Contenu de la décision
LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE
THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS
Référence : 2012 COMC 132
Date de la décision : 2012-07-19
DANS L’AFFAIRE DE LA PROCÉDURE DE RADIATION EN VERTU DE L’ARTICLE 45, engagée à la demande d’Ogilvy Renault, visant l’enregistrement no LMC676833 pour la marque de commerce VIGOR au nom de Comercializadora Eloro, S.A.
[1] Le 1er février 2010, à la demande d’Ogilvy Renault (la Partie requérante), le registraire des marques de commerce a envoyé l’avis prévu à l’article 45 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13 (la Loi), à Frugosa, S.A. de C.V. (l’Inscrivante), propriétaire inscrite à ce moment-là de l’enregistrement no LMC676833 pour la marque de commerce VIGOR (la Marque).
[2] La Marque est enregistrée pour emploi en liaison avec les marchandises suivantes : fruits et jus de fruits en conserve.
[3] L’article 45 de la Loi oblige le propriétaire inscrit d’une marque de commerce à indiquer si la marque a été employée au Canada en liaison avec chacune des marchandises ou chacun des services que spécifie l’enregistrement à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l’avis et, dans la négative, la date où elle a été employée en dernier lieu et la raison de son défaut d’emploi depuis cette date. En l’espèce, la période pertinente pour l’établissement de l’emploi se situe entre le 1er février 2007 et le 1er février 2010 (la Période pertinente).
[4] La définition pertinente du mot « emploi » est énoncée au paragraphe 4(1) de la Loi :
4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.
[5] En réponse à l’avis du registraire, l’Inscrivante a produit l’affidavit de Manuel Vicente Martinez Lopez, souscrit le 26 août 2010. Les deux parties ont produit des observations écrites et étaient présentes à l’audience.
[6] M. Lopez atteste qu’il est le premier vice-président de l’Inscrivante et qu’il est [traduction] « parfaitement au courant » de tous les secteurs d’activités de l’Inscrivante. Il explique que l’Inscrivante est un fournisseur de jus de fruits vendus dans divers pays, dont le Canada, et que, pendant la Période pertinente, l’Inscrivante a concédé une licence à une société liée, Comercializadora Eloro, S.A. (Eloro), l’autorisant à employer la Marque en liaison avec la vente de jus de fruits. Ces jus de fruits étaient fabriqués par une autre société liée, Jugomex S. A. de C.V., conformément à une entente de fabrication avec Eloro. Eloro vendait ces jus de fruits en conserve à un distributeur situé au Texas, Vilore Foods Company (Vilore), qui à son tour vendait les jus de fruits en conserve à des distributeurs de produits ethniques canadiens, comme NutriFresh Foods Ltd. (Nutrifresh), situés en Ontario.
[7] Je note qu’à la suite de la fusion consignée par le registraire le 23 août 2011, l’enregistrement est maintenant au nom d’Eloro; ce changement n’est pas contesté en l’espèce.
[8] À l’appui de son affirmation d’emploi de la Marque en liaison avec des jus de fruits en conserve au cours de la Période pertinente au Canada, M. Lopez joint les pièces suivantes à son affidavit :
• La pièce B, qui consiste en une facture représentative de Vilore établissant la vente de 1 500 caisses de jus de fruits « Vigor » de diverses saveurs à NutriFresh, en date du 20 janvier 2010;
• La pièce C, qui consiste en une facture représentative d’Eloro établissant la vente de 200 caisses de jus de fruits « Vigor » de deux saveurs différentes à Vilore, en date du 20 mai 2008;
• La pièce D, qui consiste en plusieurs photos de jus de fruits en conserve Vigor sur lesquelles figure clairement la Marque et qui sont, selon M. Lopez, représentatives des jus de fruits en conserve vendus au Canada au cours de la Période pertinente.
[9] Compte tenu de la preuve fournie, je suis convaincu que l’Inscrivante a satisfait à son fardeau prima facie d’établir l’existence de ventes de jus de fruits en conserve arborant la Marque au cours de la Période pertinente au Canada. Quant aux « fruits », aucune preuve d’emploi ou de circonstances spéciales justifiant le défaut d’emploi n’a été produite et l’Inscrivante a reconnu que l’enregistrement devrait être modifié en conséquence.
Vente purement symbolique
[10] En plus de ses arguments concernant le ouï-dire, examinés ci-dessous, la Partie requérante a fait valoir que, étant donné que l’Inscrivante n’a fourni qu’une seule facture ayant trait à la vente de jus de fruits en conserve au Canada, celle-ci devrait être considérée comme une vente purement symbolique et non comme une vente dans la pratique normale du commerce. Toutefois, il est bien établi que la preuve d’une seule vente peut être suffisante pour établir l’emploi d’une marque de commerce dans la pratique normale du commerce [1459243 Ontario Inc c Eva Gabor International, Ltd et al (2011) 90 CPR (4th) 277 (CF) (Eva Gabor), au par 5]. La facture figurant à la pièce B est décrite comme étant [traduction] « représentative » et est corroborée par la description que M. Lopez fait de la pratique normale du commerce. J’ajouterais également que les grandes quantités de jus de fruits en conserve vendus, que démontrent les deux factures de Vilore et Eloro, étayent encore plus la conclusion selon laquelle la preuve dans son ensemble est suffisante pour établir l’emploi en l’espèce.
Preuve par ouï-dire
[11] Comme je l’ai mentionné plus haut, la Partie requérante s’oppose à des parties de l’affidavit de M. Lopez au motif qu’il s’agit de ouï-dire. La Partie requérante fait plus particulièrement valoir que la facture figurant à la pièce B porte sur une opération alléguée entre les sociétés de distribution Vilore et Nutrifresh, lesquelles n’ont aucun lien organisationnel avec l’Inscrivante. Elle cite Brick Brewing Co c Lakeport Brewing Corp (2003), 35 CPR (4th) 70 (COMC) à l’appui de la proposition voulant que les documents d’entreprise de sociétés tierces constituent du ouï-dire, et fait de plus valoir que le registraire a [traduction] « l’obligation particulière » d’exiger la plus grande précision dans les preuves qui lui sont présentées, puisque la preuve relative à l’article 45 ne peut faire l’objet d’un contre-interrogatoire [selon Aerosol Fillers Inc c Plough (Canada) Ltd (1979), 45 CPR (2d) 194 (CF 1re inst), à la page 199].
[12] À l’audience, l’Inscrivante n’a pas reconnu qu’une quelconque partie de l’affidavit de M. Lopez constituait du ouï-dire, affirmant que même si M. Lopez ne déclare pas expressément avoir une [traduction] « connaissance personnelle » des faits attestés dans son affidavit, il déclare être [traduction] « parfaitement au courant de tous les secteurs d’activités [de l’Inscrivante], y compris la fabrication, l’entreposage, l’expédition, la vente et l’administration ». En outre, M. Lopez n’a jamais affirmé que les faits attestés dans son affidavit sont fondés sur des [traduction] « renseignements et croyances », ce qui indiquerait que les allégations constituent du ouï-dire.
[13] Contrairement à la situation factuelle dans la récente décision Gowling Lafleur Henderson LLP c Guayapi Tropical SRL, 2012 COMC 123, il est raisonnable d’inférer en l’espèce que, en raison de son poste, le déposant avait connaissance des activités des parties dans la chaîne de distribution au cours de la Période pertinente. Compte tenu de cela et des déclarations dans son affidavit, je suis d’accord avec l’Inscrivante pour dire que la preuve ne constitue pas du ouï-dire.
[14] Subsidiairement, même si je devais considérer la pièce B, qui consiste en une facture, comme du ouï-dire, l’Inscrivante a fait valoir qu’elle devrait être admissible car elle corrobore les déclarations faites dans l’affidavit de M. Lopez en ce qui concerne la pratique normale du commerce [selon Sim & McBurney c Przedsiebiorstwo Handlu Zagranicznego Agros (2001), 20 CPR (4th) 360 (COMC)]. En outre, l’Inscrivante a soutenu qu’une interprétation restrictive du ouï-dire, comme l’a proposé la Partie requérante en l’espèce, serait contraire à l’objet de la procédure en vertu de l’article 45.
[15] Il est bien établi que l’objet et la portée de l’article 45 de la Loi sont de fournir une procédure simple, sommaire et expéditive visant à débarrasser le registre du [traduction] « bois mort », de sorte que le critère auquel le propriétaire inscrit doit satisfaire est peu exigeant [Uvex Toko Canada Ltd c Performance Apparel Corp (2004), 31 CPR (4th) 270 (CF)]. Il n’est pas censé prévoir un moyen supplémentaire de contester une marque de commerce, autre que la procédure litigieuse courante visée par l’article 57 [Meredith & Finlayson c Canada (Registraire des marques de commerce) (1991), 40 CPR (3d) 409 (CAF)].
[16] Une approche rigoureuse en matière de preuve par ouï-dire serait adéquate dans le cadre d’un processus accusatoire visant à définir les droits des parties, mais elle ne l’est pas dans le cadre de la procédure en vertu de l’article 45 [Eva Gabor, précitée, au par 12]. Au contraire, une approche [traduction] « plus souple » en matière de ouï-dire, comme l’a proposé l’Inscrivante, est davantage compatible avec le principe général selon lequel il y a lieu, dans le cadre de cette procédure, de considérer la preuve dans son ensemble plutôt que de mettre l’accent sur des éléments de preuve isolés [Kvas Miller Everitt c Compute (Bridgend) Limited (2005), 47 CPR (4th) 209 (COMC)].
[17] Comme l’a fait observer l’Inscrivante, la Partie requérante n’a pas fourni de précédent contraire indiquant qu’une interprétation plus rigoureuse de la preuve par ouï-dire s’impose dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 45. En effet, Aerosol Fillers, précitée, que la Partie requérante a citée favorablement, ne portait pas sur des questions de ouï-dire, mais plutôt sur un affidavit consistant uniquement en de simples affirmations d’emploi. Dans la présente affaire, l’affidavit de M. Lopez ne consiste pas uniquement en une simple affirmation d’emploi concernant les marchandises particulières en liaison avec la Marque, mais comprend également une description de la pratique normale du commerce de l’Inscrivante, des factures corroborant cette description et des pièces démontrant comment la Marque figurait sur les marchandises vendues au Canada.
[18] Compte tenu de ce qui précède, je conclurais que la pièce B, qui consiste en une facture, est admissible en tant que preuve fiable et nécessaire. Même si la Partie requérante a laissé entendre que l’Inscrivante aurait dû obtenir un affidavit additionnel de la part de son distributeur licencié, je conviens avec l’Inscrivante qu’il n’est pas nécessaire de l’assujettir à une telle surabondance de preuve.
Non-conformité aux exigences relatives à l’étiquetage du Canada
[19] Enfin, la Partie requérante a également fait valoir que les jus de fruits en conserve montrés à la pièce D ne satisfont pas aux exigences relatives à l’étiquetage du Canada prévues dans le règlement pris en application de la Loi sur les aliments et drogues. Elle a donc soutenu que toutes les ventes réalisées n’auraient pas pu l’être dans la pratique normale du commerce puisque la vente de ces produits serait illégale selon la règlementation relative à l’étiquetage. Toutefois, comme l’Inscrivante le fait observer avec raison, il est bien établi que la conformité à d’autres lois n’est pas en cause dans une procédure en vertu de l’article 45. Comme il est indiqué dans Lewis Thomson & Sons Ltd c Rogers, Bereskin & Parr (1988), 21 CPR (3d) 483 (CF 1re inst), la procédure en vertu de l’article 45 n’est pas le forum approprié pour déterminer si l’Inscrivante respecte la Loi sur les aliments et drogues et, de toute façon, une telle détermination ne se rattache pas directement à la question de l’emploi au sens de la Loi sur les marques de commerce.
Décision
[20] Compte tenu de ce qui précède, je suis convaincu qu’il y a eu emploi de la Marque en liaison avec les « jus de fruits en conserve » au cours de la Période pertinente au sens des articles 4 et 45 de la Loi. Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, et conformément aux dispositions de l’article 45 de la Loi, l’enregistrement sera modifié de manière à supprimer les marchandises suivantes seulement : « fruits ».
[21] L’état déclaratif des marchandises modifié se lira ainsi : « jus de fruits en conserve ».
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Andrew Bene
Agent d’audience
Commission des oppositions des marques de commerce
Office de la propriété intellectuelle du Canada
Traduction certifiée conforme
Diane Provencher, trad. a.