Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2016 COMC 113

Date de la décision : 2016-07-06

[TRADUCTION CERTIFIÉE,
NON RÉVISÉE]

DANS L'AFFAIRE DE L'OPPOSITION

 

 

Havana Club Holding S.A.

Opposante

et

 

Ron Matusalem & Matusa of Florida, Inc.

Requérante

 

 

 



 

1,554,074 pour le dessin d’étiquette THE SPIRIT OF CUBA

 

Demande

Introduction

[1]               Havana Club Holding S.A. (l’Opposante) s’oppose à l'enregistrement de la marque de commerce illustrée ci-dessous (la Marque), laquelle fait l’objet de la demande no 1,554,074 produite par Ron Matusalem & Matusa of Florida, Inc. (la Requérante), une société constituée et existant sous le régime des lois de l’État de la Floride.

THE SPIRIT OF CUBA LABEL DESIGN

[2]               Produite le 28 novembre 2011, la demande, dans sa version modifiée du 12 juillet 2013, est basée sur l’emploi projeté de la Marque au Canada en liaison avec les produits et services suivants [Traduction] :

Produits : rhum produit en République dominicaine.

Services : promotion de boissons alcoolisées au moyen d'activités promotionnelles dans des magasins de détail, des bars, des restaurants et des boîtes de nuit ainsi que lors d'évènements spécialisés commandités pour le compte de tiers; vente au détail de boissons alcoolisées.

[3]               La question déterminante dans la présente procédure est celle de savoir si la Marque donne une description fausse et trompeuse en langue anglaise du lieu d’origine des produits et services de la Requérante.

[4]               Pour les raisons exposées ci-après, j'estime que la demande doit être repoussée.

Le dossier

[5]               Le 18 juin 2014, l'Opposante a produit une déclaration d'opposition soulevant quatre motifs d’opposition fondés sur l’article 38(2)a) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13 (la Loi). En résumé, les motifs d’opposition invoqués sont les suivants :

1.    La demande n’est pas conforme à l’article 30a) de la Loi puisque les services ne peuvent pas être considérés comme des « services » au sens de la Loi étant donné qu’ils ne procurent pas un avantage à des tiers.

2.    La demande n'est pas conforme à l'article 30e) de la Loi puisque que la Requérante n'avait pas l'intention d'employer la Marque en liaison avec les produits et services.

3.    La Marque n’est pas enregistrable suivant de l’article 12(1)b) de la Loi puisqu’elle donne une description fausse et trompeuse en langue anglaise du lieu d’origine des produits et services.

4.    La Marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi puisqu’elle donne une description fausse et trompeuse en langue anglaise du lieu d’origine des produits et services de la Requérante.

[6]               La Requérante a produit une contre-déclaration dans laquelle elle nie l'ensemble des allégations formulées dans la déclaration d'opposition.

[7]               La preuve de l'Opposante est composée de déclarations solennelles de :

      Marylène Gendron, accompagnée des pièces « MG‑1 » à « MG‑12 » et datée du 18 décembre 2014

      Chantal Marien, accompagnée des pièces « CM-1 » à « CM-12 » et datée du 18 décembre 2014

[8]               La preuve de la Requérante est composée des affidavits de :

      Claudio I. Alvarez Salazar, accompagné des pièces 1 à 3 et daté du 17 avril 2015

      Caridad Piñeiro Scordato, accompagné des pièces 1 à 5 et daté du 16 avril 2015

      Christine McCluskey, accompagné de la pièce 1 et daté du 16 avril 2015

      Edith-Julie Arsenault, accompagné des pièces 1 à 19 et daté du 17 avril 2015

[9]               Aucun contre-interrogatoire n'a été mené.

[10]           Chaque partie a produit un plaidoyer écrit et était représentée à l'audience qui a été tenue.

Remarques préliminaires

[11]           Même si elles ne sont pas des sociétés liées ou affiliées, les parties ne sont pas des étrangères. Le dossier montre que l’Opposante s’est opposée à l’enregistrement de la marque de commerce nominale THE SPIRIT OF CUBA (no 1,154,259) de la Requérante en liaison avec les produits [Traduction] « rhum et coquetels sans alcool » et les services « promotion de boissons alcoolisées et non alcoolisées au moyen d’activités promotionnelles sur place dans des magasins de détail, bars, restaurants, boîtes de nuit et lors des activités spéciales parrainées; ventes au détail de boissons alcoolisées » [voir Havana Club Holding, Inc c Ron Matusalem & Matusa of Florida, Inc, 2009 CanLII 82125, 79 CPR (4th) 332 (COMC) (The Spirit of Cuba)].

[12]           Dans l’affaire The Spirit of Cuba, les motifs d’opposition invoqués portaient que la marque de commerce n’était pas enregistrable suivant l’article 12(1)b) de la Loi et n’était pas distinctive suivant l’article 2 de la Loi parce qu'elle donnait une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des produits (le registraire a considéré que les allégations formulées ne mettaient pas en doute l’enregistrabilité et le caractère distinctif de la marque de commerce en liaison avec les services). Finalement, le registraire a conclu que la marque de commerce THE SPIRIT OF CUBA donnait une description fausse et trompeuse du lieu d’origine du produit [Traduction] « rhum » qui ne provenait pas de Cuba. La décision du registraire a été confirmée par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale [Ron Matusalem & Matusa of Florida Inc c Havana Club Holding Inc, SA, 2010 CF 786, 86 CPR (4th) 437; 2011 CAF 244, 96 CPR (4th) 218].

Le fardeau de preuve incombant à chacune des parties

[13]           C'est à la Requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer que la demande d'enregistrement ne contrevient pas aux dispositions de la Loi ainsi qu'il est allégué dans la déclaration d'opposition. Cela signifie que, s'il est impossible d'arriver à une conclusion déterminante une fois que toute la preuve a été présentée, la question doit être tranchée à l'encontre de la Requérante. L'Opposante doit, pour sa part, s'acquitter du fardeau initial de prouver les faits sur lesquels elle appuie ses allégations. Le fait qu'un fardeau de preuve initial soit imposé à l'Opposante signifie qu'un motif d'opposition ne sera pris en considération que s'il existe une preuve suffisante pour permettre de conclure raisonnablement à l'existence des faits allégués à l'appui de ce motif d'opposition [voir John Labatt Ltd c Molson Companies Ltd (1990), 30 CPR (3d) 293 (CF 1re inst); Dion Neckwear Ltd c Christian Dior, SA et al 2002 CAF 29, 20 CPR (4th) 155; et Wrangler Apparel Corp c The Timberland Company 2005 CF 722, 41 CPR (4th) 223].

La preuve

[14]           Je fournirai ci-dessous un aperçu de la preuve produite par chacune des parties.

Preuve de l'Opposante

Déclaration solennelle de Marylène Gendron

[15]           Mme Gendron, une adjointe administrative du cabinet de l’agent de marques de commerce de l’Opposante, produit une copie de sa déclaration solennelle du 4 mars 2010 (la déclaration de 2010) produite à la Cour fédérale dans le cadre de la procédure d’appel concernant la décision du registraire dans l’affaire The Spirit of Cuba.

[16]           La déclaration de 2010 comprenait les résultats de recherches menées par Mme Gendron sur des sites Web de régies provinciales des alcools du Canada dans le but de déterminer si le mot « spirit » [esprit/spiritueux] ou « spirits » [esprits/spiritueux] était employé pour désigner une catégorie de produits, et aussi de montrer des produits à base de rhum provenant de Cuba. Elle comprenait également les résultats de recherches menées par Mme Gendron afin de déterminer si les sociétés « Pernod Ricard », « Diageo » et « Constellation » employaient le mot « spirit » [esprit/spiritueux] ou « spirits » [esprits/spiritueux] sur leurs sites Web respectifs.

[17]           Mme Gendron a mené les mêmes recherches que celles menées pour sa déclaration de 2010 et elle produit les résultats de ces recherches.

Déclaration solennelle de Chantal Marien

[18]           Mme Marien, une adjointe administrative du cabinet de l’agent de marques de commerce de l’Opposante, produit les résultats de recherches qu’elle a menées sur différents sites Web et dans des dictionnaires et des guides de voyage en ligne en employant, selon le cas, les mots-clés suivants :

      « Cuba » et « rhum »

      « Cuba » et « rum » [rhum]

      « rhum cubain »

      « spirit » [esprit/spiritueux] et « rum » [rhum]

      « spirit » [esprit/spiritueux]

      « rum » [rhum]

      « Cuban rum » [rhum cubain]

Preuve de la Requérante

Affidavit de Claudio I. Alvarez Salazar

[19]           M. Salazar est un descendant de la famille fondatrice à l’origine de la société qui est actuellement la Requérante. Il est également membre du conseil d'administration et actionnaire de la Requérante.

[20]           M. Salazar explique l’histoire de la Requérante et l’origine du rhum MATUSALEM de la Requérante. M. Salazar fournit également certains détails concernant la publicité de la marque MATUSALEM. Il explique que la Requérante, dans le cadre de ses activités publicitaires, prévoit employer le slogan « THE SPIRIT OF CUBA » [l’esprit de Cuba], « EL ESPIRITU DE CUBA » en espagnol, en référence à son histoire cubaine. M. Salazar explique que « THE SPIRIT OF CUBA » [l’esprit de Cuba] fait référence à [Traduction] « l'âme » ou à « l'essence » de l'histoire de la Requérante à Cuba incarnée par les produits de rhum de la Requérante.

[21]           Finalement, M. Salazar explique l’histoire de l’industrie du rhum à Cuba telle qu’il la comprend d'après ses lectures de divers ouvrages et publications historiques et d'après les récits transmis par sa famille.

Affidavit de Caridad Piñeiro Scordato

[22]           Mme Scordato est une avocate et associée du cabinet d'avocats américain Abelman, Fraybe & Schwab, lequel a représenté la Requérante et son prédécesseur titulaire des mêmes droits pendant plus de dix ans.

[23]           Mme Scordato fournit des renseignements sur un produit d’Havana Club International S.A. appelé ESSENCE OF CUBA et lancé par Pernod Ricard S.A.

Affidavit de Christine McClusky

[24]           Mme McCluskey est une recherchiste parajuriste en marques de commerce du cabinet d'avocats américain Abelman, Fraybe & Schwab. Elle est la superviseuse du service de recherche en marques de commerce.

[25]           Mme McCluskey produit les résultats d’une recherche qu’elle a menée le 15 avril 2015 dans la base de données de marques de commerce Corsearch pour le Canada afin de trouver des enregistrements actifs de marques de commerce comprenant le mot « Cuba » et pour lesquelles l’adresse du propriétaire n’était pas située à Cuba.

Affidavit d’Edith-Julie Arsenault

[26]           Mme Arsenault, une agente en marques de commerce du cabinet de l’agent en marques de commerce de la Requérante, produit les résultats de recherches qu’elle a menées sur différents sites Web et dans des guides de voyage en ligne en employant, selon le cas, les mots-clés suivants :

      « République dominicaine »

      « Dominican Republic » [République dominicaine]

      « Dominican rums » [rhums dominicains]

      « République dominicaine guide de voyage »

      « Dominican Republic rums » [rhums de la République dominicaine]

      « Dominican rum » [rhum dominicain]

      « rhum dominicain »

[27]           Mme Arsenault produit également les résultats de recherches qu’elle a menées sur les sites Web de régies provinciales des alcools du Canada à l’aide du mot « rum » [rhum] ou « rhum » selon le cas, pour montrer les pays d’origine des produits de rhum vendus au Canada par les régies provinciales des alcools.

Motifs d'opposition rejetés sommairement

[28]           Dans son plaidoyer écrit, l’Opposante a concédé qu’elle ne s’était pas acquittée de son fardeau de preuve initial à l'égard des motifs d’opposition portant que la demande n’est pas conforme aux articles 30a) et 30e) de la Loi. À l’audience, l’Opposante a indiqué qu’elle désirait maintenir ces motifs d’opposition dans l'éventualité où elle porterait l'affaire en appel.

[29]           Par conséquent, les motifs d'opposition fondés sur les articles 38(2)a) et 30a) et e) de la Loi sont rejetés parce que l'Opposante ne s'est pas acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait.

Analyse des autres motifs d'opposition

[30]           Les deux autres motifs d’opposition portent que la Marque n’est pas enregistrable suivant l’article 12(1)b) de la Loi et n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi. Les questions que soulèvent ces motifs d'opposition sont les mêmes :

La Marque donnait-elle une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des produits et services de la Requérante à la date pertinente?

[31]           La date pertinente qui s’applique au motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)b) est la date de production de la demande [voir Fiesta Barbeques Limited c General Housewares Corporation, 2003 CF 1021, 28 CPR (4th) 60]. La date pertinente qui s’applique au motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif est la date de production de la déclaration d'opposition [voir Metro-Goldwyn-Mayer Inc c Stargate Connections Inc, 2004 CF 1185, 34 CPR (4th) 317].

[32]           Cependant, puisque la demande est basée sur un emploi projeté de la Marque et qu’il n’y a aucune preuve que la Marque ou l'expression « THE SPIRIT OF CUBA » [l’esprit de Cuba] a été employée ou annoncée au Canada à une date quelconque, rien ne dépend de la date pertinente retenue pour apprécier la question en l’espèce. Autrement dit, le fait que la question soit appréciée en fonction de la date du 28 novembre 2011 ou de la date du 18 juin 2014 n’a aucune incidence sur le résultat en l’espèce. J'ajouterais que cela n'est pas contesté par la Requérante.

[33]           J’examinerai la question du point de vue des produits et du point de vue des services de la Requérante successivement.

Produits de la Requérante

[34]           Comme je l’ai déjà mentionné, il a été conclu dans The Spirit of Cuba que « THE SPIRIT OF CUBA » [l’esprit de Cuba] donnait une description fausse et trompeuse du lieu d’origine du rhum qui ne provenait pas de Cuba. À l’audience, la Requérante a respectueusement exprimé son désaccord avec cette conclusion. Plus particulièrement, la Requérante a réitéré sa théorie selon laquelle les consommateurs canadiens de produits de rhum percevraient « THE SPIRIT OF CUBA » [l’esprit de Cuba] comme décrivant un état d’esprit, une atmosphère ou une attitude propre à Cuba. Cependant, la Requérante a finalement concédé que je suis liée par le précédent que constitue l’affaire The Spirit of Cuba, comme l’a fait valoir l’Opposante.

[35]           Comme je me considère liée par le précédent que constitue l’affaire The Spirit of Cuba, je conclus que l'expression « THE SPIRIT OF CUBA » [l’esprit de Cuba] contenue dans la Marque donne une description fausse et trompeuse du lieu d’origine du [Traduction] « rhum produit en République dominicaine » (les Produits).

[36]           Ainsi, la question qui se pose est celle de savoir si la Marque dans son ensemble, qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, donne une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des Produits. Pour répondre à cette question, je dois décider si l'expression « THE SPIRIT OF CUBA » [l’esprit de Cuba] est un élément à ce point dominant de la Marque dans son ensemble que la Marque demeure vouée à donner une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des Produits [voir Best Canadian Motor Inns Ltd c Best Western International, Inc., 2004 CF 135, 30 CPR (4th) 481].

[37]           L’Opposante affirme que « THE SPIRIT OF CUBA » [l’esprit de Cuba] est l’élément dominant de la Marque parce que ces mots se démarquent clairement et attirent immédiatement l’attention du consommateur pour les raisons suivantes :

•   Les mots sont situés au haut du dessin.

      La taille des lettres est plus grande que celle des autres écrits.

      Les mots sont en caractères gras.

      Le [Traduction] « logo » sur le côté gauche n’est pas assez grand pour dominer la représentation visuelle de la Marque.

      [Traduction] « L'arrière-plan rectangulaire » est un élément faible et non distinctif de la Marque.

      Les mots « PRODUCT OF DOMINICAN REPUBLIC » [produit de la République dominicaine] figurent dans la partie inférieure en caractères plus petits, lesquels sont en fait difficiles à lire.

      Les mots « PRODUCT OF DOMINICAN REPUBLIC » [produit de la République dominicaine] sont purement descriptifs et n’ont aucune incidence significative pour les consommateurs.

[38]           L’Opposante soutient également que l'expression « PRODUCT OF DOMINICAN REPUBLIC » [produit de la République dominicaine] ne serait pas perçue comme une caractéristique distinctive de la Marque et que les consommateurs ne porteraient probablement même pas attention à cet élément de la Marque.

[39]           Finalement, l’Opposante cite quelques décisions pour donner davantage de poids à sa théorie voulant que l'expression « THE SPIRIT OF CUBA » [l’esprit de Cuba] soit l’élément dominant de la Marque. Au nombre de ces décisions, l’Opposante cite Corporation Cuba Ron (SA) c Hela Wines & Spirits APS, 2009 CanLII 82139, 81 CPR (4th) 217 (COMC) (Cuba Ron) qui porte sur la marque composée illustrée ci-dessous dans le contexte d'un emploi en liaison avec de la vodka et des boissons à base de vodka.

CUBA & Design

[40]           Dans cette affaire, la marque était visée par une opposition au motif qu’elle donnait une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des produits puisque la vodka ne provenait pas de Cuba. L’Opposante insiste sur les commentaires suivants du registraire concernant l’appréciation de l’élément dominant de la marque [Traduction] :

[13]   Aux termes de l’alinéa 12(1)b) de la Loi, n’est pas enregistrable une marque composite dont la forme sonore comporte des éléments lexicaux qui donnent une description claire ou une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des marchandises et qui constituent aussi l’élément dominant de la marque [voir Best Canadian Motor Inns Ltd. c. Best Western International, Inc. (2004), 30 C.P.R. (4th) 481 (C.F. 1re inst.)]. En outre, il faut examiner si les mots faux et trompeurs « dominent la marque de commerce visée par la demande au point... de faire obstacle à l’enregistrement de celle-ci ... » [Conseil canadien des ingénieurs c. John Brooks Co. (2004), 35 C.P.R. (4th) 507 (C.F. 1re inst.)].

[14]   En l’espèce, la marque comporte notamment le mot CUBA, l’expression MADE IN DENMARK, qui figure à deux endroits différents, l’expression THE REVOLUTIONARY VODKA, qui figure elle aussi à deux endroits différents et la mention du site Web de la Requérante, www.cubavodka.com. J’estime que l’élément dominant de la Marque est le mot CUBA, parce qu’il figure en caractères plus gros et plus gras que les autres mots ou éléments graphiques et qu’il est placé dans la partie supérieure du dessin.

[soulignement ajouté]

[41]           Finalement, le registraire a conclu que la marque composée était enregistrable puisqu’il n’y avait aucune preuve établissant que Cuba était connu pour être associé à la vodka.

[42]           Avant de me pencher sur les observations de la Requérante, je souligne que le [Traduction] « logo » sur le côté gauche de la Marque est décrit par la Requérante dans son plaidoyer écrit comme [Traduction] « la représentation d’une hirondelle avec un ruban dans son bec ». Également, ce que l’Opposante décrit comme un [Traduction] « arrière-plan rectangulaire » est défini par la Requérante comme [Traduction] « l’étiquette ».

[43]           À l’audience, non seulement la Requérante a fait valoir que l’étiquette représente une part importante de la Marque, mais elle a soutenu que la représentation d’une hirondelle est aussi dominante que « THE SPIRIT OF CUBA » [l’esprit de Cuba], sinon plus. De plus, la Requérante a contesté l’argument de l’Opposante voulant que l'expression « PRODUCT OF DOMINICAN REPUBLIC » [produit de la République dominicaine] n’ait aucune importance pour l’appréciation de l'enregistrabilité de la Marque dans son ensemble.

[44]           En fait, la théorie de la Requérante selon laquelle la Marque ne donne pas une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des Produits repose essentiellement sur l'expression « PRODUCT OF DOMINICAN REPUBLIC » [produit de la République dominicaine] de la Marque. Afin de mieux refléter la théorie de la Requérante, j'estime utile de reproduire les observations suivantes de la Requérante tirée de la page 11 de son plaidoyer écrit [Traduction] :

[…] la Marque indique clairement « PRODUCT OF DOMINICAN REPUBLIC »” [produit de la République dominicaine] au centre de l’étiquette. Par conséquent, à la première impression, la Marque indique clairement aux consommateurs potentiels que les produits constitués de rhum proviennent de la République dominicaine. Également, à la vue de la Marque, les consommateurs potentiels sauront immédiatement, à la première impression, que les produits proviennent de la République dominicaine.

Il va de soi, que le consommateur canadien moyen comprendrait, à la première impression, que le lieu d’origine des produits est la République dominicaine. Ils ne croiraient pas que les produits proviennent de Cuba puisqu’il est clairement indiqué qu’ils proviennent d’un autre pays, soit la République dominicaine.

[45]           À l’audience, la Requérante a ajouté à ces observations qu’un consommateur qui croirait que les Produits proviennent de Cuba serait un « idiot » puisque la Marque indique clairement « PRODUCT OF DOMINICAN REPUBLIC » [produit de la République dominicaine].

[46]           Enfin, la Requérante cite également la décision rendue dans l’affaire Cuba Ron à l’appui de sa cause. Plus particulièrement, la Requérante soutient que la « conclusion » suivante du registraire devrait s’appliquer en l’espèce du fait de la présence de l'expression « PRODUCT OF DOMINICAN REPUBLIC » [produit de la République dominicaine] dans la Marque [Traduction] :

[19]   J’ajouterais que même s’il avait été démontré que des Canadiens considéreraient que le mot CUBA donne une description fausse du lieu d’origine de la vodka, je ne conclurais pas pour autant que la Marque dans son entier donne une description fausse et trompeuse du lieu d’origine de la vodka de la Requérante. En effet, les mots « made in Denmark » figurant à deux endroits dans la Marque empêchent de penser que la vodka provient de Cuba. Par conséquent, bien que CUBA puisse être l’élément dominant de la Marque, je suis d’avis qu’il ne domine pas la marque dans son entier au point qu’il faille refuser l’enregistrement.

[47]           En réponse, l’Opposante a respectueusement indiqué son désaccord avec les commentaires susmentionnés, mais surtout elle a souligné qu’ils constituaient une opinion incidente.

[48]           Me penchant maintenant sur les observations des parties, je souligne en premier lieu qu'il est de droit constant que chaque affaire doit être jugée en fonction des circonstances qui lui sont propres. Ainsi, le fait que le registraire dans l’affaire Cuba Ron ait pu conclure que la marque de commerce dans son ensemble ne donnait pas une description fausse et trompeuse du lieu d’origine de la vodka n'aide en rien la cause de la Requérante. Dans le même ordre d’idées, le fait que CUBA a été considéré comme l’élément dominant de la marque de commerce dans Cuba Ron n'aide en rien la cause de l'Opposante.

[49]           En deuxième lieu, comme je l’ai mentionné à la Requérante à l’audience, indépendamment de la théorie de la Requérante quant à l’importance de l’élément figuratif de la Marque, l’article 12(1)b) de la Loi interdit l'enregistrement d’une marque qui donne une description claire ou une description fausse et trompeuse qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore. De plus, comme l’a fait observer la Cour suprême dans l’affaire Engineers Canada/Ingénieurs Canada c Rem Chemicals, Inc, 2014 CF 644, 125 CPR (4th) 245, [Traduction] « il ressort clairement de la jurisprudence que des mots clairement descriptifs ou faussement descriptifs “sous leur forme sonore” ne peuvent devenir enregistrables par l’ajout de composantes graphiques ».

[50]           En troisième lieu, je conviens avec l’Opposante que, à la première impression, l'expression « THE SPIRIT OF CUBA » [l’esprit de Cuba] est l’élément dominant de la Marque, et que l'expression « PRODUCT OF DOMINICAN REPUBLIC » [produit de la République dominicaine] ne serait probablement pas perçue par un consommateur comme faisant partie de la Marque. Autrement dit, la Requérante ne m’a pas convaincue qu'on ne peut pas conclure que la Marque dans son ensemble donne une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des Produits parce que l'expression « PRODUCT OF DOMINICAN REPUBLIC » [produit de la République dominicaine] figure [Traduction] « au centre de l’étiquette ».

[51]           En définitive, je suis d’avis que :

a)    La Marque serait prononcée d'après l'expression dominante « THE SPIRIT OF CUBA » [l’esprit de Cuba].

b)   La personne moyenne prononcerait la Marque comme « THE SPIRIT OF CUBA » [l’esprit de Cuba].

c)    L'expression « PRODUCT OF DOMINICAN REPUBLIC » [produit de la République dominicaine] n’est pas distinctive d’un commerçant en particulier.

d)   La représentation d’une hirondelle et l’élément figuratif de la Marque ne sont pas suffisants pour rendre la Marque dans son ensemble distinctive et enregistrable.

[52]           Ainsi, je conclus que la Marque dans son ensemble donnait une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des Produits à la date du 28 novembre 2011 ou à la date du 18 juin 2014.

[53]           Par conséquent, le motif d’opposition fondé sur l’article 12(1)b) et le motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif sont tous les deux accueillis en ce qui concerne les Produits.

Services de la Requérante

[54]           Pour commencer, je souligne que l’enregistrabilité et le caractère distinctif de la marque de commerce nominale THE SPIRIT OF CUBA dans le contexte d'un emploi en liaison avec des services comme ceux liés à la Marque n’ont pas été abordés dans l’affaire The Spirit of Cuba. Comme je l’ai déjà mentionné, le registraire dans cette affaire a considéré que les allégations formulées ne mettaient pas en doute l’enregistrabilité et le caractère distinctif de la marque de commerce en liaison avec les services.

[55]           La Requérante soutient que l’Opposante ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve initial qui lui incombait d’établir que la Marque dans le contexte d'un emploi en liaison avec les services [Traduction] « promotion de boissons alcoolisées au moyen d'activités promotionnelles dans des magasins de détail, des bars, des restaurants et des boîtes de nuit ainsi que lors d'évènements spécialisés commandités au profit de tiers; vente au détail de boissons alcoolisées » (les Services) n’est pas enregistrable suivant l’article 12(1)b) de la Loi et n'est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi.

[56]           À cet égard, la Requérante soutient que l’Opposante n’a produit aucune preuve établissant que Cuba est connu pour être associé aux Services. Par conséquent, même si l'expression « THE SPIRIT OF CUBA » [l’esprit de Cuba] est considérée comme l’élément dominant de la Marque dans son ensemble, chacun des motifs d’opposition portant que la Marque donne une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des Services ne peut être accueilli.

[57]           À l’audience, j’ai demandé à l’Opposante de donner son avis sur la théorie de la Requérante concernant le défaut de l’Opposante de s’acquitter de son fardeau de preuve initial d’établir que Cuba était connu pour être associé aux Services. En réponse, l’Opposante a d’abord réitéré l’opinion exprimée dans son plaidoyer écrit, c'est-à-dire que le raisonnement selon lequel la Marque dans son ensemble donne une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des Produits devrait s’appliquer également aux Services [Traduction] « puisqu’ils ont trait à la promotion et la vente de boissons alcoolisées qui comprennent du rhum ». L’Opposante a fait d’autres représentations verbales, faisant valoir essentiellement que pour déterminer si la Marque donne une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des Services, le registraire doit non seulement tenir compte de la preuve, mais doit aussi user de bon sens.

[58]           Après l’examen des observations des parties, je suis finalement d’accord avec l’Opposante.

[59]           En effet, il est clairement établi en droit que [Traduction] « le décideur doit non seulement considérer les éléments de preuve dont il dispose, mais aussi appliquer son sens commun à l’évaluation des faits » [voir Ontario Teachers’ Pension Plan Board c Canada (procureur général), 2011 CF 58, 89 CPR (4th) 301; conf 2012 CAF 60, 99 CPR (4th) 481].

[60]           De toute évidence, l’Opposante souligne avec raison que les boissons alcoolisées comprennent du rhum. De plus, compte tenu des faits en l’espèce, la conclusion raisonnable est que les Services se rapportent aux Produits.

[61]           En définitive, parce que les Produits et Services sont intimement liés, je conviens avec l’Opposante que, sous le coup de la première impression, un consommateur canadien serait amené à croire à tort que les Services liés à la Marque proviennent de Cuba, car les activités promotionnelles et les services de vente au détail concernent tous du rhum en provenance de Cuba.

[62]           Ainsi, je conclus que la Marque dans son ensemble donnait une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des Services à la date du 28 novembre 2011 ou à la date du 18 juin 2014. Je tiens à ajouter que dans le meilleur des scénarios pour la Requérante, je conclurais que les probabilités qu’un consommateur canadien soit amené à croire à tort que les Services liés à la Marque proviennent de Cuba sont également partagées. Comme la Requérante a le fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque ne donnait pas une description fausse et trompeuse du lieu d’origine des Services à l’une ou l’autre des dates pertinentes, je trancherais tout de même en faveur de l’Opposante.

[63]           Par conséquent, les motifs d’opposition fondés sur l’article 12(1)b) et sur l’absence de caractère distinctif sont également tous deux accueillis en ce qui concerne les Services.

Décision

[64]           Compte tenu de ce qui précède, dans l'exercice des pouvoirs qui m'ont été délégués en vertu des dispositions de l'article 63(3) de la Loi, je repousse la demande d'enregistrement no 1,554,074 selon les dispositions de l'article 38(8) de la Loi.

______________________________

Céline Tremblay

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

Traduction certifiée conforme

Nathalie Tremblay, trad.

COMMISSION DES OPPOSITIONS DES MARQUES DE COMMERCE

OFFICE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE DU CANADA

COMPARUTIONS ET AGENTS INSCRITS AU DOSSIER

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DATE DE L'AUDIENCE : 2016-05-10

 

COMPARUTIONS

 

Isabelle Jomphe                                                                                   POUR L’OPPOSANTE

 

Robert Brouillette                                                                                POUR LA REQUÉRANTE

 

AGENT(S) AU DOSSIER

 

Goudreau Gage Dubuc S.E.N.C.R.L./LLP                                         POUR L’OPPOSANTE

 

Brouillette & Associés/Partners.                                                          POUR LA REQUÉRANTE

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