Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de G.I. Boissons énergisantes Corporation à la demande no 1064191 produite par Lodestar Anstalt en vue de l’enregistrement de la marque de commerce METAL GURU______        ________

 

 

I Prétentions respectives

 

Le 21 juin 2000, Lodestar Anstalt (la requérante) a produit une demande en vue de l’enregistrement de la marque de commerce METAL GURU (la marque) en liaison avec les marchandises suivantes :

Bières; eaux minérales et gazeuses; bière au gingembre; soda au gingembre; limonade; boissons gazéifiées non alcoolisées; colas; bière de malt; jus de légumes; jus de tomates; boisson à la salsepareille; eau de Seltz; boissons aux fruits et jus de fruits; pastilles pour boissons effervescentes; poudres pour boissons effervescentes; extraits de fruits sans alcool; mélanges liquides pour la fabrication de boissons gazeuses; sirops de fruits pour la fabrication de boissons; sirops pour boissons non alcoolisées; sirops à limonade.

 

La requérante a revendiqué une priorité, suivant l’article 34 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi), en se fondant sur une demande d’enregistrement de la même marque ─ ou substantiellement de la même marque ─ produite par la requérante à Benelux le 22 décembre 1999 sous le numéro 953378. La présente demande est fondée sur l’emploi projeté en liaison avec les marchandises.

 

Le 21 août 2002, la demande a été annoncée à des fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce.

 

G.I. Boissons énergisantes Corporation (l’opposante) a produit une déclaration d’opposition le 18 septembre 2002, laquelle a été transmise à la requérante par le registraire le 22 octobre 2002. Les motifs d’opposition sont les suivants :

 

(1)   La demande ne satisfait pas aux dispositions de l’alinéa 30i) de la Loi parce que la requérante ne pouvait être convaincue qu’elle a le droit d’employer la marque au Canada puisqu’elle connaissait ou aurait dû connaître l’emploi antérieur de la marque de l’opposante GURU BOISSON ÉNERGISANTE, dont le certificat d’enregistrement porte le numéro LMC520421;

(2)    La marque n’est pas enregistrable suivant les dispositions de l’alinéa 12(1)d) de la Loi parce qu’elle crée de la confusion avec la marque déposée de l’opposante GURU BOISSON ÉNERGISANTE ─ dont le certificat d’enregistrement porte le numéro LMC520421 ─ en liaison avec les boissons non alcoolisées gazéifiées et non gazéifiées;

(3)    la marque n’est pas distinctive au sens de l’article 2 de la Loi parce qu’elle ne distingue pas, ni ne peut distinguer les marchandises de la requérante de celles de l’opposante en liaison avec sa marque employée au Canada.

 

Le 22 novembre 2002, la requérante a produit une contre-déclaration réfutant tous les motifs d’opposition.

 

Le 29 novembre 2005, la requérante a produit une demande révisée pour inclure une restriction à la liste de marchandises. Le 7 décembre 2005, le registraire a accepté la demande révisée. Les marchandises sont maintenant ainsi définies :

 

Bières; eaux minérales et gazeuses; bière au gingembre; soda au gingembre; limonade; boissons gazéifiées non alcoolisées; colas; bière de malt; jus de légumes; jus de tomates; boisson à la salsepareille; eau de Seltz; boissons aux fruits et jus de fruits; pastilles pour boissons effervescentes; poudres pour boissons effervescentes; extraits de fruits sans alcool; mélanges liquides pour la fabrication de boissons gazeuses; sirops de fruits pour la fabrication de boissons; sirops pour boissons non alcoolisées; sirops à limonade; à l’exclusion des boissons et pastilles énergisantes et des poudres, mélanges liquides et sirops servant à leur fabrication (les marchandises).

 

L’opposante a produit les affidavits de Caroline Guy et Raymond Jolicoeur alors que la requérante a produit les affidavits de Brendan Lounsbery, Danial Faya, Greg Beach et Lisa Léger. Le registraire a accordé la permission à la requérante de déposer comme preuve additionnelle les affidavits de Ken Griffin, Joel B. Taller et Richelle Rae. Les auteurs des affidavits n’ont pas été contre-interrogés.

 

Les deux parties ont produit une argumentation écrite et une audience ─ au cours de laquelle les parties ont présenté leur argumentation orale ─ a été tenue.

 

III Analyse des motifs d’opposition

 

Le fardeau de la preuve incombe à la requérante, qui doit établir que sa demande satisfait aux dispositions de la Loi, mais l’opposante a toutefois le fardeau initial de présenter une preuve admissible suffisante permettant de conclure raisonnablement que les faits allégués, au soutien chacun des motifs d’opposition, existent. [Voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al c. Seagram Real Estate Ltd., 3 C.P.R. (3d) 325, aux pages 329 et 330; John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd., 30 C.P.R. (3d) 293, et Wrangler Apparel Corp. c. The Timberland Company, [2005] C.F. 722.]

 

i)                    Motif d’opposition suivant l’alinéa 30i)

 

À l’audience, l’opposante a informé le registraire qu’elle abandonnait ce motif d’opposition.

 

ii)                  Enregistrabilité suivant l’alinéa 12(1)d)

 

La date pertinente pour déterminer si une marque est enregistrable, suivant l’alinéa 12(1)d) de la Loi, est la date de la décision du registraire. [Voir Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 413, à la page 424 (C.A.F.).]

 

Mme Guy est une employée du cabinet d’agents de marques de commerce de l’opposante. Elle a déposé un certificat d’authenticité émis par le registraire en ce qui concerne la marque déposée de l’opposante GURU BOISSON ÉNERGISANTE portant le numéro d’enregistrement LMC520421 en liaison avec les boissons non alcoolisées gazéifiées et non gazéifiées. En conséquence, l’opposante s’est acquittée de son fardeau initial pour ce qui regarde ce motif d’opposition.

 

Le critère pour déterminer s’il existe une probabilité raisonnable de confusion est énoncé au paragraphe 6(2) de la Loi, et je dois considérer toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles énumérées au paragraphe 6(5) soit : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; le genre de marchandises, services ou entreprises; la nature du commerce; le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

 

Dans l’arrêt Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., (2006) 49 C.P.R. (4th) 321, M. le juge Binnie, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a ainsi décrit le critère de la confusion :

Quel point de vue faut‑il alors adopter pour apprécier la probabilité d’une « conclusion erronée »?  Ce n’est pas celui de l’acheteur prudent et diligent.  Ni, par ailleurs, celui du « crétin pressé », si cher à certains avocats qui plaident en matière de commercialisation trompeuse : Morning Star Co‑Operative Society Ltd. c. Express Newspapers Ltd., [1979] F.S.R. 113 (Ch. D.), p. 117.  C’est plutôt celui du consommateur mythique se situant quelque part entre ces deux extrêmes, surnommé [traduction] « l’acheteur ordinaire pressé » par le juge en chef Meredith dans une décision ontarienne de 1927 : Klotz c. Corson (1927), 33 O.W.N. 12 (C.S.), p. 13.  Voir aussi Barsalou c. Darling (1882), 9 R.C.S. 677, p. 693.  Dans Aliments Delisle Ltée c. Anna Beth Holdings Ltd., [1992] C.O.M.C. no 466 (QL), le registraire a dit :  

 

Pour évaluer la question de la confusion, il faut examiner les marques de commerce du point de vue du consommateur moyen pressé, ayant une réminiscence imparfaite de la marque de l’opposante, qui pourrait tomber sur la marque de commerce de la requérante utilisée sur le marché en liaison avec ses marchandises.

 

(…)

Dans une procédure d’opposition, le droit des marques de commerce offre une protection qui transcende les gammes de produits traditionnels, sauf si le requérant démontre que l’enregistrement de sa marque n’est pas susceptible de créer de la confusion dans le marché au sens de l’art. 6 de la Loi sur les marques de commerce.  La confusion est un terme défini et le par. 6(2) impose à la Commission des oppositions des marques de commerce (et ultimement, à la cour) de déterminer si l’emploi des deux marques de commerce dans la même région est susceptible de faire conclure (à tort) aux acheteurs éventuels que les marchandises et services — même s’ils n’appartiennent pas à la même catégorie générale — sont néanmoins offerts par la même personne.  Une telle conclusion n’est évidemment possible en l’espèce que si un lien ou une association est susceptible de s’établir dans l’esprit du consommateur entre la source des produits BARBIE, qui sont notoires, et la source des restaurants de l’intimée, qui sont moins connus.  Si aucun lien n’est susceptible d’être établi, il ne peut exister de probabilité de conclusion erronée et, par conséquent, aucune confusion au sens de la Loi.

 

J’examinerai maintenant la preuve des parties dans le contexte de chaque élément d’appréciation énoncé ci-dessus pour déterminer s’il existe, selon la prépondérance de la preuve, une vraisemblance de confusion entre la marque et la marque déposée de l’opposante GURU BOISSON ÉNERGISANTE.

 

La marque est constituée de deux mots anglais dont l’association est inusitée. En soi, elle possède effectivement un certain degré de caractère distinctif inhérent. Le caractère distinctif d’une marque peut s’accroître par l’emploi au Canada. La demande est fondée sur l’emploi projeté, et il n’y a pas de preuve d’emploi de la marque au Canada.

 

La marque déposée de l’opposante GURU BOISSON ÉNERGISANTE est constituée de trois mots anglais, dont deux décrivent ses marchandises. De fait, l’opposante a dû se désister de l’emploi exclusif des mots « ENERGY » et « DRINK » en dehors de la marque dans son intégralité.

 

J’examinerai la preuve volumineuse et détaillée de l’emploi de la marque déposée de l’opposante au Canada. M. Jolicoeur est le président de l’opposante depuis juin 1998. Il a personnellement joué un rôle dans le développement et le marketing afférents aux produits de l’opposante vendus en liaison avec la marque GURU BOISSON ÉNERGISANTE. Le mot GURU a été choisi pour donner au public l’image que la boisson énergisante de l’opposante serait le « gourou » (guru) de ce genre de boissons, puisqu’un tel mot signifie : leader spirituel qui possède savoir et énergie. À ce stade, je ferais remarquer que l’opposante met beaucoup l’accent sur le seul mot « GURU ». Toutefois, la marque déposée est GURU BOISSON ÉNERGISANTE, et les échantillons de produits portent cette marque et non uniquement le mot GURU, bien que les mots « ENERGY » et « DRINK » soient écrits en lettres beaucoup plus petites sur la documentation produite.

 

Il allègue que l’opposante vend ses produits au Canada depuis août 1999 en liaison avec la marque GURU BOISSON ÉNERGISANTE. Ces ventes semblent se faire au Québec, en Ontario et à Terre-Neuve. L’opposante a vendu depuis 2000 à tout le moins 725 000 canettes de sa boisson énergisante sur une base annuelle. Il a fourni des chiffres concernant le nombre de produits vendus entre août 1999 et janvier 2003. Des échantillons de factures ont aussi été produits pour mettre en preuve la vente de ses produits.

 

Pour promouvoir ses boissons énergisantes en liaison avec la marque GURU BOISSON ÉNERGISANTE, l’opposante a investi, partout au Canada, des sommes d’argent importantes en publicité-radio, en affichage et en annonces dans les journaux et dans les magazines. Il a produit des échantillons de ces affiches et de ces annonces. Certaines annonces ont été publiées dans le Journal de Montréal, un quotidien de langue française qui est distribué dans le Grand Montréal. Je prends connaissance d’office de ce fait et du fait que ce journal a eu une distribution assez substantielle dans cette zone. [Voir Northern Telecom Ltd. c. Nortel Communications Inc., (1987) 15 C.P.R. (3d) 540, Milliken & Co. c. Keystones Industries (1970) Ltd., 12 C.P.R. (3d) 166, à la page 168, et Carling O’Keefe Breweries of Canada Ltd. c. Anheuser-Busch, Inc., 4 C.P.R. (3d) 216, à la page 224.)] Par exemple, quant aux articles publiés dans le journal La Presse, malgré le fait qu’ils ne constituent pas en soi de la publicité des produits de l’opposante, mais qu’ils représentent de la documentation destinée au temps libre du lecteur, ils peuvent être examinés pour analyser la mesure dans laquelle la marque de l’opposante peut être devenue connue.

 

À l’audience, il y a eu débat sur l’admissibilité de certains documents, qui figurent sous les cotes RJ-3A et RJ-3B de l’affidavit de M. Jolicoeur. De toute façon, comme on le verra ci-dessous, l’admissibilité de ces documents ne sera pas un facteur majeur quant à l’issue de la présente décision. Je disposerai toutefois de cette question.

 

L’affidavit de M. Jolicoeur a été déposé le 20 juin 2003. Le 22 septembre 2003, la requérante a demandé et a obtenu une ordonnance pour contre-interroger M. Jolicoeur et Mme Guy, mais la requérante a décidé de ne pas procéder. Le 9 octobre 2003, l’agent de l’opposante a déposé au dossier de meilleures copies de la documentation, qui figurent sous la cote RJ-3B, de même que de la documentation additionnelle, qui figure sous la cote RJ-3A. À l’origine, la pièce RJ-3A consistait en une liste de publications dans lesquelles la publicité de la boisson énergisante de l’opposante, portant la marque GURU BOISSON ÉNERGISANTE, a été publiée avant le 12 novembre 2002. Toutefois, aucune de ces annonces n’a été annexée à l’affidavit de M. Jolicoeur. Une copie de la lettre susmentionnée semble avoir été envoyée à l’agent de la requérante mais, à l’audience, ce dernier a soutenu ne pas avoir reçu la lettre en question. De plus, il a allégué que les pièces n’avaient pas été certifiées conformes par le commissaire à l'assermentation, qui a fait prêter serment à M. Jolicoeur.

 

Je permets la production des meilleures copies de la pièce RJ-3B étant donné que ces documents ne constituent pas en soi une nouvelle preuve, et qu’ils ne peuvent prendre par surprise la requérante. S’agissant des documents additionnels, qui figurent sous la cote RJ-3A, je les considère comme une preuve nouvelle, qui aurait dû faire l’objet d’une demande de production de preuve additionnelle suivant la règle 44. À l’origine, la pièce RJ-3A était une liste de publications. Si l’opposante a décidé après-coup de présenter des copies des annonces publiées dans les publications énumérées, elle aurait dû le faire par le biais du mécanisme disponible sous l’empire de la Loi et de sa réglementation. Je ne tiendrai pas compte des copies des publicités déposées subséquemment sous la cote RJ-3A.

 

À la lumière d’une telle preuve, je conclus que la marque déposée de l’opposante GURU BOISSON ÉNERGISANTE était connue au Canada. La marque faisant l’objet de la demande d’enregistrement peut avoir un plus haut degré de caractère distinctif inhérent que la marque déposée de l’opposante, mais celle-ci est connue au Canada. En conséquence, je conclus que le premier élément d’appréciation milite un peu plus en faveur de l’opposante.

 

Corollairement, la période pendant laquelle les marques en cause ont été en usage milite aussi en faveur de l’opposante comme l’a admis la requérante dans son argumentation écrite.

 

La requérante a présenté l’affidavit de M. Taller, partenaire au sein du cabinet d’agents de la requérante. Celui-ci s’est présenté comme étant un avocat pratiquant dans le secteur du droit réglementaire et dont la spécialité serait de conseiller en matière d’exigences réglementaires applicables à des produits régis par la Loi sur les aliments et drogues et sa réglementation. Il a fourni une liste d’associations dont il est membre.

 

Il a déclaré que, le 1er janvier 2004, le Règlement sur les produits de santé naturels (le Règlement) est entré en vigueur, et il en a expliqué la portée et a fait part des exigences d’étiquetage sous son régime pour ce qui est des produits visés par la définition de « produit de santé naturel ». Il a produit des extraits de pages Web tirés du site de l’opposante, qui contiennent une description du produit de l’opposante vendu en liaison avec la marque GURU BOISSON ÉNERGISANTE. Il a aussi examiné l’information contenue sur une canette de boisson énergisante de l’opposante. Selon l’information qu’elle contient, il a conclu que le produit de l’opposante ─ vendu en liaison avec la marque GURU BOISSON ÉNERGISANTE ─ est un produit de santé naturel au sens de la définition du Règlement.

 

Il est évident que la requérante s’appuie sur une telle preuve pour soutenir que la nature des marchandises respectives des parties est distincte. Toutefois, M. Taller a présenté une preuve sur une question contestée (nature des marchandises respectives des parties). Cette situation a été discutée dans l’affaire Cross-Canada Auto Body Supply (Windsor) Limited c. Hyundai Auto Canada (2006), 53 C.P.R. (4th) 286, dans laquelle le juge Von Finckenstein a formulé le commentaire suivant :

 

Je comprends fort bien que l’exercice du droit ne serait guère possible si l’on interdisait aux avocats de recourir aux affidavits de leurs confrères, mais cette pratique, en général, s’en tient à des questions non controversables ou à des questions qui, dans une affaire donnée, ne revêtent pas une importance essentielle. Or, en l’espèce, l’intégralité de la preuve produite par les demanderesses sur la question principale de cette affaire, au coeur même du litige, se fonde sur les affidavits de membres du cabinet Sim Lowman. Cette situation correspond tout à fait à la description faite dans le jugement Heck, précité, qui fait état d’un [Traduction] « risque réel ou apparent que l’avocat soit irrégulièrement influencé par ce lien, au détriment de ses devoirs envers la Cour et envers son client ». La Cour entend prendre les mesures nécessaires pour écarter ce risque réel ou apparent.

 

 

En conséquence, je ne tiendrai pas compte du contenu de son affidavit. Si je me trompais en concluant ainsi, le contenu de l’affidavit en question ne suffirait pas pour conclure qu’on doit faire une distinction quant à la nature des marchandises respectives des parties. C’est la catégorie générale de marchandises qui doit être examinée. La requérante a tenté, par cette preuve, de faire une distinction entre, d’une part, les boissons énergisantes et, d’autre part, les marchandises faisant l’objet de la demande d’enregistrement. Selon moi, les marchandises en question sont dans la même catégorie générale que celles énumérées dans le certificat d’enregistrement de l’opposante. Les marchandises respectives des parties correspondent à toutes les boissons ou à tous les ingrédients servant à la fabrication d’une boisson. De plus, l’enregistrement de l’opposante ne se limite pas aux boissons énergisantes. Dans l’arrêt Maison Cousin c. Cousins Submarines Inc. 2006 CAF 409, le juge Pelletier a fait le commentaire suivant :

 

10          Avec respect, nous sommes d'avis que les conclusions du juge sur ces deux points connexes sont erronées. Pour ce qui est des produits eux-mêmes, le juge n'a pas expliqué le raisonnement par lequel il est arrivé à la conclusion que les produits en question, notamment des pains, des desserts, de la charcuterie et des sandwiches d'une part, et des sandwiches sous-marins et des boissons d'autre part, sont à ce point distincts les uns des autres qu'il faille écarter la possibilité de confusion. Ce sont tous des produits d'alimentation qui se ressemblent énormément et que l'on retrouve communément dans le même voisinage.

 

Pour ce qui est de la nature du commerce, M. Jolicoeur a déclaré que les marchandises de l’opposante sont vendues dans les dépanneurs, les épiceries, les magasins d’aliments naturels, les stations-services, les boîtes de nuit, les bars, les salles de concert, les cinémas, les centres de conditionnement physique, les foires alimentaires de centres commerciaux, les restaurants, les hôtels, les pharmacies, les stations de métro, les gares ferroviaires et les sites sportifs. Les consommateurs ultimes sont des athlètes, des travailleurs, des étudiants, des artistes, des professionnels et des travailleurs de nuit.

 

La requérante a déposé l’affidavit de Greg Beach, stagiaire d’été employé par le cabinet d’agents de la requérante. On lui a demandé d’acheter les boissons suivantes : la boisson gazeuse PEPSI COLA® en canette et en bouteille, une canette de cocktail de légumes V8 ®, une bouteille de jus de pommes et une bouteille d’eau de source gazeuse PERRIER ®. Il a produit une photographie des contenants de ces boissons et les preuves d’achats auprès d’un dépanneur, d’un magasin d’aliments naturels et d’un supermarché d’Ottawa.

 

Il n’y a pas de preuve quant aux voies de commercialisation devant être utilisées par la requérante. Vu la grande gamme d’établissements commerciaux vendant les boissons énergisantes de l’opposante, tout porte à croire qu’il pourrait y avoir chevauchement avec les voies de commercialisation que pourrait emprunter la requérante. De fait, la propre preuve de la requérante, soit l’affidavit de Greg Beach, donne à penser qu’il pourrait y avoir un chevauchement quant aux voies de commercialisation. M. Beach a acheté des produits dans le même type de magasins où les boissons énergisantes de l’opposante peuvent être trouvées; les produits achetés sont de même nature que certaines des marchandises faisant l’objet de la demande d’enregistrement.

 

La requérante a aussi produit l’affidavit de Mme Rae, stagiaire en droit travaillant pour le cabinet d’agents qui représente cette partie. Cette stagiaire a acheté une canette de boisson énergisante vendue en liaison avec la marque RED BULL, et elle a déposé des photographies de la canette, qui comprenaient les renseignements figurant sur celle-ci. Compte tenu de cette preuve et de l’échantillon de contenant produit par M. Jolicoeur, la requérante soutient que les boissons énergisantes sont vendues dans des canettes métalliques plus allongées que celles utilisées pour les boissons gazeuses, les jus et l’eau gazeuse. Sur cette question, on renvoie aussi au contenu de l’affidavit de M. Lounsbery, stagiaire d’été travaillant pour le cabinet d’agents de la requérante. Les renseignements figurant sur les contenants de boissons énergisantes vont au-delà de ce qu’on retrouve sur les contenants de jus, de boissons gazeuses ou d’eau gazeuse. Toutefois, nous ne disposons pas d’information sur l’emballage des marchandises de la requérante. De toute façon, ce ne sont pas les différences ou les similitudes dans l’emballage utilisé qui doivent être évaluées, mais plutôt les différences et les similitudes entre les marchandises.

 

Enfin, la requérante soutient que le prix au millilitre est beaucoup plus cher pour les boissons énergisantes que pour les jus, les boissons gazeuses ou l’eau gazeuse. La différence de prix est de l’ordre d’un ou deux dollars et non de centaines de dollars.

 

Je conclus que la nature des marchandises et les facteurs touchant les voies de commercialisation militent en faveur de l’opposante.

 

La marque de l’opposante donne à penser que sa boisson énergisante serait le « gourou » de ce genre de boissons. Un tel mot signifie : leader spirituel qui possède savoir et énergie. La requérante a présenté en preuve l’affidavit de M. Faya, stagiaire d’été travaillant pour le cabinet d’agents de la requérante au moment de la signature de son affidavit. L’objet principal de son affidavit est d’établir que l’artiste rock Marc Bolan, qui est décédé dans un accident de voitures en 1977, et son groupe T. Rex ont lancé un album en 1972 intitulé The Slider sur lequel on trouve la chanson Metal Guru, laquelle a obtenu du succès en Grande-Bretagne et aussi, dans une certaine mesure, aux États-Unis. Il n’y a pas de preuve que cette chanson a eu du succès au Canada si ce n’est que l’album est encore en vente au pays. Cette preuve n’établit pas que le consommateur moyen associerait la marque avec le titre de cette chanson. Même si la première impression du consommateur serait de se souvenir d’une chanson composée il y a plus de trente ans, cette association mentale n’exclut pas la possibilité que ce même consommateur ─ qui a un vague souvenir de la marque déposée de l’opposante ─ pense que les marchandises sur lesquelles figure la marque proviennent de l’opposante.

 

La première composante des marques respectives des parties est différente. Les mots ENERGY et DRINKS décrivent bel et bien le type de marchandises vendues en liaison avec la marque GURU BOISSON ÉNERGISANTE. Le mot GURU est la composante principale de la marque déposée de l’opposante. La marque faisant l’objet de la demande d’enregistrement contient également le mot GURU. Le mot METAL est un qualificatif. Lorsque les marques sont examinées dans leur intégralité, il existe un léger degré de ressemblance dans leur présentation. Sur cette question, je me reporte à l’affaire Cheseborough-Pond’s Inc. c. Lancôme Parfums et beauté & Cie (1993), 46 C.P.R. (3d) 131, dans laquelle le président de la Commission des oppositions des marques de commerce de l’époque a déclaré :

 

[TRADUCTION] S’agissant du degré de ressemblance entre la marque de la requérante BAUME INTENSE et dessin et la marque des opposantes SOINS INTENSIFS, bien que ─ dans le son ─ il semble qu’il y ait peu de ressemblances entre elles, elles présentent bel et bien un léger degré de ressemblance dans la présentation ─ pour ce qui est de la première impression et du souvenir imparfait ─ lorsqu’on les examine dans leur intégralité. De plus, les deux marques ─ et plus particulièrement la marque des opposantes ─ donnent à entendre qu’elles protègent la peau de l’utilisateur.

 

Bien que les idées suggérées par les marques soient différentes, je conclus, dans l’ensemble, qu’il y a un certain degré de ressemblance entre elles, puisque la marque faisant l’objet de la demande d’enregistrement contient l’élément principal de la marque déposée de l’opposante. Ce facteur milite légèrement en faveur la requérante.

 

L’affidavit de M. Lounsbery contient également une preuve de l’état du registre. Celui-ci indique que les marques en cause ─ qui ont le même préfixe, le même suffixe ou un élément en commun et qui appartiennent à des entités différentes ─ se rapportent aux boissons énergisantes alors que d’autres marques sont déposées en liaison avec des boissons non alcoolisées. En conséquence, le registraire permettrait la coexistence au registre de « marques similaires » lorsque la nature des marchandises différerait. Chaque affaire est un cas d’espèce, et il est difficile de tirer des conclusions générales. La différence qui se limite aux marques pourrait, dans certains cas, justifier une telle coexistence. [Voir, par exemple, ACCELERADE c. ENERGADE; POWERADE c. GATORADE; VRROOM THIRST QUENCHER c. ALL SPORT BODY QUENCHER.]

 

Mme Léger est une recherchiste en marques de commerce travaillant pour les agents de marques de la requérante. Elle a mené une recherche pour trouver les demandes d’enregistrement et les enregistrements de marques contenant le mot « guru », et elle a fourni des extraits des inscriptions. Elle a trouvé seize marques, y compris la marque de l’opposante. Toutefois, seulement quatre inscriptions sont liées, de quelque façon, à des aliments ou à des boissons. Les voici :

FOODGURU, demande 1133106

GREEN GURU, enregistrement LMC590253

GUM GURU, enregistrement LMC553700

INDIAN GURU, enregistrement LMC395352

 

Ce nombre d’inscriptions pertinentes ne suffit pas pour tirer l’inférence que le mot GURU est communément employé dans le commerce en liaison avec les boissons ou même, dans une plus large mesure, en liaison avec des aliments de sorte que les consommateurs aient déjà l’habitude de distinguer les marques en question. [Ports International Ltd. c. Dunlop Ltd. (1992), 41 C.P.R. (3d) 432; Del Monte Corporation c. Welch Foods Inc. (1992), 44 C.P.R. (3d) 205 (C.F. 1re inst.).]

 

M. Griffin est associé chez Saunders & Dolleymore situé au Royaume-Uni, les agents de marques de commerce de la requérante et de son prédécesseur en titre, le cabinet Stichting Lodestar. Il surveille le portefeuille de marques de la requérante partout dans le monde.

 

Il déclare que la requérante est propriétaire des enregistrements et des demandes d’enregistrement de la marque METAL GURU en vue d’un emploi dans de nombreux ressorts en liaison avec les marchandises suivantes : bières; eaux minérales et gazeuses; boissons non alcoolisées; boissons aux fruits et jus de fruits; sirops et mélanges pour la fabrication de boissons. Il a produit certains des certificats d’enregistrement obtenus dans des ressorts étrangers. Il a déposé une copie de la cession de la marque METAL GURU, qui a été réalisée au bénéfice de la requérante par Stichting Lodestar.

 

Il allègue être au courant du fait que l’opposante a obtenu, au Japon, en Australie et dans l’Union européenne, l’enregistrement de la marque GURU BOISSON ÉNERGISANTE en liaison avec les boissons non alcoolisées. La requérante détient, dans ces ressorts, des enregistrements de la marque METAL GURU, d’où leur coexistence dans ces pays. À ce propos, je me reporterai simplement à l’extrait suivant de la décision Sun-Maid Growers of California c. William & Humbert Ltd. (1981), 54 C.P.R. (2d) 41(C.F. 1re inst.) :

 

Cette expérience américaine ayant été signalée à l'attention du président par intérim, rien n'indique qu'elle ait fait partie de sa décision. Je ne connais pas de doctrine qui juge non pertinente une telle preuve et, de fait, l'enregistrement dans une juridiction étrangère peut indiquer qu'il existe un caractère distinctif, mais elle n'a rien à voir avec la question du caractère distinctif au Canada. En outre, lorsque la Loi sur les marques de commerce mentionne "l'usage au Canada" la preuve d'un usage dans d'autres juridictions, même si la marque est annoncée au Canada, n'est pas pertinente. Voir Porter v. Don the Beachcomber13, une décision du juge Thurlow. Je suis également entièrement d'accord qu'on ne peut attacher aucune importance à l'omission de s'opposer à des enregistrements dans d'autres juridictions puisque de telles actions sont nécessairement fondées entièrement sur la loi et la procédure étrangères. Je doute cependant qu'on puisse étendre ce principe au point où la preuve que les mêmes marques ont coexisté en liaison avec les mêmes marchandises sans créer de confusion dans le marché américain qui ressemble tellement au nôtre soit considérée non pertinente aux fins de trancher la question de la possibilité de confusion au Canada, comme semble l'avoir conclu le registraire dans The Bayer Co. Ltd. v. Rexall Drug Co. Ltd.14, et Hazel Bishop Inc. v. Sonat of Canada Ltd.15. Il m'est impossible de savoir si, à la lumière de cette jurisprudence, le président par intérim s'est senti obligé de ne pas tenir compte de ces éléments de preuve. De toute façon, cela ne fait pas partie de ma décision. J'estime toutefois pour ma part qu'il se peut très bien que ces déclarations du registraire soient une extension du principe énoncé dans ces décisions relativement au caractère distinctif ou à l'usage antérieur au Canada.

 

 

En l’espèce, nous n’avons aucune preuve faisant état du marché pertinent dans ces ressorts étrangers, ni de preuve du droit régissant l’enregistrement de ces marques de commerce à l’étranger. En conséquence, je ne tiendrai pas compte d’une telle preuve.

 

Dans l’arrêt Mattel, précité, le juge Binnie a confirmé l’interprétation suivante du paragraphe 6(5) de la Loi :

 

Pour l’application du critère de « toutes les circonstances de l’espèce », le par. 6(5) de la Loi énumère cinq facteurs à prendre en compte pour décider si une marque de commerce crée ou non de la confusion.  Ce sont : « a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus; b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage; c) le genre de marchandises, services ou entreprises; d) la nature du commerce; e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent ».  Cette liste n’est pas exhaustive et un poids différent sera accordé à différents facteurs selon le contexteVoir Gainers Inc. c. Marchildon, [1996] A.C.F. no 297 (QL) (1re inst.).  Comme je l’ai déjà dit, dans le cadre d’une procédure d’opposition, c’est au requérant (en l’occurrence l’intimée) qu’incombe le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucune confusion n’est susceptible de survenir. (Non souligné dans l’original.)

 

Les éléments d’appréciation énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi ne sont pas exhaustifs, et il n’est pas nécessaire d’accorder à chacun le même poids. [Voir Clorox Co. c. Sears Canada Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 483 (C.F. 1re inst.), et Gainers Inc. c. Marchildon (1996), 66 C.P.R. (3d) 308 (C.F. 1re inst.).] Il ne s’agit donc pas d’un exercice mathématique. Il a souvent été dit que le degré de ressemblance est l’élément le plus important lorsqu’on évalue la probabilité de confusion entre deux marques et ce, tout particulièrement lorsque les marchandises des parties sont identiques ou similaires. [Voir, par exemple, Beverley Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Upholstering Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145.]

 

La marque déposée de l’opposante GURU BOISSON ÉNERGISANTE est employée depuis 1999, et elle est connue au Canada. Il y a similitude quant à la nature des marchandises respectives des parties. Il n’y a pas de preuve que les voies de commercialisation seraient différentes. Il y a une certaine similitude entre les marques en cause, vu qu’elles comprennent toutes deux le mot GURU. En conséquence, je conclus que la requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la marque ne serait pas susceptible de créer de la confusion avec la marque déposée de l’opposante GURU BOISSON ÉNERGISANTE. Tout au plus, pourrais-je avoir des doutes en faveur de la requérante; aussi une telle situation doit être réglée en faveur de l’opposante. En conséquence, je maintiens le second motif d’opposition.

 

iii)                Le caractère distinctif

 

Il est généralement accepté que la date pertinente ayant trait au motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif est la date de dépôt de la déclaration d’opposition (18 septembre 2002) [Voir Re Andres Wines Ltd. et E. & J. Gallo Winery (1975), 25 C.P.R. (2d) 126, à la page 130 (C.A.F.), et Park Avenue Furniture Corporation c. Wickes/Simmons Bedding Ltd. (1991), 37 C.P.R. (3d) 412, à la page 424 (C.A.F.).]

 

L’opposante a le fardeau initial d’établir que, en date du 18 septembre 2002, sa marque GURU BOISSON ÉNERGISANTE est devenue suffisamment connue pour réfuter le caractère distinctif de la marque [Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44 (C.F. 1re inst.), à la page 58]. Une fois ce fardeau acquitté, la requérante a le fardeau d’établir que la marque est adaptée à distinguer ou qu’elle distingue effectivement les marchandises, faisant l’objet de la demande d’enregistrement, des marchandises/services de l’opposante partout au Canada. [Voir Muffin Houses Incorporated c. The Muffin House Bakery Ltd. (1985), 4 C.P.R. (3d) 272 (C.O.M.C.) et Bojangles’ International, LLC et Bojangles Restaurants, Inc. c. Bojangles Café Ltd. 2006 CF 657.] Les mêmes éléments d’appréciation énumérés au paragraphe 6(5) sont applicables pour rendre une telle décision.

 

La preuve résumée précédemment établit effectivement que la marque de l’opposante GURU BOISSON ÉNERGISANTE était, dans une certaine mesure, connue au Canada à la date pertinente. La requérante devait donc prouver que la marque est distinctive au sens de l’article 2 de la Loi.

 

Pour des motifs analogues à ceux exposés dans mon analyse relativement au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d), je conclus que la marque de la requérante n’était pas distinctive en date du 18 septembre 2002. Je maintiens donc le troisième motif d’opposition.

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

IV Conclusion

 

En ma qualité de personne déléguée par le registraire des marques de commerce en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande de la requérante, le tout suivant le paragraphe 38(8) de la Loi.

 

 

 

FAIT À BOUCHERVILLE (QUÉBEC), LE 13 JUIN 2007.

 

 

 

Jean Carrière,

Membre de la Commission des oppositions des marques de commerce

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