Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION

PAR Effem Foods Ltd. à la demande

 d’enregistrement No. 828371

pour la marque de commerce

VELOUTÉ DE CHOCOLAT, propriété de Sonafi, Société Anonyme.

 

 

Sonafi, Société Anonyme (la «Requérante» a déposé le 8 novembre 1996 une demande pour l’enregistrement de la marque de commerce VELOUTÉ DE CHOCOLAT (la «Marque») en liaison avec des boissons à base de chocolat, chocolats et articles de chocolaterie, fondée sur un dépôt dans son pays d’origine, la France, le 6 décembre 1991 sous le numéro 1 710 393 et sur un emploi en France en liaison avec des boissons à base de chocolat, chocolats et articles de chocolaterie. Suite à des objections préliminaires de la part de la section de l’examen, la Requérante s’est désistée à l’usage exclusif du mot « CHOCOLAT » en dehors de la marque de commerce et les marchandises ont été précisées pour se lire :

Boissons à base de chocolat, nommément : boisson glacée au chocolat, boisson au chocolat à consommer chaud, lait au chocolat, lait frappé parfumé au chocolat; articles de chocolaterie, nommément : chocolats, chocolat en poudre, truffes au chocolat, bonbons au chocolat, chocolat en barres( les « Marchandises »).

 

L’examinateur avait soulevé, dans son rapport d’examen que la Marque ne semblait pas être enregistrable en vertu des dispositions de l’article 12(1)(b) de la loi sur les marques de commerce (la « loi »). La Requérante a su repousser cet argument et l’examinateur a émis un avis d’approbation. Cette demande d’enregistrement fut publiée le 12 novembre 1997 dans le journal des marques de commerce.

 

Effem Foods Ltd. (l’«Opposante») a déposé une déclaration d’opposition le 9 avril 1998 aux motifs que :

a)      La demande d’enregistrement ne respecte pas les dispositions de l’article 30 de la loi en ce que la Marque ne peut constituer une marque de commerce, puisqu’elle constitue une expression descriptive qui devrait demeurer disponible pour emploi auprès des autres commerçants en liaison avec des marchandises de même catégorie générale que des boissons à base de chocolat, et des produits de chocolat et ne devrait pas faire l’objet d’un monopole lié à des droits conférés à une marque de commerce;

b)      La demande d’enregistrement ne respecte pas les dispositions de l’alinéa 30 (e) de la loi en ce que la Requérante n’a pas l’intention d’employer la Marque à titre de marque de commerce;

c)      La demande d’enregistrement ne respecte pas les dispositions de l’alinéa 30 (i) de la loi en ce que la Requérante ne pouvait être convaincue, à la date de production de la demande d’enregistrement, ou à tout moment postérieur, d’avoir droit à l’usage de la Marque en liaison avec les Marchandises, en raison du caractère descriptif de la Marque ou que celle-ci donne une description fausse et trompeuse des Marchandises;

d)     La Marque n’est pas enregistrable en raison des dispositions des articles 38(2)(b) et 12(1)(b) de la loi en ce que la Marque donne une description claire ou fausse et trompeuse  en langue française de la nature ou de la qualité des Marchandises;

e)      La Requérante n’a pas le droit à l’enregistrement de la Marque en raison des dispositions de l’alinéa 38(2)(d) de la loi en ce que la Marque n’est pas distinctive puisqu’elle ne distingue pas et n’est pas apte à distinguer les Marchandises de la Requérante des marchandises des autres commerçants qui font affaires dans le même domaine soit la vente de boissons à base de chocolat ou des produits de chocolat.

 

L’Opposante ajoute que la Marque est composée de deux termes non-distinctifs soit « VELOUTÉ DE » et « CHOCOLAT » lorsque utilisés en liaison avec le Marchandises. L’Opposante prétend que la Requérante aurait admis la nature descriptive du mot CHOCOLAT en se désistant au droit de son usage exclusif. L’Opposante se réfère à la définition du mot VELOUTÉ dans le petit Larousse illustré (1991) citée par l’examinateur dans son rapport d’examen : « Qualité de ce qui est agréable au toucher, au goût, eg. le velouté d’un fruit , d’une crème ».

 

L’Opposante allègue que la Marque n’est qu’une description claire ou fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des Marchandises à savoir « qui est agréable au goût ».

 

Le 17 juin 1998 la Requérante a déposé une contre-déclaration d’opposition niant essentiellement tous les motifs d’opposition ci-haut décrits. L’Opposante a déposé au dossier l’affidavit de M. Robert Banack alors que la Requérante a déposé celui de M. Christian Danis. Seule la Requérante a produit une argumentation écrite et s’est présentée à l’audition de cette opposition.

 

M. Banack est un étudiant à l’emploi de la firme d’agents représentant l’Opposante. Il a consulté dans un premier temps trois dictionnaires soit :

-          Le petit Robert

-          Le dictionnaire du français plus

-          Le petit Larousse illustré

 

Il a produit comme pièce A à son affidavit les pages pertinentes incluant la définition du mot VELOUTÉ. Il a procédé par la suite à une recherche sur l’Internet et a produit comme pièces D, E et F à son affidavit des extraits de pages web où l’on retrouve les termes « VELOUTÉ » ou « CHOCOLATE VELOUTE » dans des recettes. La référence la plus pertinente est celle du site « Shop-the-Mall » où l’on retrouve une référence à « CHOCOLATE VELOUTE » pour désigner un mélange de chocolat et beurre au cacao.

 

M. Danis est un étudiant à l’emploi de la firme d’agents représentant la Requérante. Il a consulté les dictionnaires suivants :

-Dictionnaire encyclopédique Quillet-Grolier

-dictionnaire de la langue française

-Grand Larousse universel

 

Il a produit les extraits pertinents de chacun de ces dictionnaires, soit les définitions du mot VELOUTÉ.

 

La date pertinente pour analyser les différents motifs d’opposition varie selon le motif d’opposition soulevé. Ainsi, concernant les motifs d’opposition fondés sur l’article 30 de la loi, la date pertinente est celle du dépôt de la demande (8 novembre 1996) [voir Dic Dac Holdings (Canada) Ltd v.Yao Tsai Co. (1999), 1 C.P.R. (4th) 263]. Si l’Opposant se fonde sur l’article 12(1)(b) de la loi, il existe une certaine controverse quant à la date pertinente à utiliser pour l’analyse de ce motif d’opposition. Avant l’arrêt Fiesta Barbeques Limited v. General Housewares Corporation, (2004) 28 C.P.R. (4th) 60, la date de référence utilisée était la date de la décision [Voir  Lubrication Engineers, Inc. V. Canadian Council Of Professional Engineers, (1992) 41 C.P.R. (3d) 243]. M. le juge Russel, dans l’arrêt Fiesta, a procédé à une analyse exhaustive de la jurisprudence sur ce sujet et a conclu que la date pertinente est plutôt la date de la demande d’enregistrement. À tout événement cette différence entre les dates pertinentes n’aura aucun impact sur le sort de ce dossier. Finalement, il est généralement reconnu que la date de dépôt de l’opposition (9 avril 1998) constitue la date pertinente pour analyser le motif d’opposition fondé sur l’absence de caractère distinctif de la Marque. [Voir Andres Wines Ltd. and E&J Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126 (F.C.A.) à la page 130 et Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd., op.cit]

 

La question principale soulevée dans le présent dossier est de déterminer si la Marque donne une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des Marchandises. Cette question doit être analysée en tenant compte du consommateur moyen. Les différentes dates pertinentes précédemment mentionnées n’ont aucune incidence sur la réponse à cette question en raison de la preuve versée au dossier de part et d’autre.

 

Dans le cadre de procédures en matière d’opposition à l’enregistrement d’une marque de commerce, l’Opposante doit présenter suffisamment d’éléments de preuve concernant les motifs d’opposition qu’elle soulève afin qu’il soit apparent qu’il existe des faits qui supportent ses motifs d’opposition. Si cette tâche est accomplie, le fardeau de preuve se déplace vers la Requérante qui devra convaincre le registraire que les motifs d’opposition ne devraient pas empêcher l’enregistrement de sa marque de commerce [Voir Sunshine Biscuits Inc. c. Corporate Foods Ltd. (1982), 61 C.P.R.(2d) 53 , Joseph Seagram & Sons Ltd. v. Seagram Real Estate Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 325 et John Labatt Ltd. c Molson Companies Limited, (1990), 30 C.P.R. (3d) 293].

 

Aucune preuve n’a été versée au dossier pour supporter le second motif d’opposition ci-haut décrit et par conséquent je le rejète.

 

La preuve versée au dossier par l’Opposante est cependant suffisante pour déplacer le fardeau de preuve vers la Requérante, en ce qui concerne les autres motifs d’oppositions. Elle devra donc convaincre le registraire, sur la base de la balance des probabilités que la marque de commerce est enregistrable. [Voir Christian Dior, S.A. v. Dion Neckwear Ltd [2002] 3 C.F.405

 

L’article 12(1)(b) de la loi a fait l’objet d’une jurisprudence abondante. Qu’il suffise de se référer aux arrêtes qui m’apparaissent les plus pertinentes pour les fins du présent dossier. Dans l’arrêt Thomas J. Lipton Ltd. c. Salada Foods Ltd (no.3) (1979), 45 C.P.R. (2d) 157, M. le juge Addy déclara :

“Connotation means an implication or a suggestion. Even a "specific descriptive suggestion or implication" or "a clear implication or suggestion" that a mark is descriptive or misdescriptive is not sufficient to disqualify it for registration under s-s. 12(1)(b). That enactment admits of no mere implication or suggestion. Parliament used the word "clearly" before the word "descriptive" and "deceptively" before the word "misdescriptive" and the Registrar has made no finding that the word was either clearly descriptive or deceptively misdescriptive. As to whether a mere suggestive description suffices, one might refer to a decision of the former Exchequer Court of Canada in the case of Kellogg Co. of Canada Ltd. v. Registrar of Trade Marks, [1939] 3 D.L.R. 65, [1940] Ex. C.R. 163 at pp. 170 and 171.

The concept of clearness where the word is descriptive and of deception where it is misdescriptive are essential elements”

Plus tard, M. le juge Cattanach, dans l’affaire Oshawa Group Ltd. c. Registrar of trade-marks (1980), 46 C.P.R. (2d) 145 s’exprima ainsi:

“I accept without question the submission of counsel for the appellant that the decision that a trade mark is clearly descriptive is one of first impression from which it follows that it is not the proper approach to critically analyse the words of the mark but rather to ascertain the immediate impression created by the mark in association with the services proffered.

I also accept the premise of counsel for the respondent that a mark must first be found to be descriptive before it can be found to be misdescriptive: see Bonus Foods Ltd. v. Essex Packers Ltd. (1964), 43 C.P.R. 165 at p. 178, 49 D.L.R. (2d) 320, [1965] 1 Ex. C.R. 735 at p. 749.” (mes soulignements)

Il se prononça également de la façon suivante dans l’arrêt de G.W.G. c. Registrar of trade-marks (1981), 55 C.P.R. (2d) 1 :

« It has been repeatedly stated based on the authority of numerous decided cases:

(1) that whether a trade mark is clearly descriptive is one of first impression;

(2) that the word "clearly" in para. 12(1)(b) of the Act is not a tautological use but it signifies a degree and is not synonymous with "accurate" but means in the context of the paragraph "easy to understand, self-evident or plain", and

(3) that it is not a proper approach to the determination of whether a trade mark is descriptive to carefully and critically [page3] analyse the words to ascertain if they have alternate implications or alternate implications when used in association with certain wares and to ascertain what those words in the context in which they are used would represent to the public at large who will see those words and will form an opinion as to what those words will connote: see John Labatt Ltd. v. Carling Breweries Ltd. (1974), 18 C.P.R. (2d) 15 at p. 19.”

Finalement M. le juge Nadon a conclu de la manière suivante dans l’affaire Dairy Farmers of Canada c. Hun-Wesson, Inc. T-756-99 :

« Compte tenu de ces principes, l'appelant ne m'a pas convaincu que la conclusion du registraire est erronée. J'estime que sa décision était raisonnable principalement parce que, comme il l'a souligné, la marque de commerce doit être considérée dans son ensemble et que, dans la présente affaire, elle ne se compose pas simplement des mots « goût de beurre », mais bien des mots « goût de beurre comme au cinéma ». Sa décision est fondée sur l'hypothèse selon laquelle la plupart des consommateurs ne s'attendraient pas à ce que le produit contienne du beurre ou une quantité importante de beurre.(…)

De plus, examiné comme un tout, le produit correspondre non pas au beurre lui-même, mais au goût de beurre offert au cinéma. Il est important de souligner que la marque de commerce ne se compose pas seulement des mots « Goût du Beurre », mais bien des mots « Goût du Beurre Comme au Cinéma » . À cet égard, je souscris aux observations suivantes que le registraire a formulées :

[TRADUCTION] Dans la présente affaire, j'en arrive à la conclusion que la marque demandée, examinée dans son ensemble, n'est pas suffisamment précise pour donner une description claire ou une description fausse et trompeuse du maïs; examinée dans son ensemble, la marque indique simplement que la marchandise de la requérante offre une certaine saveur de beurre et les consommateurs ne seraient pas incités à tort à croire que le beurre de ferme est un ingrédient du produit.

[21]      De plus, j'aimerais souligner que le registraire a procédé à une analyse assez fouillée de la marque de commerce et de la façon dont le mot « butter » ( « beurre » ) a été employé en liaison avec d'autres produits avant d'en arriver à sa conclusion. À mon sens, l'analyse du registraire est tout à fait raisonnable, compte tenu de la preuve, et je ne vois aucune raison de modifier la décision à laquelle il en est arrivé. » (mes soulignements)

 

C’est à la lumière de ces principes que je dois déterminer si la Marque donne une description claire ou une description fausse et trompeuse en langue française de la nature ou de la qualité des Marchandises au sens de l’article 12(1)(b) de la loi.

La preuve déposée de part et d’autre et plus particulièrement les définitions des dictionnaires de langue française me permet de conclure que le mot VELOUTÉ a plusieurs sens dans la langue française, à savoir :

a)      Nom masculin. Potage de légumes, de viande ou de poisson;

b)      Nom masculin. Sauce blanche à base d’un fond de veau ou de volaille entrant dans la préparation de diverses sauces;

c)      Adjectif. Ce qui a l’aspect du velours;

d)     Adjectif. Doux au goût ou au toucher.

Ainsi la Marque, pris dans son ensemble et à la première impression, ne saurait constituer une description claire ou une description fausse et trompeuse de la nature ou de la qualité des Marchandises. En effet, le mot VELOUTÉ a plusieurs sens. Tout au plus la Marque pourrait être considérée comme étant suggestive de la texture des Marchandises à savoir une texture crémeuse ou un aspect de velours. Comme dans l’arrêt Dairy Farmers, op.cit., j’arrive à la conclusion que la Marque « examinée dans son ensemble n’est pas suffisamment précise pour donner une description claire ou une description fausse et trompeuse des Marchandises ».

Dans sa déclaration d’opposition, l’Opposante soulève le fait que la Requérante, en se désistant à l’usage exclusif du mot CHOCOLAT, admet le caractère descriptif de ce mot. Malgré un désistement à l’usage exclusif d’un élément d’une marque de commerce, cette dernière demeure enregistrable si, lorsqu’elle est considérée dans son ensemble, elle peut faire l’objet d’un enregistrement, comme c’est le cas en l’espèce. [Voir Molson Companies Ltd. c. John Labbatt Ltd. (1981) 58 C.P.R. (2d) 157]

Je rejette donc les motifs d’opposition a), c) et d) ci-haut décrits.

Il me reste à déterminer si la Marque est distinctive des Marchandises, c’est à dire si elle est apte à distinguer les Marchandises des marchandises de même nature des autres commerçants qui font affaires dans le même domaine. Tel que mentionné ci-haut, la preuve révèle l’emploi de l’expression  « CHOCOLATE VELOUTE » sur une page web d’une société ayant une place d’affaires à Coral Springs, en Floride, États-Unis d’Amérique, pour décrire un mélange de chocolat et beurre au cacao. Or il n’y a aucune preuve d’emploi par d’autres commerçants de cette expression au Canada avant le 8 avril 1998, soit la date de dépôt de l’opposition, ou qu’elle est connue au Canada au sens de l’article 5 de la loi. Pour ces raisons, je rejète également le motif d’opposition e) décrit ci-haut.

 

La Requérante s’est donc déchargée de son fardeau de prouver que la Marque est enregistrable en liaison avec les Marchandises.

En raison des pouvoirs qui m’ont été délégués par le registraire des marques de commerce en vertu des dispositions de l’article 63(3) de la loi, je rejette l’opposition de l’Opposante, le tout selon les dispositions de l’article 38(8) de la loi.

 

DATÉ À MONTRÉAL, QUÉBEC, CE 22 JANVIER 2004.

 

Jean Carrière

Membre,

Commission aux oppositions des marques de commerce

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