Contenu de la décision
TRADUCTION/TRANSLATION
AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de
Smithkline Beecham Inc. à la demande no 816,114
concernant la marque de commerce AH!
produite par Colgate-Palmolive Canada Inc.
Le 24 juin 1996, la requérante, Colgate-Palmolive Canada Inc., a produit une demande en vue d’enregistrer la marque de commerce AH! en liaison avec [traduction] « du dentifrice et du rince-bouche », fondée sur un emploi proposé de la marque au Canada. La demande a été annoncée le 25 octobre 1996 pour fins d’opposition.
L’opposante, Smithkline Beecham Inc., a produit une déclaration d’opposition le 23 septembre 1997, dont une copie a été expédiée à la requérante le 7 octobre 1997. Elle invoque comme premier motif d’opposition que la marque visée par la demande n’est pas enregistrable en application de l’alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerces, L.R.C. 1985, ch. T-13 (ci-après la Loi), en ce qu’elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des marchandises visées. Comme deuxième motif d’opposition, elle soutient que la marque de commerce visée par la demande n’est pas enregistrable suivant les dispositions de l’article 10 et de l’alinéa 12(1)e) de la Loi parce que le mot « AH! », en raison d’une pratique commerciale authentique, est devenu reconnu au Canada comme désignant la qualité du dentifrice et du rince-bouche. Elle soulève comme troisième motif que la marque de commerce visée par la demande ne distingue pas la requérante.
La requérante a produit et signifié une contre-déclaration. L’opposante a produit en preuve les affidavits de Mary Jane Lemenchick, Carl Gauthier et Suzy Torres. Les déposants Gauthier et Torres n’ayant pu se libérer pour le contre-interrogatoire, leurs affidavits ne font plus partie de la présente opposition (voir lettre du Bureau en date du 2 juin 1999). La requérante a produit en preuve un affidavit de Denise Lacombe. Les deux parties ont déposé une argumentation écrite et elles étaient toutes deux représentées lors de l’audience.
En ce qui a trait au premier motif d’opposition de l’opposante, la date de ma décision est celle dont il faut tenir compte pour l’examen des circonstances concernant la question soulevée eu égard à l’alinéa 12(1)b) de la Loi : voir la décision Lubrication Engineers, Inc. c. Le Conseil canadien des ingénieurs professionnels, (1992) 41 C.P.R.(3d) 243 (C.A.F). En outre, il faut décider de cette question en se plaçant du point de vue de l’utilisateur moyen des marchandises. Enfin, la marque de commerce concernée ne doit pas être minutieusement analysée et disséquée mais elle doit plutôt être examinée dans son ensemble et du point de vue de la première impression : voir Wool Bureau of Canada Ltd. v. Registrar of Trade Marks, (1978) 40 C.P.R.(2d) 25, aux pages 27 et 28, et Atlantic Promotions Inc. v. Registrar of Trade Marks, (1984) 2 C.P.R.(3d) 183, à la page 186.
Mme Lemenchick a déclaré être agente de marques de commerce à l’emploi des agents de l’opposante. Dans son affidavit, elle soumet en preuve la définition suivante du mot « AH » tiré du Webster’s II New College Dictionary : [traduction] « Interjection servant à exprimer diverses émotions telle la surprise, la douleur ou la satisfaction ».
La preuve de la requérante consiste en l’affidavit de Mme Lacombe qui se présente comme étant étudiante en droit à l’emploi des agents de la requérante. Dans son affidavit, elle soumet en preuve plusieurs extraits de différents dictionnaires dans lesquels elle a fait une recherche en ligne et qui incluent les définitions suivantes du mot « AH » :
Merriam-Webster Dictionary - [traduction] interjection servant à exprimer la joie, le soulagement, le regret ou le mépris
Webster’s Revised Unabridged Dictionary - [traduction] exclamation exprimant la surprise, la pitié, la plainte, la supplication, le mépris, la menace, la joie, le triomphe, etc. selon la façon dont le sentiment est exprimé.
Easton’s 1897 Bible Dictionary - [traduction] exclamation de douleur ou de regret
The Newbury House Online Dictionary - [traduction] expression de surprise, de dégoût, de douleur, compréhension, plaisir, etc.
Wordsmyth English Dictionary-Thesaurus - [traduction] interjection servant à exprimer la surprise, la joie, la douleur, le consentement, la répugnance, et d’autres émotions ou réactions selon le contexte.
Lors de l’audience, l’opposante a invoqué un certain nombre de décisions au soutien de son argument voulant que le mot « AH! » donne un description claire ou donne une description fausse et trompeuse des marchandises visées. Par exemple, l’opposante a renvoyé à la décision rendue dans Imperial Tobacco Limited c. Benson & Hedges (Canada) Inc. (1983) 75 C.P.R. (2d) 115 (C.F.1re inst.) (ci-après Imperial Tobacco), dans laquelle il a été jugé que, malgré le fait que les dictionnaires contiennent une pléthore de définitions du mot « RIGHT », le sens qui revenait dans les définitions, lorsque le mot était employé en liaison avec des marchandises, était « convenable, approprié, désirable et satisfaisant ». La Cour a conclu que parmi toutes ces définitions « [o]n retrouve l’idée de satisfaire à une certaine norme ». En conclusion, il a été jugé que le mot RIGHT avait une « connotation louangeuse selon laquelle les marchandises modifiées satisfont ainsi à une norme précise et sont désirables et satisfaisantes ».
L’opposante soutient qu’en l’espèce, bien qu’il existe plusieurs définitions du mot AH dans différents dictionnaires, il ressort de ces définitions que ce mot est employé pour exprimer une variété d’émotions. L’opposante allègue que lorsqu’elle est employée en liaison avec du rince-bouche ou du dentifrice, la marque AH! ne peut avoir qu’une signification, celle du plaisir ou de la satisfaction que l’on tire à utiliser le produit de la requérante. En conséquence, l’opposante fait valoir que le mot AH, tout comme le mot RIGHT dans l’affaire Imperial Tobacco, précitée, possède la connotation louangeuse selon laquelle les marchandises ainsi modifiées satisfont à une norme ou à une qualité précise et qu’elles sont désirables et satisfaisantes. En d’autres mots, comme la marque AH! sert à décrire l’expression du plaisir ou de la satisfaction, l’utilisateur moyen de ces marchandises aurait comme première impression qu’il s’agit de marchandises de grande qualité. L’opposante ajoute que, comme dans l’affaire Melitta-Werke Bentz & Sohn v. VKI Technologies Inc. (1992), 44 C.P.R. (3d) 256 (COMC), l’emploi du point d’exclamation en l’espèce accentue la nature louangeuse du mot AH.
À mon avis, on peut distinguer la présente affaire de la décision Imperial Tobacco. Dans cette affaire, le mot RIGHT a été considéré comme étant un adjectif modifiant les marchandises alors que le mot AH de l’espèce fonctionne comme une interjection. De plus, dans cette affaire, la définition du mot RIGHT était « convenable, approprié, désirable ou satisfaisant », alors qu’en l’espèce le mot AH est défini comme étant une interjection expressive marquant une émotion telle le plaisir ou la satisfaction. Ainsi, le mot AH!, avec ou sans point d’exclamation ne fait pas, selon moi, l’éloge de la valeur ou de la supériorité du rince-bouche ou du dentifrice.
À mon avis, la présente affaire peut se comparer à la décision rendue dans Morris et al. Trading as Happy Cooker Catering v. Lisko (1982), 70 C.P.R. (2d) 254 (COMC) (ci-après Happy Cooker). Dans cette affaire, le président Partington a fait les commentaires suivants à la page 255 :
[traduction] Du point de vue de l’impression immédiate et de l’utilisateur moyen des services du requérant ou du consommateur moyen des publications ou des marchandises de cuisine du requérant , j’estime qu’une telle personne ne considérerait pas la marque de commerce « THE HAPPY COOKER » comme étant clairement descriptive du caractère ou de la qualité des marchandises ou des services du requérant. La marque « THE HAPPY COOKER » visée par les marchandises ou les services du requérant suggérerait plutôt au consommateur ou à l’utilisateur moyen des marchandises ou services du requérant un sentiment de plaisir provenant de l’usage de ces marchandises ou de l’utilisation de ces services ». (non souligné dans l’original)
En l’espèce, j’estime que le consommateur moyen du dentifrice ou du rince-bouche de la requérante, du point de vue de l’impression immédiate, ne considérerait pas que la marque de commerce AH! donne une description claire soit du caractère, soit de la qualité des marchandises de la requérante. Comme dans l’affaire Happy Cooker, précitée, la marque AH! telle qu’apposée sur les marchandises de la requérante suggérerait plutôt au consommateur ou à l’utilisateur moyen de celles-ci qu’il pourrait tirer du plaisir à les utiliser. Je rejette donc le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)b).
En ce qui a trait au second motif d’opposition, l’opposante affirme que la marque de commerce visée par la demande n’est pas enregistrable selon l’alinéa 12(1)e) parce qu’elle ne respecte par l’article 10 de la Loi. L’opposante n’ayant produit aucun élément de preuve au soutien de ce moyen d’opposition, celui-ci est également rejeté.
Quant au troisième motif d’opposition, c’est à la requérante qu’incombe le fardeau ultime de démontrer que la marque est adaptée à distinguer ou distingue présentement ses marchandises de celles des autres à travers le Canada : voir Muffin Houses Incorporated v. The Muffin House Bakery Ltd., (1985) 4 C.P.R.(3d) 272 (COMC). De plus, la date pertinente pour l’examen des circonstances relatives à cette question est celle du dépôt de l’opposition (c.-à-d. le 23 septembre 1997) : voir Re Andres Wines Ltd. et E. & J. Gallo Winery, (1975) 25 C.P.R.(2d) 126, à la page 130 (C.A.F), et Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd., (1991) 37 C.P.R.(3d) 412, à la page 424 (C.A.F.).
L’opposante soutient que comme la marque de la requérante est fondée sur un emploi proposé et comme la requérante n’a produit aucune preuve de l’emploi de sa marque au Canada, on ne peut dire que la marque de la requérante ait acquis un quelconque caractère distinctif. En outre, l’opposante soutient que la marque ne peut être adaptée à distinguer les marchandises de la requérante de celles des autres parce qu’elle est louangeuse et donne une description claire de la nature ou de la qualité des marchandises de la requérante.
Les conclusions auxquelles j’en suis venu à l’égard du premier motif d’opposition s’appliquent également à celui-ci. L’opposante n’ayant produit aucun autre élément de preuve au soutien de son motif fondé sur le caractère non distinctif, celui-ci est rejeté.
Compte tenu de ce qui précède, et par le pouvoir qui m’a été délégué en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette la présente demande d’opposition en application du paragraphe 38(8) de la Loi.
FAIT À HULL (QUÉBEC) LE 23e JOUR D’avril 2001.
C.R. Folz,
Membre
Commission des oppositions
des marques de commerce