Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

Dans l'affaire de la procédure prévue à l'article 45 à l'encontre de l'enregistrement no LMC 325171 de la marque de commerce SANGRITA                                                                                   

 

Le 4 novembre 2005, à la demande de BCF s.e.n.c.r.l., le registraire a transmis l'avis prévu à l'article 45 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. 13

(la « Loi »), à Anton Riemerschmid Weinbrennerei und Likörfabrick GmbH & Co. KG

(l’« Inscrivante ») à l’égard de l’enregistrement no LMC 325171 de la marque de commerce SANGRITA (la « Marque ») déposée pour un emploi en liaison avec des « boissons non alcoolisées composées de jus de fruits et de légumes, d’épices et de sauces ».

 

L'article 45 de la Loi prévoit que le propriétaire inscrit est tenu d'établir que la marque de commerce a été employée au Canada à l'égard de chacune des marchandises et/ou de chacun des services spécifiés dans l'enregistrement à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l'avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date. La période pertinente en l'espèce va du 4 novembre 2002 au 4 novembre 2005. L’article 4 de la Loi définit ce qu’il faut entendre par l’emploi d’une marque de commerce.

 

Le paragraphe 4(1) de la Loi dont le texte est reproduit ci-dessous s’applique en la présente espèce :

 

« 4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée. »

 

L’affidavit de M. Frank Barwinski (l’« Affidavit de M. Barwinski ») daté du 26 avril 2006 a été produit par l’Inscrivante en réponse à l’avis. La partie requérante et l’Inscrivante ont produit des observations écrites et seule la partie requérante était représentée à l’audience.

 

Il est bien établi que l'objet et la portée de l'article 45 de la Loi visent à établir une procédure simple, sommaire et rapide pour éliminer le bois mort du registre. En droit, les déclarations d'emploi ne suffisent pas à établir l'emploi [voir la décision Aerosol Fillers Inc. c. Plough (Canada) Ltd. (1979), 45 C.P.R. (2d) 194 (C.F. 1re inst.); conf. par 53 C.P.R. (3d) 62 (C.A.F.)]. La personne qui reçoit l'avis donné en vertu de l'article 45 de la Loi doit produire des éléments de preuve établissant qu'elle a employé la marque de commerce pour que le registraire soit en mesure d'apprécier si les faits correspondent à un emploi de la marque de commerce au sens de l'article 4 de la Loi. Cependant, il est également établi qu'une surabondance de preuves n'est pas nécessaire quand l'emploi peut être prouvé d'une manière simple et directe [voir Union Electric Supply Co. c. Registraire des marques de commerce (1982), 63 C.P.R. (2d) 56 (C.F. 1re inst.)]. Il est bien établi que les ambiguïtés dans la preuve doivent recevoir une interprétation qui ne favorise pas les intérêts du propriétaire inscrit [voir Aerosol Fillers Inc., précité].

 

M. Barwinski est cadre dirigeant de l’Inscrivante depuis 2001. Il affirme que le « groupe de sociétés Underberg » a acquis l’Inscrivante en 1996 [alinéa 1]. Il affirme de plus que : [traduction] « Depuis que Underberg détient la propriété et contrôle Anton Riemerschmid, et agit souvent en son nom, elles n’ont en quelque sorte qu’une seule âme dirigeante ». Tout au long de son affidavit, M. Barwinski renvoie indistinctement aux deux sociétés comme à « sa Société ». Dans ma décision, les renvois qui seront faits à la « Société » viseront à la fois Underberg et l’Inscrivante, tout comme dans l’Affidavit de M. Barwinski.

 

J’estime que les observations de la partie requérante voulant que l’Affidavit de

M. Barwinsky est vague en ce qui a trait aux relations entre l’Inscrivante et le groupe de sociétés ainsi qu’en ce qui concerne la gestion de ces sociétés ne sont pas dépourvues de fondement. J’ajouterais que l’auteur d’affidavit n’indique pas de façon précise quelle société « a acquis » l’Inscrivante, même s’il semble raisonnable d’en déduire qu’il s’agissait de Underberg AG. Quoi qu’il en soit, rien dans l’Affidavit de M. Barwinsky ne me permet d’inférer que l’Inscrivante a cédé ses droits dans la Marque en 1996 et aucune preuve en ce sens ne le confirme. J’ajouterais que la seule modification de titre sur la page où sont portés les enregistrements est celle du changement de dénomination de l’Inscrivante datée du 17 avril 2001 enregistrée le 26 juin 2001.

 

Selon l’Affidavit de M. Barwinski, la Société fabrique de nombreux produits comprenant  surtout des boissons alcoolisées et certaines non alcoolisées qu’elle vend à des distributeurs locaux partout dans le monde [paragraphe 2]. Un de ces produits est la « marque SANGRITA de boissons non alcoolisées composée de jus de fruits et de légumes et de sauces », fabriquées en Allemagne par l’Inscrivante depuis 40 ans environ. Ces boissons sont consommées comme telles ou mélangées à des boissons alcooliques [paragraphe 3]. M. Barwinski nomme le Canada comme l’un des pays où sont exportées les boissons non alcoolisées SANGRITA [paragraphe 4] et il joint des photographies de bouteilles portant « l’étiquette de la marque SANGRITA » [paragraphe 5, pièce A].

 

Bien que le paragraphe 6 de l’Affidavit de M. Barwinski soit long, j’estime utile de le reproduire intégralement étant donné qu’il porte sur la pratique normale du commerce de la Société :

          [traduction]

« Dans le domaine des boissons alcoolisées et non alcoolisées, il arrive fréquemment qu’un producteur comme la Société retienne les services de distributeurs pour la promotion, la commercialisation et la vente de ses produits dans le monde. De tels distributeurs prodiguent conseils et avis sur les promotions, les réclames publicitaires, le marketing, les budgets, les commandites, l’approbation de marque, les agences commerciales, la distribution, la mise en marché, les approbations régulatrices et les services de contrôle, le tout en relation avec l’importation de vins, spiritueux et bières ainsi que d’autres boissons non alcoolisées produites par les autres. Il est fréquent, et cela s’inscrit dans la pratique normale du commerce pour un distributeur important, d’utiliser les services de distributeurs régionaux pour élargir la distribution de tels produits. Par exemple, comme vous le verrez par la suite, ma Société vend des produits à Underberg Sales Corporation, un distributeur pour l’Amérique du Nord des produits de Underberg AG et de ses filiales. Étant donné que Underberg Sales Corporation est une filiale de Underberg AG, j’ai accès à ses registres. En tant que filiale de Underberg AG, les produits de Anton Riemerschmid sont souvent vendus avec d’autres produits fabriqués par Underberg AG et ses filiales. Underberg AG agit souvent à titre d’agent commercial à l’égard des produits de ma Société. Underberg Sales Corporation, à son tour, vend et distribue des produits aux détaillants et, à l’occasion, à d’autres distributeurs en Amérique du Nord. D’autres distributeurs peuvent également acheter des produits de Underberg AG, dont les produits de la marque SANGRITA. Ainsi, dans la pratique normale du commerce, ma Société vend à des distributeurs, y compris des distributeurs canadiens, plutôt qu’au public directement ».

 

En me fondant sur une lecture objective de l’Affidavit de M. Barwinski, je conclus que l’Inscrivante produit les marchandises associées à la Marque en Allemagne et que Underberg AG agit en tant qu’agent commercial pour l’Inscrivante. Je comprends que le rôle d’un agent commercial consiste à vendre des marchandises ou des services provenant d’un producteur, ou s’engager à le faire. Underberg AG vend les marchandises produites par l’Inscrivante à Underberg Sales Corporation, laquelle les vend ensuite à des détaillants et, à l’occasion, à d’autres distributeurs en Amérique du Nord. D’autres distributeurs peuvent également acheter les marchandises de Underberg AG. La partie requérante soutient que l’Affidavit de M. Barwinski n’établit pas l’existence d’une licence entre l’Inscrivante et Underberg AG ni entre l’Inscrivante et Underberg Sales Corporation conformément au paragraphe 50(1) de la Loi. Cependant, je conviens avec l’Inscrivante que le paragraphe 50(1) de la Loi n’est pas pertinent en l’espèce étant donné que la marque de commerce employée par un agent ou un distributeur est celle du propriétaire de la marque de commerce.

 

M. Barwinski affirme que la Société et Underberg Sales Corporation ont déployé des efforts considérables, durant les dernières années, pour « accroître les ventes au Canada des produits de la marque SANGRITA », y compris des pourparlers avec des distributeurs canadiens et des clients directs à l’occasion de diverses foires commerciales [paragraphe 7]. À titre d’exemple, M. Barwinski produit une preuve de participation au congrès de l’Association Frontière Hors Taxes qui a eu lieu à Montréal au mois de novembre 2001 où les [traduction] « boissons SANGRITA ont été mises en évidence au kiosque de Underberg » [paragraphe 8]. Il joint des photographies du kiosque montrant une bouteille de produit de la marque SANGRITA parmi les produits exposés sur l’étal [pièce B-1], un document daté du 1er novembre 2001 confirmant que des boissons et du matériel d’exposition ont été expédiés par Underberg Sales Corporation pour être utilisé à la foire commerciale [pièce B-2], une facture datée du 28 décembre 2001 pour des frais de courtage, de douanes et d’expédition concernant cette livraison [pièce B-3] et une copie d’une facture de l’Agence des douanes du Canada datée du

1er novembre 2001 [pièce B-4]. J’accepte l’Affidavit de M. Barwinski à l’appui de l’allégation selon laquelle des boissons non alcoolisées ont été expédiées à Montréal et exposées à la foire commerciale tenue en novembre 2001. Cependant, la foire commerciale n’a pas eu lieu durant la période pertinente. De toute façon, je conviens avec la partie requérante que le document d’expédition [pièce B-2] ne peut être associé à des transactions survenues dans la pratique normale du commerce établissant les ventes de boissons non alcoolisées. De plus, je ne partage pas l’avis de l’Inscrivante selon laquelle la facture du courtier en douane établit la vente de marchandises au Canada [pièce B-3]. Tout au plus, prouve-t-elle que des produits et du matériel expédiés pour la foire commerciale sont passés à la douane.

 

M. Barwinski déclare au paragraphe 9: [traduction] « Malheureusement, à l’exception de ce qui est relaté ci-dessous, ma Société n’a pu retracer de registres pour les ventes des produits de marque SANGRITA au Canada survenues au cours des dernières années, malgré la persistance des efforts de commercialisation et de vente du produit … ». En ce qui concerne « ce qui est relaté ci-dessous » des renvois aux paragraphes 10 et 11 de l’Affidavit de M. Barwinski s’imposent.

 

Au paragraphe 10, M. Barwinski affirme que Underberg AG a reçu un bon de commande daté du 27 octobre 2005 de DeLancey Direct Incorporated (« DeLancey ») de Calgary, en Alberta, pour l’achat de produits de marque SANGRITA et qu’elle s’était engagée à offrir ces produits et en faire la promotion au Canada à compter du mois de mai 2006. Il poursuit en disant que DeLancey a l’intention de faire la promotion des produits SANGRITA au Festival international de la bière de Calgary les 12 et 13 mai 2006 et lors du EAT Vancouver! du 26 au 28 mai 2006. M. Barwinsky produit la copie d’une lettre du 27 octobre 2005 de DeLancey à Underberg AG [pièce C-1]. Je reproduis ci-dessous des extraits de la lettre signée par le président de DeLancey

         [traduction]

« … Je suggère de lancer la boisson SANGRITA au EAT VANCOUVER! […] ce qui nous procurera une occasion de fournir des échantillons à quelques-uns des propriétaires de restaurant les plus influents et des chefs qui sont des vedettes montantes au Canada […] Nous prévoyons soumettre les produits à London Drugs, IGA Foods, Save-On Foods, Canada Safeway, Sobey’s et Loblaws […]

 

À ce jour, nous avons réservé un kiosque à boisson pour XUXU, et prévoyons y présenter Sangrita de concert avec un de nos partenaires brasseur plutôt que le jus Clamato de Motts que la clientèle ajoute souvent à la bière au 

Canada … »

 

M. Barwinski a aussi produit une copie du bon de commande daté du 27 octobre 2005 de DeLancey adressé à Underberg AG demandant que des produits SANGRITA CLASSICO et SANGRITA PICANTE soient expédiés au Canada le 10 avril 2006

[pièce C-2]. Je note que l’identification de ces produits apparaît de façon précise sur le bon de commande. M. Barwinski affirme que la Société, par l’intermédiaire de Underberg AG, a accepté sur le champ le bon de commande et aurait pu expédier aussitôt les produits à DeLancey. Il ajoute que les produits [traduction] « n’ont été expédiés que récemment à la demande de l’acheteur qui n’utilisera les produits visés par la présente affaire qu’au mois de mai 2006 ». Voici ce qu’il ajoute :

            [traduction]

« 10. […] De plus, comme les produits de marque SANGRITA ont une date de “ durée de conservation ” ou “ de péremption ” pour assurer la qualité du produit, il n’aurait pas été raisonnable d’expédier les produits peu de temps après la date du bon de commande alors que tous savaient qu’ils ne seraient consommés que six mois plus tard. Ce type de décalage dans le temps entre la transaction d’achat et l’expédition est courant dans le commerce, particulièrement lorsque la vente des marchandises se conclut alors que la date de leur emploi est prévue pour une date précise ultérieure. Il s’agit de l’une des circonstances spéciales dans les affaires de ma Société, comme dans le commerce d’autres producteurs de certaines boissons exigeant que l’expédition soit faite suivant la réception et la confirmation d’une commande. Ainsi, même si ma Société [sic] a reçu un bon de commande avant le 4 novembre 2005 et était prête, consentante et disposée à finaliser la transaction avant cette date, en raison des circonstances spéciales de l’acheteur suivant lesquelles la réception des produits SANGRITA n’était pas requise avant avril 2006, et en raison de la date de “ durée de conservation ” associée au produit, la livraison a été retardée jusqu’au 10 avril 2006 ».

 

Au paragraphe 11, M. Barwinski déclare : [traduction] « Grâce à l’achat récent de boissons SANGRITA par DeLancey […] nous sommes confiants que les chaînes canadiennes […] vont acheter des boissons de marque SANGRITA et en vendre dans leurs établissements. Nous comptons également sur les tavernes et les bars pour acheter des produits de marque SANGRITA … » 

 

M. Barwinski affirme au paragraphe 12 que la Marque [traduction] « n’est pas une marque “ morte” ou qui n’est plus employée; elle se porte très bien, étant donné la vente au Canada de produits portant la marque SANGRITA ». Comme il s’agit de conclusions qui en droit doivent faire l’objet d’une décision de la part du registraire, je n’accorde aucune importance à ces déclarations. Enfin, M. Barwinski déclare : [traduction] « En raison de la popularité des boissons SANGRITA en Allemagne et ailleurs, nous sommes confiants que cette boisson saura aussi “s’imposer” sur le marché commercial extrêmement compétitif du Canada ».

 

Pour revenir au paragraphe 10 de l’Affidavit de M. Barwinski, je souligne que même si j’ai retenu la pièce C–1 comme preuve de la réception par Underberg AG d’une lettre de DeLancey, dont le contenu est corroboré en partie par le bon de commande, la lettre n’établit pas la preuve de l’emploi de la Marque au Canada. Je reconnais que le fait pour DeLancey de ne pas exiger la réception des marchandises avant le mois d’avril 2006 jumelé à la date de « péremption » liée aux produit justifient qu’ils n’ont pas été expédiés à DeLancey sur réception du bon de commande. Cependant, je tiens à signaler qu’il ne s’agit pas ici d’une conclusion selon laquelle le « décalage dans le temps » et la « date de péremption » constituent des « circonstances spéciales », telles que définies par la jurisprudence en matière de procédure sommaire de radiation, qui justifient le défaut d’emploi d’une marque de commerce déposée.

 

Sur le fondement de la décision John Labatt Ltd. c. Rainier Brewing Co. (1984), 80 C.P.R. (2d) 228 (C.A.F.), l’Inscrivante soutient que même si l’expédition à DeLancey ne se situe pas à l’intérieur de la période pertinente, elle est admissible comme preuve d’emploi parce qu’elle est liée à des circonstances prévalant durant cette période. Étant donné que la partie requérante fait valoir que la promotion de marchandises lors d’une foire commerciale n’équivaut pas à un emploi dans la pratique normale du commerce, elle soutient que la décision Rainier se distingue de la présente espèce. À l’appui de sa thèse relativement à la promotion de marchandises lors de foires commerciales, la partie requérante s’est fondée sur la décision Gowling Strathy & Henderson c. Star Data Systems Inc., 2000 CarswellNat 4005 (C.O.M.C.) dans laquelle l'agent d’audience principal Savard a conclu que la présence d’une marque de commerce lors d’une conférence et foire commerciale annuelles équivalait à un emploi à l’occasion d’activités publicitaires qui en soit ne suffisait pas à établir l’emploi en liaison avec des marchandises au sens du paragraphe 4(1) de la Loi. L’affaire Gowling Strathy & Henderson semble se distinguer de la présente espèce compte tenu de la présence à la foire commerciale du propriétaire de la marque de commerce plutôt que de celle d’un  distributeur ayant commandé des marchandises en vue d’une foire commerciale.

 

L’Inscrivante se fonde sur l’extrait qui suit de la décision Argenti Inc. c. Exode Importations Inc. (1984), 8 C.P.R. (3d) 174, à la p. 185, pour soutenir que les ventes de produit de marque SANGRITA en vue de leur emploi lors d’une foire prouve l’emploi de la Marque au sens du paragraphe 4(1) de la Loi :

 

[…] la requérante [fabricant de vêtements] a ainsi fait parvenir ces vêtements à l'intimée, son distributeur canadien, du début de mai 1983 jusqu'au

7 mars 1984, date de la dernière expédition. Même si les premiers vêtements expédiés par la requérante à l'intimée étaient des échantillons, ces derniers portaient les marques de commerce ci-dessus, apposées par la requérante, et consistaient en des vêtements que l'intimée, par ses propres vendeurs, a utilisés pour solliciter, au Canada, des commandes de la part de différents détaillants. L'intimée a ainsi utilisé ces échantillons, dans le cours normal des affaires et du commerce, pour fin de mise en marché, avant la date critique du 30 juin 1983. Cela est suffisant pour conclure à l'usage au Canada par la requérante de ses marques de commerce ARGENTI et PAT ARGENTI & DESIGN au sens de l'article 4(1) de la Loi, et ce, même si les vêtements que l'intimée voulait vendre n'avaient pas encore atteint le consommateur.

 

Outre le fait que la décision Argenti porte sur des procédures de radiation prises en application de l’article 57 de la Loi, il semble que la preuve révèle que des échantillons ont été expédiés aux distributeurs canadiens plus d’une fois. De toute façon, chaque affaire doit faire l’objet d’une décision selon son bien-fondé. Sans faire de commentaire sur la valeur probante de l’allégation de M. Barwinski selon laquelle des marchandises ont été expédiées, j’estime qu’il est raisonnable de conclure que Underberg AG ou Underberg Sales Corporation ont pu expédier les marchandises à DeLancey. Par conséquent, il m’apparaît que des documents étayant les allégations de M. Barwinski, tels que ceux produits comme pièces B-3 et B-4, auraient pu être facilement obtenus à la date de son affidavit.

 

À l’audience, la partie requérante a attiré mon attention sur les passages reproduits ci-dessous de la décision Professional Gardener Co. c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1985), 5 C.P.R. (3d) 568 (C.F. 1re inst.) :

 

« Il faut souligner que la marque de commerce doit être liée aux marchandises « dans la pratique normale du commerce ». Dans l'affaire The Molson Companies Ltd. c. Halcer (1976) 28 C.P.R. (2d) 158 (C.E. D.P.I.), le Juge Gibson a déclaré, à la page 177, que pour prouver l' « emploi »

 

   [...] il faut établir [...] une opération commerciale ordinaire par laquelle le propriétaire de la marque de commerce conclut un contrat avec un client qui lui commande les marchandises portant la marque de commerce et livre à ce dernier ces marchandises conformément au contrat […]

 

La Cour d'appel fédérale a déclaré, dans l'affaire Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc. (1980) 53 C.P.R. (2d) 62, à la page 67, que l'emploi prévu est

 

   [...] un emploi du genre de celui prévu à l'article 4, c'est-à-dire qu'il faut prouver que la marque est apposée sur les marchandises ou [s]ur leur emballage ou liée aux marchandises au moment de la vente ou de la livraison de celles-ci, dans la pratique normale du commerce [...]

 

Je conclus donc que même si la preuve suffisait à prouver la distribution d'échantillons, cette distribution sans plus, après 1978, dans l'espoir vague qu'un jour l'appelante pourrait avoir un produit à vendre, ne constitue pas « la pratique normale du commerce ».

 

 

Même si j’admets que la distribution des marchandises en liaison avec la Marque aux foires commerciale constitue une étape dans la pratique normale du commerce de l’Inscrivante, la question demeure celle de savoir si le bon de commande daté du 27 octobre 2005 combiné à l’allégation de M. Barwinski selon laquelle des marchandises ont été expédiées à DeLancey suffisent à prouver l’emploi de la Marque au Canada au sens du paragraphe 4(1) de la Loi dans le cadre l’examen des faits précis de la présente espèce que commande l’article 45 de la Loi.

 

Dans ConAgra Foods Inc. c. Fetherstonaugh & Co. (2002), 23 C.P.R. (4th) 49 (C.F.

1re inst.), il a été statué que l’acceptation d’une commande avant la date de l’avis visé par l’article 45 équivalait à l’emploi de la marque de commerce en liaison avec des marchandises au sens de l’article 4 de la Loi. En concluant de la sorte, le juge MacKay a cependant formulé les commentaires suivants :

 

  15   « […] Une commande faite avant le 11 février 1999 a été acceptée et des marchandises d'une valeur de 60 000 $ ont été expédiées au Canada ce jour-là pour profiter des premières ventes anticipées sur la foi des engagements qui avaient été pris lors du « lancement » ou à la suite de celui-ci. Ces marchandises ont été dédouanées au Canada le 13 février 1999 et la commande initiale acceptée avant le 11 février 1999 a été remplie par livraison effectuée dans les jours qui ont suivi ». (Non souligné dans l’original)

 

Je reconnais avec l’Inscrivante que le fait que l’expédition ne soit pas comprise dans la période pertinente n’est pas nécessairement préjudiciable à son dossier. Cependant, comme l’a soutenu avec justesse la partie requérante, la preuve de l’emploi de la Marque à une date postérieure à celle de l’avis du registraire est admissible conjointement avec celle de l’emploi à une date antérieure à celle de l’avis pour établir la continuité de l’emploi ou réfuter des allégations de fabrication récente ou d’emploi symbolique [voir Boutiques Progolf Inc. c. Marks & Clerk (1993), 54 C.P.R. (3d) 451 (C.A.F.)].

 

Comme le disait la Cour dans la décision Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1987), 13 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.), selon les circonstances entourant la transaction, la preuve d’une seule vente suffira pour établir l’emploi dans la pratique normale du commerce, à la condition que cette preuve n’ait pas été élaborée dans le seul but de protéger l’enregistrement de la marque de commerce.

 

En l’espèce, rien ne prouve la conclusion d’une transaction commerciale durant la période pertinente. À défaut de telle preuve, il m’est difficile d’accepter que la conclusion de la transaction commerciale après la période pertinente établit la continuité de l’emploi. De plus, bien que M. Barwinski déclare que des efforts considérables ont été réalisés au cours des dernières années pour accroître les ventes des produits SANGRITA au Canada, il reconnaît que la Société n’a pu trouver trace de registres des ventes au Canada pour de nombreuses années antérieures. À ce titre, je conclus qu’il est raisonnable d’inférer que la présence de Underberg Sales Corporation à la foire commerciale de Montréal au mois de novembre 2001 n’a généré aucune vente ultérieure de marchandises en liaison avec la Marque à des détaillants ou autres distributeurs au Canada. En conséquence, je ne suis pas convaincue que la seule et unique transaction commerciale produite en preuve soit  semblable à des transactions qui auraient été réalisées antérieurement. En concluant de la sorte, je garde présentes à l’esprit les déclarations de M. Barwinski selon lesquelles la Société : (i) est confiante que les chaînes canadiennes vont acheter des boissons de marque SANGRITA et en vendre dans leurs établissements ; (ii) compte sur les tavernes et les bars pour acheter des produits de marque SANGRITA ; et (iii) est confiante que cette boisson saura aussi s’imposer sur le marché commercial extrêmement compétitif du Canada.

 

Compte tenu des faits en la présente espèce, je signale les commentaires du juge Pinard reproduits ci-dessous dans 88766 Canada Inc. c. Monte Carlo Restaurant Ltd (2007), 63 C.P.R. (4th) 391 (C.F.) :

 

« L'article 45 de la Loi permet au registraire de radier les marques de commerce enregistrées qui ne sont pas réclamées bona fide par leurs propriétaires comme marques de commerce actives. Seulement le propriétaire inscrit peut fournir une preuve susceptible d'établir des faits qui permettent au registraire de déterminer si la marque de commerce est « employée » conformément à l'article 4 de la Loi. Les circonstances spéciales de l'article 45 créent une obligation auprès du registraire de s'assurer que la preuve fournie est solide et fiable ».

 

En examinant l’Affidavit de M. Barwinski en son entier, je conclus que la preuve d’une transaction commerciale unique initiée par la réception d’un bon de commande une semaine avant la fin de période pertinente et prolongée par la livraison de marchandises après la période pertinente ne suffit pas pour me permettre de conclure que l’Inscrivante a démontré l’emploi de la Marque pendant la période pertinente en liaison avec les marchandises visées par l’enregistrement au sens du paragraphe 4(1) de la Loi.

 

La question suivante se résume à savoir si l’Affidavit de M. Barwsinki établit des circonstances spéciales qui justifient le défaut d’emploi. Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que l’Inscrivante n’y est pas parvenue.

 

Il est bien établi qu’il convient d’examiner trois critères pour trancher la question de savoir si des circonstances spéciales justifient le défaut d’emploi. Le premier est la durée du non-emploi de la marque de commerce. Le deuxième est la question de savoir si le non-emploi était attribuable à des circonstances indépendantes de la volonté du propriétaire inscrit. Le troisième est de savoir s’il existe une intention sérieuse de reprendre l'emploi de la marque à court terme [voir Canada (Registraire des marques de commerce) c. Harris Knitting Mills Ltd. (1985), 4. C.P.R. (3d) 488 (C.A.F.)]. En ce qui concerne les premier et deuxième critères, il faut soupeser les motifs du non-emploi et sa durée. De plus, quant au deuxième critère, les « circonstances spéciales » s’entendent [traduction] « de circonstances qui sont inhabituelles, hors du commun ou exceptionnelles » [voir John Labatt Ltd. c. The Cotton Club Bottling Co. (1976), 25 C.P.R. (2d) 115 (C.F. 1re inst.)]. L’intention de reprendre l’emploi doit également être étayée par la preuve.

 

Comme j’ai déjà conclu qu’un lien ne pouvait être établi entre la présence de la Société à la foire commerciale de Montréal et une transaction commerciale normale, je ne suis pas d’accord avec l’Inscrivante lorsqu’elle prétend avoir démontré des ventes de produits SANGRITA au Canada en novembre 2001. Étant donné qu’aucune date de dernier emploi n’a été fournie, je conclus qu’il convient de considérer la date d’enregistrement, soit le 27 mars 1987, comme date de dernier emploi. Les raisons invoquées pour le défaut d’emploi se résument à un argument selon lequel il est difficile d’accéder à l’industrie des boissons non alcoolisées; il ne s’agit pas de circonstances spéciales de nature à justifier le défaut d’emploi d’une marque de commerce déposées, à plus forte raison pour une aussi longue période de temps. Même si j’accepte le bon de commande du 27 octobre 2005 comme preuve de l’intention de reprendre l’emploi de la Marque, cette intention ne peut à elle seule équivaloir à des circonstances spéciales [voir Scott Paper Limited c. Smart & Biggar (2008), 65 C.P.R. (4e) 303 (C.A.F.)].

 

Compte tenu de ce qui précède, l’enregistrement no LMC 325171 sera radié, conformément aux dispositions du paragraphe 45(5) de la Loi.

 

FAIT À MONTRÉAL (QUÉBEC), LE 12 DÉCEMBRE 2008.

 

 

 

 

Céline Tremblay

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-Jacques Goulet, LL.L.

 

 

 

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