Décisions de la Commission des oppositions des marques de commerce

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LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

THE REGISTRAR OF TRADE-MARKS

Référence : 2015 COMC 90

Date de la décision : 2015-05-26

TRADUCTION

DANS L'AFFAIRE DE L'OPPOSITION produite par Resource Priority One Corp. et 2420060 Ontario Corp. à l'encontre de la demande d'enregistrement no 1,381,578 pour la marque de commerce I LOVE SHOES au nom de Payless ShoeSource Worldwide, Inc.

Dossier

[1]        Le 31 janvier 2008, Payless ShoeSource Worldwide, Inc. a produit une demande d'enregistrement de la marque de commerce I LOVE SHOES sur la base d'un emploi projeté au Canada et sur la base d’un emploi et de l'enregistrement de la marque aux États-Unis d'Amérique en liaison avec les services énumérés ci-dessous :

[Traduction]
(1) Services de magasins de détail de chaussures et d'accessoires de mode; services de magasins au détail en ligne dans le domaine des articles chaussants, articles vestimentaires, porte-monnaie, sacs à main et sacs à dos, accessibles au moyen de réseaux informatiques mondiaux. (2) Magasins de vente au détail de chaussures, de ceintures, de sacs à main et de porte-monnaie.

 [2]       La Section de l'examen de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada (« OPIC », sous l'égide de laquelle cette Commission exerce aussi ses activités) s'est opposée à la demande, au motif que la marque visée par la demande créait de la confusion avec la marque de commerce déposée Luvshoe’s (enregistrement no LMC578,220) pour emploi en liaison avec des chaussures, bottes, sandales et accessoires d’articles chaussants, de même qu'avec la distribution en gros de ses produits. La requérante a répondu à l'objection en soulignant, entre autres, que [Traduction] « les aspects visuel et oral des marques sont très différents » et que « les services de la requérante sont fournis seulement dans ses propres points de vente PaylessShoe et en ligne sur le site Web de la requérante. . . ». Il semble que l'examinateur ait accepté l'observation de la requérante (il n'existe aucune indication au dossier) puisque la marque en cause a été annoncée.

[3]        La demande a été annoncée aux fins d'opposition dans le Journal des marques de commerce du 20 mars 2011, et Resource Priority One Corp., la propriétaire de la marque Luvshoe's invoquée s'y est opposée le 30 août 2011. Le 22 septembre 2011, le registraire a transmis à la requérante une copie de la déclaration d'opposition, conformément aux dispositions de l'art. 38(5) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch T-13. En réponse, la requérante a produit et signifié une contre-déclaration dans laquelle elle nie de façon générale les allégations contenues dans la déclaration d'opposition.

[4]        Peu avant l'audience, l'opposante a demandé et obtenu la permission de modifier sa déclaration d’opposition pour indiquer que les marques invoquées ont été transférées à 2420060 Ontario Corp., et pour ajouter la nouvelle propriétaire à titre de co-opposante : voir la décision de la Commission du 20 janvier 2015. Évidemment, le matériel pertinent en l'espèce (outre la déclaration d'opposition modifiée), c'est-à-dire la preuve, la transcription du contre-interrogatoire et le plaidoyer écrit de la requérante font référence à une seule opposante. Dans un souci de cohérence, je ferai de même et ferai également référence à une seule opposante.

[5]        La preuve de l'opposante se compose des affidavits d’Oi Fan Wendy Tse et de Karl Strimbold. La preuve de la requérante se compose des affidavits de Pam Merten et de Jessica Hinman, de même que d'une copie certifiée de l'enregistrement no LMC578,220. Mmes Merten et Hinman ont été contre-interrogées au sujet de leurs affidavits. La transcription de leurs contre-interrogatoires, les pièces qui y sont jointes et leurs réponses aux engagements font partie de la preuve au dossier. Seule la requérante a produit un plaidoyer écrit; cependant, les deux parties étaient représentées à l'audience qui a été tenue le 27 janvier 2015.

[6]        Aux paragraphes 2 et 3, ci-dessus, j'ai montré la marque Luvshoe's de l'opposante comme elle est déposée, c'est-à-dire la première lettre en majuscule, le reste des lettres en minuscules et le tout en caractères gras. Cependant, l'opposante fait référence à sa marque déposée comme LUVSHOE’S et je ferai de même dans un souci de cohérence. J'ajouterais que, aux fins de cette opposition, il n'y a essentiellement aucune différence entre les marques LUVSHOE’S et Luvshoe’s; l'une est une variante de l'autre. De plus, la preuve de l'opposante montre qu'elle a employé sa marque LUVSHOE’S en lettres cursives plutôt qu'en caractères d'imprimerie. Encore une fois, aux fins de cette opposition, il n'y a essentiellement aucune différence entre les marques LUVSHOE’S, Luvshoe’s et Luvshoe’s; ce sont toutes des variantes de la même marque.

Principale question à trancher

[7]        Lors de l'audience, les parties s'entendaient sur le fait que la principale question à trancher était de décider si la marque I LOVE SHOES visée par la demande créait de la confusion avec la marque LUVSHOE’S. Les dates pertinentes pour l'appréciation de la question de la confusion sont les suivantes : i) la date de production de la demande (31 janvier 2008) à l'égard du motif d'opposition fondé sur l'article 16 de la Loi sur les marques de commerce; la date de l'opposition (30 août 2011) à l'égard du motif fondé sur l'absence de caractère distinctif en vertu de l'article 2 de la Loi; et la date de ma décision à l'égard du motif d'opposition fondé sur l'article 12(1)d) : pour un examen de la jurisprudence concernant les dates pertinentes dans les procédures d'opposition, voir American Retired Persons c Canadian Retired Persons (1998), 84 CPR (3d) 198, 206 à 209 (CF 1re inst).

[8]        Avant de me pencher sur la question de la confusion, j'examinerai d'abord la preuve des parties, le fardeau de preuve initial qui incombe à l'opposante, le fardeau ultime imposé à la requérante et la signification du terme confusion dans le contexte de la Loi sur les marques de commerce, et les facteurs à considérer dans l'examen de la question de la confusion.

Preuve de l'opposante

Oi Fan Wendy Tse

[9]        Mme Tse se présente comme directrice et présidente de la société Resource de l'opposante laquelle, à la date de son affidavit, était la seule propriétaire. Son affidavit est donc présenté au singulier plutôt que de parler de co-opposantes. Je résumerai sa preuve selon ses références à une opposante unique. L'opposante a été incorporée en 1998 et exerce ses activités sous le nom de LUVSHOE’S. Depuis 2003, elle vend et distribue des chaussures, des bottes et des sandales, ainsi que des accessoires d’articles chaussants, comme des fleurs décoratives pour les chaussures et autres accessoires comme des sacs à main et des bijoux, sous sa marque et son nom commercial LUVSHOE’S. De telles ventes sont enregistrées dans chaque province canadienne et dans plus de 1 300 commerces de détail. L'opposante vend des produits uniquement sous l'étiquette LUVSHOE’S.


[10]      Depuis août 2010, l'opposante a également employé le dessin d'un diamant et le dessin d'un cœur de la marque LUVSHOE’S, illustrés ci-dessous, en liaison avec des articles chaussants et des accessoires.

 

[11]      L'opposante exploite le nom de domaine www.luvshoe.com depuis 2004 pour la promotion et l'annonce de ses activités; la page d'accueil du site Web de l'opposant affiche bien en vue la marque LUVSHOE’S (comme illustré en pièces B1 à B3). Les articles chaussants de l'opposante se vendent environ 10 $ pour des tongs; dans la fourchette de 35 $ à 159 $ pour des sandales, des chaussures et des bottes; et les sacs à main se détaillent entre 69 $ et 89 $.

[12]      Aux paragraphes 11 à 19 de son affidavit, aux pièces C à P, Mme Tse décrit de façon exhaustive comment les marques de l'opposante sont employées en liaison avec ses produits, principalement des chaussures. La marque LUVSHOE’S apparaît sur les semelles intérieure et extérieure; sur des étiquettes volantes attachées aux bottes; sur des boîtes à chaussures contenant les chaussures vendues à des détaillants; sur le papier d'emballage dans les boîtes à chaussures; (c'est-à-dire le dessin d'un diamant de la marque LUVSHOE’S); sur les sacs à chaussures recyclables gratuits; et sur des étiquettes cousues ou collées sur la semelle des chaussures. Pour ce qui est des sacs à main, la marque LUVSHOE’S de l'opposante est affichée sur le sac à main même, sur différentes étiquettes ou sur des décorations attachées au sac. Le dessin d'un cœur de la marque LUVSHOE’S apparaît sur une décoration de fermeture à glissière depuis août 2010.

[13]      Le chiffre d'affaires brut des produits de marque LUVSHOE’S, pour les années 2004 à 2011 inclusivement, allaient de 1,1 M$ en 2008 et 2011 jusqu'à un sommet de 1,6 M$ en 2005. Le chiffre d'affaires annuel moyen est d'environ 1,4 M$.

[14]      Aux paragraphes 26 à 47 de son affidavit, et aux pièces S1 à FF, Mme Tse décrit et illustre de façon exhaustive les activités de l'opposante pour la publicité et la promotion de sa marque LUVSHOE’S. De telles activités comprennent l'affichage de sa marque sur des cartes professionnelles, du papier à en-tête, des enveloppes et des bons de commande; participer régulièrement à des salons professionnels (à travers le Canada) où l'opposante tient un kiosque ou un stand avec des affiches et des présentoirs qui arborent la marque LUVSHOES; l'annonce sous la marque LUVSHOE’S dans plusieurs revues spécialisées et journaux, et la commandite d'activités locales.

[15]      Les coûts annuels de publicité et de promotion pour la période allant de 2004 à 2011 inclusivement vont de 15 500 $ en 2001 à un somme de 70 000 $ en 2007. Les coûts annuels moyens de publicité et de promotion sont d'environ 38 000 $.

Karl Strimbold

[16]      M. Strimbold se présente comme un avocat qui travaille pour le cabinet qui représente l'opposante. Son affidavit sert à produire en preuve, par voie de pièces, (1) une copie de la demande d'enregistrement de la marque de commerce produite pour la marque I LOVE SHOES visée par la demande maintenue par l’OPIC, et (2) des documents tirés de la banque de données de l'OPIC concernant la marque I LOVE SHOES visée par la demande.

Preuve de la Requérante

Pam Merten - preuve par affidavit

[17]      Mme Merten se présente comme présidente de Payless ShoeSource Canda LP (« Payless Canada ») de laquelle Payless ShoeSource Canada GP Inc. (« Payless GP ») est une associée commanditée. Payless Canada est une société affiliée de la requérante.

 

[18]      La requérante est issue d'une société fondée en 1956 à Topeka au Kansas par deux cousins qui vendaient des chaussures dans un environnement libre-service. À compter de mai 1996, la compagnie remplaçante était exploitée sous le nom de Payless ShoeSource, Inc. (« PSSI »), qui a changé son nom pour Collective Brands, Inc. (« CBI ») en 2007. Les magasins CBI exercent leurs activités sous la marque PAYLESS SHOESOURCE.

[19]      la requérante est une société affiliée de CBI et Payless Canada. Il existe une structure organisationnelle complexe des sociétés affiliées détaillée par Mme Merten aux paragraphes 5 à 9 de son affidavit, cependant, le paragraphe 10 suffit à établir que l'emploi de la marque visée par la demande par Payless Canada bénéficie à la requérante.

[Traduction]
10.
     La Requérante est propriétaire des marques de commerce en liaison avec lesquelles CBI et ses autres sociétés affiliées exercent les activités de PAYLESS sous licence dans tous les pays, incluant le Canada. Les magasins de détail PAYLESS SHOESOURCE au Canada sont exploités en liaison avec les marques de commerce appartenant à la Requérante. Payless Canada est licenciée par la Requérante pour l'emploi de ces marques de commerce au Canada. En vertu de cette licence, la requérante a le droit de contrôler les caractéristiques et la qualité des produits et des services en liaison avec lesquels les marques de commerce de la Requérante sont employées au Canada par Payless Canada.

[20]      La présence des magasins PAYLESS SHOESOURCE au Canada est décrite aux paragraphes 11 à 14 de l'affidavit de Mme Merten, reproduits ci-dessous :

[Traduction]
11.
     Les magasins PAYLESS SHOESOURCE au Canada sont situés dans une gamme d'endroits, en zone urbaine et en zone rurale, incluant des mails régionaux, des centres commerciaux, des quartiers d'affaires, des édifices indépendants et d'autres points de vente au détail par notre stratégie de magasin dans un magasin.

 

12.     La superficie moyenne d'un magasin PAYLESS SHOESOURCE typique au Canada est de deux cent trente à deux cent quatre-vingts mètres carrés (230 m2 à 280 m2 [2 500 pi2 à 3 000 pi2]). Le magasin PAYLESS SHOESOURCE moyen au Canada compte approximativement sept mille (7 000) paires de chaussures. Les articles chaussants vendus dans les magasins PAYLESS SHOESOURCE au Canada incluent toutes sortes d'articles chaussants, incluant des chaussures pour hommes, femmes et enfants, des bas, des vêtements et des accessoires personnels.

 

13.     Payless Canada compte à l'heure actuelle plus de mille deux cents (1 200) employés à temps plein et six cents (600) employés à temps partiel. Le siège de Payless Canada est situé à Toronto en Ontario.

 

14.     Payless Canada est à l'heure actuelle un des plus importants détaillants d'articles chaussants et d'accessoires connexes au Canada, à la fois en matière de paires d'articles chaussants vendues et du nombre de magasins.

[21]      La marque I LOVE SHOES visée par la demande a été employée pour la première fois au Canada en mars 2008 en liaison avec des articles chaussants, des accessoires et des services de vente au détail connexes. Elle apparaît sur des affiches à l'intérieur du magasin, sur du matériel de présentation dans les magasins, sur des sacs et dans de la publicité.

[22]      Les ventes annuelles approximatives d’articles chaussants et accessoires connexes dans les magasins PAYLESS SHOESOURCE du Canada étaient d'environ 180 MS pour chaque année de 2008 à 2012 (le chiffre de 2012 est une estimation) inclusivement. Les chiffres d'affaires ci-dessus représentent environ 25 millions de paires de chaussures vendues en liaison avec les marques de la requérante (c'est-à-dire incluant des marques autres que la marque visée par la demande) depuis 2008.

[23]      Aux paragraphes 22 à 25 de son affidavit, Mme Merten fait valoir qu'aucun cas de confusion réelle n'a été porté à son attention, et n’explique comment les activités des deux parties diffèrent :

[Traduction]
22.
     La Marque de commerce coexiste avec la marque de commerce LUVSHOE'S (la « Marque de l'opposante ») et, autant que je sache, a coexisté avec elle sans confusion au Canada depuis que Payless Canada a commencé à employer la marque de commerce au Canada en 2008. S'il y avait eu le moindre cas de confusion, il aurait été porté à mon attention ou à l’attention de mon prédécesseur. J'ai vérifié si un tel cas a déjà été rapporté. Aucun cas de confusion entre la Marque de l'Opposante et la Marque de commerce n'a jamais été porté à mon attention directement ou à la suite d'une vérification de nos dossiers.

 

23.     Je comprends que l'Opposante n'exploite pas elle-même des magasins de détail. Quoi qu'il en soi, je ne connais aucun magasin de détail au Canada exploité en liaison avec la Marque de l'Opposante.

 

24.     Je comprends que l'Opposante fait valoir qu'elle emploie la Marque de l'Opposante en liaison avec la distribution en gros de chaussures, bottes, sandales et accessoires d’articles chaussants. Au Canada, ni la Requérante ni Payless Canada ne s'occupent de la distribution en gros de produits à des détaillants tiers, en particulier en liaison avec la marque de commerce I LOVE SHOES Tout emploi par la Requérante de la marque de commerce I LOVE SHOES est fait dans ses propres magasins PAYLESS SHOESOURCE ou en liaison avec ces derniers.

 

25.     Je comprends que l'opposante fait valoir qu'elle participe à divers salons professionnels au Canada. Puisque l'Opposante[sic] ne vend pas ses produits à des détaillants tiers, elle [la Requérante] ne participe pas à des salons professionnels au Canada comme exposant.

Pam Merten - transcription du contre-interrogatoire

[24]      Le témoignage de Mme Merten en contre-interrogatoire explique sa preuve par affidavit et est entièrement cohérent avec sa preuve par affidavit. Lors du contre-interrogatoire, il est devenu évident que les chiffres d'affaires du commerce de détail que j'ai résumés au paragraphe 22, ci-dessus, incluent des ventes sous des marques de la requérante autres que la marque I LOVE SHOES, de même que des ventes d'articles chaussants de diverses marques tierces incluant CHAMPION et DEXTER. C'est-à-dire que les chiffres d'affaires ne couvrent pas exclusivement les chaussures de marque I LOVE SHOES. Quoi qu'il en soit, compte tenu de la formulation de l'affidavit, je n'aurais pas considéré les chiffres d'affaires comme étant exclusivement pour la vente de produits sous la marque visée par la demande, même en l'absence de contre-interrogatoire.

[25]      Une façon d'afficher la marque I LOVE SHOES dans les magasins de la requérante, qui n'est pas mentionnée dans l'affidavit de Mme Merten, est que la marque apparaît sur l'écran des lecteurs de cartes électroniques quand les clients paient en entrant leur numéro d'identification de carte de crédit ou de débit.

[26]      Mme Merten explique également qu'il est peu probable que des cas de confusion entre la marque visée par la demande et la marque de l'opposante n'aient pas été portés à son attention.

Jessica Hinman

[27]      Mme Hinman se présente comme une stagiaire en droit qui travaille pour le cabinet qui représente la requérante. Elle a fait enquête au sujet d'un détaillant tiers de chaussures pour femmes, nommément Town Shoes. Son site Web énumère 52 magasins au Canada, dont 35 sont situés en Ontario. La preuve par affidavit de Mme Hinman suffit à établir que le détaillant tiers emploie la marque FOR THE LOVE OF SHOES en liaison avec des chaussures pour femmes et des services de vente au détail de chaussures. Je suis prêt à inférer de sa preuve que la marque tierce a une bonne réputation en Ontario. Rien dans son témoignage lors du contre-interrogatoire ne s'écarte de sa preuve par affidavit ou ne la détracte.

Fardeau de preuve et fardeau ultime

[28]      Comme dans d'autres instances de droit civil, (i) l'opposante a le fardeau de preuve de corroborer les allégations qui figurent dans la déclaration d'opposition et (ii) la requérante a le fardeau ultime de démontrer le bien-fondé de sa cause.

[29]      En ce qui a trait au point (i) susmentionné, conformément aux règles de preuve habituelles, l'opposante doit s'acquitter du fardeau de prouver les faits sur lesquels elle appuie les allégations qu'elle plaide dans la déclaration d'opposition; voir John Labatt Limited c The Molson Companies Limited, 30 CPR (3d) 293 à 298 (CF 1reinst). La présence d'un fardeau de preuve pour l'opposante à l’égard d’une question donnée signifie que la preuve doit être suffisante pour qu’il soit possible de conclure raisonnablement à l’existence des faits allégués à l’appui de ladite question. En ce qui a trait au point (ii) susmentionné, c'est à la requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer que la demande d'enregistrement ne contrevient pas aux dispositions de la Loi sur les marques de commerce invoquées par l'opposante dans la déclaration d'opposition (concernant les allégations pour lesquelles l'opposante s'est acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait). Le fait que le fardeau ultime incombe à la requérante signifie que s'il est impossible d'arriver à une conclusion déterminante une fois que toute la preuve a été présentée, la question doit être tranchée à l'encontre de la requérante.

Signification de la confusion

[30]      Les marques de commerce créent de la confusion lorsqu’il existe une probabilité raisonnable de confusion au sens de l'article 6(2) de la Loi sur les marques de commerce, reproduit ci-dessous :

[Traduction]
L’emploi d’une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l’emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les produits. . . liés à ces marques de commerce sont fabriqués. . . ou que les services liés à ces marques sont. . . exécutés par la même personne, que ces produits ou ces services soient ou non. . . de la même catégorie générale.

 

[31]      Par conséquent, l'article 6(2) ne porte pas sur la confusion entre les marques elles-mêmes, mais sur une confusion qui porterait à croire que les produits ou les services d'une source proviennent d'une autre source. En l'espèce, la question que soulève l'article 6(2) est celle de savoir si les acheteurs des chaussures croyaient que les magasins de chaussures I LOVE SHOES de la requérante étaient exploités par l'opposante, ou que la requérante a été autorisée ou licenciée par l'opposante, qui vend des chaussures sous la marque LUVSHOE’S. C'est à la requérante qu'incombe le fardeau ultime de démontrer, selon la norme habituelle de la prépondérance des probabilités qui s'applique en matière civile, qu'il n'y aurait pas de probabilité raisonnable de confusion.

Test en matière de confusion

[32] Le test en matière de confusion est celui de la première impression et du souvenir imparfait. Les facteurs à prendre en considération pour déterminer si deux marques créent de la confusion sont « toutes les circonstances de l'espèce, y compris » celles expressément énoncées aux art. 6(5)a) à 6(5)e) de la Loi, à savoir : le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; la période pendant laquelle chaque marque a été en usage; le genre de produits, services ou entreprises; la nature du commerce; le degré de ressemblance entre les marques dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'elles suggèrent. Cette liste n'est pas exhaustive et il importe de prendre en considération tous les facteurs pertinents. En outre, ces facteurs n'ont pas nécessairement tous le même poids, et le poids qu'il convient d'accorder à chacun varie selon les circonstances : voir Gainers Inc. c Tammy L. Marchildon et le Registraire des marques de commerce (1996), 66 CPR(3d) 308 (CF 1re inst). Cependant, comme l’a souligné le juge Rothstein dans Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc. (2011), 92 CPR (4th) 361 (CSC), le degré de ressemblance est souvent le facteur susceptible d’avoir le plus d’importance dans l’examen relatif à la confusion, et ce, même s’il est mentionné en dernier lieu à l'article 6(5).

Examen des facteurs énoncés à l'article 6(5)

Premier facteur – le caractère distinctif inhérent et acquis

[33]      La marque LUVSHOE’S de l'opposante ne possède pas un caractère distinctif inhérent très élevé puisqu'elle serait perçue comme étant composée de deux mots courants. À cet égard, la première partie de la marque, nommément LUV, serait comprise comme une épellation conversationnelle du mot « love » [amour]. De plus, considérée dans son ensemble, la marque est suggestive des produits de l'opposante, nommément des articles chaussants. La marque de l'opposante est donc une marque relativement faible. Dans le même ordre d'idées, la marque I LOVE SHOES visée par la demande est également relativement faible.

[34]      Je conclus de la preuve de Mme Tse que la marque LUVSHOE’S de l'opposante avait acquis une réputation assez solide en liaison avec les chaussures à la date pertinente la plus ancienne du 31 janvier 2008 et a continué de développer son caractère distinctif jusqu'aux dates pertinentes les plus récentes (milieu de 2011 et aujourd'hui) en raison des ventes et de la publicité continues sous la marque. La marque I LOVE SHOES visée par la demande n'a commencé à acquérir un caractère distinctif que peu après la date pertinente la plus ancienne, c'est-à-dire à partir de mars 2008. Je conclus à partir de la preuve de Mme Merten que la marque I LOVE SHOES de la requérante avait acquis une réputation substantielle en liaison avec des magasins de chaussures (c'est-à-dire, un service de vente au détail plutôt que des produits) aux dates pertinentes les plus récentes en raison des ventes et de la publicité continues sous la marque. Compte tenu de la preuve au dossier, je conclus que la marque visée par la demande a acquis une réputation plus importante que la marque de l'opposante aux dates pertinentes les plus récentes.

[35]      Compte tenu du caractère distinctif inhérent et acquis, le premier facteur favorise l'opposante à la date pertinente la plus ancienne, mais favorise la requérante aux dates pertinentes les plus récentes.

Deuxième facteur - la période pendant laquelle les marques ont été en usage

[36]      L'opposante a commencé à employer sa marque en 2003, alors que la requérante n'a pas commencé l'emploi de sa marque avant 2008. La période de temps pendant laquelle les marques des parties ont été en usage favorise donc la requérante, particulièrement à la date pertinente la plus ancienne du 31 janvier 2008. À cet égard, à partir de mars 2008, la requérante a commencé à employer sa marque I LOVE SHOES dans une plus grande mesure que l'opposante a employé sa marque LUVSHOE’S. Par conséquent, la période pendant laquelle les marques des parties ont été en usage est devenue un facteur moins important aux dates pertinentes les plus récentes.

Troisième et quatrième facteur - le genre de produits, services ou entreprises

[37]      Comme susmentionné, les chaussures de l'opposante sont vendues sous sa marque LUVSHOE’S par divers détaillants tiers alors que la requérante vend des chaussures sous ses propres marques dans ses nombreux points de vente au détail exploités sous sa marque I LOVE SHOES. Les observations de la requérante au sujet des troisième et quatrième facteurs se trouvent aux paragraphes 63 à 67 de son plaidoyer écrit :

[Traduction]
Le genre de produits, services ou entreprises

63.     Il y a peu de recoupement entre les services de la Requérante et les produits ou services [sic] de l'Opposante. La preuve établit que la Requérante et l'Opposante exercent leurs activités dans différents secteurs du commerce des chaussures. L'Opposante n'exploite pas elle-même un magasin de chaussures, mais semble vendre des articles chaussants et des accessoires en gros à des détaillants indépendants.

 

64.     Comparativement, la Requérante vend ses produits dans ses propres magasins à travers le Canada dans une gamme d'environnements. Il n'y a aucune preuve que les produits de la Requérante sont vendus ailleurs que dans ses propres magasins.

 

65.     Ce facteur favorise la Requérante.

 

La nature du commerce

 

66.     Il n'y a aucune preuve de recoupement des voies de commercialisation entre l'Opposante et la Requérante ou des clients mutuels. Il n'y a aucune preuve de recoupement en matière de participation à des salons professionnels, ou dans les endroits où les parties font de la publicité ou autrement.

 

67.     Par conséquent, ce facteur favorise la requérante.

 [38]     Habituellement, les services de vente au détail de chaussures et les produits (chaussures) de l'opposante pourraient être considérés comme étant liés ou complémentaires. Cependant, je suis d'accord avec la requérante que dans les circonstances de l'espèce, il y a [traduction] « peu de recoupement » entre les services de vente au détail de la requérante et les chaussures de l'opposante. Je suis donc d'accord avec la requérante que les troisième et quatrième facteurs favorisent la requérante.

Cinquième facteur - le degré de ressemblance

[39]      Les marques des parties se ressemblent de façon considérable dans les idées qu'elles suggèrent, c'est-à-dire l'idée [traduction] « d'aimer les chaussures ». Les marques se ressemblent également de façon assez considérable dans le son comme l'abréviation LUV est identique dans sa prononciation au mot entier LOVE [amour]. Les marques en l'espèce diffèrent le plus par leur présentation visuelle en raison de la phrase à trois éléments I LOVE SHOES et de l'élément unique du terme LUVSHOE’S, et également en raison de l'épellation différente du mot « love » [amour]. Cependant, les marques se ressemblent dans une mesure considérable lorsque les trois éléments de la ressemblance sont considérés ensemble. Ainsi, le facteur habituellement le plus important dans l'examen de la question de la confusion favorise l'opposante.

Autres considérations

Marques faibles et petites différences

[40]      Dans les circonstances de l'espèce, il y a d'autres considérations qui diminuent l'avantage de l'opposante en raison du cinquième facteur. Une des circonstances veut que des différences comparativement faibles puissent suffire à distinguer des marques « faibles », c’est-à-dire distinguer des marques aux caractères distinctifs inhérents faibles (voir GSW Ltd. c Great West Steel Industries Ltd. (1975), 22 CPR(2d) 154 (CF 1re inst)), particulièrement si l'opposante n'a pas établi que sa marque avait acquis un caractère suffisant pour permettre à l’opposante de bénéficier d’une protection étendue, c'est-à-dire à l'extérieur des produits et services spécifiques offerts par l'opposante. Même si l'opposant a établi une réputation considérable de sa marque à toutes les dates pertinentes, je n'estime pas que la mesure d'une telle réputation soit suffisante pour permettre à sa marque faible de bénéficier d’une protection étendue. C'est-à-dire que la requérante ne peut prétendre que le caractère distinctif acquis de sa marque s'étend aux services de magasins de chaussures.

Jurisprudence

[41]      Je me suis également inspiré d'une récente décision de cette Commission, Breville Pty Limited c Keuring Green Mountain, Inc, 2014 COMC 248 (CanLII). Dans Breville, la propriétaire des marques YOUBREW et BREW IQ s'opposait à la marque MYBREW visée par la demande pour emploi en liaison avec des appareils d'infusion électriques. La Commission a également fait remarquer ce qui suit :

[Traduction]
Examinant le degré de ressemblance, la Cour suprême du Canada écrit, dans l’arrêt Masterpiece, précité, que la ressemblance est définie en tant que rapport entre des objets de même espèce présentant des éléments identiques ou similaires (para 62) et que, pour mesurer le degré de ressemblance, il est préférable de se demander d’abord si l’un des aspects d’une marque de commerce est particulièrement frappant ou unique (para 64). En l’espèce, il n’y a rien de frappant ou d’unique dans le mot BREW considérant que les marchandises de chaque partie sont liées aux appareils d'infusion et aux produits avec lesquels ils sont employés [voir, par exemple, Molson Companies Ltd c John Labatt Ltd (1994), 58 CPR (3d) 527 (CAF)]. De même, le préfixe des marques des parties (un pronom personnel) n'est pas particulièrement frappant ou unique étant donné que les consommateurs utilisent souvent des appareils d'infusion pour se préparer des boissons pour eux-mêmes.

 

[28]   Les marques de commerce des parties se ressemblent donc dans une certaine mesure dans la présentation et le son puisqu'elles partagent le suffixe BREW. Tandis que les marques de commerce des parties YOUBREW et MYBREW suggèrent la même idée, un infuseur qui permet de personnaliser des produits infusés, il ne peut y avoir de monopole dans ce genre d'idée [American Assn of Retired Persons c Canadian Assn. of Retired Persons/Assoc Canadienne des Individus Retraités (1998), 84 CPR (3d) 198 para 34 (CF 1re inst)]. (Je souligne.)

[42]      Dans le même ordre d'idées, en l'espèce, les marques des parties se ressemblent dans la présentation, le son et les idées qu'elles suggèrent puisqu'elles partagent les éléments « shoes » [chaussures] et « love » (ou son abréviation « luv ») [amour]. Cependant, il n'y a rien de particulièrement frappant ou unique dans les éléments « luv » [amour] et « shoes » [chaussures] et il ne peut y avoir de monopole de l'idée [traduction] « d'aimer les chaussures » dans l'industrie de la chaussure. La preuve de Mme Hinman souligne, du moins dans une certaine mesure, que la notion [traduction] « d'aimer les chaussures » est une idée appropriée pour des marques de l'industrie de la vente au détail de chaussures. De plus, la première partie d'une marque est celle qui a le plus de poids aux fins de la distinction (voir Conde Nast Publications Inc. c Union des Éditions Modernes (1979), 46 CPR (2d) 183 (CF 1re inst)) et en l'espèce, la première partie de la marque visée par la demande, c'est à dire le mot « I » [je], contribue à distinguer la marque visée par la demande de la marque de l'opposante, du moins visuellement et un peu dans le son. La preuve de Mme Merten de l'absence de cas réel de confusion, malgré l'emploi concomitant des marques des parties dans le marché, est un autre facteur qui joue en la faveur de la requérante, quoiqu’en l'espèce l'importance soit faible.

[43]      Eu égard à la discussion ci-dessus des facteurs énoncés à l'article 6(5), à la jurisprudence et aux autres considérations, j'estime que la prépondérance des probabilités à l'égard de la confusion penche légèrement en faveur de la requérante aux dates pertinentes les plus récentes, nonobstant la ressemblance entre les marques des parties.

Décision

[44]      Compte tenu de ce qui précède, l'opposition produite à l'encontre de la marque I LOVE SHOES est rejetée. La présente décision est rendue dans l'exercice des pouvoirs qui m'ont été délégués par le registraire des marques de commerce en vertu de l'article 63(3) de la Loi sur les marques de commerce.

[45]      J'ajouterais que si la requérante avait produit une preuve établissant l'emploi des marques des parties dans les mêmes régions sur une période de plusieurs années, alors la preuve de Mme Merten d'absence de confusion réelle aurait eu une plus grande force probante.

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Myer Herzig,

membre

Commission des oppositions des marques de commerce

Office de la propriété intellectuelle du Canada

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Nathalie Tremblay, trad.

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