Contenu de la décision
TRADUCTION/TRANSLATION
AFFAIRE INTÉRESSANT L’OPPOSITION de
Wing Wah Food Manufactory Limited
à la demande no 896,710 produite par China
Brands Food Products Inc. en vue de l’enregistrement de
la marque de commerce
PEONY BRAND & dessin
Le 19 novembre 1998, la requérante, China Brands Food Products Inc., a produit une demande d’enregistrement de la marque PEONY BRAND & dessin (apparaissant ci-dessous) en liaison avec les marchandises suivantes : « Solutions de colorant alimentaire (orange rouge, rouge orange, Yolkoline, rouge chinois, jaune citron, rouge tomate, rouge cerise), demande fondée sur l’emploi de la marque au Canada depuis 1979. La demande a été annoncée à des fins d’opposition le 22 septembre 1999. Un demande modifiée a été produite le 8 mai 2001 pour changer l’emploi revendiqué de la marque de façon à ce qu’elle comprenne l’emploi par la requérante et par son prédécesseur en titre, China Brands Foods Co. La demande modifiée a été acceptée par le registraire le 22 mai 2001.
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L’opposante, Wing Wah Food Manufactory Limited, a produit une déclaration d’opposition le 24 janvier 2000, dont copie a été transmise à la requérante le 1er février 2000. Le premier motif d’opposition porte que la demande de la requérante n’est pas conforme aux exigences de l’alinéa 30b) de la Loi sur les marques de commerce parce que la requérante n’a pas employé sa marque depuis 1979 telle qu’elle le prétend. Le second motif veut que la demande de la requérante ne se conforme pas aux exigences de l’alinéa 30i) de la Loi . À cet égard, l’opposante déclare que la requérante ne pouvait être convaincue qu’elle avait le droit d’employer la marque étant donné que celle‑ci créait de la confusion avec deux marques déposées.
S’agissant du troisième motif d’opposition, la marque n’est pas enregistrable par application de l’alinéa 12(1)d) de la Loi parce qu’elle crée de la confusion avec 1) la marque WING WAH MOON CAKES & dessin (apparaissant ici même) et déposée sous le no 322,505 en liaison avec les marchandises suivantes : « pâtisseries chinoises à base de pâte de graines de lotus » et 2) la marque TAI WING WAH FLOWER & dessin (montrée ci‑dessus) et déposée sous le numéro no 469,584 en liaison avec les marchandises suivantes : « produits de boulangerie, nommément gâteaux et pâtisseries. »
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Enregistrement no 322,505 Enregistrement no 469,584
Selon le quatrième motif d’opposition, la requérante n’est pas la personne ayant droit d’obtenir l’enregistrement suivant l’alinéa 16(1)a) de la Loi parce que, à la date où la requérante prétend avoir en premier lieu employé la marque, celle-ci créait de la confusion avec les deux marques déposées et montrées précédemment qui ont été antérieurement employées au Canada par l’opposante ou ses prédécesseurs. D’après le cinquième motif, la marque n’est pas distinctive parce qu’elle crée de la confusion avec les deux marques déposées employées antérieurement.
La requérante a produit et signifié une contre-déclaration. En preuve, l’opposante a soumis un affidavit d’Elenita Anastacio. La requérante a pour sa part produit en preuve un affidavit de Sy Taur Lee. M. Lee a été contre-interrogé à propos de son affidavit, et la transcription de son contre-interrogatoire et les réponses à ses engagements font partie du dossier d’opposition. Pour répondre à la preuve de la requérante, l’opposante a soumis un affidavit de A. Louise McLean. Seule la requérante a produit une argumentation écrite; une audience a été tenue, et les parties ont été respectivement représentées.
La preuve
L’affidavit de Mme Anastacio sert uniquement à introduire en preuve des renseignements relatifs aux deux enregistrements des marques de commerce invoquées. L’agent de la requérante a noté que les pièces jointes à cet affidavit font état des deux enregistrements inscrits au nom d’une tierce partie. Toutefois, un examen du registre des marques de commerce révèle que l’opposante est devenue la propriétaire inscrite des marques de commerce peu de temps après le début de la présente instance.
Dans son affidavit, M. Lee se présente comme le président de la requérante. Il déclare que celle‑ci a été constituée en société le 24 juillet 1986, et qu’il est le successeur de l’entreprise lancée par China Brands Food Co. en 1978. M. Lee était partenaire de China Brands Food Co. conjointement avec Shiu-Chung Kong. La société de personnes a apparemment cessé ses activités lorsque l’entreprise a été cédée à la requérante et que M. Kong a pris sa retraite (voir pages 7 et 31 de la transcription du contre‑interrogatoire de M. Lee).
M. Lee déclare que la marque a été lancée en 1978. La pièce C jointe à cet affidavit est une photocopie d’une facture en date du 11 septembre 1979 pour une solution de colorant alimentaire qui porte la marque de la requérante selon M. Lee. Il ajoute que les ventes annuelles de colorant alimentaire en liaison avec la marque ont rapporté des profits de plus de 200 000 $ pour la période allant de 1991 à 2000.
M. Lee déclare que la requérante vend ses solutions de colorant alimentaire uniquement aux restaurants et aux vendeurs en gros qui approvisionnent les restaurants. Le produit est vendu dans un contenant de quatre litres, et la requérante ne vend pas directement aux consommateurs.
Un examen de la transcription du contre-interrogatoire de M. Lee révèle qu’il éprouve certaines difficultés à comprendre l’anglais. Il est clair que, à certaines occasions, M. Lee n’a pas compris les questions qu’on lui posait. Lorsqu’on l’a interrogé à propos d’une cession de l’entreprise en faveur de la requérante (voir les questions 201 à 204) et qu’il a dit qu’il n’y avait pas de document, il appert qu’il ne comprenait pas la question. Puisque M. Lee était un partenaire au sein de la précédente société de personnes, et qu’il était président de la requérante, il semble probable qu’il y a eu cession de la société de personnes en faveur de la requérante en 1986 et ce, que ce soit verbalement ou par écrit.
Pendant le contre-interrogatoire, M. Lee s’est fait questionné sur l’historique de l’entreprise de la requérante. Voici un extrait de la transcription qu’on retrouve aux pages 40 et 41 :
[TRADUCTION]
246. Q. Entre le moment où votre entreprise, China Brands Food Products Inc. a été constituée en société en 1986...
R. Mm-hmm.
247. Q. ... et aujourd’hui ...
R. Oui.
248. Q. ... l’entreprise a-t-elle jamais interrompu ses activités?
R. Non. Nous continuons toujours.
249. Q. D’accord. Encore une fois, dans les documents de l’entreprise que j’ai trouvés, on parle du fait que l’entreprise a été constituée en société en 1986, on fait état d’une reconstitution de l’entreprise en 1995, savez-vous de quoi il s’agit?
R. J’ai oublié. Je ne me suis peut-être pas occupé des papiers. Trop occupé pour... m’occuper de tout.
De ce qui précède, il est clair que, avant le contre-interrogatoire, l’opposante était en possession de documents d’entreprise concernant la requérante.
L’affidavit de Mme McLean produit en réponse aux prétentions de la requérante a mis en preuve des photocopies de certains documents corporatifs déposés en son nom auprès de la Direction des compagnies du ministère de la Consommation et du Commerce. Ces documents indiquent que la requérante est une entreprise ontarienne et qu’elle a été radiée pour ne pas avoir produit certains documents. La pièce B jointe à l’affidavit de McLean est une photocopie des articles de reconstitution de la requérante en date 6 juin 1995; le document mentionne aussi que la dissolution a eu lieu le 11 juin 1994.
L’affidavit de Mme McLean ne constitue pas une réponse appropriée. Il n’est fait strictement limité aux matières servant de réponse à la preuve de la requérante, et est donc inadmissible dans le cadre de la présente instance. Il est évident que l’opposante était au courant de l’historique d’entreprise de la requérante avant le contre-interrogatoire de M. Lee. De plus, ni la preuve de la requérante, ni le témoignage de M. Lee lors du contre-interrogatoire ne démentent le constat que la requérante a été dissoute et reconstituée par la suite. Au contraire, M. Lee admet cet état de choses en contre-interrogatoire. Ainsi si l’opposante souhaitait s’appuyer sur l’affidavit de Mme McLean, elle aurait dû le soumettre comme partie de sa preuve principale ou solliciter la permission de le produire à titre de preuve additionnelle en vertu du paragraphe 44(1) du Règlement sur les marques de commerce.
Les motifs d’opposition
S’agissant du premier motif d’opposition, la charge ultime incombe à la requérante qui doit établir que sa demande est conforme aux exigences de l’alinéa 30b) de la Loi : voir la décision en matière d’opposition Joseph Seagram & Sons c. Seagram Real Estate (1984), 3 C.P.R. (3d) 325, p. 329 et 330, et la décision John Labatt Ltd. c. Molson Companies Ltd. (1990), 30 C.P.R. (3d) 293 (C.F. 1re inst.). Une charge de présentation incombe toutefois à l’opposante en ce qui concerne ses allégations de fait au soutien de ce motif. Cette charge est plus légère pour ce qui est de la non-conformité à l’alinéa 30b) de la Loi : voir la décision en matière d’opposition Tune Masters c. Mr. P's Mastertune (1986), 10 C.P.R.(3d) 84, p. 89. De plus, l’alinéa 30b) exige qu’il y ait un emploi continu de la marque faisant l’objet de la demande dans le cours normal du commerce et ce, depuis la date revendiquée : voir La compagnie de brassage Labatt limitée c. Benson & Hedges (Canada) limitée et Les Brasseries Molson, une société de personnes (1996), 67 C.P.R.(3d) 258 at 262 (C.F. 1re inst.). Enfin, l’opposante peut s’acquitter de sa charge de présentation en se reportant à la preuve de la requérante : voir La compagnie de brassage Labatt Limitée c. Les Brasseries Molson, une société de personnes, (1996), 68 C.P.R.(3d) 216, p. 230 (C.F. 1re inst.).
S’agissant du premier motif de l’opposante, il y a deux aspects à considérer. Le premier est l’affirmation de l’opposante voulant que la requérante ne puisse revendiquer une date de premier emploi depuis 1979 vu qu’il n’y a pas de preuve que la marque a été cédée à la requérante lors de sa constitution en 1986.
L’opposante s’est appuyée sur la réponse négative de M. Lee en contre-interrogatoire concernant l’existence d’un document de cession. Toutefois, comme il a été indiqué précédemment, il est clair que M. Lee n’a pas compris toutes les questions qu’on lui a posées. Mais, ce qui est plus important, la preuve démontre que China Brands Food Products Inc. a été constituée en société pour reprendre la société de personnes China Brands Food Co. J’estime, selon la prépondérance de la preuve, qu’une cession d’entreprise (incluant la marque) a bel et bien eu lieu. Aussi le premier aspect du premier motif est‑il rejeté.
Le second aspect du premier motif consiste en l’allégation de l’opposante portant que la requérante ne peut revendiquer un emploi continu de sa marque depuis 1979 puisque China Brands Food Product Inc. avait cessé d’exister pour une certaine période de temps. Comme il a été indiqué, l’opposante n’a pas produit de preuve admissible sur ce point. Dans la transcription du contre-interrogatoire, on laisse entendre que la requérante peut avoir été dissoute à un certain moment et reconstituée par la suite. Toutefois, cette allégation n’est pas en soi suffisante pour que l’opposante s’acquitte de sa charge de présentation. Aussi le second aspect du premier motif d’opposition est également rejeté.
Même si l’affidavit de Mme McLean avait été considéré admissible, le second aspect du premier motif serait quand même rejeté. Bien que les pièces jointes à l’affidavit de Mme McLean montrent que la requérante a apparemment été dissoute pendant près d’un an, le témoignage de M. Lee indique qu’il y a eu un emploi continu de la marque en tout temps. De plus, le paragraphe 317(10) de la Loi sur les personnes morales de l’Ontario est ainsi rédigé :
317.(10) Si une personne morale a été dissoute en vertu du paragraphe (9) ou de toute disposition législative que celui-ci remplace, le lieutenant-gouverneur a le pouvoir discrétionnaire de la reconstituer, par décret et aux conditions qu'il juge convenables, à la requête de toute personne intéressée. Sous réserve des conditions prévues dans le décret et des droits acquis par toute personne après sa dissolution, la personne morale est réintégrée dans tous ses droits, y compris ses biens, ses privilèges et ses droits de concession et est assujettie à toutes ses incapacités, obligations et dettes et à tous ses contrats, tels qu'ils existaient à la date de sa dissolution, de la même manière et dans la même mesure que si elle n'avait jamais été dissoute.
317.(10) Where a corporation has been dissolved under subsection (9) or any predecessor thereof, the Lieutenant Governor, on the demande of any interested person, may in his or her discretion by order, on such terms and conditions as he or she sees fit to impose, revive the corporation, and thereupon the corporation shall, subject to the terms and conditions of the order and to any rights acquired by any person after its dissolution, be restored to its legal position, including all its property, rights, privileges and franchises, and be subject to all its liabilities, contrLoi s, disabilities and debts, as at the date of its dissolution, in the same manner and to the same extent as if it had not been dissolved.
Cette disposition indique que la réintégration d’une personne morale de l’Ontario corrige toute irrégularité concernant ses droits de propriété, comme si elle n’avait jamais été dissoute.
Le second motif d’opposition n’est pas fondé. L’opposante n’a pas allégué que la requérante a adopté sa marque en sachant qu’elle causait de la confusion avec les marques de l’opposante. Aussi le second motif est-il rejeté.
Quant au troisième motif d’opposition, le moment pertinent pour considérer les circonstances relatives à la question de la confusion avec une marque déposée est la date de ma décision : voir Conde Nast Publications Inc. c. La Fédération canadienne des épiciers indépendants (1991), 37 C.P.R. (3d) 538, p. 541 et 542 (C.O.M.C.). La charge ultime incombe à la requérante qui doit établir qu’il n’existe aucun risque raisonnable de confusion entre les marques en cause. De plus, en appliquant le critère de la confusion énoncé au paragraphe 6(2) de la Loi, l’on doit considérer toutes les circonstances de l’espèce, dont celles énoncées plus particulièrement au paragraphe 6(5) de la Loi.
En ce qui concerne l’alinéa 6(5)a) de la Loi, la marque de la requérante et les deux marques déposées de l’opposante n’évoquent pas les marchandises en question, et elles ont donc toutes un caractère distinctif inhérent. Étant donné que la première marque déposée de l’opposante comprend les mots peu descriptifs MOON CAKES, elle n’a pas un caractère inhérent aussi fort que les deux autres marques. Puisqu’il n’y a pas de preuve d’emploi des deux marques de l’opposante, je dois conclure qu’elles ne sont absolument pas devenues connues au Canada. Même si l’emploi de la marque de la requérante est continu, il demeure négligeable. Aussi je ne peux que conclure que la marque de la requérante est devenue connue dans une faible mesure chez les vendeurs en gros d’aliments chinois et les exploitants de restaurants chinois.
La durée pendant laquelle les marques ont été employées milite en faveur la requérante. Quant aux marchandises et commerces des parties, ils sont régis par l’état déclaratif des marchandises de la requérante et ceux de l’opposante dans les enregistrements 322,505 et 469,584 : voir Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd. (1987), 19 C.P.R. (3d) 3, p. 10 et 11 (C.A.F.), Henkel Kommanditgesellschaft c. Super Dragon (1986), 12 C.P.R. (3d) 110, p. 112 (C.A.F.), et Miss Universe, Inc. c. Dale Bohna (1994), 58 C.P.R. (3d) 381, p. 390 à 392 (C.A.F.). Toutefois, ces états déclaratifs doivent être lus comme établissant le type probable de commerce visé par les parties plutôt que tous les commerces envisageables avec les mots retenus. À cet égard, il est utile de prouver quels sont les véritables commerces des parties, et tout particulièrement lorsqu’il y a ambiguïté quant aux marchandises ou services visés par la demande ou les enregistrements en cause : voir la décision McDonald’s Corporation c. Coffee Hut Stores Ltd. (1996), 68 C.P.R. (3d) 168, p. 169 (C.A.F.).
Comme l’a établi M. Lee, les marchandises de la requérante sont des colorants alimentaires vendus aux restaurants et vendeurs en gros d’aliments. Par contre, les marchandises de l’opposante comprennent des gâteaux et des pâtisseries qui sont censément vendus au détail, c’est-à-dire directement aux consommateurs. Aussi les marchandises des parties sont‑elles différentes de même que leur commerce.
S’agissant de l’alinéa 6(5)e) de la Loi, j’estime que, tout bien considéré, il y a peu de ressemblance entre les marques des parties. Même si les trois marques comprennent une représentation d’une ou plusieurs fleurs, cet élément a un caractère distinctif inhérent limité, et ne constitue pas la composante dominante de la marque de la requérante, à savoir l’expression PEONY BRAND, laquelle est complètement différente des appellations secondaires WING WAH MOON CAKES et TAI WING WAH FLOWER qui apparaissent sur les deux marques déposées de l’opposante.
En appliquant le critère de la confusion, j’ai tenu compte du fait qu’il s’agit d’une question de première impression et de souvenir imparfait. Vu mes conclusions précédentes et, en particulier, vu les différences entre les marchandises, les commerces et les marques des parties, je conclus que la marque ne crée pas de confusion avec l’une ou l’autre des deux marques déposées de l’opposante. Le troisième motif d’opposition est donc également rejeté.
S’agissant du quatrième motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(1)a) de la Loi, une charge initiale incombait à l’opposante qui devait établir l’emploi d’au moins une de ses deux marques avant la date de premier emploi revendiquée par la requérante. Étant donné que l’opposante n’a pas prouvé l’emploi de l’une ou l’autre de ses deux marques, le quatrième motif est aussi rejeté.
Pour ce qui est du cinquième motif d’opposition, l’opposante avait une charge initiale d’établir un certain emploi ou une certaine renommée relativement à ses marques au Canada. Puisque l’opposante n’a pas produit de preuve à cet égard, le cinquième motif est également rejeté.
Considérant ce qui précède, et en ma qualité de personne déléguée par le registraire en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, je rejette l’opposition de l’opposante.
FAIT À GATINEAU (QUÉBEC), LE 13 DÉCEMBRE 2004.
David J. Martin,
Membre,
Commission des oppositions des marques de commerce