Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de N.V. Sumatra Tobacco Trading Company à la demande no 1,032,991 maintenant présentée par Player’s Company Inc. en vue de l’enregistrement de la marque de commerce HERO                                             

 

 

Le 19 octobre 1999, Imperial Tobacco Limited a déposé une demande en vue de faire enregistrer la marque de commerce HERO (la marque) en se fondant sur l’emploi de la marque au Canada depuis au moins 1900 en liaison avec des produits de tabac fabriqués. La demande, qui a par la suite été cédée à Imasco Limited, est maintenant présentée au nom de Player’s Company Inc. Ces trois propriétaires seront collectivement appelées « la requérante ».

 

La demande a été annoncée dans le Journal des marques de commerce du 16 mai 2001. Le 16 octobre 2001, N.V. Sumatra Tobacco Trading Company (l’opposante) a déposé une déclaration d’opposition. La requérante a, quant à elle, déposé une contre‑déclaration.

 

En application de la règle 41, l’opposante a déposé l’affidavit de Victoria Prince. La requérante a fait valoir qu’il y avait lieu d’accorder une faible force probante à cet affidavit parce qu’il n’appartient pas aux membres d’un cabinet juridique d’analyser la preuve; une telle analyse devrait plutôt être réalisée dans le cadre d’un plaidoyer écrit. Je suis d’accord et par conséquent j’accepte l’affidavit de Mme Prince uniquement dans la mesure où il vise à établir que les pièces qui y sont jointes existent.

 

La requérante a contre‑interrogé Mme Prince et la transcription du contre‑interrogatoire a été versée au dossier.

 

En application de la règle 42, la requérante a déposé les affidavits de Neil Blanche, de Margaret Kruszewski et d’Eileen Castellano. L’opposante a été autorisée à contre‑interroger Mmes  Blanche et Kruszewski, mais elle n’a pas procédé aux interrogatoires.

 

Les deux parties ont déposé des plaidoyers écrits et chacune d’elles était représentée lors de l’audience.

 

Motifs d’opposition

Voici le résumé des motifs d’opposition :

 

1.                  La demande ne remplit pas les exigences de l’alinéa 30b) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), parce que la requérante n’a pas utilisé la marque au Canada en liaison avec les marchandises visées par la demande depuis la date à compter de laquelle elle prétend en avoir fait usage pour la première fois; à titre subsidiaire, si un tel usage en a été fait, il a cessé avant la date du dépôt de la demande.

 

2.         La requérante n’est pas la personne ayant droit à l’enregistrement de la marque en vertu de l’alinéa 16(1)b) de la Loi étant donné qu’à la date du dépôt de la demande, la marque créait de la confusion avec la marque de commerce HERO & dessin qui appartient à l’opposante et à l’égard de laquelle cette dernière a déjà déposé une demande d’enregistrement, à savoir la demande no 1,031,841 produite le 8 octobre 1999. La marque HERO & dessin est reproduite ci‑dessous.

 

 

 

 

                                                HERO & Design

 

 

 

Dates pertinentes

Pour ce qui est du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b), la date pertinente est la date du dépôt de la demande [voir Georgia-Pacific Corp. c. Scott Paper Ltd., 3 C.P.R. (3d) 469, à la p. 475]. Relativement au motif fondé sur l’alinéa 16(1)b), la date pertinente est la date à laquelle la requérante prétend avoir utilisé la marque pour la première fois. Toutefois, si, invoquant l’alinéa 30b) comme motif d’opposition, une partie opposante conteste avec succès la date à laquelle la requérante prétend avoir fait usage de la marque pour la première fois, la date pertinente pour déterminer s’il s’agit d’un cas visé par le paragraphe 16(1) peut alors être la date du dépôt de la demande par la requérante [voir American Cyanamid Co. c. Record Chemical Co. Inc. (1972), 6 C.P.R. (2d) 278 (C.O.M.C.); Everything for a Dollar Store (Canada) Inc. c. Dollar Plus Bargain Centre Ltd. (1998), 86 C.P.R. (3d) 269 (C.O.M.C.)].

 

Motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b)

La question de savoir si le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b) est bien fondé est une question cruciale; les deux parties conviennent d’ailleurs que l’issue du litige en dépend.

 

Dans Hearst Communications Inc. c. Nesbitt Burns Corp., (2000) 7 C.P.R. (4th) 161 (C.O.M.C.), aux p. 164 et 165, D. J. Martin, membre de la Commission, a traité de la question du fardeau qui incombe à chaque partie dans les cas où le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b) est invoqué :

[traduction] [… ] la requérante a le fardeau ou la charge ultime d'établir que sa demande respecte les exigences de l'alinéa 30b) de la Loi : voir la décision en matière d'opposition Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Seagram Real Estate Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 325 (C.O.M.C.), p. 329-330, et la décision John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.). La charge de présentation incombe à l'opposante qui doit prouver les faits qu'elle allègue à l'appui de ce motif. Pour ce qui est de la question du non‑respect de l'alinéa 30b) de la Loi, ce fardeau est moins onéreux : voir la décision Tune Masters c. M. P's Mastertune Ignition Services Ltd. (1986), 10 C.P.R. (3d) 84 (L.M.C.A.A.), p. 89. De plus, l'alinéa 30b) exige que, dans le cours normal des affaires, la marque demandée ait été employée continûment depuis la date revendiquée : voir Labatt Brewing Co. c. Benson & Hedges (Canada) Ltd. (1996), 67 C.P.R. (3d) 258 (C.F. 1re inst.), p. 262. Enfin, l'opposante peut s'acquitter de son fardeau en s'appuyant sur la preuve soumise par la requérante : voir Labatt Brewing Co. c. Molson Breweries, a Partnership (1996), 68 C.P.R. (3d) 216 (C.F. 1re inst.), p.230.

 

En vue de s’acquitter du fardeau qui lui incombe, l’opposante a déposé l’affidavit de Mme Prince, qui a fourni une copie de la preuve qu’avait soumise la requérante à titre d’opposante dans le cadre d’une demande présentée par N.V. Sumatra Tobacco Trading Company (l’opposante en l’espèce), soit la demande no 773,162 [Imperial Tobacco Ltd. c. N.V. Sumatra Tobacco Trading Co. (1999), 3 C.P.R. (4th) 279 (C.O.M.C.), conf. par 11 C.P.R. (4th) 501 (C.F.1re inst.)]. Selon la preuve en question, à savoir l’affidavit de Denise Johnson, la requérante a [traduction] « commercialisé et vendu des cigarettes et des produits connexes au Canada en liaison avec sa marque de commerce PLAYER’S et son logo Hero depuis le début des années 1900 », et dans cette affaire le président de la Commission des oppositions des marques de commerce a statué qu’un tel usage ne constituait pas un emploi de la marque nominale HERO. De plus, Mme Johnson avait fourni une page du manuel de la requérante intitulé Graphics Standards Manual, qui énonce que le logo HERO ne devrait jamais être utilisé seul, mais toujours avec le mot PLAYER’S et un certain type de rayures diagonales. Le logo HERO de la requérante est reproduit ci‑dessous.

 

 

 

                                   

 

La question de savoir si l’opposante peut s’appuyer sur l’affidavit de Mme Johnson, qui est joint à l’affidavit de Mme Prince, est matière à discussion étant donné que le contenu d’un tel affidavit constitue, lorsqu’il est soumis par Mme Prince, une preuve par ouï-dire. Toutefois, la requérante n’a soulevé aucune objection fondée sur la règle du ouï‑dire et je n’ai pas à statuer sur ce point parce que Mme Blanche, qui a souscrit un affidavit pour le compte de la requérante, joint également à celui‑ci l’affidavit de Mme Johnson et confirme la véracité de son contenu [paragraphe 3, pièce 1, affidavit de Mme Blanche]. 

 

Je conclus que l’affidavit de Mme Johnson, déposé par Mme Prince, permet à l’opposante de s’acquitter du fardeau de preuve peu exigeant qui lui incombe. À titre subsidiaire, je conclus que la preuve de la requérante permet à l’opposante de s’acquitter de son fardeau initial, et ce, pour deux raisons : 1) Mme Blanche se réfère dans son affidavit à celui de Mme Johnson; et 2) comme je l’ai déjà expliqué, l’ensemble de la preuve de la requérante jette un doute sur l’exactitude de la date à laquelle elle prétend avoir utilisé la marque de commerce pour la première fois et sur le caractère continu de l’usage qui en a été fait.

 

Je constate qu’il ne ressort d’aucun des 42 enregistrements que détient la requérante pour différentes variantes du logo HERO qu’elle aurait fait usage de la marque de commerce depuis les années 1900. À titre d’exemple, même un des plus anciens enregistrements que détient la requérante, soit l’enregistrement LMCDF11355, qui a été octroyé le 26 octobre 1906 concernant la marque de commerce suivante, ne fait pas état d’un usage au Canada dès 1900 :

                                                            SAILOR, TWO SHIPS & THE WORDS "PLAYER'S NAVY CUT & DESIGN

[Bien que cela ne soit pas évident, compte tenu de la grandeur du dessin ci‑dessus, le mot « hero » figure effectivement sur la casquette de l’homme qui y est représenté.]

 

Dans Imperial Tobacco Ltd. c. N.V. Sumatra Tobacco Trading Co. (précité), aux pages 285 et 286, le président de la Commission des oppositions des marques de commerce dit ce qui suit au sujet du logo HERO de la requérante :

[traduction] [...] compte tenu de la grosseur des caractères composant le logo que l’opposante appose sur ses marchandises, et du fait que la représentation d’un matelot prédomine par rapport au logo et aux autres éléments et que la marque de commerce PLAYER’S soit juxtaposée audit logo, je ne m’attends pas à ce que le consommateur moyen des cigarettes de l’opposante ou d’autres produits du tabac sache que le mot HERO figure sur la casquette que porte le matelot représenté sur son logo. Certes les enregistrements relatifs à la marque de commerce de l’opposante indiquent que le mot HERO figure sur la casquette du matelot représenté sur le logo de l’opposante, mais le consommateur moyen ne serait pas au courant du contenu des enregistrements de l’opposante.

 

La preuve de l’opposante démontre que son logo a figuré sur des affiches publicitaires, des tableaux indicateurs dans des stades, des comptoirs et des présentoirs en magasin, des vitrines de magasins, les panneaux peints des camions de certaines sociétés et sur d’autres matériels publicitaires et que, dans ces cas, des caractères plus gros sont employés pour représenter le mot HERO que lorsqu’il figure sur les paquets de cigarettes de l’opposante. Toutefois, je ne suis pas convaincu que même dans de telles situations, le consommateur moyen aurait remarqué que le mot HERO figurait sur les logos et que par conséquent ceux‑ci l’auraient associé aux marchandises de l’opposante. Tout au plus, il ressort de l’affidavit de Mme Johnson que la marque HERO a figuré sur du matériel de promotion distribué à des personnes appelées à participer à l’organisation ou à la tenue d’activités commanditées par l’opposante. Mais, rien ne permet de conclure que ce matériel est connu du consommateur moyen de cigarettes. Par conséquent, je conclus que, sur le plan sonore, ledit consommateur n’associerait pas les marques de commerce de l’opposante au mot HERO et que la présence de ce mot dans les marques de l’opposante n’influe pas sur les idées qu’elles suggèrent.

 

Le raisonnement du président dans l’affaire susmentionnée est convaincant, et ce, peu importe que le principe de la chose jugée s’applique ou non en matière d’oppositions.

 

En l’espèce, la preuve ne démontre pas que le mot HERO ait, à quelque moment que ce soit, figuré en dehors du logo HERO. La preuve démontre par ailleurs que le logo HERO a fait l’objet de publicité en 1900, mais par cette preuve la requérante ne s’acquitte pas de la charge ultime qui lui incombe, et ce, pour deux raisons : 1) pour ce qui est des marchandises, une marque de commerce n’est pas considérée avoir été employée du fait qu’elle est employée ou montrée dans une publicité [voir l’article 4 de la Loi]; et 2) employer le logo HERO n’équivaut pas à employer le mot HERO en soi [voir Nightingale Interloc Ltd. c. Prodesign Ltd. (1984), 2 C.P.R. (3d) 535, aux p. 538 et 539, et Registrar of Trade Marks c. CII Honeywell Bull, S.A., 4 C.P.R. (3d) 523].

 

Relativement au deuxième point, il semble que le mot « hero » n’a jamais eu d’identité propre en dehors du logo dont il n’est d’ailleurs qu’un élément peu important.

 

Bien que j’accepte sans réserve qu’une partie a le droit d’employer plus d’une marque de commerce en liaison avec un produit particulier, le mot « hero » ne se détache pas clairement de la marque complexe qui comporte le logo Hero prise comme un tout et, suivant une première impression, il ne serait pas perçu comme étant une marque de commerce distincte. De fait, bien que le logo en question ait été désigné comme étant le logo HERO, je suis d’avis qu’il serait plus approprié de le désigner comme étant la marque de commerce PLAYER’S NAVY CUT & dessin.

 

J’estime que le mot « hero » figurant sur la casquette du matelot a si peu d’importance que s’il devait être retiré ou remplacé par un autre mot, selon le critère énoncé dans Promafil Canada Ltée c. Munsingwear Inc., 44 C.P.R. (3d) 59, la modification serait sans conséquence parce que le logo HERO demeurerait distinctif et pourrait être reconnu.

 

Pour fonctionner en tant que marque de commerce, une marque doit « être employée pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres » [voir l’article 2 de la Loi]. La preuve ne démontre pas que le mot HERO a en soi été ainsi utilisé. [Je note qu’il n’a pas été établi que les produits de la requérante sont désignés comme étant des cigarettes HERO lorsqu’ils sont commandés ou vendus ou qu’ils ont été ainsi désignés par le passé.]

 

La requérante fait valoir qu’il serait trop onéreux d’exiger qu’un requérant démontre avoir fait usage d’une marque de commerce il y a plus de cent ans. Bien que je sois consciente des obstacles auxquels une partie pourrait se heurter en tentant d’apporter une telle preuve, comme l’a signalé l’opposante, il était loisible à la requérante d’alléguer une date de premier emploi plus récente, c.‑à‑d. une date dont l’exactitude aurait pu être démontrée. [Je note également que non seulement la requérante n’a pas démontré avoir fait usage de la marque de commerce en 1900 mais qu’en plus elle n’a pas établi l’avoir utilisé ultérieurement.]

 

Vu ce qui précède, la requérante ne s’est pas acquittée du fardeau ultime qui lui incombait et j’accepte donc le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 30b).

 

Décision

En vertu des pouvoirs qui m'ont été conférés par le registraire des marques de commerce en application du paragraphe 63(3), je rejette la demande d'enregistrement de la requérante en vertu du paragraphe 38(8) de la Loi.

 

 

 

FAIT À TORONTO (ONTARIO), CE 10 JUILLET 2006.

 

 

 

Jill W. Bradbury

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

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