Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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Traduction/Translation

 

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2011 COMC 137

Date de la décision : 2011-08-03

TRADUCTION

 

 

DANS L’AFFAIRE DE L’OPPOSITION produite par Ron Matusalem & Matusa of Florida, Inc. à l’encontre de la demande d’enregistrement 1275544 pour la marque de commerce ESPIRITU DE CHILE, actuellement la propriété de Espiritu de Chile Ltd.

 

Introduction

 

[1]               Le 13 octobre 2005, A. Racke GMBH & CO a produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce ESPIRITU DE CHILE (la Marque), numéro de demande 1275544, fondée sur son emploi projeté en liaison avec des boissons alcoolisées, nommément vin et vins mousseux (les Marchandises).

[2]               À la suite d’un rapport de l’examinateur, la requérante a renoncé au droit à l’usage exclusif du mot « CHILE » en dehors de la Marque prise dans son ensemble et a fait savoir au registraire que la traduction anglaise de ESPIRITU DE CHILE était « Spirit of Chile » [l’esprit du Chili].

[3]               La demande a été annoncée aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce du 22 novembre 2006.

[4]               1872 Holdings, V.O.F. a produit, le 22 mai 2007, une déclaration d’opposition que le registraire a transmise à la requérante le 19 juin 2007. La requérante a nié tous les motifs d’opposition dans une contre-déclaration produite le 18 juillet 2007.

[5]               L’opposante a produit l’affidavit de Stéphanie Brouillette à titre de preuve, tandis que la requérante a produit les affidavits de Claire Gordon et de Herbert McPhail. L’opposante a produit en contre-preuve l’affidavit de Simone Ndiaye.

[6]               Les deux parties ont produit des observations écrites et seule l’opposante a assisté à l’audience.

[7]               Le 21 mars 2007, le registraire a enregistré le changement de nom qui est passé de 1872 Holdings, V.O.F. à Ron Matusalem & Matusa of Florida Inc. (l’Opposante). Le 15 mai 2007, le registraire a inscrit une cession en vertu de laquelle la présente demande a été transférée de A. Racke GMBH & CO à Espiritu de Chile Ltd. (la Requérante).

Les motifs d’opposition

[8]               Les motifs d’opposition invoqués sont les suivants :

  1. La demande ne satisfait pas aux exigences des alinéas 38(2)a) et 30e) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi), dans la mesure où la Marque n’est pas une marque de commerce dont l’emploi est projeté, étant donné que la Requérante ou un de ses prédécesseurs en titre, le cas échéant, n’a pas l’intention et n’a jamais eu l’intention d’employer la Marque au Canada en liaison avec les Marchandises;
  2. La demande ne satisfait pas aux exigences des alinéas 38(2)a) et 30i) de la Loi étant donné que la Requérante n’était et n’est toujours pas convaincue qu’elle a le droit d’employer la Marque au Canada en liaison avec les Marchandises, étant donné qu’à la date de production de la demande, la Requérante savait que l’Opposante avait produit une demande d’enregistrement pour la marque de commerce « EL ESPIRITU DE CUBA » au Canada en liaison avec les marchandises et les services décrits dans la demande no 1156401;
  3. Suivant les alinéas 38(2)b) et 12(1)d) de la Loi, la Marque ne peut être enregistrée parce qu’elle crée de la confusion avec la marque de commerce enregistrée EL EPIRITU DE CUBA, demande no 1156401, dont la date de production est le 24 octobre 2002;
  4. Suivant l’alinéa 38(2)c), la Requérante n’est pas une personne ayant droit à l’enregistrement de la Marque sur le fondement l’alinéa 16(3)b), dans la mesure où, à la date de la production de la demande, la Marque créait de la confusion avec au moins une marque de commerce à l’égard de laquelle une demande d’enregistrement avait été produite antérieurement au Canada par l’Opposante pour sa marque de commerce EL ESPIRITU DE CUBA le 24 octobre 2002;
  5. Suivant l’alinéa 38(2)d), la Marque de la Requérante n’est pas distinctive parce qu’elle ne distingue pas les Marchandises de celles de l’Opposante, lesdites marchandises étant énumérées dans la demande mentionnée ci-dessus produite par l’Opposante, et elle n’est pas adaptée à la distinguer ainsi.

 

Le fardeau de preuve dans les procédures d’opposition aux marques de commerce

[9]               Le fardeau d’établir que sa demande satisfait aux dispositions de la Loi incombe à la Requérante. Toutefois, l’Opposante a le fardeau initial de produire une preuve suffisante pour établir la véracité des faits sur lesquels elle appuie chacun de ses motifs d’opposition. Une fois que l’Opposante s’est acquittée de ce fardeau initial, il incombe à la Requérante de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que les motifs d’opposition particuliers ne devraient pas empêcher l’enregistrement de la Marque [voir Joseph E. Seagram & Sons Ltd. et al c. Seagram Real Estate Ltd., 3 C.P.R. (3d) 325, aux p. 329 et 330 (COMC); John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd., 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.), et Wrangler Apparel Corp. c. The Timberland Company (2005), 41 C.P.R. (4th) 223 (C.F. 1re inst.)].

Les motifs d’opposition rejetés sommairement

[10]           L’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial concernant le premier et le deuxième motif d’opposition. Elle n’a produit aucune preuve factuelle à l’appui de ces motifs d’opposition. C’est pourquoi ils sont rejetés.

[11]           Quant au troisième motif d’opposition (enregistrabilité de la Marque fondée sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi), il doit être appuyé sur une marque de commerce déposée. Le motif, tel que rédigé, renvoie à une demande. À l’audience, l’agent de l’Opposante m’a informé du fait qu’un certificat d’enregistrement pour cette marque de commerce n’avait pas encore été délivré. Étant donné que la date pertinente pour les besoins de l’alinéa 12(1)d) de la Loi est celle de ma décision, j’ai vérifié le registre et la demande est toujours pendante. L’Opposante ne s’est donc pas acquittée de son fardeau de preuve initial d’établir l’existence d’une marque de commerce déposée. Le troisième motif d’opposition est donc également rejeté.

Le droit à l’enregistrement suivant l’alinéa 16(3)b) de la Loi

[12]           La date pertinente pour l’analyse de ce motif d’opposition est la date de production de la demande [par. 16(3) de la Loi]. En outre, la demande doit être pendante à la date de l’annonce de la présente demande [voir le par. 16(4)].

[13]           Madame Brouillette est l’assistante juridique employée par l’agent de l’Opposante. Elle joint à son affidavit à titre de pièce SB-2 une copie de la demande d’enregistrement de la marque de commerce EL ESPIRITU DE CUBA présentée par l’Opposante. Elle vise les boissons alcoolisées nommément, les alcools distillés, le rhum; les mélanges à cocktail non alcoolisés destinés à être mélangés avec du rhum, les cocktails non alcoolisés. J’ai vérifié dans le registre et confirme que la demande d’enregistrement de la marque de commerce EL ESPIRITU DE CUBA, numéro 1156401, présentée par l’Opposante était encore pendante à la date de l’annonce de la présente demande. L’Opposante s’est ainsi acquittée de son fardeau de preuve initial.

[14]           Il incombe donc à la Requérante d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que l’emploi de la Marque en liaison avec les Marchandises ne risquait pas, à la date de production de la demande, de créer de la confusion avec la marque de commerce EL ESPIRITU DE CUBA de l’Opposante. Le test applicable à cette question est énoncé au par. 6(2) de la Loi. Je dois prendre en compte toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles qui sont énumérées au par. 6(5) : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues, la période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage, le genre de marchandises, services ou entreprise, la nature du commerce, et le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’elles suggèrent.

[15]           Ces critères ne sont pas exhaustifs et il n’est pas nécessaire d’accorder le même poids à chacun d’entre eux. Dans un arrêt récent, Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc. et al., 2011 C.S.C. 27, la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que le facteur le plus important parmi ceux qui sont énumérés au par. 6(5) de la Loi est le degré de ressemblance entre les marques.

[16]           La Requérante a admis que le mot ESPIRITU est un mot étranger et elle a fourni une traduction en anglais, à savoir « Spirit » (esprit). Il n’existe aucun élément indiquant que le consommateur canadien moyen connaît le sens de ce mot en français ou en anglais. Puisqu’il s’agit d’un mot étranger, il a un caractère distinctif inhérent pour le consommateur canadien. Cependant, un emplacement géographique est un élément distinctif faible pour une marque de commerce [voir Detroit Lions Inc. v. British Columbia Lions Football Club (1987), 15 C.P.R. (3d) 209 (COMC)]. La marque de commerce de l’Opposante comprend un autre mot étranger « EL ». Je ne pense pas que cet élément supplémentaire soit suffisant pour conclure que la marque de commerce de l’Opposante a un caractère distinctif inhérent plus prononcé.

[17]           Le caractère distinctif d’une marque de commerce peut être renforcé par son emploi ou sa promotion au Canada. Je ne dispose pas de preuve concernant l’emploi de la marque de commerce EL ESPIRITU DE CUBA par l’Opposante au Canada, avant la date pertinente. Quant à la preuve de la Requérante, Mme Gordon est une stagiaire en droit employée par le cabinet d’agent de la Requérante. Elle s’est rendue le 18 septembre 2008 dans un magasin de la LCBO d’Ottawa et a acheté une bouteille d’Espiritu de Chile Cabernet Sauvignon et une bouteille d’Espiritu de Chile Sauvignon Blanc et a produit des reproductions couleur de ces bouteilles. Il n’est toutefois pas possible de prendre en considération ces éléments de preuve, étant donné que cet événement a eu lieu après la date pertinente. Dans l’ensemble, ce facteur ne favorise aucune des parties. La période pendant laquelle les marques de commerce ont été en usage ne favorise pas non plus une partie en particulier.

[18]           Quant au genre de marchandises et de leurs voies de commercialisation, les vins et les alcools font partie de la même catégorie générale de marchandises [voir Carling Breweries Ltd. c. Registraire des marques de commerce (1972), 8 C.P.R. (2d) 247]. Je ne dispose d’aucun élément suggérant que les marchandises respectives des parties utiliseraient des voies de commercialisation différentes. Puisqu’elles font partie de la même catégorie générale de marchandises et en l’absence de preuve contraire, il est raisonnable de penser qu’elles emprunteraient des voies de commercialisation semblables. Ces facteurs favorisent l’Opposante.

[19]           Les marques se ressemblent pour ce qui est de la présentation et du son. La partie dominante de la Marque est ESPIRITU et il en va de même pour la marque de commerce EL ESPIRITU DE CUBA de l’Opposante. La seule différence est le mot « EL » et l’emploi de lieux géographiques différents. Pour ce qui est de ce dernier aspect, ces noms sont descriptifs par nature, et ne suffisent donc pas à distinguer les marques en question, comme le soutient la Requérante.

[20]           À titre de circonstances supplémentaires de l’affaire, la Requérante a produit l’affidavit de M. McPhail, le recherchiste en marques de commerce de l’agent de la Requérante. Le 5 septembre 2008, il a effectué une recherche dans le système CDNameSearch Corp qui contient la base de données sur les marques de commerce canadiennes dans le but de localiser les enregistrements et les demandes de marque de commerce contenant les mots « Spirit of » ou « esprit de » et a produit les résultats. Il a trouvé 22 citations et a également joint à son affidavit les détails d’un certain nombre d’entre elles. Ces preuves ne sont d’aucune utilité pour la Requérante. Les mots « spirit of » ou « esprit de » ne font pas partie de la Marque. Comme je l’ai indiqué auparavant, le mot ESPIRITU est un mot étranger et par conséquent, en l’absence de preuve contraire, il sera considéré par le consommateur canadien moyen comme un mot inventé.

[21]           Madame Gordon a également effectué une recherche sur Internet, sur le site de la Régie des alcools de l’Ontario (LCBO), sur ceux de la British Columbia Liquor Store, de l’Alberta Liquor Guide et de la Société des Alcools pour retracer les produits vendus avec les mots « spirit of », « esprit de » et « espiritu de » dans leur nom et a produit les résultats de ces recherches. Aucune des pages produites ne fait référence à un produit vendu en liaison avec une marque de commerce comprenant ces mots, à l’exception du vin de la Requérante vendu en liaison avec la marque. En fait, on ne retrouve ces mots que dans la partie description des produits. C’est ce qui a été établi par l’affidavit de Mme Ndiaye, produit en contre-preuve, une assistante juridique à l’emploi de l’agente de l’Opposante. Elle s’est rendue sur le site Web de la LCBO et a annexé à son affidavit d’autres extraits de ce site Web qui comprennent la description de produits.

[22]           Madame Brouillette a effectué une recherche dans la base de données sur les marques de commerce canadiennes pour repérer les marques de commerce dont un élément est le mot ESPIRITU et n’en a repéré que trois : la présente demande et la demande de l’Opposante mentionnée dans ce motif d’opposition. Quant à la troisième occurrence, il s’agit d’un dessin marque de commerce, propriété de la Requérante, qui ne contient pas de partie nominale. Il semble que c’est le dessin employé par la Requérante en liaison avec la Marque. Elle figure dans le registre canadien des marques de commerce sous ESPIRITU DE CHILE & dessin, mais il est évident que la partie nominale ne fait pas partie de la marque qui fait l’objet de l’enregistrement LMC690225. Par conséquent, il n’existe dans le registre que deux marques de commerce qui contiennent le mot ESPIRITU en liaison avec des boissons alcoolisées. Ce fait étaye l’argument selon lequel le mot ESPIRITU a un caractère distinctif.

[23]           À titre d’autres circonstances de l’affaire, l’Opposante soutient que le registraire a tenu compte, à l’étape de l’examen, de la probabilité de confusion entre la Marque et la demande d’enregistrement numéro 1156401 présentée par l’Opposante pour la marque de commerce EL ESPIRITU DE CUBA, en la soulignant dans le cadre de la présente demande. La Requérante a évidemment bien répondu au rapport de l’examinateur puisque la présente demande a fait l’objet d’une approbation préliminaire et a été annoncée dans le Journal des marques de commerce à des fins d’opposition. Toutefois, le fardeau de preuve dont doit s’acquitter le requérant à l’étape de l’examen est tout à fait différent de celui qui est imposé à l’étape de l’opposition [voir les art. 37 et 38 de la Loi]. En outre, le registraire dispose d’éléments de preuve qui ne faisaient pas partie du dossier à l’étape de l’examen. C’est la raison pour laquelle j’estime qu’il ne s’agit pas d’une circonstance importante.

[24]           Après avoir effectué cette analyse des critères pertinents, je conclus que la Requérante ne s’est pas acquittée de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la Marque ne créera vraisemblablement aucune confusion avec la marque de commerce EL ESPIRITU DE CUBA de l’Opposante.

[25]           Par conséquent, je retiens le quatrième motif d’opposition.

La distinctivité

[26]           Pour s’acquitter de son fardeau de preuve initial dans le cadre de ce motif d’opposition, l’Opposante doit établir que sa marque de commerce EL ESPIRITU DE CUBA était devenue suffisamment connue au Canada le 22 mai 2007, la date de production de la déclaration d’opposition, pour faire perdre à la Marque son caractère distinctif [Motel 6, Inc. v. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44 (C.F. 1re inst.), à la p. 58].

[27]           Rien dans le dossier n’établit que la marque de commerce EL ESPIRITU DE CUBA de l’Opposante était connue au Canada dans quelque mesure que ce soit avant la date pertinente. Par conséquent, ce motif d’opposition est rejeté puisque l’Opposante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve initial.

Décision

[28]           Dans l’exercice des pouvoirs qui m’ont été délégués en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je repousse la demande, conformément au paragraphe 38(8) de la Loi.

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Jean Carrière

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

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