Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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TRADUCTION/TRANSLATION

 

 

                DANS L'AFFAIRE D'UNE OPPOSITION

    faite par Automobile Club de l'Ouest de la France (ACO)

                    à la demande no 566 969

           produite par Bridgestone/Firestone, Inc.

      (anciennement The Firestone Tire & Rubber Company)

          relativement à la marque de commerce LEMANS

 

 

Le 29 juillet 1986, le requérant, Bridgestone/Firestone, Inc. (sous son ancienne raison sociale The Firestone Tire & Rubber Company), a produit une demande d'enregistrement de la marque de commerce LEMANS fondée sur l'emploi de la marque au Canada depuis au moins le 30 juin 1985 en liaison avec les marchandises suivantes : «vehicle tires».  La demande a été publiée pour fins d'opposition le 31 décembre 1986.  Automobile Club de l'Ouest de la France (ACO) (appelé ci-après «ACO») a produit une déclaration d'opposition le 21 avril 1987, dont copie a été acheminée au requérant le 14 mai 1987.

 

Voici un résumé des motifs d'opposition invoqués initialement :

(a)  la marque LEMANS qui fait l'objet de la demande n'est pas enregistrable aux termes de l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce car elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise,

(i)  de la nature ou de la qualité des marchandises en liaison avec lesquelles elle est employée.  Le consommateur moyen conclurait que les pneus fabriqués par le requérant conviennent aux courses d'automobiles ou sont modelés sur les pneus destinés aux voitures de course,

(ii) du lieu d'origine de ces marchandises.  Le consommateur moyen supposerait que les pneus pour automobiles fabriqués par le requérant viennent d'une ville en France qui s'appelle Le Mans;


(b)  le requérant n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement aux termes de l'alinéa 16(1)a) de la Loi car à la date où il a en premier lieu employé sa marque au Canada, elle créait de la confusion avec les marques de l'opposant LEMANS, LE MANS & Dessin, et LES 24 HEURES DU MANS antérieurement révélées au Canada en liaison avec les automobiles, les accessoires d'automobile et les pneus;

(c)  la marque LE MANS visée par la demande d'enregistrement n'est pas distinctive aux termes de l'article 2 et de l'alinéa 38(2)d) de la Loi du fait de sa ressemblance avec les marques de l'opposant.

 

L'opposant a ensuite demandé et reçu la permission de modifier les motifs énoncés en b) et c) ci-dessus de manière à inclure les services d'ACO, nommément l'«organisation de courses automobiles» (voir les décisions de la Commission en date du 21 août et du 30 octobre 1992 concernant la permission d'apporter ces modifications).

 

Aucun élément de preuve n'a été présenté permettant de conclure que la marque LE MANS & Dessin a acquis une renommée quelconque au Canada; par conséquent, je ne ferai pas d'autre allusion à cette marque.  Pour simplifier les choses, en parlant des deux marques LE MANS et LES 24 HEURES DU MANS de l'opposant, je dirai les marques LE MANS de l'opposant.  À cet égard, il ressort de la preuve que les marques LE MANS et LES 24 HEURES DU MANS sont deux expressions utilisées de façon interchangeable pour désigner une course d'automobiles tenue chaque année depuis 1923 au Mans, en France.

 

Le requérant a signifié et produit une contre-déclaration dans laquelle il nie toutes les allégations énoncées dans la déclaration d'opposition.

 


L'opposant n'a pas produit les éléments de preuve exigés selon la Règle 43 du Règlement sur les marques de commerce à l'appui de ses motifs d'opposition; toutefois, la permission lui a été accordée de déposer ses éléments de preuve en application de la Règle 46(1).  L'opposant a déposé en preuve les déclarations statutaires de Jean-Pierre Moreau, «Directeur Général Sports» d'ACO et de Lorraine King, gestionnaire, Services aux membres canadiens de l'Audit Bureau of Circulation.

 

Le requérant a déposé en preuve l'affidavit de D.A. Thomas, secrétaire adjoint de la société requérante.  M. Thomas et M. Moreau ont été contre-interrogés relativement à leur témoignage; les transcriptions de leurs contre-interrogatoires ainsi que leurs réponses aux engagements pris lors des contre-interrogatoires ont été versées au dossier.  L'opposant a déposé en contre-preuve l'affidavit de Robert W. Sterling, agent de marques de commerce.

 

Les deux parties ont déposé des plaidoyers écrits et toutes deux étaient représentées à l'audience.

 

À l'étape de présentation de la preuve, le requérant a soulevé une objection, faisant valoir que certains des engagements pris par M. Moreau allaient au-delà des renseignements demandés lors du contre-interrogatoire et que l'opposant tentait de présenter d'autres éléments de preuve à l'appui de ses motifs d'opposition, ce qui est irrégulier.  La Commission, selon son habitude, a remis le règlement des questions liées à la preuve à l'étape de la décision :  à cet égard, voir la lettre de la Commission en date du 23 juillet 1990 et l'Énoncé de pratique - Procédure relative à la Commission des oppositions des marques de commerce.

 


À mon avis, l'objection susmentionnée soulevée par le requérant devrait être accordée.  Parties des «réponses» fournies par M. Moreau confirment les allégations d'ACO et sont contraires à la règle selon laquelle le demandeur ne peut diviser sa cause d'action : voir Bombardier Ltd. c. Commission sur les pratiques restrictives du commerce (1980), 48 C.P.R. (2d) 248 à la p. 257 (C.F. 1re inst.).  Par conséquent, je n'ai pas tenu compte des réponses de M. Moreau aux engagements nos 1 et 5 dans la mesure où ces réponses (et les pièces qui y sont jointes) fournissent des renseignements en sus de ceux demandés par le requérant.  Plus particulièrement, la réponse pertinente en ce qui concerne l'engagement no 1 est qu'ACO n'a pas de membres canadiens, et la réponse pertinente en ce qui concerne l'engagement no 5 est qu'on ne dispose pas de statistiques permettant d'établir le nombre des téléspectateurs canadiens qui ont regardé la course d'automobiles  LE MANS elle-même, ou les actualités ou encore les rapports sportifs télévisés sur cette course, de 1981 à 1990.

 

J'examinerai d'abord sur le motif d'opposition fondé sur l'alinéa 16(1)a) de la Loi et énoncé en b) ci-dessus.  L'opposant ne prétend pas avoir employé ses marques LE MANS au Canada, mais seulement les avoir fait connaître au Canada.  À cet égard, l'opposant doit établir qu'il a «fait connaître» ses marques LE MANS au Canada conformément à l'article 5 de la Loi, qui se lit comme il suit :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


En d'autres termes, il incombe à l'opposant, selon la loi, de prouver qu'il a «fait connaître» sa marque par les moyens énoncés à l'article 5 et que cette dernière était «bien connue» : voir Valle's Steak House c. Tessier (1980), 49 C.P.R. (2d) 218 aux pages 224 et 225 (C.F. 1re inst.) et Motel 6 Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 (C.F. 1re inst.).  Il s'ensuit qu'une marque qui se fait connaître au Canada par le bouche à oreille ou grâce à des articles dans les journaux ou les revues (par opposition à des annonces) n'est pas une marque qu'on a «fait connaître» au Canada au sens de l'article 5 : voir Motel 6, ci-dessus, où cette distinction est faite à la page 59.

 

Je conclus de la preuve de l'opposant qu'un nombre assez considérable de Canadiens ont été informés de la course LE MANS par des articles publiés dans les revues Motor Trend, Road and Track, et Sports Illustrated de juin 1985 à novembre 1987 : voir les pièces P-27, P-28, P-31, P-33 et P-40 jointes à la déclaration de M. Moreau ainsi que les chiffres sur les tirages de ces revues fournis dans sa déclaration par Lorraine King.  Toutefois, on ne peut qualifier d'annonces les reportages sur la course LE MANS dans les revues et, même si on le pouvait, les articles en question ne suffisent pas pour établir que les marques LE MANS étaient bien connues au Canada à la date pertinente, soit le 30 juin 1985 (date à laquelle le requérant prétend avoir employé pour la première fois sa marque LEMANS).  À cet égard, trois des cinq articles publiés dans les revues susmentionnées ont paru bien après la date pertinente (les deux premiers, en mai et en octobre 1986 et le troisième, en novembre 1987).  Étant donné ce qui précède, l'opposant n'a pas établi qu'il a fait connaître ses marques LE MANS au Canada au sens de l'article 5.  Par conséquent, les faits allégués ne viennent pas appuyer le motif d'opposition selon lequel le requérant n'a pas droit à l'enregistrement.

 


Le troisième motif est l'absence de caractère distinctif de la marque qui fait l'objet de la demande d'enregistrement, employée en liaison avec les marchandises du requérant, nommément les pneus d'automobile.  La date pertinente en ce qui a trait aux circonstances dont il convient de tenir compte pour trancher la question du caractère distinctif de la marque de commerce en cause est celle de la production de la demande d'opposition, en l'occurrence, le 21 avril 1987 : voir Faber-Castell Canada Inc. c. Dixon Ticonderoga Inc. (1992) 41 C.P.R. (3d) 284 à la page 287 (COMC).

 

À la page 58 de la décision rendue dans l'affaire Motel 6, mentionnée ci-dessus, on trouve ce qui suit :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On peut tenir compte de tous les éléments de preuve pertinents qui tendent à établir l'absence de caractère distinctif.  En d'autres termes, l'opposant peut invoquer des articles publiés dans des revues pour établir que ses marques LE MANS avaient acquis une certaine renommée au Canada.  À cet égard, rien n'autorise à penser que l'opposant ait cherché à accroître la renommée de ses marques en tâchant d'obtenir qu'il y ait davantage de reportages dans les revues sur la course tenue au MANS en France.  De plus, je puis tenir compte des éléments de preuve se rapportant à la situation qui existait de la date à laquelle le requérant prétend avoir employé sa marque de commerce pour la première fois (le 30 juin 1985) à la date pertinente, soit le 21 avril 1987 : voir Castle & Cooke, Inc. c. Popsicle Industries Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 158 (COMC).  J'ajoute que l'opposant, ACO, doit nécessairement invoquer la renommée de la course d'automobiles LE MANS étant donné l'absence de preuve à l'appui de l'argument présenté par lui dans son plaidoyer initial selon lequel ses marques LE MANS étaient connues au Canada en liaison avec les automobiles, les accessoires d'automobile et les pneus.


Étant donné la preuve fournie par l'opposant de la publication de reportages sur la course LE MANS dans des revues à tirage relativement important au Canada, je suis convaincu que les deux marques LES 24 HEURES DU MANS et LE MANS de l'opposant étaient connues au Canada à la date pertinente, soit le 21 avril 1987, du moins dans la mesure nécessaire pour étayer le motif d'opposition fondé sur l'absence de caractère distinctif de la marque qui fait l'objet de la demande d'enregistrement.  Je n'accepte pas les allégations de l'opposant selon lesquelles ses marques LE MANS sont bien connues au Canada.  À cet égard, j'estime que le témoignage de M. Moreau n'a pas réussi à établir qu'un nombre important de téléspectateurs au Canada regardent la course d'automobiles tenue chaque année au MANS.  De plus, il est clair d'après la transcription du contre-interrogatoire de M. Moreau (voir les pages 46 à 48) que celui-ci n'a pas personnellement connaissance de la mesure dans laquelle le public canadien est au courant de la course LE MANS.

 

Néanmoins, l'opposant a fourni la preuve qu'à la date pertinente, soit le 21 avril 1987, un nombre considérable de Canadiens avaient connaissance de la course LE MANS et savaient qu'elle dure vingt-quatre heures et qu'il s'agit d'une épreuve d'endurance tant pour le pilote que pour la voiture.  De plus, les articles de revue déposés en preuve par l'opposant et, dans une certaine mesure, les passages d'encyclopédie cités par l'avocat de l'opposant à l'audience (en ce qui concerne la prise en compte des passages d'encyclopédie, voir Scottish Cashmere Assn. c. V. Fraas Mfg. Inc. (1988), 22 C.P.R. (3d) 185 à la page 187 (COMC)), montrent le lien qui existe entre la course LE MANS et la technologie automobile novatrice.

 


La partie pertinente de la preuve du requérant montre que ses ventes au Canada de pneus LEMANS pour les exercices (allant du 1er novembre au 31 octobre) 1985, 1986 et 1987 se chiffraient à environ 7 000 $, 214 000 $ et 156 000 $, respectivement, représentant environ 160 unités, 4 530 unités et 3 520 unités.  Je suppose qu'il s'agissait dans tous les cas de pneus d'automobile, bien que la preuve ne soit pas explicite sur ce point.

 

Étant donné ce qui précède et notamment qu'un nombre considérable de Canadiens auraient une certaine connaissance de la course LE MANS et de son lien avec la technologie automobile, et vu que la marque LEMANS qui fait l'objet de la demande d'enregistrement est presque identique à la marque LE MANS de l'opposant, je ne suis pas sûr qu'il soit probable que le Canadien moyen qui achèterait un pneu d'automobile portant la marque LEMANS supposerait que le pneu est approuvé par l'opposant ou vendu en vertu d'une licence octroyée par lui : voir Glenn-Warren Productions Ltd. c. Gertex Hosiery Ltd. (1990), 29 C.P.R. (3d) 7 à la page 12 (C.F. 1re inst.).  Comme il m'est impossible d'en arriver à une conclusion définitive en ce qui concerne le caractère distinctif de la marque qui fait l'objet de la demande d'enregistrement, l'affaire doit être tranchée en faveur de l'opposant : voir Joseph E. Seagram & Sons c. Seagram Real Estate Ltd. (1984), 3 C.P.R. (3d) 325 aux pages 329 et 330 (COMC) et John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 aux pages 297 à 300 (C.F. 1re inst.).

 

Je fais droit à l'opposition de l'opposant fondée sur le motif d'absence de caractère distinctif, et il est donc inutile de m'attarder aux autres motifs d'opposition.

 

Étant donné ce qui précède, la demande du requérant est repoussée.

FAIT À HULL (QUÉBEC) LE_31__e JOUR DE __Janvier__, 1994.

 

 

 

Myer Herzig

Membre

Commission des oppositions des marques de commerce

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