à vendre des cigarettes de marque MATADOR au Canada. Ce produit était commercialisé dans un paquet qui reprenait essentiellement tous les éléments du paquet dans lequel Philip Morris vendait ses produits MARLBORO dans le monde, à l’exception du mot MARLBORO, qui était remplacé par le mot MATADOR sur les paquets. Des cigarettes de marque MAVERICK ont également été vendues par les prédécesseurs de la Requérante à partir environ de 1970, puis la marque a cessé d’être employée vers 1978. Les ventes de cigarettes de marque MATADOR et/ou MAVERICK commercialisées dans de tels paquets n’ont toutefois jamais été importantes et le rayonnement du produit est demeuré plutôt limité. [Philip Morris 2010, para. 26 à 30; affidavit de M. Ricard, para. 26].
  • Au fil des ans, la Requérante et/ou ses prédécesseurs ont fait enregistrer plusieurs des différents éléments de l’image renouvelée de la marque MARLBORO de Philip Morris illustrée ci-dessus, comme en font foi les enregistrements reproduits à l’Annexe « A » des présentes. [Philip Morris 2010, para. 6; affidavit de M. Ricard, para. 23; copies certifiées de six enregistrements reproduits à l’Annexe « A » ainsi que de l’enregistrement no TMA111 226 de la marque de commerce MATADOR et dessin, jointes à l’affidavit de Mme DiDomenico].
  • De 1958 (année où la Requérante et/ou ses prédécesseurs ont fait enregistrer pour la première fois un dessin-marque ROOFTOP) et 2006 (année où la Requérante a fait enregistrer la plus récente version du dessin-marque ROOFTOP), les différents éléments du paquet MARLBORO de Philip Morris, qu’ils aient été employés et/ou visés par un ou plusieurs des enregistrements de marque de commerce reproduits à l’Annexe « A », ont toujours été employés en liaison avec les marques de fabrique MATADOR ou MAVERICK. En 2006, cependant, la Requérante a commencé à vendre, par l’entremise de sa licenciée canadienne, des cigarettes dans des paquets ayant la même présentation (que la Requérante appelle le « rooftop ») que le paquet de Philip Morris, mais n’arborant aucune marque de fabrique. Des photographies de ces paquets de cigarettes, dont il existait trois versions (rouge, argent et or correspondant soi-disant aux différentes forces de tabac), sont reproduites ci-dessous :

[Philip Morris 2012, para. 10; affidavit de M. Ricard, para. 26 et 30].

  • La présentation, ou l’habillage, de ce produit sans nom était unique en ce sens que, pour la première fois dans le monde, des cigarettes étaient commercialisées dans un paquet ne portant aucune marque de fabrique (ou aucune marque nominale) [Philip Morris 2012, para. 10; affidavit de M. Ricard affidavit, pièce ER-13].
  • L’Opposante s’est opposée au lancement de ces cigarettes sans nom au motif qu’il s’agissait d’une contrefaçon de la marque de commerce déposée MARLBORO. Une action en justice a alors été intentée devant la Cour fédérale; la Requérante cherchant à obtenir une déclaration portant que la vente de ses cigarettes « Rooftop » (c’est-à-dire les cigarettes sans nom) au Canada ne violait aucun des droits de l’Opposante, et, plus particulièrement, que la vente de cigarettes « Rooftop » dans des paquets arborant le dessin-marque ROOFTOP ne créait pas de confusion avec la marque nominale MARLBORO. En réponse, l’Opposante a produit une demande reconventionnelle fondée précisément sur cette contrefaçon, dont la contestation a mené, ultimement, aux décisions rendues dans Philip Morris 2010 et Philip Morris 2012.

[18]           J’examinerai les passages les plus pertinents de ces deux décisions plus loin dans mon analyse.

[19]           J’analyserai maintenant les motifs d’opposition à la lumière de la preuve au dossier, mais sans nécessairement respecter l’ordre dans lequel ils sont soulevés dans les déclarations d’opposition.

Motifs d’opposition

Non-enregistrabilité des Marques aux termes de l’alinéa 12(1)d) de la Loi

[20]           L’Opposante allègue que les Marques ne sont pas enregistrables suivant les dispositions de l’alinéa 12(1)d) de la Loi, car elles créent de la confusion avec la marque de commerce déposée MARLBORO de l’Opposante identifiée précédemment. J’ai exercé le pouvoir discrétionnaire du registraire de consulter le registre et obtenu confirmation que cet enregistrement est bien en règle en date d’aujourd’hui; la date de ce jour étant la date pertinente pour l’examen d’un motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) [voir Park Avenue Furniture Corp c. Wickers/Simmons Bedding Ltd (1991), 37 C.P.R. (3d) 413 (C.A.F.)].

[21]           L’Opposante s’étant acquittée de son fardeau de preuve initial, la Requérante doit maintenant démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion entre chacune des Marques et la marque de commerce MARLBORO de l’Opposante.

[22]           Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du vague souvenir. Le paragraphe 6(2) de la Loi prévoit que l’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

[23]           Dans l’application du test en matière de confusion, le registraire doit tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce, y compris celles énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi, à savoir a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; et e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent. Cette liste n’est pas exhaustive; tous les facteurs pertinents doivent être pris en considération et le poids qu’il convient d’accorder à chacun n’est pas nécessairement le même [voir Mattel, Inc c. 3894207 Canada Inc (2006), 49 C.P.R. (4th) 321 (C.S.C.); Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée (2006), 49 C.P.R. (4th) 401 (C.S.C.); et Masterpiece Inc c. Alavida Lifestyles Inc (2011), 92 C.P.R. (4th) 361 (C.S.C.) pour une analyse approfondie des principes généraux qui régissent le test en matière de confusion].

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[24]           À l’instar de la marque de commerce MARLBORO de l’Opposante, les Marques en cause possèdent toutes deux un caractère distinctif inhérent.

[25]           Une marque de commerce peut acquérir une force accrue en devenant connue par l’emploi ou la promotion. Comme il a été mentionné précédemment, les parties s’entendent sur le fait que la marque de commerce MARLBORO a été employée de façon continue au Canada par l’Opposante et ses prédécesseurs en titre en liaison avec des cigarettes depuis que la Marque a été vendue par un prédécesseur en titre de la Requérante à un prédécesseur en titre de l’Opposante dans les années 1920. De 2000 à la mi-octobre 2008, plus de 76 millions de cigarettes de marque MARLBORO ont été vendues au Canada, ce qui représente des ventes de plus de 12 millions de dollars [affidavit de M. Ricard affidavit, para. 12]. L’Opposante emploie la marque de commerce MARLBORO uniquement en liaison avec des cigarettes fabriquées en usine [interrogatoire de M. Ricard, Q. 129].

[26]           En revanche, rien dans la preuve dont je dispose n’indique que la Requérante ait commencé à employer l’une ou l’autre de ses Marques (qu’elle souhaite faire enregistrer sur la base d’un emploi projeté) au Canada en liaison avec une ou plusieurs des Marchandises ou que les Marques soient devenues connues dans quelque mesure que ce soit au Canada en liaison avec de telles marchandises. Je me pencherai sur la mesure dans laquelle le dessin ROOFTOP qui figure sur les paquets de cigarettes de la Requérante reproduits ci-dessus est devenu connu au Canada plus loin dans mon analyse, lorsque j’examinerai le facteur énoncé à l’alinéa 6(5)e). Cette question n’est toutefois pas pertinente dans le contexte de l’examen du caractère distinctif acquis des Marques de la Requérante; les demandes d’enregistrement de ces dernières étant fondées sur un emploi projeté.

[27]           Je conclus par conséquent, après examen du facteur énoncé à l’alinéa 6(5)a), que ce facteur favorise l’Opposante.

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage

[28]           Pour les motifs exposés précédemment, ce facteur favorise l’Opposante.

c) le genre de marchandises, de services ou d’entreprises, et d) la nature du commerce

[29]           S’agissant du genre de marchandises et de services et de la nature du commerce, je dois comparer l’état déclaratif des Marchandises de la Requérante avec l’état déclaratif des marchandises qui figure dans l’enregistrement de l’Opposante [voir Henkel Kommanditgesellschaft auf Aktien c. Super Dragon Import Export Inc (1986), 12 C.P.R. (3d) 110 (C.A.F.); et Mr. Submarine Ltd c. Amandista Investments Ltd (1987), 19 C.P.R. (3d) 3 (C.A.F.)].

[30]           Il est évident qu’il existe un recoupement entre les Marchandises et celles visées par l’enregistrement de l’Opposante. La Requérante et l’Opposante se livrent une concurrence directe sur le marché canadien des cigarettes, elles exercent des activités commerciales de même nature et empruntent les mêmes voies de commercialisation.

[31]           Par conséquent, je conclus, après examen des facteurs énoncés aux alinéas 6(5)c) et d), que ces facteurs favorisent l’Opposante.

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent

[32]           Il n’existe absolument aucune ressemblance entre les marques respectives des parties pour ce qui est de la présentation ou du son. La question litigieuse en l’espèce concerne les idées suggérées par les marques.

[33]           L’Opposante soutient que les Marques évoquent toutes deux, dans l’esprit du consommateur canadien, la marque déposée MARLBORO de l’Opposante. Plus particulièrement, l’Opposante soutient qu’historiquement, les prédécesseurs de la Requérante et leurs compagnies affiliées, à l’instar de la Requérante aujourd’hui, ont toujours employé au Canada divers éléments de la marque MARLBORO de Philip Morris en liaison avec les marques de fabrique MATADOR et/ou MAVERICK. L’Opposante allègue qu’en lançant un produit n’arborant aucune marque de fabrique, la Requérante, ses compagnies affiliées, leurs prédécesseurs et/ou licenciés ont délibérément tenté de créer un [TRADUCTION] « vide nominal » sur les paquets des cigarettes sans nom, poussant ainsi les détaillants et les consommateurs de cigarettes canadiens à combler ce vide en nommant la marque de fabrique MARLBORO [affidavit de M. Ricard, para. 30 à 33]. L’Opposante allègue, en outre, que ce vide nominal est l’élément fondamental de la stratégie mise en œuvre par la Requérante, car la réglementation stricte qui régit l’industrie du tabac fait en sorte qu’il est pratiquement impossible pour un consommateur d’acheter, ou pour un détaillant de vendre, un paquet de cigarettes sans mentionner la marque de fabrique des cigarettes faisant l’objet de la transaction.

[34]           Il est vrai que le marché canadien est devenu ce qu’on appelle un « marché de type secret » [dark market]. Comme l’a souligné le juge de Montigny dans Philip Morris 2010, la vente de produits du tabac est de plus en plus réglementée au Canada. Non seulement les paquets de cigarettes doivent maintenant arborer un avertissement sanitaire couvrant 50 p. 100 de leur surface, mais toutes les provinces ont adopté des lois interdisant d’exposer les produits du tabac dans les points de vente au détail. De même, la publicité et la promotion des produits du tabac font maintenant l’objet de sévères restrictions faisant en sorte qu’il est pratiquement impossible pour les fabricants de tabac de communiquer directement avec les consommateurs, excepté dans quelques rares circonstances [Philip Morris 2010, para. 53; Philip Morris 2012, para. 78 à 80].

[35]           L’Opposante soutient que la nécessité de combler le vide nominal décrit précédemment a été alimentée par la notoriété et la reconnaissance dont bénéficient au Canada le nom et la marque de fabrique MARLBORO de Philip Morris, y compris le dessin ROOFTOP – l’élément graphique prédominant qui ne diffère pas substantiellement des Marques en cause, et renforcée par le matériel destiné aux points de vente que la Requérante a distribué aux détaillants canadiens, lequel arborait les Marques ou une marque de commerce n’en différant pas substantiellement, comme il est illustré ci-dessous :

[affidavit de M. Ricard affidavit, pièce ER-11]

[36]           L’Opposante soutient que la stratégie de la Requérante a très bien fonctionné, comme en font foi des publications de tiers dans lesquelles le paquet sans nom est d’emblée associé au nom et à la marque de fabrique MARLBORO de Philip Morris [affidavit de M. Ricard, para. 34 et 35, et pièces ER-12 et ER-13].

[37]           L’Opposante affirme que la réussite de la stratégie de l’Opposante est également confirmée par les résultats du sondage que l’Opposante a mené auprès des consommateurs et des détaillants de cigarettes canadiens peu après le lancement du paquet sans nom [affidavit de M. Chakrapani, pièce E (rapport complet sur les deux études)]. Je reviendrai sur ce sondage un peu plus loin.

[38]           Ainsi, l’Opposante soutient que la preuve démontre non seulement que les consommateurs et les détaillants de cigarettes canadiens assimilent le paquet sans nom, qui arbore le dessin ROOFTOP prédominant ne différant pas substantiellement des Marques en cause, au nom et à la marque de fabrique MARLBORO de Philip Morris, mais que l’association entre le paquet sans nom, et donc les Marques, et la marque de commerce MARLBORO est inévitable au moment du transfert de la possession ou de la propriété des cigarettes vendues dans le paquet sans nom arborant les Marques, ce qui équivaut à un emploi de la marque de commerce MARLBORO.

[39]           À l’inverse, la Requérante soutient qu’il n’existe pas de lien entre le dessin ROOFTOP repris dans les Marques en cause et les cigarettes de l’Opposante. Elle fait valoir que ce dessin rappelle le toit d’une maison. La marque de l’Opposante est une marque nominale alors que les Marques sont des dessins-marques. En supposant, comme il est allégué, que le dessin ROOFTOP suggère l’idée du mot MARLBORO, ce sont les propres produits internationaux de la Requérante qui sont évoqués. Il ne s’agit pas là de confusion quant à la source, ni même d’identification erronée, mais de la confirmation que le consommateur comprend bien d’où provient le produit.

[40]           La Requérante soutient, en outre, que le sondage réalisé par l’Opposante n’est pas pertinent aux fins de l’examen des questions en litige dans les présentes oppositions et qu’en raison des problèmes méthodologiques et techniques intrinsèques du sondage, il y a lieu de considérer les résultats de ce dernier comme inadmissibles ou de ne leur accorder que peu de poids, voire aucun.

[41]           Plus important encore, la Requérante soutient que les décisions rendues dans Philip Morris 2010 et Philip Morris 2012 permettent d’écarter de façon définitive les allégations de l’Opposante voulant qu’il y ait une probabilité de confusion entre chacune des Marques et la marque nominale MARLBORO de l’Opposante.

[42]           De manière générale, je souscris aux arguments de la Requérante pour les raisons exposées ci-dessous.

Partie de la preuve formée du sondage réalisé par l’Opposante

[43]           S’agissant du sondage que l’Opposante a produit en preuve, j’estime qu’il y a lieu, en l’espèce, de n’accorder que peu de poids à cette partie de la preuve, voire aucun. Comme l’a expliqué la Requérante, le sondage produit dans la présente instance est le même que celui qui a été produit dans Philip Morris 2010. L’unique objectif de ce sondage était [TRADUCTION] « d’évaluer la possibilité que les consommateurs et les détaillants assimilent à tort une nouvelle marque de cigarettes offerte au Canada [ROOFTOP] à la marque MARLBORO qui est employée à l’extérieur du Canada » [affidavit de M. Chakrapani, para. 14]. Le sondage a été mené avant l’instauration du « marché de type secret », de janvier à avril 2007, dans les villes de Vancouver, Edmonton, Toronto et Montréal.

[44]           Comme l’a résumé le juge de Montigny dans Philip Morris 2010, dans le cadre de l’étude portant sur les consommateurs, les intervieweurs ont montré aux fumeurs trois paquets de cigarettes : un paquet de ROTHMAN dont on avait supprimé la marque, un paquet de DUNHILL dont on avait supprimé la marque et un paquet de ROOFTOP. Les fumeurs devaient d’abord répondre, relativement à chaque paquet, à la question suivante : [TRADUCTION] « Pouvez-vous me dire de quelle marque sont ces cigarettes? » On leur demandait ensuite [TRADUCTION] « Pourquoi croyez-vous cela? Avez-vous d’autres commentaires? » La raison pour laquelle des paquets DUNHILL et ROTHMAN ont également été utilisés est qu’on souhaitait éviter que les fumeurs répondent au hasard; ces paquets comportant tous deux des éléments de la marque internationale de Philip Morris. Les images des trois paquets étaient présentées sur une planchette à pince et leur ordre était interchangé afin de réduire la possibilité d’un biais causé par l’ordre des images. En moyenne, un fumeur sur quatre, parmi ceux interrogés, a « identifié à tort » la marque ROOFTOP comme la marque MARLBORO. Les principales raisons données par les fumeurs pour expliquer leur réponse étaient la combinaison de couleurs, les éléments graphiques figurant sur le paquet et la connaissance de la marque [Philip Morris 2010, para. 140 et 141].

[45]           Comme l’a également résumé le juge de Montigny, dans le cadre de la seconde étude, des intervieweurs se présentant comme des consommateurs ont rendu visite, à deux reprises, à des détaillants établis dans les mêmes villes que les fumeurs interrogés dans le cadre de la première étude. Lors de la première visite, l’intervieweur montrait du doigt le paquet ROOFTOP et demandait [TRADUCTION] « Quelle est cette marque? », puis [TRADUCTION] « Pouvez-vous m’en dire plus à son sujet? » Près d’un tiers des détaillants interrogés lors de la première visite ont « identifié à tort » la marque ROOFTOP comme la marque MARLBORO. Seul un détaillant sur cinq a répondu qu’il s’agissait de la marque ROOFTOP. Quarante-neuf pour cent des détaillants ayant assimilé à tort le produit à la marque MARLBORO n’ont pas pu ou n’ont pas voulu en dire plus lorsqu’on leur a posé la seconde question. Les 51 p. 100 restants ont donné des réponses variées, dont les suivantes : il s’agit d’une nouvelle marque, ce sont des cigarettes canadiennes ou américaines, il s’agit de la marque bien connue, il s’agit d’un type de cigarettes MARLBORO ou fabriqué par Marlboro, etc. Lors de la seconde visite, lorsqu’on leur a demandé s’ils avaient des « MARLBORO », les détaillants ont montré du doigt ou remis un paquet de la marque ROOFTOP dans 38 p. 100 des cas [Philip Morris 2010, para. 142].

[46]           Tel qu’il appert du mandat de M. Chakrapani, ces études étaient toutes deux axées sur les perceptions des consommateurs à l’égard des « cigarettes », et non à l’égard des Marchandises visées par les présentes demandes, lesquelles comprennent divers articles pour fumeur et d’autres marchandises se rapportant au tabac, mais excluent les cigarettes. En outre, les études réalisées par M. Chakrapani n’avaient pas pour but d’évaluer les réactions des consommateurs aux Marques visées par les présentes demandes (c.-à-d., le dessin-marque ROOFTOP pris isolément), mais à un paquet de cigarettes ROOFTOP formé d’une combinaison particulière de différents éléments comprenant l’élément graphique ROOFTOP. Par conséquent, j’estime que les résultats de ce sondage ne sont d’aucune aide pour l’Opposante dans la présente instance et je considère, à la lumière des conclusions auxquelles est arrivé le juge de Montigny dans Philip Morris 2010, qu’il n’est pas nécessaire que je me penche sur les arguments de la Requérante concernant les problèmes méthodologiques et techniques intrinsèques du sondage.

Les décisions rendues dans Philip Morris 2010 et Philip Morris 2012

[47]           Comme l’a mentionné la juge Gauthier dans Philip Morris 2012, le juge de première instance devait se prononcer sur différentes questions concernant les marques de commerce de l’Opposante et de la Requérante, ainsi que sur une allégation de violation du droit d’auteur. Les parties ont toutes deux appelé de différentes parties de la décision du juge de Montigny, lequel a accordé en partie seulement la réparation demandée par la Requérante et rejeté l’allégation de l’Opposante selon laquelle la Requérante contrefaisait sa marque de commerce canadienne déposée MARLBORO, ainsi que sa requête en radiation de l’enregistrement des six marques de commerce de la Requérante se rapportant à ses dessins-marques ROOFTOP, à savoir les enregistrements reproduits à l’Annexe « A » des présentes.

[48]           Plus particulièrement, l’Opposante a interjeté appel du rejet de sa demande reconventionnelle en contrefaçon de sa marque de commerce et du refus du juge de première instance de radier la marque de commerce de la Requérante enregistrée sous le numéro TMA670 898. La Requérante, pour sa part, a appelé du rejet par le juge de première instance de son allégation de violation du droit d’auteur, de la décision du juge de première instance à l’effet que l’enregistrement de la marque MARLBORO de l’Opposante était toujours valable, et de la décision du juge de première à l’effet que l’Opposante n’était pas précluse de contester l’enregistrement des différents dessins-marques ROOFTOP de la Requérante, en particulier l’enregistrement TMA670 898.

[49]           La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel de l’Opposante concernant le rejet de sa demande reconventionnelle en contrefaçon de sa marque de commerce visant l’habillage non enregistré (devant et côté) du paquet de cigarettes sans nom de la Requérante. Elle a cependant rejeté l’appel de l’Opposante concernant le refus du juge de première instance de radier la marque de commerce de la Requérante enregistrée sous le numéro TMA670 898, et a rejeté dans son intégralité l’appel de la Requérante.

[50]           Comme l’ont souligné le juge de Montigny et la juge Gauthier, cette affaire est unique en ce qu’elle a soulevé une question qui n’avait encore jamais été traitée. En gros, la Requérante affirmait n’avoir en rien contrefait la marque de commerce de l’Opposante, alléguant, au contraire, qu’elle ne faisait qu’employer un emballage dont les éléments constitutifs avaient été créés pour elle et lui appartenaient, et étaient, de surcroît, enregistrés comme marque de commerce au Canada. Elle soutenait, en outre, qu’il n’y avait pas de confusion quant à la source, pas plus qu’il n’y avait de confusion quant au produit contenu dans les paquets ROOFTOP. Selon ses arguments, l’empêcher d’identifier et de vendre ses produits ROOFTOP au Canada aurait équivalu à outrepasser et accroître de manière démesurée les droits de propriété industrielle et commerciale que l’Opposante aurait pu détenir à l’égard de la marque nominale MARLBORO, quels que soient ces droits. L’Opposante, pour sa part, soutenait que la Requérante avait délibérément poussé les consommateurs à associer ses produits à la marque internationalement connue MARLBORO en les commercialisant dans des paquets reproduisant l’habillage des paquets MARLBORO et en se gardant d’apposer sur ses paquets quelque marque de fabrique que ce soit. De l’avis de l’Opposante, la Requérante avait, en agissant ainsi, implicitement usurpé les droits de l’Opposante à l’égard de la marque nominale MARLBORO [Philip Morris 2010, para. 3 et 4].

[51]           Je n’examinerai pas en détail les différentes conclusions formulées par la Cour fédérale dans cette affaire; je m’intéresserai uniquement aux passages les plus pertinents, c’est-à-dire ceux qui trouvent une application dans la présente instance.

[52]           Comme l’a souligné la Requérante, le juge de Montigny et la juge Gauthier ont tous deux conclu que, pris individuellement, les dessins-marques ROOFTOP, reproduits à l’Annexe « A » des présentes, n’engendraient pas de confusion avec la marque nominale MARLBORO. Néanmoins, dans les circonstances de cette affaire qui, comme il a déjà été mentionné, étaient uniques, les enregistrements invoqués par la Requérante ne constituaient pas une défense absolue contre l’allégation de l’Opposante portant que la combinaison (l’italique est de moi) actuelle d’éléments utilisée sur les paquets sans nom (devant et côté) constituait une contrefaçon [Philip Morris 2012, para. 111 et 112].

[53]           La juge Gauthier a infirmé la décision du juge de Montigny de rejeter la demande reconventionnelle en contrefaçon de marque de commerce produite par l’Opposante relativement à l’habillage non enregistré (devant et côté) du paquet de cigarettes sans nom de la Requérante, et souligné les erreurs commises par le juge de première instance dans l’interprétation et l’application du test en matière de confusion. Comme elle l’a indiqué au paragraphe 62 de sa décision, une de ces erreurs est liée au fait qu’on ne sait pas très bien si, lors de son analyse des facteurs énoncés au paragraphe 6(5), le juge de première instance a analysé chaque dessin-marque (c’est-à-dire les six dessins-marques ROOFTOP reproduits à l’Annexe « A ») individuellement ou comme un tout. Le problème a été aggravé par le fait que le juge de première instance a accepté l’argument de la Requérante selon lequel la présence de nombreux éléments ne figurant pas dans les versions enregistrées de ces dessins-marques n’avait pas d’effet significatif sur les caractéristiques prédominantes et le caractère distinctif des dessins-marques ROOFTOP enregistrés. Il a donc envisagé la présentation du paquet sans nom comme un tout, comme l’un des emplois possibles des dessins-marques ROOFTOP enregistrés.

[54]           La juge Gauthier a conséquemment entrepris de comparer la marque nominale MARLBORO enregistrée au nom de l’Opposante avec chacune des versions (rouge, or et argent) du paquet sans nom de la Requérante, tel que proposé par la Requérante. Je reproduis ci-dessous les passages les plus pertinents de son analyse.

[TRADUCTION]
[68]           Tel que mentionné, [la Requérante] soutient que son paquet sans nom est simplement un exemple des nombreux usages qu’elle peut faire de ses marques déposées, en particulier de ses dessins-marques ROOFTOP. Je reviendrai sur cette question plus loin, c’est-à-dire lorsque j’évaluerai les moyens de défense de [la Requérante] fondés sur les enregistrements de cette dernière et sur la doctrine de la préclusion, car elle prendra dans ce contexte une importance accrue.

[69]           Concernant l’alinéa 6(5)a), j’estime, comme le juge de première instance, que ces marques possèdent toutes deux un caractère distinctif inhérent. Le juge de première instance a également indiqué qu’elles étaient toutes deux bien connues, mais sans préciser les raisons qui l’avaient mené à cette conclusion; il a simplement mentionné qu’il n’existait pas de preuve contraire. À l’audience, [la Requérante] n’a orienté la Cour vers aucun élément de preuve en particulier en réponse à la remarque de [l’Opposante] voulant qu’il n’y ait pas de fondement probatoire justifiant une telle conclusion à l’égard du marché canadien, et en particulier à l’égard de sa propre marque MARLBORO.

[70]           Même si, en l’espèce, cela n’aura pas d’incidence sur l’issue, je préfère considérer ces marques comme des marques connues plutôt que comme des marques bien connues. S’il est vrai que le produit de [l’Opposante] n’occupe qu’une petite part du marché canadien des cigarettes (les cigarettes MATADOR de [la Requérante] occupaient une part encore plus petite), il n’en demeure pas moins que [l’Opposante] emploie sa marque déposée MARLBORO depuis plus de 80 ans. [La Requérante] a employé pendant longtemps au Canada la plupart des éléments de l’habillage du paquet sans nom (certains, comme la version rouge du dessin ROOFTOP, depuis 1958) en liaison avec la marque nominale (marque de fabrique) MATADOR. Toutefois, l’habillage particulier du paquet à l’étude, qui comprend des éléments supplémentaires non enregistrés et ne comporte aucune marque de fabrique, a été mis sur le marché pour la première fois en juillet 2006 (quelques mois seulement avant l’introduction de la présente instance). La version argent du dessin ROOFTOP n’a pas été employée avant 2006, elle non plus (alinéa 6(5)b)).

[71]           Les marques sont employées en liaison avec les mêmes marchandises (des cigarettes) et dans le même secteur du commerce (alinéas 6(5)c) et d)).

[72]           S’agissant de l’alinéa 6(5)e), il n’existe aucune ressemblance entre ces marques dans la présentation. Tel que mentionné, le juge de première instance n’a pas pris en considération, lors de son analyse du facteur énoncé à l’alinéa 6(5)e), le fait qu’un certain nombre de consommateurs assimilaient le paquet sans nom à la marque Marlboro parce que, de son point de vue, tenir compte d’une telle idée aurait équivalu à élargir de manière injustifiée la portée de l’alinéa 6(5)e). Il a indiqué que par « idées suggérées », il fallait entendre uniquement les idées inhérentes à la nature des marques de commerce en question (le dessin d’un pingouin évoquant l’idée d’un pingouin, par exemple) (Motifs, para. 290).

[73]           Dans la mesure où les exemples qu’a donnés le juge de première instance au paragraphe 290 et au paragraphe 249 de ses Motifs (le mot panda évoquant la même idée qu’un dessin-marque représentant cet animal) étaient destinés à limiter la portée de l’alinéa 6(5)e) aux idées suggérées par le sens littéral ou courant d’un mot ou d’un dessin, je ne peux pas souscrire à cette interprétation.

[…]

[76]           Compte tenu de la nécessité d’adopter une interprétation téléologique et contextuelle de l’alinéa 6(5)e), je ne vois pas comment une telle ressemblance pourrait être ignorée. Cela dit, il est évident que la partie qui invoque une ressemblance fondée sur quelque chose sortant de l’ordinaire doit présenter des éléments de preuve de nature à convaincre la Cour que cette association ou cette suggestion particulière existe bel et bien dans les faits pour qu’il puisse en être tenu compte dans l’analyse du facteur énoncé à l’alinéa 6(5)e).

[77]           Même si je faisais erreur et qu’il faille effectivement interpréter l’alinéa 6(5)e) de façon plus restrictive, la ressemblance entre les idées inhabituelles suggérées par l’une ou l’autre des marques une fois ces dernières établies devrait forcément être prise en considération dans l’examen de l’ensemble des circonstances de l’espèce (préambule du paragraphe 6(5)). D’une manière ou d’une autre, on ne peut faire abstraction de cette ressemblance.

[78]           Cela dit, vu les circonstances particulières de la présente affaire, je préfère considérer la confusion quant au nom du produit vendu dans le paquet sans nom comme faisant partie des circonstances de l’espèce (préambule du paragraphe 6(5)), du fait des particularités, dictées par la réglementation gouvernementale, qui caractérisent le marché de détail des cigarettes au Canada.

[79]           Au Canada, exception faite de quelques boutiques spécialisées qui détiennent un permis spécial, le marché des cigarettes est un marché de type secret [dark market], ce qui signifie qu’il est interdit par la loi d’exposer les produits à la vue du public. Le consommateur doit nommer le produit qu’il souhaite acheter.

[80]           On peut facilement comprendre comment, dans un tel contexte, l’emploi d’un paquet de cigarettes dépourvu d’une marque de fabrique mais comportant des dessins-marques susceptibles d’évoquer la source du produit, incitera les consommateurs à commander le produit en utilisant un mot ou des mots qui ne figurent pas nécessairement sur l’emballage du produit.

[81]           Cela explique pourquoi le juge de première instance a indiqué qu’il existait une confusion considérable chez les consommateurs (et dans une mesure moindre chez les détaillants) [TRADUCTION] « quant à la façon de désigner le paquet sans nom » (Motifs, para. 282 et 291). C’est également ce qui l’a poussé à se reporter à la nécessité pour les consommateurs de faire une interprétation et d’interagir avec les détaillants.

[82]           Il est évident au vu de la preuve admise par le juge de première instance que cette association était délibérément suggérée par l’emploi d’une combinaison formée de divers éléments employés par [la Requérante] partout dans le monde en liaison avec sa célèbre marque Marlboro et de la mention « world famous imported blend » [mélange importé réputé mondialement]. Je ne cherche pas ici à déterminer si [la Requérante] avait ou non l’intention de contrefaire la marque, car l’intention n’est pas pertinente en matière de contrefaçon. J’envisage plutôt cette preuve comme corroborant le fait que la combinaison d’éléments figurant sur le paquet sans nom suggère dans une certaine mesure (pour un nombre considérable de consommateurs) une association avec Marlboro.

[83]           Je souligne également que la preuve démontre, comme les parties l’ont toutes deux admis à l’audience, que le fait d’apposer une marque de fabrique sur un paquet de [Philip Morris] arborant la plupart des autres éléments du paquet sans nom (comme l’habillage MATADOR) suffirait sans doute à rompre le lien ou l’association avec Marlboro dans l’esprit des consommateurs.

[84]           Il s’ensuit, comme en a conclu le juge de première instance, qu’un certain nombre de consommateurs assimilent le produit sans nom de [la Requérante] à Marlboro. Cela signifie que, dans un marché de type secret où les marques de commerce ne sont pas exposées à la vue du public, les consommateurs emploieront le même nom pour désigner deux produits différents offerts par deux fabricants différents. Cette situation engendre forcément de la confusion quant à la source du produit, car les consommateurs s’attendent à ce que des produits du même genre, qu’ils peuvent désigner par le même nom et acheter dans les mêmes réseaux de distribution, proviennent de la même source. Il importe peu de savoir s’il s’agit ici de confusion directe ou de confusion inverse, car le résultat est le même. [j’ai moi-même souligné]

[55]           Je reproduis également ci-dessous les passages les plus pertinents de l’évaluation qu’a faite la juge Gauthier des moyens de défense de la Requérante fondés sur les enregistrements de cette dernière et sur la préclusion.

[87]            Au procès, [la Requérante] a invoqué l’enregistrement de ses dessins-marques ROOFTOP comme défense absolue contre l’allégation de contrefaçon formulée par [l’Opposante] (défense de Remo).

[…]

[90]           En l’espèce, cependant, l’habillage du paquet sans nom n’a pas été enregistré. De plus, [l’Opposante] est catégorique sur le fait que, pris isolément, aucun des dessins-marques ROOFTOP visés par les enregistrements de la [la Requérante] ne crée de confusion avec la marque nominale MARLBORO. En fait, comme il a été mentionné précédemment, bien que ces marques (à l’exception de celle enregistrée en 2006) soient employées au Canada comme éléments constitutifs de diverses combinaisons depuis de très nombreuses années, aucune n’a engendré de confusion chez les consommateurs canadiens.

[91]           La raison pour laquelle la défense de Remo a été invoquée devant le juge de première instance est que [la Requérante] soutenait qu’en s’opposant à l’emploi de son paquet sans nom, [l’Opposante] s’objectait, en réalité, à un emploi légitime des dessins-marques ROOFTOP (au nombre de six) enregistrés au nom de la Requérante. En réponse, [l’Opposante] a fait valoir, entre autres choses, que dans la mesure où la combinaison d’éléments figurant sur le paquet sans nom créait de la confusion, chacune des marques individuelles faisant partie de cette combinaison en créait également, et que, par conséquent, leur enregistrement devait être radié (Motif, para. 216).

[92]           Bien qu’il ait souligné que cet argument de [l’Opposante] ne pouvait être écarté facilement (Motifs, para. 221), le juge de première instance ne s’y est pas attardé davantage, ayant conclu qu’il n’y avait pas de probabilité de confusion.

[93]           Comme j’ai conclu que la combinaison d’éléments figurant sur le paquet sans nom créait de la confusion, je dois, pour ma part, examiner cet argument. Lorsqu’on y regarde de plus près, il apparaît clairement que les deux aspects suivants sont intimement liés : i) la question de savoir si une combinaison formée d’éléments enregistrés et non enregistrés doit être considéré comme un simple emploi d’une marque de commerce enregistrée, et ii) la question de savoir si, lorsqu’il est déterminé qu’une combinaison crée de la confusion, il faut nécessairement en conclure que les marques enregistrées qui font partie de cette combinaison créent de la confusion également.

[…]

[96]           Il est possible d’employer une marque de commerce en association avec d’autres marques ou d’autres éléments enregistrés ou non enregistrés sans que cette marque en perdre son caractère distinctif; cette possibilité n’est pas remise en question. Tout dépend des circonstances. Conséquemment, la véritable question dont cette Cour est saisie consiste à déterminer si cela signifie obligatoirement que la protection conférée par l’enregistrement de chacun des dessins-marques ROOFTOP doit être étendue à l’ensemble de la combinaison dans le cadre de laquelle ils sont employés sur le paquet sans nom à l’étude.

[…]

[99]           En l’espèce, le registraire ne s’est jamais penché sur la question de savoir si les marques employées comme éléments constitutifs de la combinaison particulière figurant sur le paquet sans nom remplissaient les critères d’enregistrement. À mon avis, le registraire n’avait pas à tenir compte, aux différents moments où chacun de ces dessins-marques ont été enregistrés, de la probabilité de confusion susceptible de découler éventuellement d’une combinaison réunissant l’ensemble des marques enregistrées de [la Requérante]. Il n’était pas non plus tenu de conjecturer sur les répercussions de l’ajout d’éléments non enregistrés à un habillage particulier composé des dessins-marques projetés.

[…]

[101]      [La Requérante] soutien à juste titre qu’elle ne devrait pas être contrainte de faire enregistrer ses habillages ou chaque agencement graphique de ses marques. Une fois de plus, la question n’est pas là. La personne ou l’entreprise qui fait enregistrer une combinaison profitera des avantages qui découlent de l’enregistrement. La personne ou l’entreprise qui choisit d’employer une combinaison sans passer par le processus d’enregistrement aura tout de même des droits, mais pas nécessairement les mêmes que ceux que confère l’enregistrement. Ce principe s’applique à toutes les marques de commerce qu’une personne ou une entreprise peut employer pour distinguer ses marchandises.

[…]

[103]      Pour répondre à la véritable question dont cette Cour est saisie, je dois déterminer si la confusion est causée uniquement par la combinaison non enregistrée ou également par les différentes marques, employées essentiellement telles qu’elles ont été enregistrées, qui la composent. Si la confusion est causée uniquement par la combinaison, c’est, à mon avis, forcément parce que la combinaison transmet aux consommateurs un message différent de celui véhiculé par chacune des marques enregistrées, prises individuellement. Dans de telles circonstances, il n’est pas possible de revendiquer le bénéfice de la défense de Remo relativement à la combinaison non enregistrée puisqu’il ne s’agit pas simplement d’un emploi des marques telles qu’elles ont été enregistrées.

[104]      Puisqu’elles ont été enregistrées, je dois présumer que ces marques ne créaient pas de confusion au moment de leur enregistrement. Y a-t-il quoi que ce soit qui puisse donner à penser que la situation avait changé à la date où les procédures pertinentes ont été intentées? Ayant réalisé, pour chacune des marques, une analyse des facteurs énoncés au paragraphe 6(5), j’estime que la réponse est « non ».

[105]      À cet égard, il n’est pas nécessaire que je reproduise ici les observations que j’ai déjà formulées aux paragraphes 69 à 71 ci-dessus relativement aux facteurs énoncés aux alinéas 6(5)a), b), c) et d).

[106]      Il n’y a pas de ressemblance dans la présentation et dans le son (alinéa 6(5)e)).

[107]      Relativement au préambule du paragraphe 6(5), lorsque le juge de première instance conclut au paragraphe 282 qu’il existe de la confusion quant à la façon de désigner le paquet sans nom, il indique simplement qu’il en est ainsi pour [TRADUCTION] « diverses raisons ». En d’autres mots, il n’a pas conclu que les consommateurs associaient le mot Marlboro au paquet sans nom en raison de la présence sur ledit paquet d’une des marques enregistrée prise individuellement. 

[108]      Dans tous les cas, les sondages produits en preuve n’étaient pas conçus spécifiquement pour déterminer si les consommateurs associaient le mot Marlboro aux paquets de cigarettes arborant seulement un ou plusieurs dessins-marques ROOFTOP, reproduits essentiellement tel qu’enregistré. Lors du sondage, c’est le paquet sans nom en tant qu’ensemble que les experts des deux parties ont présenté aux participants.

[109]       Comme il a été mentionné, il ne fait aucun doute que [la Requérante] a employé ses dessins-marques enregistrés, à l’exception de la version argent enregistrée en 2006, comme éléments constitutifs d’autres combinaisons pendant de nombreuses années sans que cela ne cause de problèmes apparents. La différence en l’espèce tient au fait que la combinaison en cause définit la source du produit de façon bien plus précise qu’ont pu le faire les marques de commerce antérieurement enregistrées ou employées par [la Requérante], car elle associe explicitement le produit à Marlboro.

[110]      En effet, la preuve révèle que l’équipe du service du marketing de [la Requérante] a rejeté l’idée d’ajouter la marque nominale enregistrée ROOFTOP à la combinaison d’éléments figurant sur le paquet sans nom, car elle craignait que la présence de cette marque nominale porte le consommateur à conclure que le produit est une imitation, c’est-à-dire que le paquet sans nom ne provient pas de la même source que ses Marlboro.

[111]      M’appuyant sur l’analyse qui précède, je conclus que les dessins-marques ROOFTOP pris individuellement, y compris la récente version argent du dessin ROOFTOP (TMA 670 898), ne créent pas de confusion avec la marque nominale MARLBORO.

[112]      Cette conclusion signifie que, dans les circonstances particulières de cette affaire qui, comme il a été mentionné, sont tout à fait uniques, les enregistrements invoqués par [la Requérante] ne constituent pas un moyen de défense absolue contre l’allégation de [l’Opposante] selon laquelle la combinaison actuelle d’éléments figurant sur le paquet sans nom (devant et côté) constitue une contrefaçon. [j’ai moi-même souligné]

[56]           Comme il a été mentionné précédemment, les présentes demandes sont fondées sur un emploi projeté des Marques au Canada en liaison avec des articles pour fumeurs et d’autres marchandises se rapportant au tabac, à l’exclusion des cigarettes. La question à savoir si chacune des Marques sera employée en association avec d’autres éléments formant une combinaison ou un agencement semblable ou identique au paquet de cigarettes sans nom de la Requérante relève de la pure spéculation, considérant surtout que depuis la décision rendue dans Philip Morris 2012, une injonction permanente interdit maintenant à la Requérante de vendre, de distribuer et/ou de promouvoir directement ou indirectement au Canada des cigarettes ou d’autres produits du tabac en employant le paquet sans nom, ou en liaison avec le paquet sans nom illustré précédemment.

[57]           Il convient de rappeler à cet égard, comme l’a souligné la juge Gauthier au paragraphe 83 de sa décision reproduit ci-dessus, et comme l’ont également affirmé les deux parties à l’audience tenue relativement aux présents dossiers, que le fait d’apposer une marque de fabrique sur un paquet de Philip Morris arborant la plupart des autres éléments du paquet sans nom (comme l’habillage MATADOR visé par l’enregistrement no TMA111 226 mentionné précédemment) suffirait sans doute à rompre le lien ou l’association avec Marlboro dans l’esprit des consommateurs. Cela explique pourquoi l’Opposante ne s’est pas opposé aux demandes d’enregistrement des marques de commerce qui correspondent aujourd’hui aux enregistrements canadiens reproduits à l’Annexe « A », car lorsque les demandes d’enregistrement ont été annoncées aux fins d’opposition, les marques de commerce visées par ces demandes étaient déjà employées en liaison avec soit la marque de fabrique MATADOR, soit la marque de fabrique MAVERICK

[58]           Dans ces circonstances, et au vu des motifs de jugement de la Cour fédérale dans Philip Morris 2010 et Philip Morris 2012, je ne suis pas disposée à conclure, comme le souhaite l’Opposante, que l’idée suggérée par chacune des Marques en cause prises isolément est celle de MARLBORO.

[59]           Par conséquent, je conclus, après examen du facteur énoncé à l’alinéa 6(5)e), que ce facteur favorise la Requérante.

Conclusion quant à la probabilité de confusion

[60]           Comme il a été mentionné précédemment, la question consiste à déterminer si un consommateur, qui n’a qu’un souvenir général et imprécis de la marque de commerce MARLBORO, serait porté à croire, à la vue de chacune des Marques, que les marchandises qui leur sont associées proviennent de la même source.

[61]           En conformité avec les observations que j’ai formulées ci-dessus, en particulier celles ayant trait au facteur énoncé à l’alinéa 6(5)e), j’estime qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion entre les marques des parties. Conséquemment, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) est rejeté dans les deux dossiers.

Motifs d’opposition fondés sur l’absence de droit à l’enregistrement

[62]           Comme il a été mentionné précédemment, l’Opposante a allégué que la Requérante n’était pas la personne ayant droit à l’enregistrement des Marques suivant les alinéas 16(2)a) et c) et 16(3)a) et c) de la Loi, car la marque de commerce MARLBORO et le nom commercial MARLBORO CANADA sont employés par l’Opposante depuis une date bien antérieure aux dates de priorité de production revendiquées dans les présentes demandes et parce que les Marques créent de la confusion avec cette marque de commerce et ce nom commercial, tel qu’il est exposé plus en détail dans les paragraphes d’introduction des déclarations d’opposition modifiées.

[63]           L’Opposante doit démontrer qu’à la date de priorité de production revendiquée dans chacune des demandes de la Requérante, la marque de commerce MARLBORO et le nom commercial MARLBORO CANADA avaient déjà été employés au Canada, et n’avaient pas été abandonnés à la date d’annonce de chacune des demandes de la Requérante [paragraphe 16(5) de la Loi]. L’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve à l’égard de la marque de commerce MARLBORO pour ce qui est des marchandises « cigarettes ». Il en va autrement toutefois pour le nom commercial MARLBORO CANADA. En effet, mises à part les déclarations de M. Ricard au sujet de la relation existant entre l’opposante Marlboro Canada Limited (que M. Ricard appelle « Marlboro Canada ») et sa licenciée, Imperial Tobacco Canada Limited, l’Opposante n’a produit aucun élément de preuve établissant l’emploi du nom commercial MARLBORO CANADA, sans compter qu’elle n’a fait aucune représentation relativement à cet emploi allégué du nom commercial, ni dans ses observations écrites ni à l’audience. En conséquence, les motifs d’opposition fondés sur les alinéas 16(2)c) et 16(3)c) sont rejetés dans les deux dossiers.

[64]           S’agissant des motifs d’opposition fondés sur les alinéas 16(2)a) et 16(3)a), le fait que les dates pertinentes qui s’appliquent à ces motifs ne soient pas les mêmes n’a pas d’incidence notable sur mon analyse du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d), exposée ci-dessus. J’estime donc que la Requérante s’est acquittée de son fardeau de démontrer qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion entre chacune des Marques et la marque de commerce MARLBORO de l’Opposante. En conséquence, les motifs d’opposition fondés sur les alinéas 16(2)a) et 16(3)a) sont rejetés dans les deux dossiers.

Motifs d’opposition fondés sur l’absence de caractère distinctif

[65]           Comme il a été mentionné précédemment, l’Opposante a allégué que les Marques ne sont pas distinctives de la Requérante, car elles ne distinguent pas et ne sont pas adaptées à distinguer les Marchandises du fait qu’elles créent de la confusion avec la marque de commerce MARLBORO de l’Opposante ainsi qu’avec son nom commercial, tel qu’il est exposé plus en détail dans les paragraphes d’introduction des déclarations d’opposition modifiées.

[66]           L’Opposante s’est acquittée de son fardeau de démontrer qu’à la date de production de chacune des présentes oppositions, la marque de commerce MARLBORO était devenue connue dans une mesure suffisante pour priver les Marques de tout caractère distinctif, du moins en ce qui concerne les cigarettes de l’Opposante. Comme il est expliqué ci-dessus dans mon analyse des motifs d’opposition fondés sur l’absence de droit à l’enregistrement, l’Opposante ne s’est pas déchargée de son fardeau de preuve à l’égard du nom commercial MARLBORO CANADA.

[67]           La différence entre les dates pertinentes n’a pas d’incidence notable sur mon analyse du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d), exposée ci-dessus. Par conséquent, ma conclusion, formulée précédemment, quant à la probabilité de confusion entre chacune des Marques et la marque de commerce MARLBORO s’applique à ces motifs également. J’estime donc que la Requérante s’est acquittée de son fardeau de démontrer qu’il n’existe pas de probabilité raisonnable de confusion entre chacune des Marques et la marque de commerce MARLBORO de l’Opposante.

[68]           Compte tenu de ce qui précède, les motifs d’opposition fondés sur l’absence de caractère distinctif sont rejetés dans les deux dossiers.

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i)

[69]           Comme il a été mentionné précédemment, l’Opposante a allégué que la Requérante ne pouvait pas être convaincue d’avoir le droit d’employer les Marques au Canada en liaison avec les Marchandises, contrairement aux dispositions de l’alinéa 30i) de la Loi, car, ce faisant, elle exercerait une concurrence déloyale vis-à-vis de l’Opposante en créant intentionnellement et à dessein de la confusion avec la marque de commerce MARLBORO de l’Opposante, tel qu’il est exposé plus en détail dans les paragraphes d’introduction des déclarations d’opposition modifiées, le tout en contravention avec l’alinéa 7b) de la Loi et l’article 1457 du Code civil du Québec.

[70]           Ce motif d’opposition, tel qu’il est formulé, s’articule autour de la probabilité de confusion entre chacune des Marques et la marque de commerce MARLBORO. J’estime qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30i) soulevé par l’Opposante constitue, tel qu’il est formulé, un motif d’opposition valable, ni si l’Opposante s’est acquittée de son fardeau de preuve initial à l’égard de ce motif. En effet, même si je concluais que ce motif d’opposition est correctement formulé et que l’Opposante s’est acquittée de son fardeau initial, il me faudrait néanmoins rejeter ce motif puisque ma conclusion, formulée précédemment, quant à l’absence de probabilité de confusion à la date de production de chacune des demandes demeure applicable.

[71]           Compte tenu de ce qui précède, les motifs d’opposition fondés sur l’alinéa 30i) sont rejetés dans les deux dossiers.

Décision

[72]           Compte tenu de ce qui précède et dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette les oppositions en application du paragraphe 38(8) de la Loi.

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Annie Robitaille

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

Traduction certifiée conforme

Judith Lemire

 


Annexe « A »


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